« L’Apparition », Vincent Lindon au défi de la foi

Le cinéaste Xavier Giannoli imagine un grand reporter chargé par le Vatican de démêler le vrai du faux des apparitions de la Sainte Vierge à une jeune fille.

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Publié le 18 janvier 2023 à 19h00, mis à jour le 18 janvier 2023 à 19h00

Jacques Mayano (Vincent Lindon) dans « L’Apparition » (2018), de Xavier Giannoli.

Un crooner passé de mode qui se prend à faire revivre la flamme (Quand j’étais chanteur, 2006). Un escroc déguisé en chef de chantier qui relève le défi du bien commun (A l’origine, 2009). Un inconnu qui devient célèbre du jour au lendemain (Superstar, 2012). Une grande bourgeoise, spécialiste des couacs, qui se rêve en cantatrice (Marguerite, 2015). A force de creuser, de film en film, la question de la croyance (et de ses satellites, de l’imposture jusqu’à la grâce), Xavier Giannoli, grand distillateur de fables consacrées au pacte fictionnel, devait un jour relever frontalement le défi de la foi. C’est chose faite avec L’Apparition (2018), à ceci près que ce film à « twist », impossible à étreindre, adopte une conduite plus sinueuse que rectiligne.

Blessé lors d’un reportage dans une zone de guerre où Dieu a encore son mot à dire, Jacques (Vincent Lindon), grand reporter, est rapatrié d’urgence à Paris, où, par une singulière ironie du sort sur cette terre sainte de la laïcité, Dieu l’attend de nouveau, en vertu, suppose-t-on, de son ubiquité.

Il prend, cette fois, la forme d’un appel téléphonique en provenance du Vatican. On lui demande d’exercer sa profession au sein d’une commission d’enquête destinée à prouver la véracité ou l’imposture du récit d’une jeune fille du sud-ouest de la France, Anna, à laquelle la Sainte Vierge serait apparue à plusieurs reprises. S’inquiétant de la dimension que prend l’événement, le Saint-Siège redouble de précautions.


Personnage de taiseux

Eloigné de la religion de son enfance et de la foi, sans leur être hostile, Jacques relève le défi de l’enquête qui lui est confiée. Au sein d’une commission très diversement constituée (du prêtre au psychiatre) lui revient la tâche la plus ingrate, celle d’enquêter selon les règles de l’investigation journalistique sur un phénomène, la vision, qui s’y soustrait par nature. Cette aporie devient, hélas, celle à laquelle se heurte le film lui-même. Requis par sa mission, mais troublé par la jeune fille, le personnage interprété par Vincent Lindon – ici réduit à un personnage de taiseux qui le rend visiblement malheureux – se tient continûment au milieu du gué.

La solution imaginée par Xavier Giannoli afin de l’en tirer (une piste policière menant, tel le Saint-Esprit, à une troisième personne) fait l’effet d’un deus ex machina destiné à concilier tant l’hypothèse de la vérité que celle du mensonge. En un mot, à prôner, en cinéaste qui se respecte, les vertus de l’illusion. Si subtile soit-elle, cette dialectique semble inopérante s’agissant d’un sujet aussi brûlant que la représentation de la foi au cinéma. Ici, il sera toujours préférable de trancher entre deux voies extrêmes : celle de Dreyer (Ordet, 1955) et de Rossellini (Voyage en Italie, 1954), ou celle de Bergman (Le Septième Sceau, 1957) et de Mocky (Le Miraculé, 1987).



Un journaliste enquête sur une jeune fille qui affirme avoir vu la Vierge Marie. Une réflexion bouleversante sur la foi aux allures de polar.

Xavier Giannoli est passionné par les imposteurs et les innocents. Dans À l’origine (2009), un escroc finissait par croire à son propre mensonge. Dans Superstar (2012), un anonyme devenait célèbre du jour au lendemain sans raison. Dans Marguerite (2015), une grande bourgeoise se rêvait cantatrice alors qu’elle chantait comme une casserole. Anna, la bouleversante héroïne de L’Apparition, affirme, elle, avoir vu la Vierge Marie lui apparaître dans les Alpes. La jeune novice au visage d’ange (Galatéa Bellugi, extraordinaire révélation) le dit avec douceur mais détermination : « Je ne suis pas une menteuse. » Son confesseur la croit. Des milliers de pèlerins, aussi, qui affluent sur le lieu de l’apparition. Mais les autorités ecclésiastiques renâclent : « L’Eglise préférera toujours passer à côté d’un véritable miracle plutôt que de reconnaître une imposture », reconnaît un jeune prêtre.

Le Vatican lance, donc, une enquête canonique chargée de vérifier les dires d’Anna. Et recrute pour cette tâche un journaliste, revenu traumatisé d’un reportage de guerre où son meilleur ami, un photographe, est mort. Quand un cardinal lui demande s’il est croyant, Jacques (Vincent Lindon) répond : « Je crois qu’il y a peut-être quelque chose, mais je ne suis pas pratiquant. » Il commence ses recherches en sceptique obnubilé par la recherche « des preuves visibles, des images de la vérité ». Mais l’ampleur du culte qui se développe autour de la nouvelle Bernadette Soubirou et l’attitude de la jeune fille ébranlent ses certitudes.

Xavier Giannoli prend le terme d’enquête au pied de la lettre. L’Apparition possède toutes les qualités d’un bon polar, avec ses interrogatoires, ses secrets, ses révélations et des rebondissements qui entretiennent le suspense jusqu’à l’épilogue. Mais le film, d’une ampleur romanesque peu commune dans le cinéma français d’aujourd’hui, est aussi une réflexion passionnante sur la foi. Sur le don de soi et l’abandon qu’elle implique, comme sur la manière de la vivre dans le chaos du monde contemporain. Le cinéaste filme en agnostique, jamais méprisant pour les fidèles en adoration devant la « voyante ». Il ne ridiculise pas non plus Borodine, le curé rebelle (Patrick d’Assumçao, grand second rôle), qui surprotège Anna en confident jaloux. Ni ne condamne Anton, (Anatole Taubman), l’homme d’Eglise dévoyé par l’argent et la notoriété, mais dont la foi semble sincère.

Le film part du réel pour tendre vers le spirituel, alternant l’énergie et l’élégie. A la précision quasi documentaire des séquences d’enquête répond l’élévation métaphysique des musiques d’Arvo Pärt et de Georges Delerue. C’est par une mise en scène attentive à la beauté des corps, à leur fragilité aussi, que L’Apparition approche les mystères de l’âme. Dans un plan-séquence intense de quatre minutes, où elle est seule à l’écran, le visage de Galatéa Bellugi irradie, comme habité par la grâce. Et quand la jeune fille, au bout de la souffrance, dépassée par le phénomène qu’elle a involontairement déclenché, fugue dans la nuit, Xavier Giannoli filme ses pauvres chaussures dans la chambre vide — comme le faisait Alain Cavalier dans le magnifique plan final de Thérèse, consacré à la petite sainte de Lisieux.

Les scènes entre Anna, la jeune voyante mystique, et Jacques, le journaliste sceptique, propulsent le film à des sommets. « Il y a trop de colère en vous pour accepter ce que j’ai vu », lui déclare-t-elle. Avant, quelques minutes plus tard, de prendre la tête du vieux baroudeur meurtri dans ses mains consolantes, comme une reine thaumaturge. Une faiseuse de miracles… Vincent Lindon, au diapason de sa jeune partenaire, fait passer toutes les émotions par son simple regard. La douleur, la sidération, le doute… Et, in fine, l’acceptation apaisée de ce doute, la certitude de ne jamais connaître toutes les réponses. La psychiatre de la commission d’enquête l’avait prévenu : « La foi est un choix libre et éclairé. Avec une preuve, il n’y aurait plus de mystère  »


Synopsis

Anna, jeune femme de 18 ans, affirme avoir vu la Vierge. Le Vatican décide de mener une enquête canonique et fait appel à Jacques Mayano, grand reporter dans un quotidien français, d'investiguer. Homme de raison, Mayano se rend dans la petite ville du sud-est de la France où s'est déroulé le phénomène. Le journaliste fouille le passé d'Anna et découvre qu'elle a eu une enfance chaotique et sans amour. Le père Borrodine a pris sous son aile la jeune fille et croit dur comme fer à ses visions. En cherchant des preuves, Jacques affronte l'homme d'Eglise. De son côté, Anna, qui a su le percer à jour, commence à le faire douter...

L’Apparition

Drame (2h24) - 2018
Réalisé par
Xavier Giannoli
avec
Vincent Lindon, Galatéa Bellugi,
Patrick d'Assumçao, Anatole Taubman
TTTT  
Bravo


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