Un schizophrène (du grec schizo :
fendu et phréne : crane) ne distingue pas la réalité du
rêve, ce qui ne l’empêche pas d’être lucide ou voyageur.
Le groupe social et son être ne sont pas en accord, il est
incompris et asocial surtout lorsqu'il se veut un homme
d’affaires dans un pays où le statut social importe avant
de faire ce qui est à faire. Alors il éclate.
La souffrance de l’homme incompris existait chez Rimbaud
d’où le seul remède est le voyage. Calculer, prévoir, agir
dans un monde primitif dans lequel l’état brut a cours
permettent de sortir de l’autisme. L’autisme (vivre replié
sur soi) c'est nier l’existence de la société humaine qui
contente le plus grand nombre.
L’autiste est heureux, il crée son propre monde mais
l’échange de communication brise son domaine intérieur.
Voila comment devenu autiste, j’ai créé un monde que je
désire faire partager au reste de l’humanité, ce monde me
parait beau et respecte l’individu dans ce qu’il a de bon.
Ce monde est issu de la mer et retourne à la mer. Tels le
dauphin et la baleine qui après avoir évolué dans le sens
eau-terre sont retournés vivre en mer et se sont réadaptés
à leur premier élément, l’eau. Chez l’autiste schizophrène
apparaît 1a logorrhée, parler mais sans échange, décrire
son monde mais refermant d’autant plus l’autiste. Combien
de fois me retrouvai-je parlant seul face à des
personnages ne comprenant rien de mon discours que je ne
cessais de faire avancer, désespéré de ne pas avoir de
réaction.
Dans ces récits de voyages sont rassemblés les éléments de
ma vie autour de voyages décrivant mon évolution,
l’enfance, l’adolescence, l’errance, l’émigration.
Je commence ce livre le 11 août 1994, jour anniversaire de
mes 33 ans alors que je me prend pour le Christ. Le Christ
cherchait à introduire l’amour dans l’humanité alors que
ne régnait que la force. Je cherche à introduire le
sentiment d’humanité et ses considérations dans l’échange
d’argent. C’est un combat titanesque mais marquera-t-il
les deux prochains millénaires ? Cela dépendra du bien
fondé et de la croyance de mes actes.
En 1987 en pleine crise paranoïde, je considère que je
suis devenu chinois dans ma vie.
Le moteur de ma vie est une entreprise que j'ai créée en
1984 et dont la réalisation motive mon parcours, les
autres éléments sont la mer, le rock’n’roll, l'argent et
l'amour qui ne font pas bon ménage.
Roma
1974 avril
J'ai 12 ans, je suis peu dissipé,
assez bon élève mais des nuages se sont approchés de ma
vie. Mon père veut divorcer, la crise économique du choc
pétrolier à diminué les ventes du négoce de pneumatiques
dont mon père est le dirigeant, je commence à me
demander si j'aurai 1a chance un jour de conduire une
voiture à essence...
Mais heureusement j'ai un copain qui, très doué en
géographie m'a donné 1a passion d'apprendre les chiffres
indicateurs de toutes les économies du monde,
population, superficie, produit national brut par tête
d'habitant, taux de natalité, de mortalité adulte et
infantile, production de céréales, cours des devises
principales par rapport au franc français.
Nous avons ensemble réalisé un dossier sur la Chine qui
me parait encore obscure mais la démographie et
l'économie n'ont plus de secrets pour moi dans mes
recherches personnelles sur divers journaux et revues,
le journal télévisé me tient au courant des évolutions
politiques. Je situe parfaitement les mégalopoles de
Mexico, Sao Paulo et Le Caire (en arabe 1a victorieuse)
qui annoncent le déclin des mégalopoles de New York et
Tokyo, 1a dernière qui vient de dépasser la précédente,
11.4 millions contre 11.2 millions. Paris, Rome, Londres
sont à 6 / 8 millions d'habitants et déjà bien
vieillies. Le monde est ailleurs.
C'est alors qu’arrive le printemps dans le sud de la
France, à Toulon, même des journées d'hiver peuvent être
printanières, pas de vent et du soleil. L'école organise
pour les classes de cinquième un voyage à Rome pour 320
FF. Malgré la crise, je pars.
À la gare de Toulon, un troupeau de 60 gamins de 12 ans,
les parents sont 1à. Et je suis très excité. Partir sans
les parents en train pendant 24 heures, ça va être
formidable. Mon excitation coupe court quand 1a mère
d'un copain me dit : « cela ne sert à rien de s'exciter
». Depuis tout départ se passe dans l'absolue
décontraction à moins qu’il ne s'agisse d'un départ dont
j'organise le voyage pour d'autres et que tous les
détails ne sont pas réglés.
Le golf de Vallauris, verte étendue douce me fascine,
les pins contrastent par leur aspect torturé. La gare de
Nice où nous changeons de train est belle et grande sous
son toit et évoque une taille de ville plus importante
que celle de Toulon. C'est le départ pour Vintimille,
les wagons sont sales et marcher pieds nus dans les
couloirs, c'est marcher dans la rue. Un autre
monde, différent avec d'autres moyens d’approche.
Arrivés à Rome, nous logeons dans un couvent où
j'apprendrai à compter en italien, ma chambre
étant le numéro 23 je m'empresse de dire venti tre et
uno, due, tre...
Apprendre à compter dans les langues étrangères est
important pour un homme d'affaires qui emmagasine des
chiffres toute 1a journée comme moi, des numéros de
téléphone, des plaques d'immatriculation, des codes
barre de nos jours.
Bien sûr nous visitons 1a Fontaine de Trevi, le Forum,
Ostie, les Catacombes, le Colisée mais ce qui m'attire
est le palais Victor Emmanuel II. Nous passons tous les
jours devant. Ce palais, il est grand, beau, blanc et il
à l'air neuf. Presque neuf, un siècle ! Plus
neuves sont les voitures, j'imaginai les Italiens dans
des voitures rouges Alfa, Fiat et quelle ne fut pas ma
stupéfaction de voir une Mercedes 280 SE et à côté une
pompe à essence (600 lires le prix du litre de
supercarburant). Ça doit être terrible en pleine crise
pétrolière ou alors i1 faut être vraiment riche. La
Mercedes est neuve, i1 doit être « riche ».
De retour à Toulon encore un trimestre où l'initiation
au latin fut un peu plus celle d'une langue morte.
Wales
1975 juillet
Un été, une année s'écoulent et je
suis en quatrième où l'anglais et l'espagnol, les langues
vivantes étrangères, sont primordiales pour la réussite
sociale. Mes parents se sont à peu prés raccommodés mais
la vie devient ennuyeuse et monotone. Travailler pour
réussir, ce n'est pas très gai et assez vain dans le
contexte économique mauvais.
Les filles commencent à germer dans mon esprit comme autre
chose que des sœurs ou des copines et ça me paralyse vis à
vis d'elles. Aboutir à quelque chose de sérieux, un
mariage, alors que mes parents se sont fait quelques
petits drames familiaux, c'est ennuyeux.
Je me mets à rêver en cours, un jour en cours d'anglais où
seul s'exprime le prof, j'ai tout à coup repéré une fumée
dans un bâtiment à un ou deux kilomètres et je m'écrie : «
un incendie». Je suis réprimandé, c'est le printemps.
Ma mère songe à m'inscrire à un séjour en Angleterre et
début juillet, je pars avec un organisme du nom d'ECI
"Échanges Culturels Internationaux" pour la modique somme
de 1200 FF. Ma famille d'accueil s'appelle Coombes (220
Macintosh Place 21 Cardiff) dans un quartier appelé Roath
Park. Ma mère a jugé que je ne dois pas voir de jeunes
Français alors je ne suivrai pas les cours, je fais un
bain complet.
Encore rendez-vous à la gare, je pars dans une DS avec une
autre toulonnaise, une fille de 15 ans, bien plus grande
que moi, en taille aussi. Le conducteur de la DS nous a
mis à l’arrière et nous conduit comme si nous étions des
émirs du pétrole en nous demandant si nous avons trop ou
pas assez d'air. Nous arrivons à Marignane pour prendre
une Caravelle Marseille-Londres et je lis pour la première
fois l'Internationa ! Herald Tribune, assis à côté d'un
Londonien aux cheveux blancs qui a tout du Britannique y
compris le chapeau melon. Les bonbons et le coca cola sont
très bons.
Arrivés à Londres, nous prenons l'autoroute et je constate
que les voitures, les Ford sont Taunus en France et
Cortina en Angleterre et qu'elles sont quasiment
identiques à part les feux ronds et un capot légèrement
arrondi en Angleterre pour les Cortina contre les angles
plus marqués pour les Taunus. Étonnant la stratégie
commerciale des multinationales, GXL en France devient GT
en Angleterre. Ah le marketing! Le prix du super est
incalculable en litres, il faut que je trouve
l'équivalence ! Lors d'une réunion de parents d’élèves de
l'école de Leigh et Karen, 8 et 6 ans, mes "petits frère
et sœur", je suis éclairé par un parent : 4,5 litres pour
un gallon imperial.
Nous allons chez des amis, ils viennent d'acheter une
Jaguar Sovereign d'occasion, vert pale métallisé et elle
est déjà en panne, elle a un lecteur de cassettes et elle
a 6 cylindres. Je cherche à l'expliquer mais ma
prononciation de cylindres n'est pas la bonne, finalement
Joan ma "mère" comprend, ouf ! elle à compris ce que je
voulais dire. Les Coombes ont une vieille voiture prêtée
et ils attendent une Chevrolet Chevette que je ne verrai
jamais.
Bath
Finalement je trouve un copain
français prés de chez moi et je me joins au groupe pour
partir en excursion à Bath, la ville de thermes romains de
l'Angleterre après avoir traversé le Severn Bridge. On ne
rigole pas beaucoup et ce qui compte c'est draguer, je
trouve Anne que je rêve d'emmener en Jaguar, elle a encore
un appareil sur les dents, j'attendrai.
Dans Roath Park où je vais me promener, engoncé dans mes
fringues et chaussures neuves, je rencontre deux Gallois
qui me demandent si je connais des filles Françaises avec
des "teets", ils m'expliquent ce que sont des "teets". (1)
Un soir les voisins des Coombes m'invitent à jouer au
Scrabble avec leur fille rousse qui a mon age et je
m'exprime au jeu, je gagne presque. Leur fille est jolie
et timide, dommage. Je me suis fait expliquer ce soir là,
pourquoi les cheminées ont des bûches rougies à
l'électricité. Plus de bois.
Les maisons sont toutes identiques, ça me plaît, elles
sont grandes en moyenne, c'est le passé de
l'industrialisation qui a fait profiter tous les
Britanniques du confort. Le Royaume Uni est civilisé et
travailleur.
J’apprends à voler des disques avec mes copains français
et à jouer dans les stations balnéaires, mais c'est
dangereux et un peu malsain, je ne m'y reprendrai plus.
Quelle sagesse !
Un dimanche, nous allons à la plage et je constate le
recul de la marée, intéressant, ennuyeux pour les bateaux,
comment font ils pour amarrer leur bateau à quai avec des
amarres trop courtes? Je n'aurai la réponse que quelques
années plus tard à Casablanca, des pilotis ou des quais
flottants à la Rochelle.
J'aurai pu être un petit Anglais, j'aurais été bien,
l'école terminait tôt dans la journée et l'anglais est la
langue des affaires. D'ailleurs l'année d’après, j'ai fait
des progrès certains et le prof (toujours le même) avait
encensé mon devoir où je faisais 1a description d'un
intérieur de maison britannique, un bureau, une salle à
manger, salle TV, une cuisine, et une cour avec une sortie
arrière au rez-de-chaussée, un salon et trois ou quatre
chambres à l'étage. La Jaguar Sovereign à 6 cylindres et
les voitures même identiques ne le sont pas, c'est un
monde différent.
New
England 1977 août
Une année, un été passent et le début
de seconde présente clairement l'objectif : les États
Unis, le livre d'anglais est entièrement constitué de
textes américains. De plus pendant l'été une opportunité
s'est présentée, travailler dans un fast food aux États
Unis, mais non réalisée.
L'Amérique, ce sont ses voitures, les films américains
montrent la vie différente, le coca cola, c'est bon,
Kellog's présente "yes, we can" des jeunes Américains,
l'équivalent de "impossible n'est pas français" sur les
boites de corn flakes. L'Amérique est positive,
volontaire, gagne et rêve. Je découvre ces notions qui me
manquent en France. Le schizophrène que je deviendrai se
complaît dans ce monde où le rêve et la réalité se
rejoignent.
Au sud de la France où l'Amérique est un pays controversé,
je fais mon premier job salarié à Noël pour deux semaines.
Je monte des pneus dans l'entreprise familiale et gagne
750 FF, un quart du voyage est payé. J'étudie l'américain
et l'accent que j'aurai à la fin de mon séjour est
synonyme de ma totale adhésion au pays et à sa culture.
J’apprends par cœur les noms des 50 états et capitales
américaines dont deux m'étaient déjà très familiers,
ceux de l'Utah, Salt Lake City, et l'Iowa, Des
Moines. Utah était un berger de Beauce que nous avions
gardé un an et demi et Iowa un épagneul breton femelle qui
a trois ans. Je me sens bien en apprenant ce pays, 20 fois
grand que la France en superficie, on ne dit plus
"motorway" mais "highway", "hi" plutôt que "good morning".
Le langage américain m'est familier dés mon arrivée.
Parti de Lyon vers Boston début août après avoir travaillé
un mois encore comme monteur de pneus pour les trois
quarts restant pour payer le voyage, j'arrive dans le
Massachusetts. Je passe plus d'une heure à la sortie de
l'aéroport dans un bus qui laisse son moteur tourner et je
songe "quel gâchis de gas-oil!" en entendant le moteur
tourner. La nuit tombe et les hôtesses de la TWA étaient
vraiment jolies et gentilles, surtout la plus âgée, 35/40
ans, une brune bien roulée, très bronzée, qui faisait
penser à une Indienne avec un sourire constant légèrement
triste. Je me sens un homme en Amérique avec des femmes à
la hauteur des hommes. Je n'ai pas dormi dans l'avion, 7
heures c'est court et le jumbo jet avec le repas bien
préparé, le film, c'est bien.
Physiologiquement, je me sens bien malgré le décalage mais
ailleurs, c'est bon. Je rencontre les Fenton après deux
heures de bus, nous partons dans deux heures vers
Manchester dans le Connecticut.
Ils habitent un condominium neuf,
c'est un champ immense avec des allées et des maisons sur
trois niveaux, rez-de-chaussée (salon, cuisine) sous-sol
(salle TV, chambre d'amis) à l'étage trois chambres. La
maison a une entrée sur l'avant et l’arrière et pas de
barrières qui limitent les jardins. La communication est
libre avec le voisinage, pas de poteaux électriques, les
câbles sont souterrains.
Les Fenton ont deux voitures, une Plymouth Volaré "wagon"
neuve, c'est un modèle compact dont la consommation
d'essence est réduite, et une Ford ancienne coupé. Nous
roulons lentement en allant au Mac Donald's ou visiter des
amis et nous écrasons encore un chat, nous en avions déjà
écrasé un en venant dans le Connecticut, l'Américain
est-i1 un écraseur de chats ?
En arrivant les valises pleines de cadeaux, un double
disque de Guy Béart pour Carl et Curt, jumeaux qui ont 15
ans, une bouteille de Champagne pour Edward et un foulard
Soleïado pour Susan. Carl et Curt ont une bande de copains
et copines dont une que je ne connaîtrai jamais, Sue
Brown, dont j'ai vu 1a photo et qui est passée me voir un
jour mais je n'étais pas là. La série des filles qu'un
malheureux hasard m’empêche de rencontrer ou voir plus
loin commence.
Je suis étonné de la liberté de rencontrer et de sortir
ensemble des garçons et des filles, pas de prise de tète,
franchise des uns et des autres.
Au bout d'une semaine, nous partons vers le Maryland pour
un "home exchange", à Linwood dans le Carol County.
Nous passons New York City, Newark, les plaques
d'immatriculation indiquent New York, Delaware, New
Jersey. à Bayonne, ville d'industries chimiques, je fais
remarquer que le jambon de Bayonne en France est fumé et
dégage une forte odeur. L'assimilation de la découverte
d'un pays et d'un autre commence dans mon esprit, n'est-ce
pas ?
Après une journée de route, nous sommes à Linwood, village
d'une dizaine de maisons de part et d'autre d'une allée
ombragée par d'immenses arbres ne laissant pas apparaître
le soleil dans la journée. Sur les routes du County, j'ai
noté le double marquage central des routes américaines,
deux lignes continues ou une ligne continue, une ligne
fractionnée.
Linwood
La maison date de 1865, 1a fin de la
guerre civile, et elle est toute en bois, peinte en blanc,
sur trois niveaux, 2 chaînes hi-fi dans la maison, une
grange avec une voiture datant de la dépression économique
de 1929 à l'intérieur. Une piscine est adossée à la
grange, après la piscine, le champ, des chevaux et un
cours d'eau étroit limitant le champ à 300 mètres.
Au-dessus de la maison, un terrain de tennis sur herbe, et
une chapelle de briques rouges, tout au bout du chemin une
maison en bois peinte en rouge qui est celle de la
grand-mère.
Dés le lendemain de notre arrivée, elle vient nous
demander si nous sommes satisfaits, elle s'est déplacée en
voiture pour faire à peu prés 100 mètres aller-retour. La
nuit, je vois pour la première fois des vers luisants dans
le champ.
À mon grand étonnement, les repas sont bons et complets,
le breakfast bacon et œufs avec le french toast (pain
perdu) et le repas du soir à 17 heures, viande pommes de
terre et haricots verts. Bien sûr, le Mac Donald's encore
inconnu des Européens, ses Big Macs, french fries, les
petits déjeuners de pancakes me comblent de bonheur.
L'apple pie (que je prononce apopaille) est ce que je
goûte de meilleur de ma vie entière lorsqu'il est chaud.
Les Américains n'ont-ils vraiment pas de goût? Si, un
autre.
Nous dînons dans un restaurant tenu par des Américains où
tout est excellent et je pense que cela vaut aisément un
très bon restaurant français par rapport à mes critères de
goût. Au retour dans le Connecticut, je ferai l'expérience
d'une crêpe ratatouille, il fallait vraiment que je me
rende en Nouvelle Angleterre où je pouvais apprécier ce
qui fait de la cuisine un art délicieux, l'imagination.
Nous restons deux semaines dans le Maryland pendant
lesquelles Carl, Curt et moi profitons de la piscine,
jouons avec Ed au croquet dans la pelouse devant la
maison.
Une matinée où Ed et Susan sont partis, nous testons la
Volkswagen Coccinelle de la maison, j'explique à Carl et
Curt le fonctionnement des vitesses. Je vois poindre pour
moi 1a possibilité de conduire une voiture à essence, je
vais avoir 16 ans, et je suis en age de conduire une
voiture aux États Unis. Le monde ne s'est pas encore
écroulé.
Nous partons visiter autour de Linwood, Washington DC
(District of Columbia), Gettysburg, 1a victoire du Nord
sur le Sud, Harrisburg, un autre champ de bataille de la
guerre de sécession, et Harper's Ferry en West Virginia,
un symbole de la lutte Nord Sud.
À Washington, les deux tiers de la population sont noirs
et les voitures roulent très vite, je vois des Américains
faire du jogging en ville pour la première fois, le Space
Museum et le Musée d'Histoire Naturelle sont intéressants.
Le théâtre où fut assassiné Abraham Lincoln est plein
d'enfants noirs des écoles.
Les grilles de la Maison Blanche sont hautes mais je ne
savais pas encore ce qu'est le Bureau Ovale. Gettysburg et
Harrisburg sont encore des champs de bataille, des canons
parsèment les pelouses avec les Mac Donald's en plus.
Harper's Ferry est le lieu dit où un pasteur avait pris la
cause d'esclaves noirs et avait été ensuite pendu par ses
concitoyens. Le village est un endroit de rencontre de
tous les "States", effectivement, nous rencontrons un
voisin du condominium.
Le dernier périple que nous effectuons est Hershey Park,
le parc d'attractions de l'industrie chocolatière, avec le
Sooper Dooper Looper, une boucle complète sur montagnes
russes. Curt m'apprend qu'il vaut mieux dormir sur une
fille que sur un matelas en regardant une jolie "cow
girl". Un homme plonge de 180 pieds dans 8 pieds de
profondeur d'eau, c'est bien joué. Et nous rentrons à
Linwood profiter du fabuleux son de la FM américaine avec
Hotel Califomia, et Fleetwood Mac. Avec une trentaine de
$, je fais le plein de disques car l'Amérique, c'est le
rock.
La musique rock, née du blues et du jazz venue d'Afrique
en Amérique, puis repartie en Europe et conquiert
maintenant l'Asie, c'est un des liens de l'humanité, une
culture universelle.
Un soir Ed, Carl, Curt et moi, nous partons jouer au
"pool" où je fais quelques bons coups mais je ne profite
pas encore de la bière.
Sur le chemin de Linwood à Manchester, nous traversons la
Potomac River, c'est vraiment l'Amérique, la Potomac River
était tout de mon rêve américain et le panneau la
signalant est tout de la réalité américaine en moi.
De retour à Manchester, je rencontre un voisin français,
Philippe, aussi passionné de l'Amérique que moi qui
m'explique avoir failli être violé par 5 filles dans une
Ford Mustang, il a une copine championne de tennis.
Susan, Philippe et moi partons visiter Hartford, la
capitale du Connecticut, et je songe avec étonnement que
chacun des États a un gouvernement mais l'harmonie semble
régner sur le système politique américain au vu de la
capitale provinciale du Connecticut. C'est avec un malheur
immense que je quitte le territoire américain équipé d'un
jean, d'un T shirt et de chaussures achetées sur place, je
veux être américain.
De retour en France en vacances dans le centre de la
France, je ne songe qu'à devenir américain, j'attendrai 15
ans pour revenir aux États Unis.
Une année passe, calme, ennuyeuse et
le rock est la meilleure façon de voyager cérébralement.
La destination est le "Deep South" américain, l'Alabama
avec un groupe décédé dans un accident d'avion en tournée
américaine, Lynyrd Skynyrd avec le titre "Freebird" qui
laisse s'envoler l'oiseau pendant huit minutes. Je me
retrouve allongé sur la moquette de ma chambre en extase
quasiment chaque jour. Les trois raisons pour lesquelles
je me retrouve en dehors de ma chambre sont les cours, les
magasins de disques et le cinéma. Peu de vie sociale.
L'été fut monotone et régulier, je dessine des carènes,
les plus parfaites de l'époque, identiques à celles des
chantiers finlandais qui produisent depuis 1975 des
carènes de régates avec des équipements intérieurs de
croiseurs hauturiers. Ces bateaux sont des voiliers
d'équipage avec les meilleurs gréements et d'un maniement
pour marin vigoureux. Ils sont le produit d'un rêve joint
à 1a réalité des éléments humain et maritime.
Les filles ne sont qu'en quatrième position dans la
hiérarchie de mes intérêts après l'Amérique, le rock, les
bateaux et le cinquième est mes études.
Je pris dans mon année de terminale acte en âme et
conscience de ma vie. Je décide de passer un baccalauréat
littéraire en candidat libre alors que je suis dans une
classe scientifique, je prend mon destin en main mais
j'échoue à l'examen avec une terrible note en philosophie
: 1.
Cet été j'aurai 18 ans et dans le sud de la France i1 fera
très chaud alors je partirai en Irlande, c'est ce que nous
décidons avec deux copains pour naviguer dans le vent et
la pluie au mois d’août.
Nous avons tous les trois les mêmes budgets donc, le même
sac à dos, le même billet de train européen, le même
argent de poche et nous sommes, Eric, Suisse et Pied Noir,
Rémo, Italien, et moi Pied Noir du Maroc.
L'Europe sera pour nous Dublin, avec en sortant de la gare
de Dublin, un mur interminable des brasseries Guiness que
nous longeons pour gagner le centre ville. J'ai le sac le
plus léger et je vais plus vite et plus longtemps. La
traversée de la France dans la nuit, le ferry de Calais à
Douvres mouvementé, le café est mauvais pour le mal de mer
au vu de copines passagères, qui, pour se réconforter à
l'embarquement vu le mauvais temps qui règne, prennent un
café contre l'avis du barman.
À Londres, le "tube" a des escaliers mécaniques en bois.
La traversée Fishguard/Rosslare est tranquille et je sais
que je n'aime vraiment pas les machines à sous. À Dublin,
nous commençons à errer à pied après deux jours de voyage.
Errer dans une ville, demander son chemin est le meilleur
moyen de connaître une ville. Découvrir la topographie
dans toutes les rues à pied, un peu en bus on en métro
passe le temps, repérer les quartiers animés de jour et de
nuit, savoir localiser un monument, un lieu même après
n'avoir passé qu'une journée à explorer le maximum.
Et nous partons vers Westport, en
train, le lieu de nos futurs exploits nautiques. Arrivés
de nuit dans une petite gare au bout de l'Irlande ; que
faire ? Nous n'avons rendez-vous que le lendemain. Nous
commençons à partir vers un marécage, Rémo tombe à la
renverse tellement son sac est lourd, Eric et moi allons
devant mais ce n'est décidément pas le bon chemin, de plus
en plus d'eau. Nous faisons demi tour et prés de la gare,
nous plantons deux tentes canadiennes deux places, Eric et
moi dans l'une, Rémo dans l'autre.
Au matin : "il y a un bruit sur ma tente !", je sors
précipitamment pour voir un veau déjà bien grand en train
de se frotter à la tente de Rémo. Premier exploit, non
maritime, je fais fuir le veau. Laissant là nos tentes,
nous partons vers le village, Westport, le port de l'ouest
comme l'indique sa traduction. Village important d'où
partirent sans doute quelques uns des Irlandais qui
peuplèrent l'Amérique. L'Irlande comptait en 1845, 8
millions d'habitants, 3 millions et demi de nos jours, 800
000 partirent vers le nouveau territoire, suite à une
famine due à une maladie de la pomme de terre et au régime
foncier en 1850. Westport est un joli village d'où l'on
part pour Clew Bay, une baie comportant 365 îles ou îlots.
Nous localisons le bar principal, le West, avec un billard
irlandais, puis une épicerie où nous achetons trois
pommes. Un frugal petit déjeuner pour les 3 marins
expérimentés que nous sommes, non pas contre le mal
de mer bien sûr mais pour ne pas dépenser notre pécule. Un
peu après, le voila, Kees le Hollandais, sur sa moto
ancienne qui encadrera notre séjour et à qui nous
réservons quelques surprises au long des 15 jours suivants
à naviguer au milieu des îles de Clew Bay. Nous convenons
de nous rencontrer en fin d’après midi pour nous rendre
sur le lieu d’hébergement. Le soir nous sommes donc 6
Français, nous 3, 2 Parisiens de 25 ans Paulo et Marco, et
une Lyonnaise de notre age Isabelle, pour 24 Irlandais à
participer à ce stage organisé par le centre nautique des
Glenans.
Le lendemain, la découverte des bateaux nous surprend un
peu, des Caravelle (dériveur lourd et peu esthétique
d'apprentissage à 5 équipiers et un Figaro insubmersible
et inchavirable selon les dires du centre des Glenans qui
a mis au point le bateau. C'est un 6 mètres coque blanche,
dériveur, petite allure rapide à première vue. Nos
Caravelles furent le chantier expérimentation de la mer à
la création du centre. Heureusement la région est ventée,
20-30 nœuds de vent en général et depuis 2 jours nous
n'avons pas vu le soleil.
La remontée des canaux entre les îles est le plus
passionnant, tirer des bords avec peu de fond de part et
d'autre du canal, un léger courant contraire, la pluie sur
nos cirés, la navigation à plusieurs bateaux permettent
l'émulation avec Kees, Hollandais, grand marin par ses
origines mais membre de l'encadrement et à peine plus agé
que nous. Nos caractères se heurtent, on a franchement
envie de rigoler et de se moquer conformément à l'esprit
français qui se retrouvent en groupe avec des étrangers.
Les abordages de Caravelles sont fréquents.
Dommage que Kees soit à l'avant de son bateau pour voir
s'il y a suffisamment de fond. Les méduses sont parfois
tellement nombreuses qu'elles freinent les bateaux. L'eau
est à bonne température, 20°C et l'air étant à 22°C
environ, l'amplitude rend l'eau d'autant plus abordable à
la baignade.
« Elle est bonne l'eau, Tees ? »
« Castards l »
Une semaine s’écoule dans la bonne humeur, ponctuée de
sorties nocturnes au West, le bar à billard en compagnie
de Jerry, non pas Lewis bien qu'il lui ressemble beaucoup
et qu'il commette les mêmes gaffes. Jerry a une Renault 4
qu'il conduit très vite, il est dentiste à Dublin, et sur
la route qui mène au village, au milieu de la route, Les
pneus dont on voit la ferraille crissent lorsque au
dernier moment, il évite la voiture en face.
Mais nous arrivons sains et saufs pour
engager de terribles parties de billard avec les durs du
coin, on n'est pas mauvais, Les filles se pressent sur
nous, il est temps de repartir au camp. II continue à
pleuvoir, nous n'avons pas vu le soleil, je demande à Eric
:
« Mon jean est sec ? »
« Oui, il sèche dehors. »
« Ah oui, c'est vrai, il pleut toujours. »
Ce week-end, nous mettons des tentes 4 places dans nos
bateaux, nous partons camper à quelques mille de là et le
vent est toujours fort, on annonce une tempête, nous y
allons quand même. Arrivés au vent d'une île, Jerry qui
est à la barre du Figaro, empanné, chavire, la mer est
force 8, 40 nœuds de vent, le bateau se met à se remplir
d'eau par le puits de dérive, nous arrivons à la
rescousse. Heureusement la mer se retire, le bateau se
retrouve dans 50 cm d'eau et c'est la royale bataille de
seaux d'eau. II était temps de s'humidifier. L’été de la
côte d'Azur est vraiment loin. Heureusement que Jerry est
un gagman, doué au naturel.
Finalement nous arrivons au campement sur l'île,
choisissons un site abrité, le vent forcit, la pluie
augmente son débit, ça va être bien. La nuit est là, je
sors avec Isabelle pendant la nuit, j'avais subrepticement
glissé mon bras sous sa tête, Les autres dorment, on est
bien serrés les 6 Français dans la tente 4 places.
Le lendemain, stupéfaction, toutes les tentes ont été
inondées sauf la notre, imaginez notre supériorité, n'en
jetons pas plus, les regards sombres des Irlandais et de
Kees trempés de la tête au pied. Mais nous apprenons aussi
que quelques bateaux du Fastnet, régate hauturière en
Irlande, ont été pris dans une mer de force 12 et qu'il y
a des morts et des disparus. Nous rentrons avec un bon
force 9 vers Westport et au mouillage, le tout s'affole,
60 nœuds de vent, on imagine ce que cela fut la nuit
dernière au large. Ils mettaient leur canot de survie à
l'eau, voyaient des lambeaux de voile et des mats brisés,
des équipiers à la mer. Le frère d'une de nos copines
irlandaises est disparu. La leçon tirée est voir le vent
arriver et ne pas quitter le bateau tant qu'il n'a pas
coulé en bloquant la barre et en s'enfermant à
l'intérieur.
J'ai 18 ans, je suis un homme,
Isabelle, Remo et Eric m'ont offert des chaussons en daim
fourré, je les porterai
toute l’année de ma terminale, la deuxième. La deuxième
semaine se déroule, le camp de base est de plus en plus
boueux, l'Irlande est une éponge verte et devient marron
lorsqu'on passe et repasse sur le même chemin, inhabituel
pour les habitants du Var, sec et gravillonnant. Jerry
nous offre un spectacle gag magnifique, descendant trois
marches de la cuisine vers l'extérieur avec une bassine
d'eau de vaisselle salée, il trébuche et se retrouve tète
la première dedans.
Et oui, le camp ne dispose pas du tout à l’égout, ni
d'adduction d'eau. Depuis les choses ont évolué à Clew
Bay. Nous rencontrons Pascale, Véronique et Sophie, trois
Françaises en séjour linguistique et le soir nous restons
avec elles au West à jouer au billard et à boire de la
Guiness.
Le dernier soir avec le club, nous goûtons un
gargantuesque Irish Stew avec du crabe en entrée puis
c'est la fête au Pub et la Guiness et l'Irish Stew ne
feront que l'aller retour chez moi ce soir. Kees est
heureux avec Ann, 24 ans, douce et tranquille, John mon
ami rugbyman m'apprend qu'à Dublin, on ne
boit que de la Guiness extra stout brune, Peter m'a appris
à lover un bout de drisse sur le taquet au mat.
Nous prenons pour la première fois une douche extra glacée
le matin de quitter le camp. Nous savons que nous ne nous
reverrons plus. Isabelle s'en va aussi. Cela donne un goût
de pas assez, ne pas aller au delà de nos vacances, vivre
de nos vacances, tel peut être le but.
Le groupe que nous composions était composé de bric et de
broc, l'aventure de la mer étant bien une aventure
humaine, mais il faut aller plus loin, faire de notre
monde ce que nous voulons, tel est un des slogans de U2,
le groupe de rock irlandais.
Cet été le rock, c’était Thin Lizzy,
les Boomtown Rats avec « I don't like mondays »,
Supertramp avec « Breakfast in America » et « Baker Street
» de Gerry Rafferty. Alors nous restons tous les trois
avec nos trois copines françaises et le matin les veaux
qui nous réveillent, toujours sous un temps couvert, alors
que nous avions vu le soleil une demie journée en même
temps que le passage d'un ancien avion de chasse au dessus
de nos voiles.
Se succèdent quelques journées du West aux tentes
installées derrière la gare. J'y rencontre une jolie
Irlandaise mais je ne comprend pas ce qu'elle veut, elle a
20 ans, elle est meuf à mes yeux et elle sortirait bien
avec moi. Je ne le sus que lorsque Sophie me le dit en
nous accompagnant au départ du train. Mais déjà, je ne
joue pas ma vie à fond, trop besoin de vivre la vie avec
nostalgie. Ne pas rentrer dans le monde alors que tout mon
être le veut et en est capable. Seule ma conscience me dit
: « pas trop vite l », prendre le temps de vivre, ne pas
brûler les étapes que je brûlerai pourtant aux yeux du
monde social ambiant plus tard.
Nous partons rejoindre Marco à Dublin chez des copains à
lui, puis Rosslare, Fishguard, Londres où Remo nous quitte
en nous laissant les coordonnées de Michelle, une
Franco-Anglaise qui passait des vacances à Sanary. Eric et
moi trouvons prés de Hyde Park un logement pas cher dans
un « youth hostel », 4 heures de marche à pied par jour et
deux heures de Mac Donald's, nous sommes fauchés. Voyager
fauché, c'est dur, ça apprend la topographie mais ne
permet pas de goûter aux spécialités culinaires. Le seul
bon repas fut avec Michelle dans un steak house mais «
expensive ». Tout notre argent était passé dans le « youth
hostel » d’où l’intérêt d'apprendre à squatter en voyage à
droite à gauche, c'est d'ailleurs aussi bien meilleur pour
connaitre la vie locale, ou dormir dehors.
Sur Regent Street, nous rencontrons un Égyptien qui nous
raconte qu'il avait vu une pute, l'avait embarquée et que
la pute était un mec et qu'il l'avait baisé. Cela aurait
pu être un moyen pour nous de gagner quelques ronds, mais
non, nous ne nous sommes laissés ni « tirés », ni « roulés
». L'honneur est sauf. Nous continuons d'arpenter les rues
de Londres, d'explorer les garages avec Limousines Jaguar,
les Rolls Royce, les bords de la Tamise et la City.
Le dimanche matin, Michelle nous emmène à Portobello
Street et nous y achetons des chemises anciennes pour deux
livres l'une, soit 20FF. Nous n'avons plus un sou, il est
temps de rentrer en France. Nous avions payé notre billet
de train européen 1000 FF, 790 FF le séjour aux Glenans,
et 500 FF d'argent de poche. L'investissement dans le sac
à dos était de 150 FF. Nous avions gagné l'expérience de
l'océan atlantique, de la mer et du vent à 60 nœuds un bon
moment. La main en visière.
Navigation 1er avril au 16 décembre 1982
Préparation au départ
Je suis un homme et mon avenir est
tout tracé, je commence à travailler dans l'entreprise
familiale pendant l’année scolaire. J’achète une voiture
en décembre et obtiens mon permis de conduire, je
rencontre Véronique, je vis I'amour, je réussis mon
baccalauréat, je rentre en classe préparatoire aux écoles
de commerce, j'utilise le bateau sans mon père, j'ai de
bons résultats en cours et lors des revisions aux
concours, je ne fais rien et j’échoue. Je redouble, ma
relation amoureuse se détériore, je ne fais plus rien, je
déconne et le 1er avril 1982, je suis en vacances
éternelles, je dois réviser, je lis et relis « l’Éducation
sentimentale » de Gustave Flaubert sous des oliviers à
Porquerolles dans un champ. Je découvre l'ambiance de la
vie de village sur une île, à bord d'un bateau solitaire
ou avec des amis, je goûte aux promenades dans la nuit sur
les chemins chauds de la journée d’été. Je vis
l'atmosphère des fêtes de Ia nuit au début de l’été, les
allers retours en bateau entre Hyères et Porquerolles,
d'Ouest en Est, le Langoustier, la plage d'argent, la
Courtade, l'Alycastre. Le petit déjeuner à l'Escale au
port pour voir le village s’éveiller. Je dois combler
d'une activité non obligatoire le temps et j’apprends à
raccommoder les voiles de mon bateau, de ma planche à
voile. Les coutures sont rustiques mais tiennent.
Lors d'une de mes sorties en solitaire à Porquerolles, je
subis un accident sans gravité mais horrible. De retour au
port, ayant nettoyé le pont du bateau, je dois raidir le
bout du corps mort à la proue et m'arcboutant, je glisse
et me déchire la raie à la hauteur de l'anus. Je saigne,
réussis à peine à sauter sur le quai puis tombe évanoui.
Je suis à l’hôpital, coccyx fêlé et quelques points de
suture. Dangereux le bateau en solitaire !
J’échoue comme prévu à tous les
concours, je ne me sens pas moi même dans chacune des
épreuves où je suis soit hors sujet, soit médiocre. Mes
résultats annuels étaient pourtant bons, je ne serai plus
étudiant. Je songe alors à traverser I'Atlantique en
voilier, je regarde les annonces des journaux spécialisés,
je propose ma personne à divers bateaux, une
goélette de 18 mètres appelée Universe cherche un skipper
pour naviguer vers I'Asie. C'est une réelle opportunité
mais je crains un trafic de drogue et de toute façon,
l'Asie sera pour plus tard. Une dizaine d’années.
Un mikado cherche un équipier pour traverser l’Atlantique
en novembre, j’écris. Un mois plus tard, j’apprends qu'un
Baltic 51 veut bien de moi pour traverser, suite à
l'annonce parue pour le Mikado. On me demande 2000FF, je
vais voir Honeymoon à Hyères, c'est un Baltic, un vrai, un
beau, un neuf qui vient directement de Finlande,
Bosund/Pietarsaari, le chantier Baltic Yachts à été créé
au milieu des années 70 à la suite d'un départ de 5
membres de Nautor construisant les Swan. Ce sont les
bateaux dont je rêvais lors de mes premiers dessins de
carène.
Durant l'hiver, j'avais postulé pour conduire un tracteur
aux Salins de Pesquiers à Hyères en septembre, j'en reçois
la confirmation. Ça avance. Début juillet, le vent du sud,
le sirocco souffle sur la Côte d'Azur, une de mes
dernières sorties en bateau, avec Jean-Noël, le copain de
ma sœur, nous offrent le plaisir de plonger en mer du
bateau et de sortir de l'eau en étant sec dans la minute
qui suit.
Tout l’été, je travaille comme intérimaire, débarquement
de tubes de gaz d'un wagon sur un camion, nettoyage de
hangar, déchargement de sachets de pâtes et j'ai 21 ans.
Je suis vieux, je le sens, je ne suis plus un enfant, je
décolle du nid. Je prend ma Renault 5 et vais rejoindre
Véronique dans le Haut Var pour nous rendre quelques jours
dans les Alpes. Camping sauvage et marche à pied.
J'effectue l'exploit de descendre pieds nus pendant 2
heures dans un torrent à sec avec cailloux et branches
mortes, je soufre mais je veux supprimer le confort avec
lequel j'ai vécu. J'estime qu'aller au devant de
l'inconfort est meilleur que s'y retrouver plongé par la
force des choses. C'est le postulat que je me fixe cette
année là, la résistance physique à l'inconfort et à
l’insécurité.
Avec Véronique, cela ne va pas, elle ne
partage pas ce postulat. La facilité obtenue par hérédité
sociale s'il y a lieu me hérisse, j'ai été mis au ban de
la société par mon échec aux écoles de commerce, alors je
me mets moi-même au ban de la société, je pars
et cherche à découvrir mon être et faire ma vie avec.
Dans un monde d’élus et d'exclus, comment la grâce est
elle acquise ? Quelles valeurs sont à mettre en avant dans
notre vie pour arriver à la mort avec confort et sans
effort ? Je ne suis pas satisfait. Ma rigueur ne m'accorde
pas la satisfaction, je suis parti pour un long combat sur
moi-même et contre autrui. La société telle qu'elle se
présente est une ennemie que je dois infiltrer par mes
valeurs, une attitude matérielle désintéressée, une
tolérance extrémiste d'autres mondes (excessive), Objectif
: obtenir le consensus humain universel. Mein Kampf et le
Capital ont un successeur, gare à l’idéologie envahissante
d'une société en crise où l'individu est malade
socialement, du fait de la crise économique.
Ces débats hanteront des années durant mes pensées et
conversations, la navigation et les déplacements en car,
train, avion, voiture. Début octobre, la première
fraîcheur se fait sentir sur Toulon, l'hiver ne doit pas
m'entamer. Après 25 000 kms en voiture en 6 mois, la
bougeotte perpétuelle m'a envahi, l'iode, le soleil ont
altéré la couleur de mes cheveux longs et blonds, le rasta
man que je suis devenu doit partir. Je me fais couper les
cheveux pour un nouveau départ.
Je n'embarque plus sur le Baltic qui ne part plus mais sur
le Mikado, Max, son propriétaire m'a téléphoné, il
m’emmène quand il sera à Ibiza vers le 17 octobre. Le 16,
j'appelle à Montpellier, un ami de Max doit m'emmener avec
lui jusqu’à Barcelone. Mes parents m'accompagnent à
Montpellier, mon sac est énorme, mon père m'a offert un
couteau de marin superbe avec un épissoir impressionnant.
J'ai une trousse à couture qui ne me quittera plus.
Les « pensées » de Marc-Aurèle, les « Mémoires d'Hadrien »
de Marguerite Yourcenar et un livre de 100 recettes sont
dans mon grand sac rouge neuf « aussi grand que moi »
d'après une copine qui m'a vu un jour arriver avec mon sac
de couchage, mes cirés, mon jean, des bottes de marin et
la conscience de laisser un monde sans lendemain sont avec
moi.
Le mercredi soir de mon départ, Véronique apprend que je
suis parti sans appeler, elle est stupéfaite et ne le
croit pas. Je le saurai 5 mois plus tard.
Ibiza Espagne
En arrivant à Montpellier, l'ami de
Max, Georgi, a une soixantaine d’années, il est le
directeur de la station de ski du mont Aigoual. Nous
partons dans la Fuego d'un des équipiers, Durand qui est
directeur d'un village du club med. Béziers, Narbonne, la
Junquera et Barcelone, l'autoroute vers l'envol pour Ibiza
avec Iberia 250 FF, le passage. 21 heures nous prenons une
chambre dans un hôtel prés de l’aéroport en attendant que
se lève le jour et chercher le bateau.
Il pleut sur Ibiza ce 19 octobre
et nous trouvons le Choo Gun amarré à Bota Foch. C'est un
voilier de 17 mètres avec un bout dehors construit au
chantier nautique du sud ouest, le CNSO, c'est un ketch,
le mât avant, le mât de misaine, fait 17 mètres avec deux
barres de flèche, le mât d'artimon doit faire 10 mètres.
En navigation 4 voiles sont à poste ; le foc génois est
sur enrouleur, entre le foc et la grande voile est
installée une trinquette bômée autovireuse sur le bas
étai, la grande voile et la voile d'artimon.
Un guindeau électrique d'une puissance de 1000 W remonte
une ancre soc de charrue de 25kg. Le pilote automatique
est un NECO, d'une valeur de 30.000 FF, utilisé dans
l'aviation. L'asservissement du pilote est hydraulique.
Le moteur est un Perkins de 105CV consommant 8 litres à
l'heure de gasoïl. Électricité est en 24 volts et un
alternateur d'arbre Motorola recharge les batteries quand
le bateau navigue sous voile, l'hélice tripale tournant.
Un pont en teck rend très agréables les déplacements sur
le bateau.
En me voyant, Max me dit : « on à besoin d’équipiers
solides ». Je rentre dans le bateau et dans le carré situé
en arrière du bateau, je rencontre Gilles, le marin, qui
comme moi avait répondu à l'annonce de Max. Le carré peut
accueillir 16 équipiers. En arrière se trouve une cabine
deux couchettes, je prend celle de tribord et j'installe
mon grand sac rouge. Gilles dort dans la cabine avant
trois couchettes. Les deux cabines doubles sont pour Max
et Georgi qui sera remplacé par Durand aux Canaries.
Un offshore est amarré à côté du Choo Gun, nous sommes
bien à Ibiza, l’île la plus « chaude » de l'Europe qui est
bien sombre aujourd’hui. Nous.partons avec Gilles
découvrir le village, un shipchandler, deux bars vides,
c'est bel et bien la morte saison. Qu'est ce que je vais
bien pouvoir trouver à faire dans cet endroit ? Me replier
sur moi-même.
Durand, sa femme et la femme de Max rentrent à
Montpellier. Nous restons quatre à bord et partons
mouiller en rade, l'annexe sur bossoirs est notre
seul lien avec la terre. Gilles était restaurateur, il a
trente ans et vient de se séparer de sa femme, il est de
taille plutôt petite et rond. Max mesure un bon mètre 80
et a 50 ans, il a réussi et il est associé ·dans un
camping à Palavas. J'ai 21 ans et mes repères se sont
effondrés, je m'ouvre à l'introspection plutôt qu'à
découvrir le monde. Je ne vis pas mon voyage comme des
vacances mais comme un apprentissage de la vie dans
d'autres mondes. Il faudra tout de même que je trouve un
endroit où m'installer, me fixer, constituer une famille,
quelle pourra être mon activité professionnelle ? En
attendant de trouver, je dois vivre au jour le jour.
Avec Gilles, nous prenons l'annexe une fin d’après midi.
Nous arrivons dans un bar en sous-sol une jolie
brune en bottes plastiques nous sert une bière. Qu'est ce
qu'on s'emmerde. Personne dans ce bar, nous revenons au
bateau. La météo annonce du vent, le plein des 1000 litres
d'eau a été fait, le gas-oil est à ras bord. Nous avons du
frais. 400 bouteilles de vin du sud ouest sont sous la
couchette de Max. Nous sommes prêts à partir, à 20 heures,
nous partons au près, le bateau passe bien dans la vague,
les manœuvres sont aisées, les winches de hissage et
réglage des voiles sont bien dimensionnés. Une fois passée
Formentera, au sud d'Ibiza, nous hésitons à continuer et
il est 22 heures. L'ambiance n'est pas là pour persévérer,
nous sommes trop brassés, ce n'est pas la peine, nous
empannons pour rentrer au mouillage en rade d'Ibiza. La
couchette est la bienvenue à minuit.
Le lendemain matin, il fait toujours venteux et pluvieux
sur Ibiza, il fait bon sentir que nous avons commencé à
naviguer même si nous sommes revenus. Partir soulagé,
l'action ôte le stress de la conscience, je commence a
trouver agréable le climat et l'abri au mouillage dans le
vent est un véritable réconfort. Sur le pont nous
récupérons Max qui est tombé à l'eau voulant améliorer les
attaches de l'annexe sur les bossoirs.
En fin de journée, nous partons tous quatre dîner dans un
restaurant, en sortant, nous nous promenons au pied du
fort et au bout d'une petite rue, un mur et derrière la
falaise et la mer. J’analyse ce mur comme celui des Pink
Floyd dans l'album « the wall », le break avec
l’éducation. Il n'existe pas de rails ni de motifs pour
qu'un homme évolue et arrive au bout de son être.
En prenant cette impasse à rebours, j'entend le tube de
l’été du groupe « chagrin d'amour » qui évoque le break
avec le monotonie du lever matinal obligatoire, une jolie
blonde chantonne devant nous. Le break avec le passé, les
rails que je m’étais fixés explosent.
Nous sommes bien à Ibiza, nous nous préparons à partir,
nous sommes en Espagne, les plaques d'immatriculation qui
sont la carte d’identité du pays indiquent PM puis 4
chiffres, une lettre, c'est les initiales de Palma de
Mallorca, la plaque d'immatriculation de toutes les
Baléares.
Le vent est tombé, il fait beau, une
brise légère souffle, nous partons, je commence à écrire
mon journal de bord. En arrivant à Alicante le matin, le
port est boueux, le rocher est magnifique dans le ciel
clair. Les conditions météo furent tellement mauvaises que
la ville vient de subir des inondations. Je pars seul
découvrir la ville. Je suis parti pour découvrir et je me
demande pourquoi il y a tant de banques dans cette ville,
s'il n'y a pas de zone industrielle, de quoi peut vivre la
ville ? Je suppose que la région est peuplée de rentiers
qui vivent de revenus provenant d'exploitations
terriennes, le port ne semble pas très actif, le tourisme
ne doit pas être très important. J'aperçois trois filles
superbes dont une blonde avec de hautes bottes bleues et
je me dis qu'elles doivent être secrétaires dans une
banque et qu'il y a des blondes en Espagne. Je suis parti
aussi découvrir les femmes, je dois trouver la femme de ma
vie, ce ne sera aucune de ces trois là.
Nous repartons vers le sud en longeant les côtes,
j'imagine que des plantations d'amandiers seraient
rentables dans la région aride de collines. Nous heurtons
un rondin d'un mètre de long sans dommage pour le bateau.
En arrivant sur Malaga, nous croyons voir des lacs en
pente descendante mais cela n'est pas possible. Ce sont en
fait des serres dont le reflet donne l'illusion d'eau. À
Puerto José Banyuls, nous nous glissons dans une place au
port au milieu de yachts plus grands que le Choo Gun.
J'admire la manœuvre de Max qui aux commandes du Perkins
amène en marche arrière le bateau mais qui avec l'effet du
pas d’hélice fait partir le bateau sur bâbord mais d'une
marche avant replace le bateau droit et cela
successivement jusqu’à être complètement amarré.
Nous sortons ensuite convenablement habillés visiter
ce lieu prestigieux qui est en fait bien sommeillant à 22
heures en cette fin de mois d'octobre. Les bars ont une
lumière tamisée. Les vitres coulissantes des terrasses
limitent l'intérieur et l’extérieur des bars. La
population est enfermée. Nous passons devant un buste,
celui de José Banyuls sans savoir qui il est. Je ne le
sais toujours pas.
Maroc
Le lendemain matin, après un nouveau
plein d'eau, nous partons vers Gibraltar, où l'on note les
murs sur le rocher permettant le ruissellement des eaux de
pluie ainsi collectées. Le détroit a une mer agitée et une
houle contraire. Ceuta, le port franc espagnol au Maroc
comme Melilla, constitue une bonne escale avant de
continuer. Nous avançons dans un port fortifié où quelques
autres voiliers se sont arrêtés. Un Gin Fizz, 11,20 mètres
à la coque complètement mazoutée tellement le port est
sale et contient des hydrocarbures de toutes sortes. Nous
y restons 2 jours, avec Gilles nous partons vers le centre
ville, les walkman ne sont pas chers et l'offre est
importante, il s'en paye un et prend un stock de piles
prêt à affronter l'Atlantique. Nous faisons le lendemain
matin un ravitaillement au marché couvert qui impressionne
par ses boucheries dont les pièces de viande sont
accrochées en plein air et butinées par les mouches. Nous
évitons la viande.
Nous quittons Ceuta vers Tanger en début d’après midi, la
côte ne demande qu'à être découverte. Les arbres sur le
sommet de la falaise laissent supposer une côte
hospitalière. Nous passons le cap Spartel, nous sommes
dans l' Atlantique. Le fort soleil de 16 heures éclaire
les superbes longues plages du nord du Maroc, le vent
d'ouest nous laisse partir au largue avec une houle
régulière à 9 nœuds.
Le Maroc a vu ma naissance et je suis
heureux de songer que je suis dans les eaux marocaines et
que jusqu’à trois ans, j'avais marché sur ces plages
tellement différentes de celles de la Méditerranée où j'ai
grandi. Le problème se pose sur le bateau de savoir si
nous nous arrêterons à Rabat ou Casablanca. Nous
choisissons Casablanca, ma ville natale. En arrivant en
fin de journée, la température est douce, légèrement
fraîche. Le port de Casablanca est immense, nous finissons
par arriver au club nautique tout au fond du port, où dans
une rangée de pilotis, quelques petits voiliers sont
amarrés. Tout de suite, nous partons visiter la ville. Le
gardien de l’entrée du club nautique nous laisse passer
après avoir regardé nos passeports français. Nous
traversons en cette fin d’après midi ce dimanche un
périphérique à 4 voies sans personne et rentrons dans la
médina. 3 millions d'habitants peuplent maintenant
Casablanca contre un million en 1961. Je constate que la
ville est immense et grouillante de monde. Tout de suite
de jeunes Marocains nous proposent une visite guidée.
Nous sommes tous 4 comme un cheveu sur la soupe, habillés
en yachtmen. Le pays est en voie de développement et
l'exode rural massif vers la grande ville a créé une masse
importante de jeunes inactifs al’affût de ce qui peut se
faire pour quelques sous. Un jeune me propose de lui
vendre mon T shirt de windsurfer et d'en monter un
commerce, mes réflexions sur le développement du tiers
monde doit il s'inspirer de la culture des pays
industrialisés ? Je songe tout de suite que non.
Quelques mois auparavant, je visitais avec Véronique un
forum de l'aide au développement et demandais à un
responsable d'association s'il établissait des relations
commerciales avec ses interlocuteurs dans les PVD. Il
avait éludé pensant peut être que les PVD avaient
seulement besoin d'aide et qu'ils n'avaient pas forcément
l'envie de faire des affaires.
Max et Georgi repartent préparer le dîner, avec Gilles,
nous nous enfonçons un peu plus dans la médina. C'est un
grand bonheur, complètement inconnu, que déambuler dans
une ville de l'autre monde où grouille la vie et l'avenir
du monde en prenant comme postulat, un homme une voix, et
non pas, un homme, un PNB/tète/an. L'expression la plus
simple de chaque individu est ]'expression de sa vision du
monde et la création du monde de demain. Cette réflexion
date d'aujourd'hui mais elle est en moi depuis toujours.
Dans la médina de Casablanca, les femmes sont assises par
terre et vendent des galettes, avec leurs enfants à côté.
Les hommes sont assis ou debout, au café ou dans la rue
sur le trottoir. Ils discutent. Le soir sur le bateau, Max
est déçu, il imaginait Casablanca comme dans le film avec
Bogart et Bergman mais en 1982, tout cela est bel et bien
révolu. L' indépendance en 1956, la Marocanisation en
1964, les Occidentaux sont partis. Le Royaume du Maroc a
repris un pouvoir entier.
À minuit nous partons du port, à la sortie une cohorte de
bateaux de pêche marocains sort en même temps que nous.
Canaries
Rapidement nos routes se séparent,
prochaine escale : les Canaries, à 360 milles de
Casablanca. Nous longeons la côte sud marocaine, le vent
toujours Ouest moyen.
Lanzarote, l’île la plus nord des Canaries est à une
cinquantaine de milles de I'extrême sud du Maroc. Nous y
arrivons en fin d’après midi, pas de ports à Arrecife,
mais un mouillage protégé par une digue. C'est suffisant
pour mouiller l'ancre du Choo Gun, mettre l'annexe à l'eau
et mettre les pieds sur le sol espagnol. Le climat est
doux simplement. La tranquillité est absolue, notre
objectif est trouver du pain pour accompagner le barracuda
de 2 kg que nous venons d'attraper. Je n'ai jamais mangé
de poisson et ce soir, je n'hésiterai pas, je suis un
marin. Je ne le regrette pas non plus. Gilles a préparé le
barracuda sur un fond de pommes de terre et c'est un
poisson jeune dont la chair est tendre.
Nous passons la nuit dans ce mouillage, le lendemain nous
repartons, longeons Fuerteventura, apercevons un village
de vacances qui a été conçu comme un village de
troglodytes, et arrivons à Las Palmas sur l’île de Gran
Canaria qui avec Santa Cruz de Tenerife est l'autre grande
ville de l'archipel. Las Palmas compte 350 000 habitants,
le port est constitué d'une longue digue abritée et de
bateaux, une cinquantaine amarrés sous son abri. Le Choo
Gun y trouve une place que nous ne quitterons pas pendant
deux semaines. Max et Georgi vont partir et reviendront
Max, Durand et Olivier, le gendre de Max qui à 26 ans et
qui est kinésithérapeute. Avant de repartir, Max me
demande si je veux envoyer un mot à mes parents qu'il
postera en France. J’étais parti pour ne plus revenir et
un courrier me rapproche du milieu familial social et
affectif étriqué dans lequel j'évoluais, j'hésite mais
finalement glisse un mot dans une enveloppe. Je voulais
une rupture totale, elle ne le sera pas.
Las Palmas
Passer deux semaines aux Canaries en
novembre, c'est être en vacances au soleil pendant que
l'Europe rentre dans la tourmente de l'hiver. Le climat
n'est pas tropical mais l'ambiance est bel et bien aux
loisirs. Dans Las Palmas, il y a une petite plage pleine
de touristes toute l’année. Effectivement, c’est la
destination la moins chère et la plus proche de ]'Europe
pour être au soleil, comme le Mexique pour les USA. La
ville est connue pour recevoir, hôtels, restaurants smörgåsborg (2),
bars de nuit, aéroport international, location de voitures
à bas prix pour des excursions à l’intérieur de l’île dans
les villages, les bananeraies ou sur le mont Teyde à 3700
mètres d'altitude sur Tenerife.
C'est sans prévoir de naviguer que Gilles et moi prenons
nos habitudes sur le bateau, chacun à une extrémité, pas
de repas, juste lire et écrire pour moi, écouter de la
musique pour Gilles. Deux fois par jour au moins, je pars
en ville, juste pour découvrir, à pied, cela représente
quatre heures de marche par jour. Le port est à une bonne
demie heure du centre ville. J'admire au passage le club
nautique avec sa piscine olympique. En ville, j'ai une
destination favorite le smörgåsbord (2),
un buffet pour 30FF où l'on peut se servir à volonté. Mes
moyens sont réduits et je suis spécialiste du petit budget
pour le maximum de rapport. Je décide de n'y aller qu'une
fois tous les deux jours. Je suis assez mal vu car j'ai un
appétit d'ogre.
Sur le quai, un Gin Fizz est arrivé, ce sont Patrick et
Régis que nous avions aperçus à Ibiza. Ils ne sont que
deux sur le bateau pour traverser I'Atlantique, cela leur
fera des quarts de 6 heures chacun. Ils viennent de Nice,
Patrick était restaurateur et a mis un an pour partir.
Régis a 21 ans et il est l'équipier co-skipper, il
me propose une partie d’échecs. Je ne suis pas très fort,
lui non plus, nous faisons jeu égal. Le samedi après midi,
il fait beau, je regarde passer les uns et les autres sur
le quai en lisant d'un œil « les mémoires d'Hadrien » de
Marguerite Yourcenar et je vois la femme de ma vie, elle à
une trentaine d’années, elle est française, sportive,
tranquille, cheveux châtains longs, elle à un petit garçon
de 2 ans et un mari hollandais. Ils ont un équipier
italien sur leur bateau, un vieux gréement de 18 mètres
avec lequel ils veulent traverser, il s'appelle Massimo,
il est sarde.
Tous les 4, nous partons à Utopia, une boite où de
nombreuses jolies filles de Las Palmas vont. L'atmosphère
est délire, la jolie Française et son mari rentrent au
bateau, Massimo et moi restons avec les Espagnoles
jusqu'à « las cinco de la mañana ». Dans la semaine
qui suit j'achète un livre en espagnol que je lirai
longuement : « El Mediterraneo es un hombre disfrazado del
mar », c'est à dire « le Méditerranéen est un homme qui
profite de la mer ». il est écrit par José Maria
Gironella, un Catalan qui écrit en Castillan. Son livre
est le fruit d'un voyage en Méditerranée de Barcelone à
Istanbul dont la constatation se résume dans le titre.
Patrick, Gilles, Régis et moi louons une voiture une
journée, une Seat 127, et partons à l’intérieur de l’Île
découvrir les bananeraies, les montagnes dans les nuages,
les petites routes mais nous nous perdons, Gilles et
Patrick croient tous les deux tout savoir et se disputent
pendant que Régis et moi nous foutons de leur gueule. Le
lendemain matin, après avoir testé le frein à main en
dérapage sur le parking, Gilles et moi partons a
Paronomase, une ville au sud colonisée par les Allemands.
Le site est caractéristique par ses dunes dont le sable
provient du Sahara au dessus de la mer par fort vent
d'Est, vrai ou faux ??
Un soir, une fille sur une vedette de 18 mètres organise
une fête sur son bateau, tout le quai est convié, toutes
les nationalités s'y retrouvent et le rhum et la bière
coulent à flot. il y a un équipage de jeunes, celui du
Père Peinard, un voilier de 14 mètres en ferro-ciment
immatriculé à Toulon mais qui vient de Nantes avec une
jolie Sophie qui branche tous les mecs qui passent autour,
surtout s'ils ont un joli bateau. Ils sont huit, et ils
n'ont pas l'air de s'ennuyer.
Pasito Blanco
J'apprendrai quatre ans plus tard
qu'ils n'ont jamais traversé I'Atlantique, que son
propriétaire est resté un an sur place pour revenir sur
Saint-Nazaire, les plus enthousiasmantes expéditions ne se
produisent pas toujours !! Max, Durand et Olivier
arrivent, il ne nous reste que deux jours avant de partir
pour les Îles du Cap Vert. La dernière escale sur les
Canaries est Pasito Blanco, une marina moderne au sud de
Gran Canaria pour un dîner et un plein d'eau. Déjà, je me
rend compte qu’avec Durand, ça ne collera pas très fort,
trop superficiel, il avaitpourtant une jolie femme à
Ibiza.
Les Canaries sont latitude 28°nord et les Îles du Cap vert
16° nord, il nous faudra 6 jours de navigation pour les
atteindre à raison de 120 milles par jour environ.
Effectivement il y a 60 minutes dans un degré, un mille
par minute et 1852 mètres par mille, il y a peu de vent,
nous naviguons pas mal au moteur, le soir, le vent tombe
complètement et reprend après minuit légèrement. Les repas
de midi et soir, ouverture d'une bouteille, et longues
discussions entre 20 heures et le premier quart vers 23
heures. Les sujets essentiels sont les affaires, le mode
de les traiter, Max nous explique qu'après la « chanson »,
les mi, les si, les la, il finit par comprendre ce que
veut lui dire celui qui se trouve en face de lui.
Nous passons le tropique du cancer, 23°27', alors fusent
les blagues sur un éventuel passage de l’équateur qui
voudrait que le plus jeune membre de l’équipage se
retrouve dans un tonneau avec un trou à la hauteur de
l'anus. Je sais heureusement que les Antilles et les Îles
du Cap vert sont sur le même parallèle.
La température devient chaude. L'explication du changement
de climat vient de l'inclinaison de 23°27' de l'axe de la
terre dans sa rotation autour d'elle même variant dans sa
rotation autour du soleil. J'apprends ces notions
d'astronomie dans un livre passionnant : « Sachez lire les
étoiles ». La hauteur de l’étoile polaire varie dans le
ciel selon la latitude à laquelle on est, sa hauteur est
identique à celle de la latitude dans l’hémisphère nord.
Elle est donc invisible à l’équateur, latitude zéro. Elle
indique le Nord et brille faiblement.
Durant cette navigation, j’apprends à apprécier les quarts
de nuit, des quarts de deux heures, sans pilote
automatique, en veillant à l'approche de navires de
commerce, aux changements de vent de face, ou à régler les
voiles en conséquence zodiacales sur la dite voie. C'est
là que pour la première fois, je vois se lever la lune
telle un caillou brillant et rouge à la surface de
l'horizon à l'Est et qui en dix minutes apparaît arrondie
et peu à peu monte dans le ciel en suivant la course du
soleil. Un peu avant d'arriver à Sal, l’Île la plus au
nord des îles du Cap Vert, nous péchons un barracuda de 4
kg, celui là n'est pas aussi jeune mais à nouveau je me
régale. Ça y est, j'aime le poisson définitivement, il
suffit de se méfier des arêtes.
Îles du Cap Vert
La visibilité est excellente, nous
voyons Sal à 50 milles à 10 heures du matin, nous y
arrivons en début de soirée. Nous mouillons en rade, il
n'y a pas de port. Le lendemain matin, il pleut. Nous
mettons l'annexe à l'eau pour aller signaler notre entrée
dans les eaux du Cap Vert. À terre nous croisons un
Américain qui est responsable d'un vivier à langoustes, il
nous emmène dans son pick-up à quelques kilomètres à
l'aéroport pour faire tamponner nos passeports, c'est fait
simplement. L’aéroport de Sal est une escale entre
l'Angola, Cuba et Moscou. L’île a une réelle importance
stratégique. C'est un vaste champ de cailloux et cela
faisait un an qu'il n'avait pas plu. Les Îles du Cap Vert
sont une ancienne colonie du Portugal dont l'homme d’État
Amilcar Cabral, créateur du parti pour l'autonomie de la
Guinée Bissau et des Îles du Cap Vert, a obtenu
l'indépendance en 1975, deux ans après avoir été
assassiné.
Les Îles du Cap Vert sont dans la zone du Sahel au déficit
hydrique depuis 10 ans. Les Américains veulent construire
une usine de dessalement d'eau de mer. Il y a déjà un
vivier à langoustes sur l’île. Nous rencontrons un jeune
parlant français qui nous apprend que le Français est la
première langue étrangère scolaire. Cela nous contente.
Cette fois, nous sommes vraiment loin de l'Europe à 16° de
latitude nord, en Afrique, dans un autre monde où vivent
des hommes en dehors des circuits tout tracés du monde
français. Les Cap Verdiens sont à la croisée des chemins
entre Russes, Américains, Portugais et protègent leur pays
des intérêts touristiques. Sur Sal, un seul hôtel a réussi
à s'implanter, il appartient à un groupe scandinave. Les
Iles du Cap vert ont une eau à 25°C toute l’année et des
plages de rêve mais ils préservent leur indépendance et
priment un développement de base, d'infrastructure.
Nous avons acheté deux belles langoustes à 15FF le kilo et
un officiel venu en barque pour visiter le bateau a
échangé deux langoustes contre du vin et du chocolat. Ce
midi, nous ferons véritablement un festin de langoustes,
je n'y avais jamais goûté auparavant, maintenant je sais
combien c'est bon.
Mindelo
Après le repas, nous repartons à une
journée de mer vers São Vicente à 120 milles à l'Ouest
dont le port est Mindelo. Le soleil refait son apparition
et l’arrivée dans ce climat orageux reflète avec bonheur
le climat tropical chaud, humide et enveloppant. À
Mindelo, nous avons tout de suite un comité d'accueil nous
proposant le lavage du linge, ce n'est pas nécessaire.
Nous ne sommes pas seuls dans la baie, cinq voiliers. Un
bateau en aluminium de 14 mètres vient de Marseille avec à
son bord un type comme moi qui veut émigrer en Nouvelle
Zélande à l'opposé de la France, avec un climat propice au
bateau, avec des montagnes aussi et son rêve est d’élever
des moutons. C’était aussi mon rêve à 15 ans. Je suis
heureux de savoir que je ne suis pas seul à vouloir
émigrer. Un autre bateau est depuis 6 mois autour des îles
du Cap Vert, ils ne peuvent pas en partir, l'eau est
chaude, c'est tout ce que l'on peut demander pour bains de
mer, de soleil et d'Afrique insulaire.
Nous partons au village en vue de trouver du pain, nous
trouvons aussi quelques légumes. Le village est fortement
marqué de la tradition coloniale portugaise. Les Cap
Verdiens sont pour la plupart métis (70%) et la
vie semble douce à Mindelo bien que pauvre, pas de
voitures, de circulation ni de vélos non plus. Le soir
nous repartons au village, mais l'animation n'est pas
phénoménale, une petite queue attend devant le cinéma, une
terrasse de bar sur Ia place du village avec une jeune
fille blanche qui écrit. Nous prenons un pot à côté
d'elle. Je ne me sens pas suffisamment sûr de moi pour
l'aborder, elle est un peu plus vieille que moi, elle
était sans doute portugaise et restera une occasion ratée
de plus. Nous songeons maintenant à traverser, nous
faisons le dernier plein d'eau et de gas-oil. Olivier
profite d’être au port pour échanger quatre magazines
masculins contre quatre mâchoires de requin avec un marin
d'un cargo coréen.
Et nous partons vers l'Ouest en longeant Santo Antao et
les plages désertes au pied des falaises dans ce climat
tropical qui me donne trop l'envie de courir pieds nus
dessus. Nous laissons traîner la tête d'un thon que nous
venons de pêcher afin d'attirer des requins qui ne s'y
intéressent pas et auxquels nous la laisseront sans les
avoir vus après deux jours. Nous sommes poussés par les
alizés du Nord-Est à près d'une journée de l’extrémité des
Îles du Cap Vert.
La traversée 16 jours du 15 nov au 2
déc 1982
Les alizés sont les vents qui soufflent sous les tropiques
du nord-est au nord de l’Équateur, du sud-est au sud. Les
alizés démarrent le 15 novembre et nous sommes le 2
décembre, c'est parti. Nous avons envoyé le spi de 200
mètres carrés et les jours vont se répéter 16 fois sans voir
aucune terre. Chacun de nous prend le rythme quotidien de
son choix, Gilles ne sort de sa cabine que pour les repas et
son quart de nuit, heureusement qu'il avait prévu un stock
de piles important pour son walkman. Max le surnommera «
marmotte ». Durand et Olivier passent tout leur temps sur le
pont. Durand devient le spécialiste des nœuds de toutes
sortes pour arrimer la grande voile sur le liston avec une
retenue de bôme sur le liston. Il s’entraîne aussi à
faire sur la plage arrière du bateau un ring pour nous
empêcher de tomber à la mer. Effectivement lors de la
remontée d'une dorade coryphène de belle taille (1,20
mètres), Olivier se fait mordre en attrapant le poisson et
manque tomber à l'eau perdant sa pèche du même coup.
Max descend et remonte de la table à
cartes au cockpit, il a toujours été soucieux de nous
savoir sur la bonne route, logique. Il lui arrive d'être
de mauvais humeur lors des manœuvres de pont, à deux
reprises lorsque d'abord la têtière du spi casse et le spi
se retrouve à l'eau sous la coque mais que nous ne
déchirons pas, puis lorsque le spi éclate de nuit deux
jours avant d'arriver aux Antilles, dans un grain.
Quand à moi, je lis mes bouquins et j'écris mon journal de
bord, matin et soir je monte sans assurance en haut du mât
principal à la deuxième barre de flèche voire en haut,
malgré la houle, je suis en super forme. Un matin, un
grand dauphin, six mètres, fait de nombreuses apparitions
à la poupe du bateau puis laissant le bateau filer ses 10
nœuds, part depuis une vague à 100 mètres et passe à deux
mètres à l'avant du bateau sous le bout dehors. Il reste
avec nous deux heures jusqu'à ce que, ne nous préoccupant
plus de lui, il nous quitte. Nous péchons trois dorades
coryphènes que Durand prépare à la tahitienne (macérées
dans le citron, coupées en cubes, avec oignons, tomates)
ou en steak à la poêle.
À chacun des repas l’apéritif et une bouteille de vin
viennent agrémenter le poisson frais et nos conversations
tardives du soir dont nous nous préoccupons de l’heure que
pour les tours de quart. Pour rompre la monotonie qui fut
de courte durée, tout compte fait, un matin, nous faisons
une séance de gymnastique pour assouplir et entraîner nos
jambes mais aucun engourdissement ne nous a pris. Le
bateau est long et le pont en teck suffit à nos
déambulations. La position assise sur le bastingage avant
du bout dehors est une de mes préférées avec l’étrave se
soulevant et fondant l'eau avec les 18 tonnes de puissance
et les dix nœuds de vitesse du bateau et ce sous le spi à
17 mètres de haut. Du haut du mat, je profite pleinement
de cette vision de plan de pont dont les courbures de la
coque évoquent la vitesse du bateau.
Également du haut du mât au bout du tangon du spi et
accroché à une drisse qui retombe de 7/8 mètres de
haut, j'ai essayé et fait toutes les acrobaties que je
pouvais trouver en profitant du gréement. Je me sens
vraiment bien sur le bateau. Lecture, écriture, exercice
physique, observation de I'horizon, cuisine, je ne sais
plus où est la France et je songe à quitter le bateau en
arrivant en Martinique pour de nouvelles aventures. Je
n'étais pas très fier au départ et l’expérience me
grandit.
Diaporama du Mikado 56 (17
m) comme notre Choo Gun
activer la vidéo par un clic sur la
flèche en bas à gauche (durée 1:09)
Le bleu environnant se grave dans mon
être et me fait découvrir des horizons qui ne limitent pas
ma pensée que je laisse courir en imaginant que tout est
possible. Je songe au sens de la vie et j'en découvre un
monde loin des tracasseries étatiques, économiques, du
quotidien et du citadin. Je vois mon amour pour Véronique
durer mais uniquement parce qu'elle est loin et cela
m'arrange d’être amoureux à distance, cela me donne
d'autant plus de liberté. La vie est faite pour voyager et
agrémenter son temps de rencontres et d'observation de
nouveaux sites. Le nomade que je n’étais pas l'est devenu
par la force des choses, un train train quotidien qui
n'emplirait ma vie que d’échecs et de stérilité. Voir pour
comprendre, ne pas avoir à trier des informations,
apprendre sur le tas. C'est la conclusion que je tire de
la première partie de ce voyage qui me fait passer de
l'autre côté de l'Atlantique....J'ai perdu des repères,
j'en ai gagné d'autres.
Martinique 16 décembre 1982 au 16 janvier
1983
La première vision que nous avons des
Antilles est un ketch noir de 15 mètres à quelques milles
à l'est de la Martinique. Nous évitons des casiers à
langoustes avant de passer la pointe sud.de la Martinique
et mouiller à Sainte Anne pour déjeuner, il est
midi.
Après ces 16 jours de mer
ininterrompus, je plonge du bateau dans l'eau claire et
chaude, c'est le moment que je préfère une fois l'ancre au
fond de l'eau et qui me fait goûter toute la réalité de
l’île tropicale alors que nous sommes en hiver en Europe.
Je nage jusqu’à la plage du village, 150 mètres dans cette
eau limpide où habitué à me baigner en Méditerranée, je
songe aux requins que je risque de voir ici. Sur la plage
de petites barques, nous déjeunons des restes de dorade
coryphène, ce n'est pas suffisant. Il reste de l'eau douce
sur le bateau, nous sommes salés, ayant surtout pris des
douches et fait la vaisselle à l'eau de mer, pour
économiser l'eau douce. La civilisation sera bonne à
retrouver, un peu plus loin se trouve le Club Med des
Boucaniers, où Durand suppose que nous pourrions nous
rendre déjeuner de façon plus consistante. Nous y allons
et trouvons le paradis sur terre, un golfe étroit bordé
d'une plage, une cocoteraie, un ponton, des huttes et un
buffet fabuleux avec nourriture à volonté, Durand a
négocié pour nous l'autorisation de participer à toutes
les activités du village et assister aux repas. Nous en
profitons pour nous remplir la panse de tout ce que nous
trouvons avec sauces, épices, cuisson, goût sucré ou salé,
c'est un magnifique repas et la vue de Doudous emportant
les plats terminés et en rapportant des pleins fait trop
plaisir à voir. Merci Durand !
La vue de quatre mannequins américaines et d'une française
également ravissante, elles sont au milieu de tout, je ne
vois qu'elles, j’hésite à m'approcher d'elles, elles sont
vraiment trop belles. Ce qui m'a toujours ennuyé dans le
fait d'aborder une fille est de briser le rêve, une trop
jolie fille obtenue et la beauté perd son charme et son
attrait. Elle doit arriver d'elle même et ne pas perdre
son expression de femme naturelle et expressive. Rien
n'est plus triste chez une femme que le manque
d'expression simplement parce qu'elle est belle et qu'elle
se laisse contempler.
De retour au bateau, nous constatons que Coluche a sa
vedette tout prés du Choo Gun, il insulte ses copains et
ses copines s'esclaffent bêtement. Sa vedette est de
toutes couleurs bariolées, d'une quinzaine de mètres. Nous
ne faisons pas connaissance. L’après midi, je vais sur le
ponton de départ de ski nautique, mais pas très motivé et
n'ayant jamais essayé auparavant, je fais deux tentatives
non réussies de sortie de l'eau.
Le soir au repas, nous sommes à table sur terre à nouveau
et sommes servis par des Doudous. Je prépare ma soirée, ce
sera la discothèque du club où je vais pouvoir me tordre
les boyaux au rythme du rock et du zouk. C'est là qu'une
réflexion d'Olivier me surprend, il me confie qu'il est
heureux de me voir « tordre les boyaux » sur une piste de
danse, il trouvait sans doute que j’étais malheureux
sur le bateau, effectivement, je n’étais guère heureux à
mon départ lorsque je m'auto-bannissais d'un pays qui
m'avait exclu du chemin que je m’étais tracé. Mais le
pouvoir du rock sur l'esprit par son incitation à la folie
destructrice générant la création anime mon envie de
bouger et de faire bouger les choses.
J'ai donc passe une folle nuit dans cette discothèque et
de retour au bateau à quatre heures, je n'ai pas eu besoin
de quart de nuit pour être fatigué. Le lendemain matin, le
club des Boucaniers étant peuplé de nombreux Américains,
je joue au basket toujours
profitant de nombreux buffets somptueux. Je mange sans
calculer pensant que lorsque j'aurais quitté le bateau, je
ne sais pas ce que je mangerai. Je compte sur mon pécule
d'une dizaine de milliers de francs. J'avais réglé 2200FF
à Max pour ma nourriture sur le bateau jusqu’au Antilles
et je compte partir plus loin. Connaissant mon aptitude à
économiser d'abord sur le logement, puis sur la
nourriture, je suis pris entre le désir d'aller plus loin
et l’idée de rester aux Antilles pour m’établir et
travailler pour faire venir Véronique qui vient
d’apparaître dans mon esprit.
Quittant le Club Med, nous partons vers Diamant, rocher
qui servit de tour et d’entrepôt au temps des Boucaniers,
puis nous remontons vers la baie de Fort de France où
étonné, je fais remarquer une ressemblance avec Toulon,
c'est une ville en long avec la montagne derrière. Je
regagne avec Fort de France un de mes repères toulonnais.
À l’arrivée au port, je rencontre un catamaran immatriculé
à San Diego en Californie, nous avions été en liaison VHF
pendant la traversée avec Sylvia, équipière alors que nous
nous apercevions à quelques milles. Nous sommes en même
temps à Fort de France, je leur demande s'ils veulent
m'emmener à San Diego, le skipper ne dit pas non, leur
équipière doit quitter le bateau.
Max prend nos passeports et les apporte à la gendarmerie.
Durand, Olivier et moi allons à la poste restante pour
trouver le courrier de nos aimées. Je trouve le mien et
cela m'émeut profondément, c'est Véronique. Puis je pars
seul faire un tour dans la ville et je trouve un magasin
de vêtements, le Safari Way qui recherche un animateur
vendeur, je promet de revenir le lendemain faire un essai.
Nous restons en rade la nuit et le lendemain matin, mon
essai est concluant. Je resterai à la Martinique et ferai
venir ma Dulcinée, telle est ma décision. Nous partons
passer le week-end à l'anse Mitan, de l'autre côté
de la baie de Fort de France, après les Trois
Ilets qui est la marina principale de l'île, avec autour
le PLM, le Bakoua et le Méridien dont les chambres sont
entre 400 et 600 FF la nuit. Ce ne sera pas dans un
de ces hôtels que je dormirai quand je quitterai le
bateau.
Arrivés au ponton de l'anse Mitan, Gilles et moi partons
boire un Planteur à « la Marine », le bar de la marina,
c'est la première fois que je goûte un planteur et l’effet
est tel que j'oublie de payer en m'en allant, tellement
c'est bon et détendant. Puis nous allons tous les cinq
dans un bon restaurant où je prend un plat de tortue dont
je n'aurai pas fait la différence avec du bœuf. La
préparation était celle du bœuf bourguignon.
La famille de Max arrive, Durand s'en va, je lui souhaite
bon retour, cela n'allait pas très fort au début, mais
cela n'a pas empêché les choses de bien se passer. Olivier
est heureux de retrouver sa femme avec qui il passe tout
de suite aux actes. Nous restons donc en famille sur le
bateau mais ma décision est prise. J'ai un challenge à
exécuter sur ma personne, je veux vivre sans toit ni abri.
Les tarifs des hôtels sont bien trop élevés pour mon
budget. La journée se passe agréablement, entre planche à
voile et bons repas. J'ai promis au patron du Safari Way
d’être le Lundi matin à la première heure prêt à animer
les ventes du magasin. En fin de journée, ils m'emmènent
tous à la plage en annexe pour prendre la route vers
les Trois Îlets, la marina, d'où je prendrai le bateau de
liaison demain matin. Je fais du stop et suis tout de
suite pris par un couple de Suisses francophones qui
m'emmènent aux Trois Îlets. Mon grand sac rouge ne me
quittera pas pendant tout mon séjour sur l'Île, j'ai
laissé mes cirés et pulls sur le Choo Gun et tel Jack
Kerouac sur les routes de l'Amérique, je vais lire,
écrire, faire un petit job et dormir dehors. Arrivé à la
marina, je regarde si un bateau ne peut pas m'accueillir
pour la nuit mais la nuit tombe et les orages sont
fréquents. Je trouve un bateau à moteur et m'installe dans
le cockpit sous le banc, je ne suis pas trop mal.
Dans la nuit, du bruit, deux gendarmes antillais me
réveillent et me demandent de partir, mon sac en
bandoulière et mon sac de couchage roulé, je m'en vais
chercher un autre abri, il pleut légèrement. Je trouve un
cabanon d'une agence de voyages avec un auvent, je m'y
installe. Je connais l'heure du départ du bateau vers Fort
de France, 08Hl0. Le jour pointe vers six heures, je range
mon sac et puis pars sur les pontons me passer de l'eau et
un coup de rasoir sur le visage. Je suis prêt à bosser.
Les vingt minutes de bateau sont l'occasion de voir le
soleil se lever sur l'eau plate de la baie, il fait frais.
En ville, je trouve mon petit déjeuner, deux bananes à la
peau bien verte puis je vais au Safari Way où mon patron
me donne un pantalon noir, un T shirt blanc sur ma face
bronzée et mes cheveux blonds décolorés par l'iode et le
soleil avec mes yeux bleus, je songe que je dois faire un
peu tache sur le décor. Je commence au micro, j'ai
toujours aimé faire le spectacle et cela m'est naturel de
m'adresser à toute personne rentrant dans le magasin par
l'entrée, lui faire faire un tour et proposer ce qui
pourrait lui aller mieux, puis je la raccompagne à la
sortie après qu' elle soit passée par la caisse. Voila le
job. Je n'y réussis pas tout le temps mais c'est
l'objectif. Entouré de vendeuses, Yveline est celle avec
laquelle je m'entend bien, elle à vécu à Paris et elle est
mignonne. Je prendrai mon petit déjeuner avec elle
quelques jours. Je demande à mon patron où je peux trouver
un appartement à louer, 1400FF à la marina, il me demande
le salaire que je veux, je n'en sais trop rien, il me
propose 3500FF par mois. Le budget loyer me parait
important, je commence à me demander si mon choix de
travailler ici et m'installer est vraiment bon. J'ai un
pécule de côté, j'aurais mieux fait de rester sur le Choo
Gun ou partir à San Diego. Bien sûr, je gagne quelques
ronds mais ma vie n'est pas là.
Toute la traversée, je rêvais les moyens d'entreprendre
des affaires mais le plaisir que me procure la réflexion
est plus important que de le concrétiser en monnaie
sonnante et trébuchante. Alors je laisse tomber tout de
suite l’idée de prendre un appartement et mon sac reste ma
seule maison, le soir, revenu aux Trois Îlets, je m'assied
à « la Marine », un Suisse, Daniel, vient me voir et me
propose d'investir dans un réchaud à gaz pour cuire des
beignets, il n'a plus un rond. Je lui dis d'accord, nous
devons nous voir le
lendemain. Je retourne sous l'auvent de la nuit précédente
qui sera mon abri pendant quelques jours. Le lendemain
revenu au Safari Way, l'enthousiasme n'y est plus, je n'y
crois plus. Le soir je rencontre Yves-Jean qui se marre
sans arrêt. On devient potes, je ne revois plus le Suisse
et la semaine s’écoule. Le jour de Noël, un dimanche, je
téléphone en France chez les parents et je tombe sur
Alice, une jeune Texane qui a pris ma chambre à la maison,
elle a une voix super, il parait qu'elle n'avait qu'une
voix super. J'aurais bien aimé la connaître. Tout va bien
à Toulon.
Je pars en stop à Diamant, et je profite de cette grande
plage au sable noir sous le soleil des Antilles. Je
surveille mes affaires de loin en me baignant. J'ai
conscience d’être sans abri et suis prudent. Je suis la
simple expression de moi même, ça fait du bien. Puis je
retourne prés du golf des Trois Îlets et m'installe dans
un pré pour lire et écrire. Je suis bien mais triste.
Le lendemain, je joue mal mon rôle d'animateur au Safari
Way, mon patron s'en rend compte, je fais des efforts mais
ça ne marche pas. Il me reproche de garder mon sac avec
moi. À la fin de la semaine, je m'en irai. Je suis de
moins en moins bien avec les Antillais. La veille de Noël,
j'étais habillé en père Noël et j'avais commis une erreur,
je n'avais pas vu un petit noir à côté d'un petit blanc et
offert des bonbons au petit blanc. Je m’étais fait
insulter par la mère du petit noir.
Un soir je rate le bateau de 20 heures et suis obligé
d'attendre celui de 23 heures alors je vais dans un bar
siroter un jus de goyave et écrire des lettres à la
famille en leur annonçant que je compte partir en
Californie. Je suis payé l 500FF pour mes deux semaines en
ayant présenté ma démission, c'est le 31 décembre et je
retourne aux Trois Îlets faire la fête avec Yves Jean et
ses potes. C'est bien bon de danser le reggae sur la plage
de l'anse Mitan avec une étoile polaire basse dans le ciel
indiquant que je suis sous les tropiques. Je n'ai pas
quitté le soleil depuis le mois d'avril, au début du
printemps sur la côte d'Azur et mis à part la pluie à
Ibiza et les ondées orageuses de la Martinique, presque
aussi verte que l'Irlande avec des vaches et des collines,
je reste au soleil.
Un copain, Alain me parle d'un job de représentant en
trousseaux (linge et serviettes). Je vais voir les
patrons, ils me présentent à un métropolitain qui m'emmène
visiter les maisons isolées de l'Île pour me montrer le
job. Il vend trois trousseaux et gagne 1500FF dans sa
journée. C'est pas mal. Le lendemain avec un Antillais qui
a une Renault 5 que je paye 150FF, nous partons mais je
n'ai pas le contact avec mes acheteurs, j'ai perdu mon
argent. Je vivrai sur mon pécule. Yves Jean me propose de
partir en stop au nord de l'Île, à Grand Rivière, il y a
20 kms de jungle à traverser jusqu'au Prêcheur qui
contournent la Montagne Pelée. Le stop marche bien, nous
passons Mome Rouge (mome signifie colline en créole),
Ajoupa Bouillon puis Majouba et enfin Grand Rivière qui
est le village le plus au nord de l’Île. La vision du
passage entre la Dominique évoque la pleine mer, c'est
tonifiant.
Chacun notre sac en bandoulière, nous
prenons la piste, nous croisons un Antillais avec une
machette, il nous confirme que c'est le bon chemin, le
seul animal dangereux est l'anaconda mais nous n'en voyons
pas, au bout de trois heures de marche, Yves Jean a roulé
quatre pétards et nous croisons un Antillais et un
Algérien qui parcourent le chemin en sens inverse, nous
faisons une demie heure de pause et un cinquième pétard.
Je ne fume pas, n'arrivant pas à avaler la fumée, Yves
Jean pense que ça serait bon pour moi mais finalement il
corrige son avis en disant que je suis tombe dans un
pétard géant dans mon enfance et que je n'en ai pas besoin
pour délirer, sortir du monde réel et laisser mon esprit
voguer sur les vagues du rêve.
De plus je ne me rend pas compte de mon état permanent de
rêve. Je sais que j'aime être solitaire mais communicant
après une phase de solitude pendant laquelle je me suis
imposé une activité, lire, écrire, étudier. Depuis mon
arrivée à la Martinique, j'ai lu deux récits africains, un
de Sembene Ousmane et un de Roger Dorsinville « L'Afrique
des rois ».J'en viens à mieux connaître L’Africain. Les
Antillais sont déracinés et certains boivent du rhum toute
la journée, un « ancien » nous a expliqué, deux jours plus
tôt qu'il boit un litre de rhum par jour et que la
connaissance est le stade suprême de I'existence humaine.
Nous reprenons notre chemin et partons vers le Prêcheur.
Au Prêcheur, un stop jusqu'à Saint Pierre ou à l’hôtel
Latitude, nous avons un copain guitariste d'un groupe de
reggae. Nous ne sommes pas à la Jamaïque mais tout de même
aux Antilles, Bob Marley n'est pas loin bien qu'il soit
récemment décédé. Nous passons la nuit sous un abri de
plage un peu à l’extérieur du village après avoir
rencontré deux frères antillais qui ont refusé les Figolu
(biscuit Lu à la figue) que nous leur offrions. La nuit
est bonne après la marche de la journée, moi dans mon sac
de couchage, Yves Jean dans son hamac.
Le lendemain matin, nous retournons au Latitude jouer au
volley sur la plage, c'est bien, il fait chaud et le
reggae reprend au bar. Le reggae n'est pas encore très
développé, plus commun est le steel band, le reggae au
Latitude est de bonne qualité, compositions personnelles,
les clients de l'hôtel sont satisfaits de l'ambiance
américaine du lieu. L’après midi, nous partons dans la
montagne, il ne fait pas très beau, nuageux, Saint Pierre
au pied de la Montagne Pelée compte 6000 habitants alors
qu'il en comptait 25000 avant l’éruption en 1902. Arrivés
dans les hauteurs, nous découvrons les torrents d'eau
chaude.
C'est le premier bain d'eau chaude que je prend depuis le
départ d'Ibiza. Puis nous descendons la montagne en
courant jusqu'au village. La course après ce bain chaud
nous fait arriver en sueur, un copain métropolitain qui
tient une épicerie nous emmène dans un bar sur la plage
dans sa Golf GTI. Nous évoquons la vie du commerce ici à
Saint Pierre, il n'est pas des meilleurs mais ça contente
seulement par le fait d’être au soleil des tropiques. Yves
Jean et moi regagnons ensuite notre cabane sur la plage
pour dormir.
C'est alors que les deux frangins qui avaient refusé nos
Figolu armés d'une machette et de matraques en bambous
nous frappent. Ils ont peur, leur voix trahit la crainte,
mais j'ai plus peur qu'eux, Yves Jean reçoit du sable sur
les yeux et un coup dans le dos du plat de la machette,
moi sur la tête et sur les poignets des coups de matraque.
Ils nous demandent de nous déshabiller. En une seconde, je
mets les bouts, je cavale, mon attaquant me poursuit, mais
je cours vite et longtemps, je vais prévenir les
gendarmes. Je retrouve Yves Jean une pierre dans chaque
main, ils ont filé, ont pris les affaires d'Yves Jean, mon
sac de couchage mais pas mon éternel sac rouge que j'avais
caché avant de déplier mon sac de couchage. Yves Jean est
fou de rage.
Les gendarmes prennent notre déposition. C’était les
frères Rosina, les voyous du coin, ils habitent dans la
montagne et avaient besoin d’équipement. Ils ont le
passeport et le billet d'avion de Yves Jean, cela ne leur
servira à rien mais nous ne les retrouverons pas.
Le constat est qu'ils nous avaient suivi la veille et que
l'endroit était bien caché mais à l'écart du village et
donc aucune alerte n’était possible. La prochaine nuit,
nous serons plus prés et plus au vu de tous, c'est plus
sécurisant de se savoir dans un endroit socialisé même
sans abri.
Avant d'arriver jusqu’à la gendarmerie, j'avais tapé à la
première porte que je trouvais et j'expliquais rapidement
à un Antillais qui m'avait ouvert la situation, ennuyé, il
me répondit où se trouvait la gendarmerie et en disant
aussi qu'il ne savait pas quoi répondre à un métropolitain
agressé. Effectivement il existe un climat latent de
racisme de part et d'autre. D'un côté, les
Métropolitainsfonctionnaires ou commerçants venus aux
Antilles pour peu de temps avec l'intention de gagner de
l’argent dans un bon contexte et les Antillais, bons
consommateurs, qui sont plus souvent les employés des
Métropolitains. Les salaires sont plus bas qu'en Métropole
et la vie est aussi chère, beaucoup de produits étant
d'importation. En conséquence des frustrations se créent.
La vie n'est pas meilleure que si on la voit sous l'aspect
du climat et du temporaire des vacances. Ce n'est pas ce
dont je rêve.
Nous repartons aux Trois Îlets retrouver les copains des
squats de la marina. Il y a un nouveau squat, c'est une
maison abandonnée sur la plage, pour y rentrer, il faut
franchir une haute palissade en bois mais ce n'est pas un
problème, la maison est en bois et inhabitée et vide
depuis longtemps, c'est parfait et plus sécurisant. De
même que la nouvelle mode est de téléphoner en métropole
avec une pièce de vingt centimes que l'on cale dans le
téléphone accroché à un fil avec du papier adhésif.
J'appelle partout à Toulon pour faire savoir que je suis
encore en vie aux Antilles et j'en profite pour dire que
je vais partir au Venezuela en avion dépenser mon argent.
Les cabines téléphoniques de la marina sont dans un tel
état qu'un soir, d'un grand coups de pied, je récupère les
25FF bloques dans la cabine et réparant Ia cabine du même
coup.
La vie à la marina est maintenant trop simple, j'ai même
trouvé une Renault 4 de location ouverte avec la clef sur
le contact, que je ramène au bout de deux heures, heureux
d'avoir conduit, ni vu, ni connu. J’échange mon jean
contre le pantalon beige écru de Yves Jean. J’achète un
billet pour Caracas à 1417 FF et je suis prêt à passer en
Amérique du Sud, avec un seul T shirt, un sweat shirt, un
léger blouson, mon passeport et 4000FF en chèques de
voyage, m'étant débarrassé de mon grand sac rouge, en
dépôt chez un copain.
Norte America del Sur du 16
janvier 1983 au 17 février 1983
Je fais mes au-revoir a la marina à 14
heures et pars pour le Lamentin, 1'aéroport de la
Martinique d'où mon avion décolle à 18 heures. C'est un
dimanche et je me sens plus en vacances que jamais, enfin
débarrassé de mon sac, mon blouson sur les épaules, mon
passeport et mon portefeuille dans la ceinture sur
l'abdomen, une paire de socquettes et un caleçon de
rechange dans les poches de mon blouson et mon couteau de
marin avec un bel épissoir. Si l'Amérique Latine
représente un danger, je l'ai réduit au minimum. C'est un
vol Air France sur Caracas, je suis assis à côté de Jean
Marc Schoen, un globe-trotter comme moi venant du Sud de
la France, il vit à Beausoleil dans une maison de 1000
mètres carrés sur trois niveaux que son père a
construite de ses propres mains.
II est d'origine alsacienne et très calme. Le repas qui
nous est servi est le premier vrai repas depuis que j'ai
quitté le bateau il y a presque un mois, j'avais ensuite
fait usage de mon pécule uniquement pour jus de goyave,
Lorraine (bière de Martinique), pain, jambon, fromage et
bananes. Jean Marc Schoen vient de passer plus d'un mois
en Martinique, non pas squatter mais dans un hôtel pour
Antillais a 20FF la nuit. II s'est intégrè à la vie
antillaise contrairement à moi qui voulait expérimenter le
sans abri sous les tropiques, c'est risqué.
Les quelques deux heures de vol passent vite, et il fait
nuit noire quand nous arrivons à Maiquetia, l’aéroport
Simon Bolivar, lequel m'apparait comme un homme immense.
Je saurai plus tard à Bogotá qu'il est le « libertador »
de l'Amérique andine, Venezuela, Colombia, Ecuador, Perù,
Bolivia vis a vis des Espagnols qui pris dans les guerres
napoléoniennes laissèrent Bolivar fonder la confédération
andine et les bouta dehors à la fin des dites guerres.
C'était un homme immense car le territoire sur lequel il a
agi, est grand comme une dizaine de fois la France, avec
l'Amazonie à l'Est et sur la double chaine des Andes. Au
Venezuela, il y a dans chaque ville une place nommée
Bolivar, comme la monnaie du pays. Simon Bolivar est un
grand homme et il a donné son nom à un pays, la Bolivie
dont la capitale est à la hauteur du pays, 2600 mètres
d'altitude.
À l'aéroport en sortant de l'avion, le ton est donné, des
militaires partout avec des mitraillettes, je songe tout
de suite que j'ai bien fait de partir sans bagages. II est
trop tard pour partir vers Caracas. Jean Marc et moi nous
installons sur les bancs des terrasses. Prendre un taxi
pour un hôtel fait partie des choses inabordables pour mon
budget, le Bolivar vaut 1.60FF et la vie coûte 50% plus
cher qu'en France au vu des consommations au bar. Les
terrasses de l’aéroport sont peuplées de nombreux dormeurs
sur des bancs autour de gigantesques bacs à fleurs, il
fait chaud et sec, le ciel est étoilé et le bruit de la
civilisation du moteur à essence arrive jusqu'à nous. Le
contraste est fort entre le calme des Antilles et
l’effervescence du Venezuela dont j'apprends enfin
l'origine du mot : petite Venise.
À la pointe du Bout aux Trois Ilets, on parlait souvent du
« veneze » où pas mal de bateaux viennent relâcher à la
Guaira, tout prés de Maiquetia, dont la marina est
luxueuse avant de partir vers Trinidad, Curaçao ou Panama.
Au matin Jean Marc et moi partons à la marina, nous sommes
tous deux a la recherche d’activités rémunératrices mais
seulement si l'opportunité nous tombe du ciel, bien sûr,
nous ne trouvons pas. Il est temps de partir en « por
puesto », les taxis collectifs, vers Caracas, on !es prend
juste sur la route sans arrêt de bus préalablement
indiqué. Le système me fascine, ii est si peu coûteux et
commode, 10FF pour une heure de voyage, !'essence coûte 18
centimes le litre, c'est donné.
Les voitures me fascinent également, voitures américaines
ou 4X4 Renault, AMC, Chevrolet, c'est un Far West sud
américain avec un état brut des choses propre au continent
américain qui me donne toute ma présence et mon
expression. Je sens pouvoir aller jusqu'au bout de moi
même, c'est à dire être libre de mes mouvements avec
quelque argent et la folle envie de découvrir, voir pour
comprendre ce pays dit en voie de développement
géographique qui m'enivre. D'ici, il n'est plus question
de téléphoner en France pour donner ou prendre des
nouvelles.
Caracas,
à l’intérieur des terres, n'est pas un port contrairement
à ce que je pensais, il fait toujours chaud. En arrivant
dans la ville, les bidonvilles de part et d'autre de
l'autoroute puis le terminal de bus d'où Jean Marc et moi
prenons des renseignements sur les nouvelles destinations.
Caracas est une ville trop chère, il faut trouver un
itinéraire, deux options : l’Amérique Andine ou
l’Amazonie, Maracaibo ou Ciudad Bolivar. Nous passons une
nuit dans une chambre d'hôtel avec un simple lit superposé
qui ressemble à une geôle pour 20 bolivars chacun sans
draps.
Le lendemain matin, quittant le quartier, un autobus nous
emmène à Chuao, le quartier des affaires et diplomatique
de Caracas. Nous y trouvons le conseiller commercial
italien qui nous indique l'adresse du service commercial
français. Je compte, fort de mes deux années de classe
préparatoire d’école supérieure de commerce proposer mes
services à une entreprise française installée au
Venezuela. Je repère une annonce pour un
professeur d'histoire géographie au lycée français et avec
les adresses des entreprises françaises sur un moniteur du
commerce international numéro spécial Venezuela, nous nous
dirigeons vers le lycée français. Là-bas, je suis à peine
reçu par une secrétaire et nous partons ensuite vers le
terminal de bus, Jean Marc a décidé de partir vers
l'Amazonie et il prend un bus pour Ciudad Bolivar.
Quand à moi, je reprend un bus pour dormir à l'aeroport et
decider de ce que je vais faire. Le lendemain matin, pour
repartir vers Caracas, je croise Luis Manuel qui est un
étudiant en architecture, il me dit que son pays doit
devenir un grand pays, qu'il y a beaucoup de choses à
faire, il habite La Guaira et me donne son numéro de
téléphone, il a un idéal de bâtisseur, nous nous voyons
une demie heure mais nous bâtirions bien le Venezuela
ensemble.
Arrivé à Caracas, je retourne vers Chuao et dans le bus je
suis pris d'un vaste vertige de conscience de l'endroit où
je me trouve. Je suis à Caracas, dont enfant, je lisais
dans une bande dessinée que c’était le royaume des Cow
boys du pétrole, la réalité colle tout à coup parfaitement
à l’idée que j'en avais. Je me renseigne sur les tarifs de
location de voiture, mais je n'ai pas de carte de crédit.
Sachant que mon retour vers la Martinique est valable
après un séjour de trois semaines, le périple vers le
Brésil me parait trop long, j'opte pour la Colombie.
J'obtiens un visa à l'ambassade colombienne délivrée par
une femme superbe, je crois que je vais aimer la Colombie.
Le soir, je prend un bus de nuit pour Barquisimeto,
Maracaibo. Au matin, j'ai la. vision stupéfiante des
potences de puits de pétrole autour du lac de Maracaibo,
je n'imaginai pas en voir un jour. En France, on n'imagine
pas que le pétrole puisse sortir d'ailleurs que d'une cuve
ou d'un réservoir et de toutes façons seules comptent les
idées conformément au spot publicitaire de l’année 75 par
l'agence française de la maîtrise de l’énergie : « En
France, on n'a pas de pétrole, mais on a des idées. » J'ai
toujours été convaincu d'avoir beaucoup d’idées, le
challenge me plaît et depuis je cherche. Les idées sont le
champ à cultiver.
Maracaibo
À la sortie du bus, je suis sur la
route à l'ouest du lac et je dois traverser un pont à
péage pour me rendre à l'est du lac et prendre la route
pour San Cristobal à la frontière venezuelo-colombienne.
Je traverse le pont en ayant comme bon nombre d'autres
personnes, demandé à monter dans une voiture particulière,
celle d'un technicien travaillant dans l'industrie
pétrolière. Je suis parti pour faire du stop, avec mon
équipement réduit au néant mais sous la bonne chaleur des
5° de latitude nord de la région. Un Venezuelien m’emmène
dans un ancien « carro americano » avec climatisation à
15°c et des fourrures sur les sièges, cela ne dure qu'une
heure, nous n'avions pas grand chose à nous dire.
Puis après une demie heure, un camion m’emmène une heure
plus loin, il fait très chaud lorsque à midi, je me
retrouve à marcher le long de la route et voir les
voitures passer à grande vitesse. Je finis par prendre un
« por puesto » qui va à Trujillo. Un petit contrôle de
police inspecte mon passeport mais je ne les intéresse pas
contrairement à un jeune qui semble indien. Tous les
Venezueliens que j'ai rencontrés depuis ce matin
semblaient indiens ou métis.
De Trujillo, je tente à nouveau le stop et Oswaldo, un
vétérinaire m'emmène jusqu’à Valera. Oswaldo me décrit son
pays qu'il aime, c'est la Cordillère de Mérida, une région
de basses montagnes, au climat agréable, il y a de
l’élevage et de grandes terres. En 1976, je lisais sur le
Time Magazine qu'en Bolivie, la banque Morgan vendait des
parcelles de 100 hectares pour 10.000$. J'imaginai bien
alors une vie de colon sur les hauts plateaux comme
j'imaginai bien aussi une viedans les campagnes d'Inde à
travailler la terre avec des milliers d'Indiens. Je passe
dans cette Cordillère et j'essaie toujours d'imaginer si
je pourrai m y installer, si ce que j'aime dans le moment
se trouve dans la région traversée. La terre m'attire par
ses connotations, pionnier, état brut, exploitations à
rendement économique, espace vierge à conquérir et à
rentabiliser. Je pourrai rester avec Oswaldo et I'aider à
soigner les vaches, avoir une femme venezuelienne et des
enfants. Mais je laisse passer comme je négligeai à Fort
de France la possibilité de partir en Californie.
La chance me sourit mais toujours la mélancolie et la
nostalgie de ne pas avoir agi même dans un pays me
convenant règnent en maîtresses dans ma vie. Je n'ai que
21 ans et c'est sans doute ma vie biologique qui n'est pas
arrivée à la maturité ou je cesse d’être un passant, un
étranger, ou un aventurier dilettante. Je passe la nuit à
Valera et repart à Mérida en autobus. Je voulais partir en
stop mais à la sortie de la ville devant une école, une
gamine d'une quinzaine d’années est venue me demander
pourquoi je n'avais pas de chaussettes et m'a dit d'aller
prendre le bus alors j'y suis allé pour ne pas déranger
les mœurs du pays. De retour aux Antilles, un copain
m'avait dit avoir passé une semaine en prison pour s’être
promené torse nu au Venezuela.
Mérida est une belle ville universitaire, je rencontre un
étudiant en maths qui me brosse un tableau enthousiaste de
la ville et sans comprendre pourquoi, il s'en va en me
souhaitant le meilleur séjour à Mérida. Je me rend dans le
centre et tout prés de la Plaza Bolivar, je trouve un
hôtel pour 40 bolivars la nuit dans une chambre
confortable avec une douche. La responsable jeune et jolie
est vraiment gentille. Elle me semble étonnée que je
veuille prendre une chambre dans son hôtel, elle m'ouvre
toutes les portes pour me demander quelle chambre je
préfère, je choisis la plus grande tout prés de la porte
d’entrée.
Je passe la soirée sur la Plaza puis dans la salle de TV
de l’hôtel avec quelques personnes âgées légèrement
muettes et souriantes. Ma nuit dans ]'hôtel me donne au
matin l'impression d'avoir dormi dans un palace, je prend
une super douche bien chaude puis cherchant à payer mes 40
bolivars et ne trouvant personne, il est dix heures et je
m'en vais sans payer. J'imagine que je ne devais pas payer
cette nuit en admettant que l’hospitalité m'était due, car
venant de si loin, toutefois j'ai la peur au ventre et je
fonce au terminal de bus à un kilomètre du centre où un «
por puesto » m'emmène pour 60 bolivars à San Cristobal. Je
suis assis à l'arrière de la voiture entre un Allemand de
24 ans et une Venezuelienne de 20 ans. Les quatre heures
que dure le voyage, je discute avec Karl en anglais et en
espagnol avec la jeune fille.
Elle est étudiante en ingénierie de Travaux Publics. Elle
m' explique vivre en Apure dans un ranch, I'Apure est la
plaine amazonienne. J'aimerais partir avec elle, mais au
bout du voyage, un concours de circonstances, l'heure du
bus vers la Colombie, fait que Karl va jusqu’à Lima en
traversant la Colombie et l’Équateur, je veux aussi aller
en Colombie, elle part seule. Je sentais que la suivre en
Apure était ma vraie nature et à mettre des bâtons dans
les roues de mes aspirations. J'ai peur de réaliser trop
vite tout ce dont je suis capable et regretter de ne pas
avoir bâti tous mes rêves qui seront le signal du
commencement de ma vie de famille.
En Colombie, le ton change, les voitures et les bus sont
très anciens, le bus de San Cristobal à Cucuta transporte
les poules et les vieux édentés. La route est pour le seul
bus qui roule au milieu, c'est la fête l Arrivés à Cucuta,
problème, des militaires visionnent nos passeports et pas
de tampon de sortie du Venezuela donc pas d’entrée en
Colombie. Un Colombien me dit de glisser un billet dans
mon passeport pour arranger les choses, c'est pas le genre
de choses que je sais faire, je reste illégalement à
Cucuta. Karl prend une chambre, je n'ai plus d'argent,
c'est vendredi soir et les banques sont fermées pour
changer mes chèques de voyage. Avec mon goût du risque, je
traverse la ville pour aller jusqu’au terminal de bus qui
est le seul endroit éclairé et animé du lieu. Je ne peux
pas prendre de bus mais je peux attendre le lundi matin
pour faire ma déclaration de sortie du Venezuela et mon
entrée en Colombie fort de mon visa obtenu à Caracas.
Ce week end sera le plus religieux de ma vie, dans la
journée, je m'installe sur un banc de la place principale
et je discute avec des jeunes qui m'abordent curieux de
savoir ce que je fais là. Un d'eux m'offre un café, il est
vendeur d'images, un autre vend des ananas sur triporteur
avec qui je parle de ma misère. Quand je ne suis pas sur
le banc de la place, je suis sur un banc d’église,
laquelle est sur la place et je goûte à l'hostie, trois
fois en deux jours, qui est ma seule nourriture. La seule
boisson ingurgitée, payée par moi même, aura été deux
bouteilles de 25cl de boisson gazeuse aux oranges pour un
franc chacune. J'ai eu aussi l'occasion d'admirer des
joueurs de billard, mais je n'ai pas participé. Bien sûr
je ne quitte pas des yeux la banque dont je sais qu'à la
première heure du lundi, j'irai changer mes chèques de
voyage avec un homme équipe d'une mitraillette.
Ma dernière messe me donne l'occasion de discuter avec
deux adorables Colombiennes dont une a un bandeau tressé
de fils synthétiques de couleur dans les cheveux, non
seulement elle est jolie, brune aux yeux verts dans une
robe bleue mais je songe à rapporter l’idée du bandeau en
France pour l'hiver prochain. Je les suis donc à l’entrée
de chez elles mais je m'en retourne seul au terminal de
bus passer la dernière nuit du week end avec les vendeurs
de thé, de café, les gosses, dont un veut m'emprunter mon
blouson pour s'en servir d'oreiller, les guichetiers qui
installent leur matelas dans leur cabine à barreaux entre
deux départs de bus. Et je dors à nouveau, assis, face à
une pendule qui me montre le temps passé.
Le matin enfin, je peux repartir à 10 heures vers
l'intérieur de la Colombie, Bucaramanga, puis Bogotá. À
Bucaramanga, une ville de liaison entre Bogotá, sur un
haut plateau à 2000 mètres d'altitude, et Santa Marta sur
la façade caraïbe de la Colombie, il y a un terminal de
bus avec toutes sortes de commerce, cadeaux, tabacs,
épicerie. C'est une version sud-américaine des zones
franches des aéroports internationaux. Je change de bus et
pars vers Bogotá, 4 heures après, je m'arrête à Malaga,
une petite ville où je vais dormir dans l'hôtel Tinaguta
pour 130 pesos (10 pesos pour un franc), il y avait trop
de monde dans le bus. J'en profite pour me laver. Je passe
la journée du lendemain à me promener dans la ville qui ne
voit sans doute que rarement des Européens. Le village est
dans la montagne. Des gamins me courent après pendant 10
minutes pour me soutirer quelques pesos que je n'ai pas
avec agressivité.
En passant devant une boutique de couture, la couturière
me fait rentrer, va faire chercher un photographe. Son
fils et un copain sont là et le photographe nous prend
tous trois en photo et la couturière me donne une des
photos prises. Elle me dit que son fils va devenir
médecin. Je n'ai pas mangé depuis que je suis parti de
Cucuta mais ça ne m’inquiète pas, je me sens léger dans la
montagne des Andes où le climat est frais et ensoleillé.
La montagne est mon âme sœur dans ce périple : un absolu
mouvant lentement que l'on ne peut atteindre qu’avec
effort. La nuit suivante, je la passe dans le car qui
m’emmène à Bogotá, j'ai froid, la brume humide ne laisse
découvrir qu'une végétation basse le long de la route en
terre. La vitesse est d’à peine 50 km/h et le
chauffeur ne respecte ni de jour, ni de nuit sa droite,
tellement sûr de ne rencontrer personne en face.
Bogotà
Durant la nuit, j'étais à côté d'une
jolie Colombienne aux cheveux châtains au fond du car qui
avait tendance à se pencher sur mon épaule pour dormir
mais je ne suis pas sorti avec elle bien qu’étant
quasiment resté éveillé sans interruption. Nous arrivons à
Bogotá à midi. La ville me plaît, les monts Montserrat et
Guadalupe ferment la ville sur le quartier moderne avec la
large « septima avenida », l'artère principale et vers le
sud de la septima un quartier aux rues étroites. Je suis
impressionné par le nombre de Renault qui circulent,
surtout des R4. J'apprends qu' il y a une taxe de 300% sur
le prix de vente d'une voiture neuve. Il n'y à pas
d'embouteillages et la vie semble agréable dans la ville.
J'en déduis que la voiture individuelle entrave le
développement économique car elle mobilise dans un pays à
faible revenu une trop grande partie du budget du foyer.
Le salaire minimum est de 9000 pesos ? soit 900FF alors
qu'il est de 3500FF en France, en supprimant le budget
voiture, on peut avoir un niveau de vie correct. La
voiture est un luxe.
Bien sûr, cela représente faire un trait sur l'industrie
automobile créatrice d'emplois mais qui est un stade
ultime du développement non encore atteint par la Colombie
dont l’état a ainsi trouvé un moyen de financement de son
budget autrement que par l’essence ou l'impôt sur les
grandes fortunes. Je me promène donc sur la « septima » où
les trottoirs sont bondés de jeunes, les filles sont
jolies. Au pied du Tekendama, l'hôtel des affaires de
Bogotá à la structure de gratte ciels en verre foncé, il y
a un centre commercial. J’achète un Kumis à une terrasse,
où je m'installe, c'est du yaourt, des « gamines » dont
j'avais vu un reportage un an auparavant à Toulon viennent
me voir. Je partage mon kumis. J'aime ces enfants sales de
3- 7 ans qui vivent dans la rue. Dés qu'ils voient des
hommes d'affaires en costume sombre, ils leur courent
après en criant « Norte Americano l Norte Americano l ».
Je vais visiter le « Museo del Oro » ou dans une salle de
20 mètres carrés sont rassemblées 11 000 pièces d'or de la
période précolombienne. Le musée compte 23 000 pièces,
j'imagine peu ce que cela représentait pour les
conquistadores, mais je rapproche la réalité du monde
colombien avec celui que j'avais appris en cours en France
: la traversée de L’Atlantique pour Christophe Colomb et
les lndiens apportant au pied des Espagnols des bijoux en
or. L'Histoire n’était pas « des histoires ».·
J'ai découvert une ville qui résonnait dans ma tête comme
une des villes les plus exotiques dans le monde parce que
lointaine et maintenant proche dans un pays qui me semble
stable dans le mouvement de la croissance économique. Dans
les restaurants, je vois à plusieurs reprises un spot
publicitaire qui dit : « Amo la paz, amo Colombia. » Ça me
plaît.
C'est la fin de la journée et je prend un bus vers Cali.
Je m’arrête dans une ville sur le chemin dont je ne me
souviens plus du nom entre les deux chaînes de montagne
orientées Nord-Sud qui traversent la Colombie, Bogotá
étant à l'Est et Cali à l'Ouest. Je prends une chambre
pour laver mon pantalon, mon Tshirt Cacharel et mon
caleçon, je me débarrasse de mes chaussettes. Ma lessive
est vite faite et aussi rapide est le séchage tellement
l'air est sec et chaud à quelques degrés Nord de latitude
dans un climat continental à faible altitude.
Je repars vers Cali en traversant la chaîne Ouest des
Andes colombiennes, il fait un temps nuageux en arrivant,
la ville n'est pas aussi éclairée que Bogotá. C'est une
ville importante de province, et je note que la
maroquinerie est somptueuse, le cuir des sacs en vente est
beige et donne une impression de moelleux, j'en ferai bien
l'importation en France. ·
Je visite le Museo Colonial guidé par une bonne sœur qui
me demande ce qu'un aventurier sans chaussettes peut
éprouver comme intérêt pour un lieu de Dieu. Effectivement
une partie du musée retrace la vie de Jésus qui me fait
penser aux musées italiens et à ses peintres Fra Angelico,
Giotto, Bellini dont j'avais apprécié les triptyques avec
des madones et des chemins de croix à Florence et Venise
en famille. Je passe le reste de la journée à
réfléchir aux liens entre la religion de Dieu et la
religion économique en tirant
la conclusion que toute religion empêche l'autonomie de
pensée. Je n'ai rien mangé de la journée. Le soir je
repars vers la frontière équatorienne, à Ipiales, où
j'arrive le lendemain matin. il y a un joli marché et
beaucoup d’indiens. Je déambule dans la ville une bonne
partie de la matinée et reprend un bus en compagnie d'un
couple d'Allemands et d'un Suisse, Barbara a 21 ans et vit
à Munich et Werner vit à Calgary au Canada où il est
chauffeur routier émigré. Yvan à 19 ans et vit à Lausanne.
Nous mangeons tous 4 un demi poulet et des patates pour
4.50FF à Tulcan (45 sucres, le sucre étant la monnaie
équatorienne du nom du général Sucre), le village
équatorien de la frontière, la bière coûte 1,50FF.
L’Équateur est tellement reposant comparativement à
l'agitation colombienne. Sur la route qui mène à Ibarra,
je constate la présence de superbes eucalyptus, pas très
fort en sciences de la nature, mais que je connaissais
pour en avoir vu à Porquerolles. J'ai l'impression que
l'Équateur est couvert d'eucalyptus. J'associe tout de
suite la production de bonbons à l'eucalyptus, seul
produit que je connaisse.
À Ibarra, nous partons vers Esperanza où d’après Yvan, il
y a des champignons hallucinogènes. Se joignent à nous
deux Marseillais, Alain et Claude, eux aussi attirés par
les champignons. Sur la route d'lbarra à Esperanza, le
petit bus fonce sur une route étroite et accidentée, au
village, j'aperçois un type ahuri. Nous établissons un
campement à la sortie du village, je me sens un peu
fatigué et le sommeil sous la tente d'Yvan, malgré 12°C de
température sans couverture ou sac de couchage est
réparateur. Je peux au moins dormir allongé. Nous sommes
prés d'un aqueduc long de 15 mètres et large de 80
centimètres. Je m'amuse à en parcourir les 5 premiers
mètres. Dangereux ! La hauteur est d'une vingtaine de
mètres.
Dans l’après midi, après une descente à Ibarra pour
l'achat de victuailles, nous rencontrons un Équatorien
avec qui nous partons à la cueillette des champignons.
Nous en rapportons une trentaine, j'en ai assez de
me sentir exclu de tous les groupes qui fument des pétards
alors j'avale sept champignons sans comprendre. Au début,
je commence à prétendre que je ne ressens rien puis je
prend un papier et un crayon et je me mets à faire de
l'écriture automatique. Mes idées se bousculent jusqu'a
écrire un AAAARRRGGGHHH l et à lâcher le crayon. Nous
commençons à nous promener, les structures de mes mains,
de la montagne se modifient. Je m'engueule avec Yvan,
Alain et Claude rigolent, Barbara reste avec Werner. Nous
arrivons à l’aqueduc, je ne tente pas de le franchir,
heureusement malgré l'envie. Nous retournons aux tentes et
je pars dans un sommeil hallucinatoire où j'entrevois mon
organisme vivre et opérer une remise à zéro de tous les
compteurs comme pour une nouvelle partie de flipper. Je me
réveille et me rapproche de Barbara, mais elle s’éloigne,
elle est avec son copain.
Ma conscience revient tout à fait, la nuit est tombée,
cela a duré six heures, il y a du café dans la bouilloire.
Je finis d’écrire quelques pensées sur mon intelligence à
surmonter ce qu'il faut. Comprendre est nécessaire dans ma
vie pour survivre et j'ai maintenant confiance en
moi. Je sais aussi pourquoi j'avais vu en arrivant à
Esperanza un villageois ahuri, un abus de champignons sans
doute. Je me refais une nuit allongé au froid et le
lendemain matin, nous rangeons le camp et je repars seul
vers Quito. Dans le bus aux dimensions des Équatoriens
Indiens, petits, je me sens à l’étroit. Les femmes ont des
colliers passés plusieurs fois autour du cou, ça leur
donne beaucoup de charme mais le contact ne me paraît pas
possible avec eux.
Arrivé à Quito, je vais à
l’hôtel Lutecia pour 400 sucres, c'est cher. Quito est une
ville indienne, il y a 50% d'Indiens en Équateur, la ville
est à 2600 mètres d'altitude, il fait frais. C'est à
Guayaquil, le grand port du pays qu'est rassemblée la
population d'origine européenne. Sur les écrans passe ET,
le film du petit extra terrestre perdu sur la terre, pour
30 sucres, je n'aurai pas dû m'en priver, mais le
cinéma ne rentre pas dans mon univers de voyage. Je me
promène dans la ville et achète le compte rendu en
espagnol du dernier congrès du parti communiste soviétique
avec Leonide Brejnev pour essayer de comprendre sur quoi
se repose le régime soviétique. Je n'en comprend pas la
teneur et me dit que je ne suis pas encore capable de
comprendre, je ne sais pas encore ce que signifie la
langue de bois des hommes politiques.
J'ai vu une manifestation dans Ia journée. Je me demande
comment les Soviétiques peuvent inculquer des notions de
développement à des peuples étrangers. Je change d'hôtel,
je vais au « Gran Casino » que les Quitenos appellent «
Gran Gringo », c'est un immeuble blanc dans une rue
escarpée avec tous les Occidentaux qui y séjournent pour
90 sucres la nuit avant de partir vers l'Amazonie ou vers
le Pérou. Je rencontre notamment un New Yorkais qui me
croyait américain et m'explique qu'il importe de
l'artisanat local revendu dans les rues de New York à prix
d'or. Il me laisse sa carte, Import Export Représentative,
il a 26 ans diplômé d'un MBA d'une université américaine,
mais peu satisfait des jobs qu'on lui présentait aux «
States ».
Le lendemain, je me pointe à I'OCEPA, organisme
d'exportation d'artisanat Équatorien, où je prend un
catalogue d'artisanat pensant faire ce business dans les
rues de Toulon en rentrant, un de plus. Ce sont de jolies
choses et laissent entrevoir une possibilité de
coopération entre le Nord et le Sud où je m'engagerai
volontiers. Un peu avant de quitter la France, la
conférence de Cancun au Mexique avait pour but de résoudre
le dialogue autant culturel qu’économique entre les blocs
pays « développés » et « en voie de développement ». J'ai
là l'occasion de voir concrètement sur le terrain ce qu'il
est possible de faire. Je prend le bus vers Saquisili, un
village au sud de Quito, où je vais passer la nuit, le
village est en fête. Je vais me promener sur une colline
sablonneuse avec quelques pins et j'ai une des plus belles
visions qu'il m’ait été donné de voir, le Cotopaxi vers
l'Est avec son sommet enneigé à 5800 mètres d'altitude,
deuxième mont de l’Équateur.
Le village termine deux semaines de fête en l'honneur de
la Vierge, un orchestre arrive de Riobamba pour animer la
danse déchainée des Indiens et Indiennes bourrés
d'Aguardiente (eau de vie). Je retrouve Barbara et Werner
avec Andreas, un autre Allemand. Nous dansons aussi au
rythme de l'orchestre qui dégage tant de joie. Au bout
d'un moment, l'orchestre s’arrête, c'est une cassette
passant un des rocks les plus déchaînés dignes de Zztop ou
Lynyrd Skynyrd ou n'importe quel groupe de hard rock. Les
lndiens font le cercle autour des quatre européens que
nous sommes qui s'en donnent à cœur joie. Les Indiens nous
applaudissent et un Américain responsable du développement
local avec des jeunes militaires en civil nous offrent de
l'aguardiente pour nous faire parler de l'Europe. Nous
étions très appréciés. Je vais passer la nuit dans un
réduit de l'hôtel sous un escalier pour 60 sucres. ·
Le lendemain matin, je vais avec Barbara sur le marché
manger de la galette de maïs, acheter une cassette du
groupe Tucusito y sus ases, une toupie et une petite flûte
de pan. J'aurais aimé faire ce périple avec elle et je les
quitte tous les deux pour partir vers Riobamba puis Banos.
À Banos, petite ville avec une cascade, je passe la nuit
dans une chambre immense au pied de la cascade à l'hôtel
Guayaquil pour 120 sucres. Je serai bien resté très
longtemps dans ce site mais je passe une mauvaise nuit en
songeant à rentrer à Toulon.
J'estime que mon voyage est terminé, j'ai passé la ligne
de l’Équateur, je veux après trois mois et demi retourner
en France sachant que le service militaire m'attend. Et
comme toujours, lorsque je sais que je reviens au nid où
j'ai poussé, je suis mal. Je ne sais ce qui a déclenché ce
retour, est-ce le fait d'avoir participé à une fête où
j'étais étranger et pas à ma place, avec une identité
européenne avant tout ? Je le pense aussi en contact avec
Barbara que je reverrai bien en Allemagne. Je repars donc
vers Quito, où je passe chez Hoechst pour savoir s'ils
vendent du fil synthétique de couleur et à combien. Ils me
disent ne pas en avoir. Je passe une nuit à 150 sucres et
pars vers Otovalo, le marché artisanal le plus connu du
pays, j'y achète un grand sac en jute tresse, un pantalon,
un chapeau, une couverture et deux chemises pour y troquer
mes vêtements occidentaux et ranger ma cassette, un
rouleau de PQ, mon livre de Alfred Grosser « Les
Occidentaux » que je lis depuis le départ de la
Martinique.
J’achète le tout pour 1000 sucres et je repère de belles
couvertures plus épaisses pour 600 sucres que celle que
j'ai achetée dont je verrai plus tard au « Printemps » à
Paris qu'elle vaudrait 400FF. Je vais même passer une
soirée à y réfléchir en arrivant à Tulcan. Je passe la
nuit à I'hôtel El Paso et je suppute le prix de vente,
bien estimé, et la marge qui ferait rapidement de moi un
millionnaire avec une mise de fond modeste, une dizaine de
milliers de francs. Mais au retour, l’Équateur sera loin,
le télécopieur n'existe pas encore. J'ai aussi acheté
uneaiguille et du fil pour consolider les boutons de ma
chemise qui lâchent.
À Tulcan, pour obtenir un nouveau visa pour traverser la
Colombie, au poste frontière, il y a un Péruvien, Jorge
Enrique, avec une raquette de tennis dans son sac, il est
vêtu comme sorti d'un tennis club. Nous engageons, une
fois partis, une discussion passionnée sur notre but
commun dans la vie, soulager la misère de l'homme. Jorge
me parle du Pérou, pays en proie à une misère galopante.
Il a 25 ans, il va à Cali travailler avec son frère qui
gère une entreprise chimique. Il est père d'un enfant de 3
ans qui vit à Los Angeles avec sa mère. il me parle de ce
qu'il aimerait apprendre à son fils, courir, jouer au
tennis. il est neveu du ministre du travail et son père
est colonel. Il compte prendre le pouvoir dans son pays et
je lui explique fort d'avoir vu les possibilités de liens
entre le Nord et le Sud grâce à l'artisanat qu'il existe
des solutions à la crise économique. S'il prend le
pouvoir, je suis prêt à rentrer dans son
gouvernement. Nous cessons notre discussion quand à
Popayan arrive Patricia, prénom fort répandu en Colombie.
Patricia est comme beaucoup de Colombiennes, très jolie,
elle porte un bonnet bleu. Jorge et moi commençons à la
brancher et le temps passe très vite entre Popayan et
Cali.
Cali
Popayan connaîtra quelques années plus
tard un tremblement de terre détruisant 70% de la ville,
mais Patricia vivra à Caracas d'après une carte qu'elle
m'enverra plus tard, et si j’étais resté en Colombie ?
Popayan, comme la plupart des villes colombiennes ou
vénézuéliennes, me parle, elles ont une consistance
positive. Et pourtant... À Cali, nous laissons Jorge et
m'asseyant à côté de Patricia qui va à Bogotá, je sors
avec elle, ce qu'elle me dit ne pas avoir voulu, pensant
que je l'abandonnerai ensuite pour rentrer en France. Elle
n'avait pas tort. Je parle toute la nuit, et le lendemain
vers 15 heures, nous nous quittons, elle à été triste
pendant tout le voyage. De retour en France, une lettre
d'elle m'attend. Je suis loin …
Je suis à Bogotá et je me sentirai bien Colombien
maintenant que j'ai trouvé une femme. Mais je sais alors
qu'il y a beaucoup de femmes que j'aimerai et que la femme
de sa vie est celle avec laquelle on décide de rester et
partager sa vie et non pas une exclusivement, l'alter ego.
Je traîne un moment dans Bogotá qui est vraiment une ville
que j'aime puis repars vers Cucuta, je passe à Bucaramanga
à cinq heures du matin, arrive dans la journée mais me
fais refouler au consulat venezuelien pour l’entrée. On me
prétexte une « tarjeta turista » et je ne sais pas encore
glisser des pesos dans mon passeport. Je n'arrive
pas à rentrer au Venezuela alors inquiet, je repars vers
Bogotá où après un appel en France depuis l’ambassade et
un paiement paternel à Air France d'un billet Bogotá-Fort
de France, je pars dans trois jours pour Pointe à Pitre où
je prendrai une correspondance pour Fort de France. J'ai
du temps à occuper, je ne suis plus un migrant, j'ai
laisse tomber l'opportunité de m'installer en Colombie. Je
vais vivre en touriste. Comme à Caracas ou à Quito, je
passe dans les librairies et les bibliothèques, je trouve
même une bibliothèque avec un café gratis.
Je visite le musée d'art et tradition populaire et celui
du 20 juillet où je vois quatre Français (deux couples) en
vacances. Les bâtiments sont blancs et vides de monde mais
parfaitement évocateurs de la création de la Colombie en
tant qu’état avec une culture basée sur la migration
espagnole et rurale. Sur la « septima avenida », on me
branche pour rapporter de la cocaïne ou des émeraudes
(souvent fausses), j’évite. Je rencontre deux ou trois
fois les mêmes personnes avec qui j’échange quelques mots,
ai-je une copine en France ? Est-ce que j'ai besoin de
quelque chose ?
Le dimanche matin, je savais d’après un reportage TV qu'il
se passait des choses à Bogotá, qu'une rue était ouverte
aux vélos et aux patins à roulettes. Mais je ne savais pas
que depuis longtemps les Bogotanos allaient se recueillir
au Montserrat après une grimpette sur des escaliers d'une
heure. C'est un véritable chemin de croix avec des arrêts
buvette sur le chemin et en haut une église. La promenade
fut éprouvante mais sympathique. Le lundi, je visite le
Museo Nacional, histoire, anthropologie et peinture, puis
n'ayant plus d'argent pour L’hôtel, je pars à l’aéroport
en taxi, une voiture américaine ancienne, 30 ans et
500.000 kms au bas mot. Je finis mon livre « Les
Occidentaux » dans lequel Alfred Grosser conclut que le
problème n'est pas la rivalité « Est Ouest » mais bien «
Nord Sud », ce que fort de mon voyage si enrichissant je
conclus aussi.
Bogotà
A l'aéroport, j'apprend qu'il reste
une taxe à payer, je ne sais comment je ferai. Je
rencontre les deux couples de Français du musée et
j'échange un chèque de 60FF contre la taxe en pesos. Mon
chéquier m'a finalement été utile. Je vais errer dans
l’aéroport trois jours et dormir sur les bancs à sa
fermeture deux nuits, ma couverture m'est alors bien
utile. J'aurai deux discussions fort intéressantes, une
avec trois étudiants brésiliens qui me disent avoir la
crainte de la Colombie, ils sont au bout d'un voyage
autour de l’Amérique du Sud. La deuxième avec un Italien,
Gabriele, sur le développement. il est venu en Colombie
pour l’étude de faisabilité d'une centrale thermique, je
découvre alors ma vocation dans une profession valorisante
et concrète. Je crois qu'il est important
de développer le Sud mais il me fait remarquer qu'il y a
aussi beaucoup de choses à faire dans le Nord autres que
du développement. Ce sont deux actions à mener
parallèlement qui se rejoignent dans l'objectif d'une
culture universelle.
Quelques heures avant de partir, je sors de l’aéroport
pour voir l'Amérique du Sud, un continent que j'aime pour
sa différence avec la France. J'ai souvent entendu décrier
ce continent pour ses dictatures, j'ai vu là d'autres
problèmes à résoudre, survivre tous les jours, dans un
village équatorien, j'avais vu un homme couché sur un
trottoir un bras arraché. Les démocrates occidentaux sont
bien trop embourgeoisés dans leur confort pour saisir la
réalité d'un monde qui n'a pas les mêmes préoccupations
quotidiennes. La politique a fort à faire...
C'est avec émotion que je rentre dans l’aéroport pour la
dernière fois et je passe sans problème les autorités. Je
goûte au café colombien de l'export, en expresso, non pas
comme celui que j'avais bu à Cucuta le week end où
j’attendais l'ouverture de la banque, léger et avec du
lait. En montant dans l'avion, une hôtesse éclate de rire
en me voyant, pourquoi ? C'est sans doute la mutation que
j'ai subie au contact du continent....
Guadeloupe
18 février 1983 au 19 mars 1983
Du mont Guadalupe à Bogotá, je passe à Pointe à Pitre,
chef lieu de la Guadeloupe dont l'autre nom est Karukera
comme l'autre nom de la Martinique est Madinina, les noms
d'avant la colonisation par les Indiens Caraïbes, ou
Caribe « féroces » en espagnol.
Le voyage en avion contraste avec les passages dans les
autobus sud américains : sièges larges, toilettes,
hôtesses, repas. Je goûte avec délice le contraste. Cette
ligne a pour point de départ Lima au Pérou et va à
Pointe-à-Pitre puis Paris, c'est un Jumbo Jet. Je me sens
isolé dans le contexte de luxe qui m'entoure avec
uniquement des hommes d'affaires en costume tels les «
Norte Americanos » du Tekendama à Bogotá. Je suis aussi un
homme d'affaires mais je ne crois pas à mon statut social,
uniquement à ce qui est « à faire », peu importe le
rendement.
Nous atterrissons à l’aéroport du
Raizet et je reste en compagnie de trois baroudeurs pour
dormir dans l'aéroport, l'avion
étant arrivé à 22 heures. il y a un coopérant français
d'origine franco-équatorienne, un québecois itinérant, et
un belge émigré à Saint Barthélemy. Nous trouvons des
canettes de bière et entamons des discussions passionnées
sur l’Amérique du Sud, le Belge docteur en
psycho-sociologie ne croît pas à une coopération à pied
égal entre le Nord et le Sud. L’Équatorien n'a que le
souvenir des plages sur lesquelles il se roulait avec les
petites Équatoriennes sur le sable, après être arrivé en
moto depuis Quito. Quant au Québecois, il note que je fais
du bateau et au matin nous partons ensemble voir le Choo
Gun à la marina du Bas du.Fort, mais
il n'est pas là, il doit être aux Saintes.
Nous errons alors ensemble dans Pointe à Pitre, la ville
est plus large que Fort de France, j'ai un meilleur
contact, est ce ma mutation qui me fait percevoir de façon
plus positive les Antilles ? Sans doute. Je n’étais pas
heureux, maintenant je suis de retour et je me raccroche à
ce que j'ai accompli depuis quatre mois, un beau voyage
formateur du contact tant recherché avec les pays du Sud.
Je reprends l'avion vers Fort de France pour partir
récupérer mes affaires aux Trois Îlets, mon grand sac
rouge. En arrivant je constate que Yves Jean loue des
Hobie Cat pour se payer un billet retour, que le squat est
fermé et nous dormons tous dans la maison d'une
couturière. Tout le monde songe à rentrer vers Ia
Métropole. Les convoyages retour des bateaux s'organisent.
Je n'ai pas l'intention de revenir en bateau, j'aimerais
utiliser à nouveau l'avion, un moyen si rapide de se
dépayser et de résoudre tous les problèmes si l'on a des
papiers en règle et de l'argent avec tous les moyens de
paiement adéquats.
Je retourne en avion à Pointe à Pitre pour la seconde
fois, le Choo Gun n'est toujours pas là, équipé de mes
deux bagages, mon grand sac rouge et mon grand sac
équatorien, j'erre à la marina du Bas du Fort puis
retourne au Raizet poser l'essentiel à la consigne. Je
repars avec passeport, portefeuille, sweet shirt à la
marina. il ne pleut pas sur le Guadeloupe comme à la
Martinique. Je pourrai dormir à la belle étoile sans
craindre les ondées. Je téléphone en métropole à la
famille pour donner l'adresse de la capitainerie, je ne
sais combien de temps je resterai ici et ce que je ferai
mais j'aimerais avoir des nouvelles de Toulon où je
reviens maintenant. Le mois qui va suivre, je n'ai qu'une
idée en tête, voir Vero et je vais lui écrire bon nombre
de lettres. En attendant, c'est le carnaval de Pointe à
Pitre, les formations défilent dans les rues et ce n'est
qu'à la tombée de la nuit que se déchaînent les
percussionnistes et que la foule des jeunes crée le défilé
sans ordre mais joie. Jesuis une adorable fille avec un
chapeau haut de forme mais cela ne dure pas longtemps, à
huit heures, je pars dormir dans l'herbe devant la
capitainerie à la marina.
Le lendemain, je pars en stop à Gosier où j'ai les
coordonnées du directeur de l'Holiday Inn. Une fois
arrivé, on m'annonce qu'il n'est plus là. Le site est
enchanteur comme au Latitude à Saint Pierre, un hôtel sur
Ia plage, propre, destiné aux Métropolitains en quête de
sable blanc, de soleil et de farniente qui contraste avec
la vie sur la marina. On ne fait pas grand chose sur les
bateaux mais on rencontre du monde, un copain de régate,
les idoles de la voile, Arthaud, de Kersauson, un
convoyeur solitaire, une ou deux filles qui cherchent
I'homme de leur vie, dont je m'enquiers du prénom au bar.
On parle de faire, de bouger, d'aller aux Saintes, à la
Dominique, à Antigua. Il faut réparer, entretenir le
gréement courant et dormant, les protections de barres de
flèche, les drisses, les feux de navigation, les winchs,
la vidange du moteur, la charge des batteries. À Gosier,
ce sont les vacances.
Je retourne à la marina et avec mon look torride, jean
râpé, T shirt, cheveux longs décolorés, lunettes de
glacier, je suis pris en stop par une adorable métisse,
j'aurais pu sauter sur l'occasion mais une fois de plus,
je n'ai pas embrayé, et sa voiture à calé quand elle m'a
déposé un quart d'heure plus tard. Devant la capitainerie,
je fais un somme réparateur, un type vient dormir sur
l'herbe à côté de moi, c'est Eric, il a traversé
L’Atlantique en janvier avec des Alizés plus forts qu'au
mois de novembre-décembre. Ils étaient quatre sur un half
tonner, sans pilote automatique ni toilettes. Confort
restreint l Le mikado possédait même un congélateur !
Eric attend un copain, Jean Louis, avec qui il a traversé.
Jean Louis arrive, un grand barbu que j'avais vu déambuler
dans Pointe à Pitre avec sa barbe hirsute pendant le
carnaval. Nous partons tous trois dormir dans une bâtisse
non terminée, c'est du béton et c'est vraiment dur sans
sac de couchage. Le matin, de retour à la marina, Jean
Louis et Eric partent aux Saintes avec un copain, je vois
la proue du Choo Gun amarrée au ponton. Gilles est dessus,
tout seul, il était avec Jean Pierre, l'ami de Max avec
qui je pensais partir sur son Baltic 51 Honeymoon et qui
pour des problèmes administratifs avait renoncé au voyage
et revenu vers Max.
Gilles m'annonce qu'il rentre dans trois jours en
métropole, je tombe bien pour rester sur le bateau que
l'on va mettre au mouillage à côté de Chainegaz, un
monocoque en aluminium qui vient de terminer une transat.
Gilles à eu quelques problèmes électriques sur le bateau,
mais c'est un détail comparé à leurs navigations, ils sont
partis dans les Grenadines. Max ne revient plus, il veut
envoyer un convoyeur pour skipper le bateau sur la transat
retour par les Bermudes et les Açores. J'aimerais
bien faire la transat retour en tant que skipper mais cela
dure un bon mois et faut attendre début avril. De plus je
ne suis pas certain que Max ait totalement confiance en
moi, m'ayant vu plutôt plongé dans mes cahiers et mes
bouquins plutôt que marin responsable. Un copain loueur de
Gille vient me proposer de skipper un Dufour 35 le week
end prochain avec des clients, par ailleurs un neveu de
Max, Michel, sera là avec sa femme et ses enfants et ils
aimeraient partir avec le Mikado, Gilles ne sera plus là,
je dois faire un choix.
Gilles me présente ses potes de la marina, Lionel, serveur
au bar, René de Sète qui vit sur son Gin Fizz, il emmène
des clients de temps en temps et des Antillaises... et
Thierry qui a 23 ans et vit sur l’île depuis sa naissance.
Thierry aimerait bien partir en métropole avec le bateau,
si je pars avec le Mikado aux Saintes, il nous accompagne.
Gilles s'en va, j'opte pour le week-end avec le Choo Gun,
samedi matin, je vais les chercher en annexe au ponton, il
fait beau sur la Guadeloupe, le passage entre Basse Terre
et Grande Terre était beau ce matin du haut du mât de 17
mètres avec ses deux tons de bleu, l'un foncé, l’autre
clair. Les Saintes sont à quelques heures de navigation au
sud. Trois fameux îlots, exclusivement peuplés de blancs
émigrés de métropole il y a deux siècles, les Saintois,
qui vivent en milieu fermé dur Terre de Haut. Il y a une
belle anse où nous arrivons à 14 heures pour mouiller,
l'ancre dérape à deux reprises, je n'ose trop m'éloigner
du bateau en planche à voile. Les petites filles, Claire
et Constance étaient malades dans la houle du passage de
Force 6 de l'alizé. Nous avons franchi le passage au
largue à huit nœuds, les manœuvres sont simples, même
étant seul connaissant tellement sont bien réglés le
pilote automatique et le moteur. La grand voile est hissée
sans problèmes, le foc se déroule rapidement et l’équipage
était sage. Que puis je rêver de mieux pour ma sortie en
tant que skipper d'un bateau de 18 mètres ? En fin d’après
midi, mise de pied à terre au village pour apprendre qu'il
y a une grande fête sous un toit de paille ce soir samedi.
Je retrouve Eric et Jean Louis là bas, il y a beaucoup de
jolies filles, bon rock et bon reggae, ça bouge bien, une
des plus belles fêtes qu'il m'ait été donné l'occasion de
faire, cent personnes, bon feeling, bon rythme. Elle se
termine à deux heures, c'est tôt mais c’était intense.
Au retour vers Pointe à pitre, après un bon dimanche à ne
rien faire, il fait nuit et la navigation sous les étoiles
vent de travers crée une ambiance romantique qui éveille
Marie Anne, la femme de Michel qui comprend que Thierry et
moi avons une passion certaine du bateau que nous
cherchons à faire partager. Le week end est terminé, ils
restent avec moi quelques jours sur le bateau avant
d'obtenir une place pour eux sur un vol Air France, ils
ont des GP « gratuite passager », Marie Anne étant hôtesse
de l'air chez Air France. Thierry rentre chez lui et il
n'est pas convaincu de faire la transat retour vers
l'Europe, les rapports humains sont un peu trop francs
dans les manœuvres.
Le lendemain, nous allons en stop au
Méridien à Sainte Anne, Marie Anne cherche des
informations sur les possibilités d'embarquer ce soir et
les soirs suivants. À deux reprises, à minuit, Michel sera
obligé de nager jusqu'au bateau pour me tirer de mon
sommeil et prendre l'annexe pour faire dormir sa petite
famille. Je prend alors conscience de ce que représente la
responsabilité d'un père de famille, et ce qu'il doit
faire. J'ai vraiment sympathisé et me rend compte qu'un
bateau, un skipper animateur, des équipiers profanes,
c'est un bon produit et c'est une activité qui me convient
tout à fait. Ils me laissent 200FF pour que j'aille boire
au bar de la marina en me souhaitant de revenir le plus
tôt possible en métropole, ce que je souhaite ardemment.
Effectivement, je n'ai pas d'argent et guère d'endroits où
j'ai envie de rigoler, Eric et Jean Louis viennent habiter
sur le bateau, j'ai eu Max au téléphone, un skipper et un
équipier vont arriver, ils ont besoin d’équipiers pour le
retour vers l'Europe. Thierry s'est désisté, il est parti
en avion.
Je trouve au bar de la marina une annonce vendant un
billet retour pour 800FF à prendre le 19 mars, c'est une
Antillaise qui vend le billet, elle enregistrera mon
bagage, me remettra le bon d'embarquement contre les 800FF
et je partirai, c'est un vol pour Bruxelles. Je me suis
renseigné, il n'y à pas moins cher, c’était un de mes
seuls motifs d'aller à Pointe à Pitre avec mon petit tour
habituel des libraires où j’achète l’État du Monde que
j’étudie avidement. C'est une découpe géopolitique
économique et sociale de 34 régions du monde, je mets à
jour mes connaissances des chiffres clés indicateurs de la
santé économique du monde. Jean Yves et son équipier
arrivent, je sais tout de suite que je fais bien de
prendre l'avion, Jean Yves pinaille sur tous les points,
il veut tout refaire sur le bateau, rien ne marche pour
lui à bord. J'avais seulement décelé que le feu à
retournement de la bouée de sauvetage manquait de piles.
Jean Yves trouve des problèmes à l'alternateur, au moteur.
il m'emmerde pour nettoyer les chiottes, ça n'aurait pas
pu aller, je trouvai le Choo Gun en trop bon
état.
Et le 19 mars, le scenario prévu du billet d'avion me voit
quitter les Antilles. Je n'ai même pas vu la Basse Terre
ni éloigné de plus d'une dizaine de kilomètres sur la
Grande Terre. J'ai à peine mangé hors des repas faits par
d'autres, du couscous macéré dans du citron quand j’étais
seul. Dans l'avion, mes voisins sont excités, ils n'en
reviennent pas du bonheur qu'ils ont connu pendant deux
mois, ils m'emmerdent, ils me demandent d'argumenter.
Arrivée à Bruxelles, il pleut, mes deux sacs sur les
épaules sont très lourds, je prend un bus pour aller dans
le centre, mange un bout de fromage avec du pain que
j'achète sur un marché. Je pars sur l'autoroute car je
compte arriver en stop à Toulon. Deux types jeunes en CX
me prennent tout de suite et alignent le 180 puis un
deuxième stop marche avec un jeune couple en Golf qui va à
Mons, ils me laissent à un embranchement et je me mets à
marcher, solitude à l’état brut sur le bord de
l'autoroute, deux énormes sacs, sans chaussettes,
chaussures recousues, un T shirt et un blouson, le
Venezuela est loin, les Antille aussi. Au bout d'une demie
heure, je vais pour rebrousser chemin, étant impatient de
nature, je vois arriver une 4L fourgonnette à 60 kmh.
C'est un électricien, il s’arrête et nous partons jusqu’à
la frontière, nous parlons des problèmes politiques, il
est anarchiste.
A la frontière, un commercial en Golf va à Paris, parfait,
il me parle de la Grèce continentale du nord,
Thessalonique, sans les touristes qui peuplent les îles en
été, qu'il a l'habitude de visiter, il me paye un
sandwich, je lui paye un café dans une station sur
l'autoroute. Je présume maintenant qu'il était sans doute
homo mais ça ne m’intéresse guère. En attendant il me fait
découvrir une nouvelle destination. À Paris je vais chez
des amis des parents qui m'offrent de l'argent pour
m'acheter des chaussures, je m'en achète une paire avec
mon argent. Je me rend compte que je n'aime pas tellement
qu'on me fasse l'aumône. Je suis devenu un être
indépendant et j'aimerais vivre dans un monde
d’indépendants. Mais solidaires en cas de coups durs. Et
respectueux dans un autre monde que celui dans lequel on
vit où tout est facile et où se méritent des situations
acquises sur de fausses valeurs, l'argent, les relations,
les études soi disant réservées à certains. Je me mets à
rêver de contacts naturels et profonds tout en préservant
l’indépendance et la liberté.
De Paris Lucien me conseille de partir de la porte
d’Orléans, j'ai là une chance extraordinaire, en arrivant,
je vois cinq stoppeurs et à ce moment une voiture me
propose de m'emmener, une 4L commerciale. il me dépose sur
une station d'autoroute. Je traine sur le parking des
poids lourds, et un chauffeur me propose de m'emmener. Je
dénote pas mal, mon sac équatorien est vraiment du jamais
vu, immense avec des lanières attachées en nœud plat pour
le tenir, j'ai tout de même l'air propre, il me dépose à
Mâcon, c’était un Toulonnais, mais il va à Venise. J'ai
trop hâte de rentrer, je prend ensuite un stop jusqu'à la
gare en passant par la maison d'un Mâconnais qui m'offre à
boire. J'arrive à 20 heures à Perrache et le copain de ma
sœur vient me chercher.
Le lendemain, Jean Noël et moi allons à la faculté de
médecine voir Marie et tous leurs copains. En attendant
Marie, un mec me demande comment était la neige de
printemps, je n'en ai pas la moindre idée. Je suis
maintenant tellement loin de toutes les préoccupations des
étudiants, je suis un aventurier des mers et de voyages à
terre. Finalement, je rentre de Lyon en train pour 149FF,
je ne voulais pas payer plus de 150FF. À Toulon, je
retrouve Véronique, c'est toujours I'enfer et un jeune
Américain a pris ma place dans ma chambre et dans la
famille. Le lendemain matin, après une nuit dans la
maison, je reprend un sac, ma mère m'a demandé de faire
mon lit, J'ai refusé, je pars habiter sur le bateau d'un
copain.
Grèce
18 mai 1983 au 24 luin 1983
Je passe ce début de printemps à
Toulon sur le Nina, ma sœur Émilie et Véronique viennent
m'y voir, on sort, Vero ne me suivra jamais, c'est sûr et
pourtant je l'aime. Sur une annonce, je découvre un job,
vendeur de marionnettes sur les marchés et dans les fêtes,
les lieux très passants, ça me permet d'amortir mes
déplacements sur la Côte d'Azur, de me payer des bières et
de quoi manger. Un jour Émilie m'apprend qu'un copain des
parents veut savoir si je veux l'accompagner en Grèce, au
début, je n'ai pas envie, j'ai assez de bateau comme ça
pour l'année puis je me dis que c'est finalement pas mal
mais déjà je ne veux pas que l'on me colle l'image qui me
va bien de skipper. Je veux rester à terre et faire des
affaires, je n'ai envie de partir que pour voyager avec ma
chérie.
Je rencontre donc Robert et Gilles, un jeune Versaillais
né un mois plus tôt que moi. Je m'entend bien avec eux
tout de suite et le 18 mai au soir, nous larguons les
amarres. C'est un Kelt 9 mètres, 6 couchettes que Robert
vient d'acheter. Lui et Gilles viennent de traverser
l'Atlantique sur un Sun Fizz un peu après moi et nous
aurions pu nous rencontrer à Pointe à Pitre. Robert vivait
à Montréal et il a pris une année sabbatique comme Gilles
et moi. Lyster le nom du bateau, est le nom d'un lieu dit
dans les Laurentides, là où Robert passait ses vacances et
ses week ends. Le Canada et la Grèce sont au rendez vous
sur le bateau, j'ai emporté « Aurélien » d'Aragon avec
moi, tous les symboles de ma vie amoureuse y sont réunis,
Aurélien est mon second prénom, L’amour d'Aurélien est
Bérénice, que j'associe à Véronique en grec. Aurélien a
I'esprit d'escalier, il ne saisit pas tout de suite
l'opportunité qui se présente et y songe dans l'escalier
en partant. Il va vivre sa vie avec une femme, Blanche,
alors qu'il aura croisé puis manqué Bérénice pour qui il a
une flamme d'amour éternel. L'angoisse de ma vie d'alors
est de rater celle que j'aime. À la fin du livre, c'est la
guerre, Aurélien et Bérénice se rencontrent après tant
d’années et ils n’éprouvent plus rien l'un pour l'autre,
seulement un souvenir.
Nous partons avec objectif
Bonifacio, le Kelt n'a encore jamais navigué, Robert
pousse un hourra de joie au départ, c'est vrai que c'est
bon de larguer les amarres. À la fm de la deuxième nuit,
nous sommes en vue de Bonifacio que nous avons mis un
certain temps à trouver, nous tirons des bords de près
pour y arriver, il fait gris et un bon force 4, le port
est presque vide. il est bon de naviguer hors saison
touristique et chaude avec le sentiment de naviguer en
pionnier et d'arriver dans un autre monde à découvrir.
Bien fatigués, un bon cassoulet s'impose ainsi qu'une
montée sur la falaise avec une bonne nuit ensuite. Le
lendemain, la météo ne prévoit rien de particulier,
nouvelle direction, les Lipari au nord de la Sicile,
bizarrement il n'y a pas de vent dans les Bouches de
Bonifacio, nous mettons même le moteur après avoir enroulé
le foc. Puis un vent d'ouest se lève, l'archipel de la
Maddalena au nord de la Sardaigne est derrière nous. Le
vent monte croissant de 20 à 35-40 nœuds en quelques
heures, le soleil apparaît, nous avons trois ris dans la
grande voile et le foc enroulé avec quelques mètres
carrés. Au repas du soir, Gilles et moi avons fait
l’expérience de manger dans notre assiette quand elle nous
passait sous le nez selon le tangage du bateau, on avait
trop rigolé. Nous filons nos 6-8 nœuds au largue toute la
nuit avec des creux de 5 mètres, on abat des milles. Le
ciel est étoilé, il faut redresser le bateau à la barre
sur tous les départs en surf pour l'empêcher de prendre
les vagues par le travers. Le vent est monté à 50 nœuds.
Nous sommes trempés pendant nos quarts que nous faisons
seul mais avec un harnais. Couché dans le sac de couchage
avec mes vêtements, ils sèchent pendant mon repos : 3
heures, les quarts de Robert et Gilles. De temps en temps
nous nous envoyons une rasade de whisky fort appréciée
dans la tourmente du vent.
Les creux sont de 10 mètres, au fond du creux, nous ne
voyons rien autour et sur le faite de la vague, on part en
pique vers le creux de la vague, c'est fun. Au matin, je
suggère de naviguer sans la grande voile, avec 4 mètres
carrés devant seulement, c'est mieux, la
barre devient plus douce, nous conservons notre bonne
avance et le lendemain vers midi, nous laissons le
Stromboli à tribord, ce volcan-île que nous voyons tout
vert, le vent est tombé. À l'arrivée de Isola Eolie, le
temps est à nouveau couvert, nous nous amarrons au bateau
d'un couple de jeunes siciliens qui nous demandent comment
c’était. Ils nous expliquent leur expédition dans l’Océan
Indien avec un bateau où le skipper tentait de survivre en
rationnant l'eau. Gilles et moi partons au village pendant
que Robert se repose. Sur le bord de la route, un jet
d'eau, parfait pour se récurer jusqu'au bout de la bite,
les Italiens qui passent en Fiat 500 se marrent. Le soir
Robert nous invite à manger dans un restaurant de bonnes
pâtes, il n'y a pas grand chose à faire, pas de bar
branché où draguer, back au bateau.
Nous passons le détroit de Messine de nuit et le matin
nous filons vers Kithira (Cythère) en envoyant le spi
jusqu'a Force 6, on réduit le roulis rythmique du bout du
tangon au bout de la borne dans l’eau en bridant le spi
avec des barber hauler sur les écoutes et finalement nous
affalons. Nous conservons ces conditions de vent jusqu'a
Cythère où nous arrivons le 30 mai au port de Kathakali.
Nous discutons avec des pécheurs siciliens de Catane. Je
crois avoir compris la création de la civilisation grecque
par la seule vision de Cythère, les îles grecques, chacun
des cailloux, brin d'herbe, le bleu de la mer sont un
signe des Dieux qui peuplent les îles des différents
archipels. Le repas de rougets que nous faisons est un
autre de ces signes. Le lendemain, nous arrivons sur le
Péloponnèse à Nauplie au fond du golfe du même nom pour
ouvrir le transit log, carte de séjour du bateau en Grèce.
La clearance est effectuée, le transit log avec nous,
précisant que nous devons inscrire les changements
d’équipage, les ports de relâche jusqu’à la sortie des
eaux grecques. Un chauffeur de taxi qui veut nous emmener
à Mycene m'apprend à compter en grec, c'est simple. Robert
m'offre une paire de sandales, il trouve que se balader
pieds nus à terre puis sur le bateau est salissant.
Effectivement je n'ai pas de chaussures adéquates et vêtu
depuis Hyères avec un bermuda, un T shirt, un sweat shirt,
voire une veste d'escalade que j'avais en Amérique du Sud,
j'aime vraiment la vie sauvage à bord d'un bateau neuf.
Gilles m'apprend à compter en allemand. J'ai appris par
cœur des mots essentiels en grec, Ia politesse, et les
courses avec facilité car je vois la nécessité de
comprendre un pays que je considérais comme lointain
depuis Toulon, une autre écriture, un autre niveau de vie
en termes de PNB par habitant et une vie moins chère qu'en
France.
Le meilleur exemple est le prix du demi litre de bière à
une terrasse de café, 40 drachmes, 4FF, alors que c'est
7FF pour une pression de 25 cl sur le port de Toulon.
C'est l'aubaine surtout que j'aime traîner sur les ports.
C'est mon activité favorite depuis 3 ans. Gilles et moi
allons nous en donner à cœur joie pendant 3 semaines. Dés
notre première sortie à 14 heures, nous avons l'intention
de ramener une fille ou au moins établir un premier
contact. On ne sait trop comment s'y prendre. Lequel de
nous deux fera le premier pas ? Les repérages consistent à
identifier deux filles et avancer la phrase suivante en
Anglais : « Bonjour l On peut s'asseoir ? Oui, merci. Vous
venez d’où ? » Les deux premières sont grecques, ça ne
marche pas, on était un peu crispés. En parcourant le bord
de mer de l'autre côté du village, nous croisons une
française de 24 ans que nous invitons le soir à manger une
friture sur le bateau. La friture est cramée et nous la
laissons repartir à son hôtel sans la raccompagner, elle
ne plaisait à aucun de nous deux. Robert nous trouve peu
courtois. Arrivés à Hydra, le port est petit, mais tout à
fait typique, comparable à St Tropez, on obtient une place
de port à côté d'un bateau loué par des Sud Africains et
d'un ketch grec. J'ai joué de ma voix voyant un bateau qui
voulait prendre notre place. Le skipper du ketch est de
Spetsai, il fait du charter et nous dit le plus grand bien
de son Île. En partant à pied dans le village, je songe
aussi au village d'lbiza avec ses ruelles étroites, les
murs blancs. Le soir nous revenons à un bar où Ia bière
coule à flot pour les anglophones. Trois Australiennes
sont assises dans un coin, il y a aussi une Sud Africaine
et deux skippers grecs qui comme nous cherchent à
embarquer des jeunes étrangères en voyage.
Effectivement, les Australiennes sont en voyage pour une
période de 6 mois en Europe et libres, ce sont de bonnes
cibles. Gilles boit beaucoup et en ramène une moche qu'il
emmène sur le bateau, moi aucune. Le lendemain, il ne la
reconnaît même pas en train d'acheter des cartes postales
quand elle lui saute au cou. Nous sommes pliés en quatre.
Robert doit rentrer au Canada deux semaines pour régler
des affaires, il compte nous laisser à Poros où le port
est plus grand, c'est comme à Hydra un quai le long du
village où soit l'on mouille une ancre en avant et l'on
fixe les amarres à l'arrière, soit une amarre à l'avant et
l’arrière du bateau à couple du quai. Cela est fort bien
pour être repéré des personnes assises aux terrasses de
bar ou de restaurant en train de manœuvrer.
Le site est très agréable, des bars, un mouillage dans une
baie avec une plage à quelques minutes du port. Robert
nous quitte en partant avec les Flying Dolphins, des
hydroglisseurs qui relient les îles de l'Attique avec le
Pirée. Je n'avais vu le même qu'une seule fois étant
enfant, il reliait le Lavandou à Port Cros, il était
jaune, une carlingue d’aviron avec des pattes, tellement
évocateur d'aventure dans les îles lointaines. J'y suis.
Gilles et moi restons seuls sur le bateau, nous n'avons
que très peu d'argent, pas question de manger au
restaurant ou de faire des courses, seule la bière dans
les bars ou en boite est à consommer, il ne reste pas
grand chose comme vivres. Je trouve le lendemain des
miches de pain qui vont constituer l'essentiel pendant 15
jours jusqu'à un repas avec Robert au Pirée à son retour,
des souvlaki, ça faisait du bien de manger de la viande
chaude.
En attendant, il y a une boite au dessus du village, nous
y arrivons tôt et nous y accueillons deux Californiennes,
Ann et Jaclyn, je prend la « plate », Gilles la
plantureuse. Ann joue du piano, elle à une Datsun 280,
toutes les deux font leurs études à Pepperdine University
au nord de Los Angeles. Je m'imagine vivre avec elle en
Californie, ce qui me faisait tant rêver quand j’écoutais
la chanson de Julien Clerc étant enfant. Je verrai 9 ans
plus tard Pepperdine University à trois heures du matin
sur une colline, une dizaine d'heures après mon arrivée
sur le continent nord américain où je songerai avec
émotion que j'ai raté 9 ans de ma vie, que je me sens
Californien dans L’âme.
Le lendemain, nous les emmenons en croisière, elles n'ont
pas passé la nuit avec nous et nous partons tous les 4 au
mouillage sur la plage. Je reste avec Ann sur le bateau,
Gilles et Jaclyn reviennent, Gilles a failli se noyer en
prenant Jaclyn dans l'eau, sur la plage, il y avait trop
de merdes. Nous les quittons, pas trop satisfaites. Un
matin me promenant, je vois sur le quai le Honeymoon dont
je pensai que Jean Yves, le skipper qui avait ramené le
Choo Gun était sur le bateau, je l'appelle, Jean Pierre,
son propriétaire en ressort me disant que Jean Yves a
changé de métier. Je le remercie d'avoir fait passer ma
demande d'embarquement à Max. Une fin d’après midi, nous
amenons le bateau face à une terrasse où nous avons repéré
deux filles, une blonde et une châtain clair, bien, en
train de dîner. Je finis d'amarrer Lyster, Gilles est
parti converser, je le rejoins, Leonia, la blonde est
allumée, elle me plaît, sa copine est occupée par Gilles.
On convient de se voir ce soir pouraller à « Skipper ».
Nous filons boire une bière, où nous retrouvons deux
Suédois que nous avons hébergés la nuit dernière, l'un a
24 ans, l'autre 40 avec une jambe entaillée à la cuisse
par le couteau d'un Crétois qui voulait prendre le
portefeuille dans sa poche. Nous faisons également
connaissance d'une famille écossaise en vacances avec
trois garçons de 3, 5 et 7 ans, la Mummy, grande, brune,
30 ans me raccompagne au bateau, elle me dit de profiter
de la vie d'aventurier que je mène, elle pense s’être
mariée trop tôt. Je pense moi que j'aimerais avoir son
age, être dans la situation de son mari, calme, discret,
intelligent avec des moyens et une réussite sociale
accomplie. En arrivant au bateau, Leonia, cheveux lâches,
sweat shirt rose et jean moulant, déboule en faisant fuir
la Mummy britannique qui me laisse seul avec la jolie
Australienne. Vont se succéder alors les trois épisodes du
screwdriver, le renversé, le malheureux et le raté. Leonia
commande un screwdriver au rendez vous avec Gilles et Ann
où les deux Suédois sont toujours, et la famille partie,
le plus jeune a besoin de faire du bruit, remuer, cela
gonfle Leonia, me perturbe et me fait redescendre de mon
nuage sur lequel j’étais monté avec elle. Il renverse son
screwdriver.
Gilles et moi partons avec les filles laissant les deux
mecs retourner sur le bateau. Nous arrivons à « Skippers »
où Leonia a repéré un copain qu'elle appelle « Smily », il
ne sourit jamais, elle commande à nouveau un screwdriver,
moi une bière je ne me sens plus bien, la discussion
tourne rond, elle me parle de sa vie, à Melbourne, elle à
26 ans, elle est célibataire, professeur d'économie, pas
heureuse, elle ne finit pas son verre. Nous partons dans
la boite où nous avions rencontré Jaclyn et Ann, j'y avais
déjà aperçu Leonia. Elle commande une bière et pourtant je
n'ai plus envie de sortir avec elle, je ne la sens pas
bien, des problèmes, on repart à pied au bateau, elles ne
veulent pas venir sur le bateau à cause des Suédois. Elles
prennent un taxi, j'ai ]'impression d'avoir raté le coup
de ma vie, je suis désespéré et le lendemain matin, lève
tôt, je vais parcourir la colline en me demandant ce que
je dois faire et ce qui m'arrive, je préfère avoir une
fille comme Véronique dans la tête et loin qu'à côté de
moi et me posant des problèmes. Je veux vivre ma vie
d'aventurier et sentimental je crains de ne pas savoir
dire non et de m'engager sur une mauvaise voie. Je me
voyais déjà parti en Australie, vivant avec Leonia,
désertant la France, plus capable d'entrer à nouveau avec
un passeport français, ne répondant pas à mon obligation
du service militaire début août.
À onze heures, nous virons les Suédois
prétextant le grand nettoyage puis nous allons au bar face
à l'embarquement des Flying Dolphins, Leonia et Ann sont
là, Leonia a commandé un screwdriver, elles prennent une
photo de nous, Gilles marque son adresse au dos d'une
photo, l'hydroglisseur arrive, Leonia me dit de boire son
verre, elles s'en vont, nous sommes tous quatre fort
déçus. Nous n'avons pas eu le temps de leur dire que le
bateau était propre et vide. Nous passons l’après midi à
tourner dans le village, faisons office de bateau taxi
pour six touristes américains de l'Oklahoma. Au coucher du
soleil, je décide que nous partons à la recherche de
Leonia. Nous retrouverons Robert à l’aéroport à Athènes,
nous connaissons la date et l'heure de son arrivée. il y a
du vent, nous avons mis la stéréo à fond avec un bon
Jethro Tull « Aqual ung ». Nous arrivons à Egine en fin de
soirée, nous faisons tous les bars, sans succès. Nous nous
posons finalement au bar du « Retro » à côté de cinq
Grecs, trois hommes, Mihailis, Yannis et Costa et deux
femmes Georgia et Constanza. Georgia me dit qu'elle veut
faire l'amour toute la nuit. Ça me refroidit, Gilles passe
à l'attaque. Nous revenons tous les trois bourrés sur le
bateau trois heures plus tard.
Dans la journée du lendemain, mouillage dans une crique à
Moni, à couple du bateau de Mihailis, qui fait 8,50
mètres, je les sens trop « cul », quand ils viennent sur
Lyster partouzer, ça me gonfle, je le montre, ils
arrêtent. Costa me demande ce qu' il y a, je dis
simplement que ça me plaît pas. Il en déduit que je dois
être très sensible.
Ils partent vers le Pirée, nous partons aussi, sous spi,
eux avec le foc, nous longeons Salamine qui sonne si fort
dans ma tête comme la grande île de I'Antiquité grecque.
Une bonne vingtaine de navires de charge peuplent la baie
du Pirée, l'eau n'est pas très propre mais la ville est
peu brumeuse. Nous choisissons Microlimano pour amarrer le
Lyster en bout de digue à couple d'un bateau, la place est
gratuite. à Marina Zea, elle aurait été payante comme nous
ont prévenu nos copains grecs. Microlimano a pour autre
nom Turkolimano soit petit port ou port turc et nous
allons passer la semaine là. Gilles va régler notre
amarrage au port avec les autorités qui lui proposent
d’établir un commerce. Mihailis nous propose lui aussi de
transporter des vêtements indiens en bateau depuis la
France pour fournir son magasin. Je constate qu'il
n'existe pas de supermarchés, je saurai plus tard qu'une
des raisons est que l'usage des chèques est peu développé.
La Grèce en tout cas n'en est pas moins un pays de
commerçants. Un soir Mihailis vient avec trois copines, il
veut me guérir de ma maladie amoureuse. Cela pourrait
marcher, la plus jolie des trois, brune en robe courte
jaune, descend profitant de ce que je suis dans Ia cabine
et me roule un patain. C'est bon mais elles s’arrête là.
Nous partons ensuite dans un bar sur la corniche après
Marina Zea où se réunissent Mihailis et ses potes. On
passe la soirée avec un vendeur de Pernod Ricard qui nous
fait goûter son pastis nous expliquant que Pernod est
réservé aux marchés étrangers.
La semaine tire à sa fin, j'ai visité Athènes, Omonia, Ia
station de métro centrale depuis le Pirée, le marché de
Plaka avec l'or et les souvenirs au pied de l'Acropole
dans laquelle je ne suis pas rentré. Je n'y ressentais
absolument pas I'Antiquité comme en longeant les îles,
plongeant dans I'eau par temps calme pour rattraper les
assiettes avec lesquelles nous venions de terminer de
manger. Je ne voyais que des touristes du monde entier
bien réels et bien imprégnés de leur monde industrieux et
photographique. En revanche j'ai repéré à Plaka, une
agence de voyage reliant Milan en bus pour 500 FF
Robert est arrivé avec une copine, Barbara, il attend des
amis de Lyon, un couple, le Lyster va partir pour Zea sans
Gilles qui reste avec Georgia au Pirée jusqu'à ce que je
prenne le ferry à Tinos pour partir le 22 luin. À Zea, le
site est magnifique, nous grimpons dans le village sur la
colline prendre un ouzo, je redescend en courant mais avec
mes chaussures, me préparant ainsi à faire mes jogging,
mais pieds nus dans les Chasseurs Alpins.
En allant sur Tinos, nous croisons un navire de guerre
grec qui nous commande de passer au nord de l'Île, nous
obligeant à faire demi tour et finalement après les avoir
tous embrassés, Gilles est Ià, j'attend que l'on veuille
enlever la passerelle pour embarqueans le ferry. Je passe
la nuit à Microlimano dans le cockpit du bateau duquel
nous étions à couple et je suis au car à neuf heures. Le
car va mettre 50 heures pour arriver à Milan, stazione
Garibaldi, et j'ai changé cinq fois de place, chaque fois
à côté d'une fille différente. Il n'y a que des voyageurs
jeunes, tous anglophones, nous ne sommes que deux
Français, il y a six Grecs, dont un vit aux USA, des Néo
Zélandais, une Anglaise, des Américains. La population
dans laquelle je me sens bien. Mais j'en ai assez de
voyager, je veux me poser. Arrivé en train à Toulon depuis
Milan, je ne songe qu'à retrouver Véronique.
Fin juin, ce sont des fêtes et des voyages dans le Massif
Central et encore en bateau dans les îles d’Hyères qui
clôturent 16 mois de voyages où j'ai fait 40 000 kms dans
ma voiture, 10 000 en bus, 1000 en stop, 1000 en train
4000 milles en bateau, sans compter la marche à pied
permanente et le discours incessant dans ma tête où se
heurtaient le bon sens, le bien né et le vécu, j'ai
dépensé 25 000FF.
Chambéry
3 août 1983 au 27 juillet 1984
J'arrive pieds nus à Chambéry le 3
août 1983. Parti de Toulon avec ma convocation à Barby au
13 ème bataillon de Chasseurs Alpins mais je me sens déjà
en prison. 22H39 à Toulon, réveillé à 5H15 à
Chambéry mais sorti de la gare, j’évite le camion qui
attend les appelés et préfère continuer à agir comme un
voyageur. Je ne suis pas revenu à Chambéry depuis mon
enfance. Mais je ne suis pas en terre inconnue, c'est à
Chignin les Marches au hameau de Tormery que mon grand
père maternel est né et à Chambéry que ses quatre enfants
sont nés. Aimant Ia montagne, je pense du bien de la ville
mais je dois habituer ma vie de nomade à celle de
l’appelé. Je sais que j'y arriverai si je le dois.
Il pleut légèrement, je pars à pied, je parcours la ville
errant comme j'errais dans Bogotá à la recherche
d’opportunités économiques, je passe dans le centre ville,
la banque de Savoie. Je suis capable de repérer les Quatre
sans cul, le monument de quatre éléphants dont on ne voit
que la trompe. Je passe ensuite prés de la place de
l'Horloge où un pub annonce 80 marques de bière, ce qui
m'enchante. Je trouve un plan de la ville sur un abribus
et je sais que Barby est au nord, me repérant malgré le
mauvais temps, je passe à la Ravoire où je sais avoir de
la famille. Le lieu m'est familier. Puis je continue vers
Challes les Eaux où le calme me séduit, de grands arbres,
des prés, une moyenne montagne. à le Ravoire, je vois une
fabrique de pâtes mais je ne trouve pas suffisamment de
raisons économiques dans la région. Sorti de Challes vers
l'ouest, je longe les grilles de la caserne, je comprends
mieux la région et je parcours les grilles desquelles je
ferai bon nombre de footings. Mes chaussures me font mal,
je n'ai quasiment pas mis de chaussures pendant 16 mois,
je les enlève quand je présente ma convocation, on me
laisse quand même rentrer.
Mon objectif avoué est de me faire réformer, je n'ai pas
dormi pendant les deux nuits dernières, je suis pieds nus,
je n'ai plus faim mais je ne sais pas quoi faire de ma
vie. Je songe à Leonia avec qui j'aurais pu vivre à
Melbourne mais aurais été interdit de séjour en France car
considéré comme déserteur. Tous les autres sont arrivés
avec des têtes vraiment tristes. Je suis abruti par ces
grilles que j'ai longées et personne ne parle. On nous
donne un paquetage et on nous fait enfiler des
survêtements bleus, nous sommes des « bleus bites ».
Cheveux coupés, photo d’identité, puis le self service où
je préfère rester à l’extérieur. Je ne mangerai pas
pendant sept jours, sans même avoir faim. C'est une grève
de la faim. Dans nos chambres par 6, très propres, nous
restons tous sur nos lits à attendre que cela se passe.
Le troisième jour de l'incorporation
arrive, il fait beau, on nous demande de courir 12
minutes. Nous sommes un groupe d'une trentaine. En short,
T shirt et chaussures de sport, nous faisons le tour de la
piste d’athlétisme. J'ai le ventre vide et I'esprit serré.
Je sens le besoin de courir en laissant chaussures et
Tshirt et ne gardant que le short, je fais le meilleur
temps sans forcer 3.300 mètres. Je me sentais bien, libre,
oubliant le carcan que l'on nous impose.
Sur ce coup là, j'ai tout raté, les officiers et les sous
officiers en parlent, je ne suis pas une mauvaise recrue.
On m'interroge sur mon passé. J'explique mon voyage, je
deviens populaire. Je réaliserai plus tard que je rate une
autre façon de me faire réformer, ne pas supporter les
rangers. Le quatrième et le cinquième jour, elles ne me
font pas mal. Le sixième jour, je me suis fait des
copains. Je me sens retourner à I'école de garçons que
tout compte fait j’appréciais. Le septième jour je vais
manger. Le service militaire va m'occuper et me donner du
temps de réfléchir à mon avenir loin de Toulon. Je m'y
ferai. Le voyage que je vais effectuer consiste à évoluer
dans le monde des adultes actifs, ponctué de voyages en
train. Mes objectifs personnels sont : parler arabe
couramment et trouver une activité quotidienne au bout
d'un an. Je fais la demande une fois arrivé dans la
compagnie où je suis affecté au capitaine, d’avoir une
salle où je pourrai m'isoler pour apprendre l'arabe. Il me
l'accorde sans réticence aucune. Je ne sais pas s'il avait
bien compris le but de ma requête mais il sentait que j'y
tenais. Je renonce d’ailleurs à poursuivre au bout d'un
mois mais j'ai acquis l'alphabet.
Les voyages Toulon-Chambéry toutes les deux semaines
l7Hl5/22H42 et 22H39/05Hl5 sont mes seuls déplacements
réguliers jusqu'à Noël à Toulon pendant les
permissions, je retrouve ma voiture, Véronique, ma
famille, mes amis et un certain confort dû à la régularité
de mes occupations. Au mois de janvier, je décide que
Véronique et moi passerons un week-end à Paris pour le
salon nautique. La semaine fut difficile, j'ai passé deux
jours couchés, mon mental n'ayant pas eu le courage de se
lever pour suivre les activités militaires. Connaissant
mon passé sans doute, on me laisse tranquille, considérant
que je suis différent bien que n'ayant aucun handicap
physique, en tout cas, c'est ce que je me dis. Le jeudi,
je suis parti à Albertville pour l'enterrement d'un grand
oncle, prêtre et Assomptionniste, où je rencontre les
membres de ma famille savoyarde, ce qui me remonte le
moral. Et le vendredi, je ne redescends pas en train à
Toulon, mais je vais directement à Paris avec trois
copains de ma section avec qui je n'avais pas encore eu le
temps de voyager. La porte du TGV Chambéry-Paris s'ouvre
et Véronique m'attend, le samedi, nous nous disputons dans
Paris, comme dans chaque voyage que nous faisons.
Cette fille n'est vraiment pas faite pour moi ! Mais le
souvenir des six mois passés ensemble dans nos 19ème et
18ème année, éperdument amoureux et heureux, me raccroche
à elle, la séparation due à la traversée de l'Atlantique a
tout de même vu notre relation continuer. Nous continuons
à laisser la vie de l'un entacher celle de l'autre. La
voie royale que je me suis fixée d'un amour, une vie, me
paraît un challenge intéressant même s'il est plein de
complications qui me paraissent normales.
Le lundi, nous voyons Gilles avec qui nous partons au
salon nautique et la vocation de l'entreprise de la mer
prend naissance ce jour. Au stand Cegemer, je demande les
possibilités de financement d'un First 456 qui vaut un
million de francs. On me répond sur 12 ans 14.000 francs
par mois sans apport initial. Je me mets donc ce jour à
étudier les possibilités de remboursement en créant une
activité sur le bateau, moi et Véronique en tant
qu’équipage. Le bateau me plaît, la vie de voyage aussi.
Je suis parti du postulat que l'on me donnerait cet argent
si j'en prouvais le remboursement sur une présentation de
rentabilisation de l'outil. Je rentre illuminé d'une foi
nouvelle à Chambéry pour arriver fin juillet et savoir ce
que je deviendrai. J'ai cependant l'envie de naviguer ou
de faire naviguer qui ne vont pas de pair pour mon confort
personnel d'image et le conflit dure encore en.moi. Partir
ou faire partir ? Faire partir est un exutoire de partir
mais il me convient, s'il y a une compensation financière.
Au mois de juin, je bénéficie de 2000kms de train gratuit,
je décide de les utiliser pour partir découvrir la
Normandie et la Bretagne nord pour me rendre compte de
l’état du marché du bateau en Atlantique en comparaison
avec la Méditerranée. Arrivé à paris, je me dirige vers la
gare Montparnasse, le train a pour terminus Deauville,
c'est mon premier voyage dans cette région et j'assimile
tout de suite Deauville à Cannes, des villes de
villégiature riches. Je suis toujours à l'affût des
connaissances des marchés. Un an plus tard, j'analyserai
la création de mon entreprise comme la création de
marchés. Reconnaître un marché, c'est savoir identifier
des actifs inutilisés, des acteurs détenteurs d'un savoir
faire et des individus désireux de profiter de ce savoir
faire. En I'occurrence pour Cap de bleu, que je nomme tel
quel, c'est parce que c'est ma couleur préférée comme les
multiples bleus de la mer, suite à la lecture d'un livre
d'aventures maritimes dans l'Atlantique dont le titre est
« Prisonniers de l'horizon » et après avoir vu un bateau
sur le port d'Hyères s'appelant cap de vert alors que
j’hésitai à appeler l'entreprise cap bleu qui
phonétiquement sonnait trop comme câble qui n'a rien à
voir avec électricité ni le téléphone même si ce dernier
est fort utilisé dans Cap de bleu.
De Deauville, je pars en stop vers Granville qui marche
facilement, il fait beau et les routes sont calmes
contrairement à l’épaisseur chaude du Venezuela. Je
transporte mon sac équatorien sur l’épaule. À Granville,
j'admire la falaise, la plage et le port où je constate
que les bateaux sont légèrement plus grands qu'en
Méditerranée, mais le port n'est pas aussi grand que ce
que je l'imaginais. Ma nuit d'hôtel à 50FF me réjouit
devant encore une fois un hôtelier qui à l'air étonné de
me voir, je ne sais pas si mon impression est celle d'un
paranoïaque ou non mais j'ai tendance à accorder une
importance à mon passage sur tel ou tel site. Je pense
être un catalyseur d’événements et plus encore de destins
bouleversés par mon inconscience. Mon intégrité me parait
être celle d'un simple d'esprit avec la :franchise d'un
enfant qui traverse « son » monde avec l’honnêteté
intellectuelle et la bienveillance d'un saint.
Au matin, je repars en stop avec pour but en fin de
journée Tinchebray où j'avais un copain dégagé des
obligations militaires depuis trois semaines que
j’appréciai pour son attitude généralement désintéressé de
la réussite sociale dont le père est dirigeant d'une
entreprise de menuiserie. Nous sommes tous les deux des
fils d'entreprise familiale. Je ne fais que traverser Caen
et arrive en fin de journée chez Marc Henri qui me confie
avoir pensé à moi sur les routes aujourd'hui avec mon
grand sac. L'ambiance familiale est calme, la maison est
grande et ancienne. L'usine est attenante au parc de la
maison. La pelouse du parc que Marc Henri tondait à
mon arrivée complète la quiétude du site au début de l'été
en Normandie. Un Américain du Colorado séjourne dans la
maison en tant que jeune étudiant apprenant le français,
il parle de son père qui vient d'avoir 50 ans et se sent
plus jeune que jamais continuant à jouer au tennis et à
battre ses adversaires. Le repas en compagnie de toute la
famille tourne autour de mon voyage l’année dernière. Le
lendemain Marc Henri m'explique que l'entreprise familiale
va mal, deux gros clients sous traitent maintenant leur
fabrication en Corée, que ses parents sont autant sa mère
que son père impliqués dans la direction des affaires et
que j'aurai dû parlé de l'entreprise de mon père.
Marc Henri en me voyant arriver la veille pensait me
suivre dans mes pérégrinations jusqu’à Chausey, qu'il
connaît et apprécie, mais il me laisse sur le bord de la
route à la sortie du village en me souhaitant bonne chance
car son destin n'est pas encore celui d'un voyageur.
J’achète un paquet de chocolats pour qu'il l'offre à sa
mère de ma part. Je continue mon itinéraire vers le
retour, Flers, Paris, Toulon. À Paris, je passe voir
Gilles que je trouve avec Cathy, sa « copine ». Ils vivent
dans une chambre de bonne. Ils ne vont pas bien, défoncés
sans doute, je mange de bon appétit une grande quantité de
riz après mon voyage de quatre jours où le seul repas
avait été le gratin dauphinois chez Marc Henri. Je parle à
Gilles de l’évolution de projet d'achat de bateau pour le
rentabiliser mais ça ne l’intéresse pas tellement.
Le lendemain, je fais le tour des agences de voyages
spécialisés bateau, Atlantis, Europ Yachting en essayant
de comprendre le fonctionnement de telles agences, je
propose à Atlantis de lui apporter des bateaux qu'il
louera et m'utilisera comme skipper, Europ Yachting a
tracé des itinéraires sur des sites. J'apprends surtout
qu'il n'est pas nécessaire d'avoir un bureau à Paris pour
rentabiliser un bateau en croisière ou en location ni sur
la côte près d'un port puisque ces agences gagnent leurs
clients par des annonces et des publicités dans les
journaux et revues nautiques. Je décide alors de trouver
une autre commercialisation que les revues.
Ce mois de juin est la fin du service militaire à
Chambéry, de mon année d'attente pour démarrer une vie que
je vais embrasser à fond. Au début du mois, je faisais la
Porquerolle's Cup sur le Nina avec Max où nous arrivions
premier sur l'option de l’île vers l'Est au départ et que
nous faisions sous spi au sud de l’île. Je me sens devenir
un professionnel de la mer avec les connaissances de base
minimales du marché et l’expérience d'un navigateur. De
plus je me sens stabilisé avec ma famille et Véronique. Je
rentre le 27 juillet à Toulon dans la maison de mes
parents. J'ai à la sortie des grilles du quartier
l'impression qu'un couvercle s'ouvre dans ma tête pour
laisser laisser cours à l’activité de mon cerveau.
Mallorca
25 décembre 1984 au 31 décembre 1984
Bel et bien sorti de la coupe de
cheveux du chasseur alpin, je me retrouve libre, sûr de
mes projets et je me lance dans l'aventure de la création
d'entreprise avec 1200FF d'allocation chômage mensuel. Je
navigue entre l'échec et la réussite à partir de cette
époque. L’échec étant comme une épée de Damocles
perpétuellement accrochée sur mon avenir, la réussite je
ne la devrai qu'à force de persuasion et d'aptitude à agir
quel que soit le sentiment qui envahit mon esprit de
doute, craintes ou appréhension. Les actions que je mène
vis à vis de l'administration commerciale, fiscale,
juridique ou sociale sont le seul fruit de connaître ce
que ne connaît pas le sens commun contre lequel je dois me
battre puisqu'il ne coïncide pas avec les informations et
solutions que je parviens à trouver.
Le fait de créer une entreprise sans argent, de domicilier
le siège social dans mon appartement, avoir une flotte de
bateaux qui ne m'appartient pas mais dont je suis
seulement gestionnaire, déroute mes interlocuteurs
familiaux, amicaux et locaux. Je me sens toujours plus
seul tous les jours dans mon combat pour arriver à gagner
quelques clients qui me semblent nombreux en termes
de marché.
Avoir vingt trois ans et créer ma propre entreprise dans
un milieu où les salaires sont élevés et gagner
naturellement par la distinction sociale dont je me suis
senti exclu par mon échec étudiant, est un challenge
personnel et non pas dans le mouvement de mode. Cependant
ma nature me pousse à me faire violence tous les matins
pour rendre ou téléphoner à l'un ou l'autre afin d'obtenir
les réponses aux problèmes que je me pose. Chaque
interlocuteur suffisamment à l'écoute de mon discours me
donne une réponse partielle du problème. Quelques jours
avant Noël, Jean Luc que je vois tous les jours qui veut
traverser l’Atlantique cette année, cherche des bateaux et
a une proposition d'embarquement entre le 25 décembre et
le premier janvier, il m'appelle ainsi que Thierry pour
partir avec lui à Mallorca et ramener un bateau de 11
mètres sur Toulon. C'est un sistership du Prétorien, du
chantier Wauquiez de Lille.
Donc, le jour de Noël, nous partons à
11 heures en train vers Barcelone, nous retrouvons Thierry
qui vient de Nice et nous sommes partis à l'aventure. Nous
dormons dans l’aéroport pour attendre le vol du matin sur
Mallorca, comme il y a deux ans, de superbes filles
blondes embarquent dans l'avion. Je saisis alors que faire
du bateau passe par un vol qui permet de se sentir
ailleurs. il y a du soleil au dessus des nuages mais en
descendant sur Palma, il pleut. Nous trouvons bien le Max
au Real Club Nautico de Palma mais pas son propriétaire.
Gênant, nous déposons nos sacs au salon du restaurant,
lequel restera gravé dans ma mémoire comme un des
objectifs de Cap de Bleu, la promotion de clubs nautiques
identiques à celui de Palma. J'en rêverai notamment deux
ans plus tard. En attendant, je suis bien réaliste et nous
n'avons que peu d'argent pour payer l'hôtel, le club nous
accepte pour dormir dans le salon. Merci !
Le lendemain matin, il arrive avec un jeune de notre age,
nous invite au restaurant à midi, il ne cesse de prendre
la météo, il a raison, on annonce force 10 sur le golfe du
Lion. il nous apprend que le moteur est en panne, ça va
pas être facile.
Nous partons, mer calme, arrivons à Puerto Andratx, où je
suis obligé de plonger sans combinaison pour libérer une
chaîne sous la quille dans la manœuvre de mouillage. Ça
commence mal ! Nous repartons à la tombée de la nuit, le
vent se lève, nous prenons deux ris, la grand voile se
déchire, il ne nous reste que le foc 1, il m'envoie à
l'avant endrayer le foc 2, il vire de bord et je me
rattrape in extremis au bastingage. Là, je crois enfin
qu'il faut arrêter les conneries, Jean Luc vient de gerber
sur « ses écoutes» de foc, Thierry a bouché l'évier, donc
je lui fais obtempérer demi tour vers Puerto Soller qui
est un formidable abri protégé par des falaises à
l’entrée, je respire une fois notre ancre mouillée. Au
matin Jean Luc, Thierry et moi allons boire un café au
village et Jean Luc prend la décision pour nous, nous
rentrons en avion, dehors le vent souffle à 50 nœuds. Nous
prenons nos affaires sous l’étonnement du propriétaire, un
bus nous emmène à Palma. Et c'est ainsi que se termina
1984 avec une aventure maritime aux Baléares et un
réveillon à Toulon bien au chaud.
Voyage du froid 2 août
1986 au 15 février 1987
J'avance dans la création mais un jour
de printemps alors que l'entreprise existe depuis un an et
que mon aptitude à me battre contre le sens commun pour
préserver le petit monde que j'ai créé entre quelques
bateaux, un numéro de téléphone, quelques copains, je
décide de stopper le combat. J'ai ]'impression d'avoir
trop donné de moi même pour ce qui ne me satisfait pas
complètement et fort d'une bonne année de travail, je
décide de voir plus grand et plus proche de moi. La
compagnie d'organisation de croisières sur voilier dont
l'objet est : location de voiliers avec skipper ne comble
ni mon existence, ni mon entourage conjugal, familial et
amical. La passion que je mettais, rage comprise, est un
échec et je ferme le robinet d'argent que représentait Cap
de bleu à Véronique.
Au mois de juin, il y a une naissance dans ma famille, je
sais que je ne veux pas avoir d'enfants avec Véronique et
le 2 août, six ans et demi jour pour jour après le premier
baiser, nous nous séparons, je lui ai rendu la vie
impossible, elle veut partir. Je peux dire alors que je
sombre dans la folie, aucune survie n'étant recherchée par
moi même, c'est la destruction à petit feu. Je suis devenu
schizophrène actif, la réalité de la survie ne comptant
plus, seules mes pulsions intellectuelles comptent, mon
cerveau ne cesse de travailler et Ia phase d'euphorie de
liberté conjugale me permet de voir toujours plus grand.
Le voyage que je vais effectuer sera aussi désastreux que
la campagne de Russie pour Napoléon. L'hiver va éprouver
mes résistances physiques dans le froid, la faim, la soif,
le manque de sommeil. Je dérègle tous mes rythmes
biologiques et mon objectif devient sortir de la spirale
de l'argent gagné et dépensé. Je cherche à vivre avec un
pécule qui me remettra sur le chemin de la conquête de
l'argent par les moyens de Cap de bleu, entreprise de
location de voiliers avec skipper. Je cherche également à
supprimer les relations sexuelles dans lesquelles Éros
(plaisir) et Thanatos (mort) sont étroitement liés.
L'instinct de mort contenu dans l'amour et le sommeil à
mon sens est à éviter dans ma recherche spirituelle,
intellectuelle, de la création du grand Cap de bleu ou
plutôt le monde de Cap de bleu, issu de la mer que je vois
beau devant l’Éternel.
Le 31 octobre, ayant pris l'habitude de marcher quatre à
cinq heures par jour afin de faire progresser ma démarche
pour la construction de ce monde, je me retrouve contraint
à déménager de l'appartement de la rupture avec Véronique.
Je vend mon répondeur téléphonique, je rend le Macintosh à
mon père, je jette la plupart des documents de Cap de
bleu, je vend les étagères, cela fait déjà deux mois que
je dors par terre cherchant toujours un endroit où me
réfugier pour trouver le calme dans mon cerveau qui vit
une tempête. Je guette les allées et venues d'une femme
médecin qui me plaît mais je vois en elle à la fois
allègement de mes souffrances et la femme qui me
torturera. Ma misogynie est complète mais je recherche à
tout prix Ia présence de « la » femme. Véronique, bien que
m'aimant a préféré me laisser seul dans la conquête de la
folie, il valait mieux pour elle, je ne l'aimais pas pour
ce qu'elle était. Je me retrouve donc le premier novembre
sur le Lyster, le voilier que m'avait confié Robert depuis
deux ans et je l’équipe de la chaîne hi-fi et de mes
disques ne comptant pas partir en mer avec, mais seulement
loger dessus pour trouver le répit. Le Lyster est
sur le port d'Hyères à 20 kms de Toulon. Vont alors
commencer pendant un peu plus de deux mois, des allées et
venues quotidiennes entre Hyères et Toulon. Mes
sempiternelles obsessions étant de m'être arraché de
l'appartement où je vivais avec Véronique depuis deux ans,
mon ex-voisine médecin, Cap de bleu par le biais du
Macintosh que j'utilise la nuit dans les bureaux de la
société de mon père où je trouve un peu de chaleur.
Sur cet ordinateur, je construis un réseau, une
organisation pour permettre de voir le jour à un système
de croisières ou d’expéditions avec des voiliers dont je
ne sais s'ils doivent être rassemblés par moi même ou par
un investisseur potentiel, avec des skippers ou des
équipiers dont je ne sais comment les mettre en contact,
j'écris et modifie chaque jour un règlement du club de Cap
de bleu que j'appelle consortium, inspiré par les
consortiums décrits dans la « Condition humaine » de
Malraux à Shanghai. J’évalue le nombre de clubs à 400 puis
à 10 000, un tous les 10 kms de côté, les côtes de Ia
Chine apparaissent toujours dans ma tête parce que
j'évalue leur importance également par rapport à la
densité de population. Dans mon consortium, je cherche à
faire circuler les individus par auto-start, un système
qui permet de faire des rencontres grâce aux voitures, les
conducteurs emmenant des auto-starters par le seul fait de
demander aux intersections la possibilité d’être emmené
sur un chemin commun. Mais toutes ces inventions n'ont pas
de prise sur Ia réalité toulonnaise ou française
puisqu’elles ne sont partagées que par moi même. Je n'en
reçois à leur explication à autrui que des
incompréhensions qui me font mal. L'objectif de la
création du consortium de Cap de bleu a finalement un
double objectif : développement et communication.
La communication grâce aux bateaux et aux voitures, moyens
de déplacement dans lesquels on est contraint de
communiquer ou de vivre ensemble sans pour autant être de
la même famille ou du même milieu social, tout au moins
partager un bout de chemin ensemble qui force à l’échange
verbal. Le développement, basé sur le constat que si l'on
veut naviguer dans des endroits au soleil, où les
conditions sont bonnes à peu près toute l'année tant en ce
qui concerne la température de l'eau baignable ou le vent
pour avancer sans chavirer ou autres dégâts, sont dans le
tiers monde, le Sud, et ceux qui ont les moyens de
naviguer sont dans les pays industriels. De plus le bateau
est un moyen de découvrir des pays par la mer et de
bénéficier d'un regard, le sien et celui des autres sur
soi-même, autre que celui du touriste de passage. Le
regard neuf que propose le système sur le monde donne une
finalité autre que celle de la navigation à la voile pour
la voile. Cela est un esprit pionnier qui donne l'élan de
la mer vers une autre terre. Cette recherche de
l'idéologie de Cap de bleu, je l'ai effectuée de jour
comme de nuit, en marchant des heures durant.
Début janvier, je n'ai plus de voiture, pas de vélo non
plus et j'effectue neuf heures de marche sous un doux
soleil d'hiver entre Hyères et Toulon, imaginant que je
pourrais être en Inde, à parcourir le pays en quête de moi
même comme Apu dans le film de Satyajit Ray : « le monde
d'Apu ». Je rencontre sur le chemin un chien, un berger
allemand qui perdu comme moi me suivra pendant deux jours.
Je l’amène finalement au chenil de Toulon. La marche à
pied pendant l'hiver me stimule, toujours vêtu d'un T
shirt et d'un pull, quoi qu'il arrive pour la progression
de mes idées. Je ne me rend pas compte alors de l’émoi que
je crée dans la famille qui me voit errer. Je rencontre de
temps à autre un copain, un membre de la famille, mais mes
propos n'engagent pas à poursuivre la conversation. Un
copain qui vit à Berlin m'en dit du bien, je suis prêt à
partir là bas, il en est surpris. Une de mes tantes que je
croise me demande comment je vais, je lui dis qu'il faut
souffrir pour vivre bien, elle me rétorque au contraire
que ma cousine qui vient d'accoucher a tout fait pour que
son accouchement se fasse sans douleur.
Un soir où je suis avec mon père en voiture, nous parlons
de sécurité au volant, je lui dis que cela n'a pas
d'importance, il me rétorque le contraire. En fait je me
suis aperçu que ce monde dans lequel nous vivons a exclu
le risque mais qu'il a exclu les pulsions basiques de
l'homme. Être homme n'est qu'un statut social dans une
société qui prend en charge cet homme, économique avant
tout.
La création de Cap de bleu m'a fait prendre conscience de
l'illusion que la plupart ont de la vie sociale, non
confrontés aux éléments, à la misère qui règne sur les
trois quarts de la planète dont on se dit protégés par les
frontières que cela ne nous concerne pas. Bullshit ! Seuls
règnent l'argent et le sexe, excluant l'amour, la
solidarité pour préserver des bien être matériels acquis
pour un grand nombre par le travail. Mais ce travail
élastique et l’idée qui a conçu cette société n'a plus de
travail à donner à tous et le travail s'est réduit comme
une peau de chagrin. Il est nécessaire de créer une idée
avec des projets, des travaux, des valeurs pour une
génération qui veut voir vivre ses enfants et sa planète.
Cette idée, je la propose dans Cap de bleu.
Dans ma démarche de suppression de l'argent, que je vis
dans mes entrailles, je veux créer un nouveau monde
passant par la création d'une nouvelle entreprise. Je
n'imagine pas non plus que ma femme ne soit une autre
qu'une « première femme » d'un nouveau monde, qu'elle soit
héritière ou non, je veux qu'elle puisse compter sur moi
et non pas moi sur elle comme je l'avais un peu fait avec
Véronique. Un matin sur le bateau, il fait très froid et
la cabine n'a plus de visibilité, il y a de la neige sur
le panneau. Heureusement, j'ai deux sacs de couchage. La
veille, j’étais sorti en mer avec un copain et un vent de
50-60 nœuds s’était levé sur la rade de Hyères, des pluies
d'eau de mer soulevées par le vent s'abattaient sur le
bateau, nous avions réussi à rentrer au port.
Ce matin, j'ai la Renault 4 de ma mère, je lui ramène et
je commence à songer à partir du bateau vers les Deux
Alpes par le train Vintimille-Genève de 22H39 de Toulon où
Gilles et Cathy habitent et m'ont présenté une jolie Maman
célibataire le premier janvier. J’étais alors parti en
voiture manquant me tuer dans pas mal de virages de
montagne, ou ensuite sur les pistes par un temps couvert
avec de la neige, fondue dans les basses altitudes.
Souvent mon contact avec la neige dans les chutes me donne
le goût de la réalité que j'ai perdu dans mon désir
d'aller toujours plus loin dans la recherche de l'avenir
que je trouve seulement spirituellement. Robert vient me
voir pour me dire qu'il vend le Lyster et qu'il va acheter
un autre bateau, le bateau est sale, il m'engueule à
raison et je quitte donc le Lyster pour venir chez mes
parents ne sachant plus où aller.
Deux jours plus tard, je suis en train de scier du bois
comme un forcené après une discussion avec ma mère et un
médecin vient me demander comment cela va. Je ne comprend
pas, j’arrête le bois. Le samedi après midi, je vais en
ville et suis obligé d'enlever mes chaussures car je me
tord les pieds à chaque pas bien involontairement, je me
sens libre pieds nus, ça va mieux. Mon père me propose
d'aller au cinéma voir Crocodile Dundee, j'apprécie
beaucoup le film pour le contraste entre la simplicité
forte du héros dans le monde emprunté du travail de New
York. Mon père me dit que je serai bien le Crocodile
Dundee toulonnais. Le soir, je ne peux m'endormir ailleurs
que dans le jardin avec des étirements terribles dans les
membres et des hallucinations.
Lundi après midi, je suis fou de rage et m'engueule avec
mes parents, un autre médecin vient me voir, je fais mon
sac rapidement et je file vers la ville pour prendre le
train. Je vois une camionnette de pompiers arriver. Le
médecin me rejoint en voiture et me dit que les pompiers
sont pour moi. Mes parents devaient être très inquiets et
complètement désemparés, j'avais passé plusieurs nuits
dans le salon à regarder la TV et à boire du café en m'en
allant le matin pour dormir sur le bateau.
Voyage d'hiver en train (InterRail) à travers l'Europe,
plus de 10 000 kms
Toulon--->Grenoble et les
Deux-Alpes--->Chambéry--->Milan--->Trieste--->Belgrade--->Sarajevo--->Thessalonique-->
Athènes--->Patras--->Brindisi--->Milan--->Vérone--->Wien--->Hambourg--->Frederikshaven--->Göteborg-->Stockholm--->
Turku--->Helsinki--->Copenhague
(Kobenhaven)--->Utrecht--->Amsterdam--->Milan--->Toulon--->Genève--->Toulon
Le médecin me laisse dans une rue et
je rejoins le port à pied avec mon grand sac équatorien.
J'attends le soir 22H39, je suis soulagé de partir. Il
fait froid dehors, mais je suis en voyage avec 4000FF qui
me restent. Les quatre mois précédents, j'ai dépensé tout
l'argent dans l'essence entre Toulon et Hyères.
Maintenant, je suis à pied, je prend le train mais pas le
bus en ville, je veux pouvoir errer dans d'autres villes.
En quittant Toulon, je prend un billet pour Grenoble où
j'arrive à 4H05, il fait un froid de canard, chargé de mon
sac, je sors de la gare pour trouver un endroit plus
chaud, un bar est ouvert à 15 minutes de marche, une
dizaine de personnes y finissent leur soirée, ils se
marrent, moi je suis seul et j'attends 8H30 quand le car
du VFD m’emmènera aux Deux Alpes.
L' attente est longue, la nuit est noire, quand à 6
heures, je ressors du bar, je vais au café de la gare où
un juke box de vidéoclips est installé. L'image et le son
ont pour moi un effet lénifiant, je me sens branché sur la
même longueur d'onde, la stimulation de l'imagination
procurée par le rock associé à l'image est doublée. Mon
cerveau se met à courir sur mes sujets favoris, Cap de
bleu et une femme que je n'atteindrai jamais.
A 8H30, le bus part, le soleil se découvre de temps à
autre des nuages, de jeunes Grenoblois partent skier, moi,
je ne sais pas où je pars. Gilles et Cathy sont là, ils
travaillent, je n'ai pas ma place là bas. Je redescend à
Grenoble après avoir demandé dans une agence de voyages
des Deux Alpes quel était le prix d'un billet Inter Rail
pour voyager en Europe en train, 1450FF avec les liaisons
en bateau comprises entre la Grèce et l'Italie, la
Scandinavie, toutes les liaisons ferroviaires gratuites
sauf 50% du prix dans le pays d'achat du billet, et cela
valable un mois.
C'est l'hiver, il n'y aura personne dans les trains, seuls
quelques voyageurs isolés et aventuriers. Je reprends le
train pour Chambéry où je vais passer la nuit chez une
cousine de ma mère, Mado et Fabien son deuxième fils sont
là, je me sens bien, j'ai l'impression d’être écouté et
compris par quelqu'un qui se donne vraiment du mal dans
son métier d'institutrice. Je ne supporte pas en fait que
l'on ne se donne pas autant de mal que ce que je m'en
donne moi pour faire ce que j'ai à faire. Comment se fait
il que j'ai besoin de me martyriser à ce point ? Peut être
parce que je crois trop à ce que je m'invente.
Le lendemain, nous partons chercher Laurent, son fils ainé
et ses copains à la Plagne, je me sens reposé après la
bonne nuit passée sur le lit superposé dans la couette
chaude, après un gratin de Lasagnes. Nous arrivons un peu
après midi et Laurent qui ne veut pas faire de ski me
prête skis et chaussures. Je dévale les pentes à une
vitesse imprudente et je chute pour avoir à nouveau un
contact plus vrai avec la réalité. À la fin de la journée,
nous redescendons avec Laurent et ses copains dans le
break Sierra. Je parle de mes clubs nautiques, cela
intéresse un copain de Laurent qui veut faire HEC et des
affaires ensuite, je me rend compte que tous ne
comprennent pas.
Mado me raccompagne à la gare, il y a un train qui part
pour Turin, je le prend. à la frontière italienne, on
contrôle mon identité, mon passeport français bleu que
j'avais en Amérique du Sud m'ouvre la frontière, il a
encore six mois de validité. Un Autrichien de 20 ans,
Peter partage le compartiment avec moi, puis une jeune
italienne de 24 ans, elle me plaît et elle est seule,
comme moi. Elle me propose de m'arrêter à Turin, me
sentant libre comme l'air, je continue quand même. Ce
voyage européen est la période où j'aurais raté le plus
grand nombre d'occasions de m' arrêter et de me poser avec
une étrangère. Ce qui est en soit le but que je me suis
fixé avec les femmes, une étrangère ailleurs.
A Milan, je ne m'arrête pas, je veux aller jusqu' à
Athènes, une ville où le coût de la vie est bas, la bière
bonne et peu coûteuse et où beaucoup de jeunes
Américaines, Australiennes, séjournent toute l’année. À
Trieste, je vais m'offrir un cappuccino et je me promène
dans les jolis quartiers résidentiels de la ville, je
m'imagine y vivre. Dans le compartiment qui m’emmène de
Trieste à Belgrade, je suis avec deux vieux Turcs dont un
travaillait aux chantiers navals de la Seyne sur mer, je
suis en pays de connaissance mais il ne comprend rien à ce
que je lui raconte. Je décris à peine ma vie, le fait que
je ne sais plus où habiter, je lui demande comment compter
en turc, il a du mal à m'expliquer. Il partage avec moi
son pique nique. Un jeune Turc s'assied dans notre
compartiment. Il revient d'Allemagne où il n'a pas réussi
à s'installer. La migration est le sujet principal de la
conversation. À Belgrade, je les laisse même si je prend
le même train, nous n'avons pas la même manière d'aborder
le même sujet.
Je sors de la gare où le trafic est important, les Serbes
sont grands, c'est l’hiver, beaucoup se promènent avec des
skis. Je change quelques francs contre quelques dinars
pour manger un bout. À minuit un train part pour
Thessalonique, la grande ville du nord de la Grèce, je le
prend et je songe tout de suite à dormir, le train est
bondé de Serbes, de Croates, de Bosniaques musulmans ou
serbes, je m'installe dans le couloir de tout mon long
dans mon sac mais on me file des coups de pied en passant
à côté de moi alors je me lève et m'installe dans un
compartiment. En face de moi, un Croate habillé dans un
pantalon de cuir, il parle anglais et joue dans un groupe
de rock, à côté de lui, deux Bosniaques musulmans et
en face d'eux, un Bosniaque serbe. Une longue discussion
commence, on me dit que le pays va mal, qu'il existe de
multiples races qui s'entendent et vivent à côté
mais que le système est pourri. Mon voisin d'en face est
positif, il considère le pays comme aussi riche qu'un pays
de la CEE, en tout cas en ce qui concerne le nombre de
voitures et de confort. Le pessimiste est le musulman qui
veut me présenter ses sœurs, il dit qu'en famille, c'est
la fête. Finalement après Sarajevo, je me retrouve seul
avec le Serbe bosniaque qui partage son pique nique avec
moi. Les dernières heures, en parcourant la Grèce, il fait
beau et doux, je sens de bonnes ondes, j'ai appris quelque
chose la nuit passée.
À la sortie de la gare de Thessalonique en milieu d'après
midi, je pose mon sac à la consigne et je pars dans la
ville parcourir la longue promenade sur la mer en
ressassant mes deux sujets favoris : Cap de bleu et « la
femme ». En revenant vers la gare, je contemple les «
trapeza », banque en grec, je croise une jolie fille
sortie d'une revue de mode à un kiosque à journaux, je me
demande ce qu'elle fiche là, elle à l'air d'hésiter. Le
train pour Athènes part en fin de soirée, je récupère mon
sac à la consigne et inscrit de nouveau mon itinéraire
Thessalonique Athènes sur mon carnet interrail. La nuit
sera calme, je dors dans le couloir, avant de quitter
Thessalonique, j'avais dîné d'un hamburger dans un fast
food, ravi d'en trouver un en Grèce. Le fast food est le
restaurant le moins cher et le plus commode pour une
personne seule voyageant à mon sens, depuis 1977 quand
j’étais en Nouvelle Angleterre.
Europe du Sud
Milan
|
Trieste
|
Belgrade
|
Sarajevo
|
Athènes
|
Vérone
|
A Athènes, il fait brumeux, je passe à
Omonia, le centre et j'y change 100FF, je trouve un
logement pour 30FF la nuit mais je ne sais pas si j'y
resterai. Je retourne à la gare et voit un train pour
Patras à 12 heures, c'est ce que j'ai de mieux à faire et
prendre ensuite le ferry pour Brindisi en Italie. Je n'ai
que 300FF en liquide depuis l’Italie et pas de moyen
d'avoir de ]'argent avec un autre moyen de paiement. Je
reste à la gare. Sur le quai, je vois arriver une jolie
fille blonde seule, 22-24 ans, taille moyenne avec un
grand sac à dos, elle est cool, elle me voit et pose son
sac à côté de moi et fait le tri dans son sac, le
mien est à côté d'elle avec son air de voyageur
éternel. Elle sort un paquet de gâteaux dont l’emballage
est écrit en allemand, le rêve ! Elle a un beau cul. Nous
ne disons rien, nous échangeons seulement des regards. Je
me dirai par la suite qu'elle était aussi perdue que moi
et qu'elle aurait pu être une femme pour moi en termes de
mariage, le coup de foudre, l'alter ego !
Dans le train, je paie un supplément, un jeune rocker grec
est assis en face de moi. À Patras, je descend mais il
faut payer un supplément de 1200 drachmes pour prendre le
ferry, j'ai rencontre 4 jeunes Américains et Américaines
avec qui je sympathise tout de suite, un Neo Zélandais,
Mark qui a mon age et vient de passer un an en Angleterre
et un Californien de 40 ans avec plus de bagages qu'il
n'en faut, il souffre. Ne réussissant pas à embarquer, je
repars vers la gare, où c'est la zone, on me demande du
fric, je me tire, il faut que j'embarque. il commence à
pleuvoir, je croise à nouveau la jolie Allemande en train
d'enfiler son kway, nous ne nous disons toujours rien, je
passe, j'ai raté une femme de ma vie, je n'ai pas d'argent
et je ne sais plus comment aborder une fille même pour
avoir une simple relation amicale qui peut aller au delà.
Je réussis à embarquer à force de persuasion et faisant
baisser le prix du supplément de 120FF à 100FF avec le
billet qu'il me reste.
Les deux Américaines sont sœurs et vivent à paris, les
Américains passent un an à Barcelone, je me sens revenu au
temps béni des rencontres entre étudiants lorsque le
cosmopolitisme facile est si agréable à vivre quand les
parents ont la charge des finances et que la vie est
réglée par des examens ou des concours qui excluent
certains. Je réussis à dormir, il ne fait pas très chaud,
mais ça va. La mer est forte, le bateau arrive en fin de
journée à Brindisi. Dés la sortie, les carabinieri
inspectent nos sacs avec des bergers allemands, je suis
retenu. Ce n'est que l'odeur « sud américaine » de mon sac
qui a attiré le chien, la jute tressée avait sans doute
l'odeur de la coca des montagnes.
Je pars à pied vers la gare où je retrouve la petite
équipe que nous formions sur le ferry. Je reste éveillé
jusqu’à Pescara puis je quitte tout le monde pour
m'installer dans le couloir dans mon sac de couchage. J'ai
besoin de repos comme d'une envie pressante dont je ne
peux m'empêcher. Cela ira mieux après. Le matin, arrivé à
Milan, je reprends le train vers Toulon où je reviens voir
mes parents en expliquant le voyage que je viens de faire.
Une de mes réflexions étonne mon père par rapport à mon
premier voyage en Grèce, j'ai trouvé le peuple
accueillant. C'est en fait l'ensemble de la Grèce qui est
hospitalier par son climat doux et sa vie peu coûteuse. Je
compte repartir le lendemain vers le Nord de l'Europe, mon
objectif est Helsinki. Aux Deux Alpes, avec le billet
Interrail, je hurlais dans ma tête : « Je me casse l »,
c'est bien vrai, je veux laisser courir mon esprit,
voyager et vagabonder sur mes deux sujets favoris dont je
ne me lasse pas.
Le trajet jusqu'à Milan est un peu long mais j’évite la
France qui est en partie payante, je n'ai encore que 300FF
en poche, je suis propre et légèrement rasséréné. C'est
début février et je suis dans un état d'excitation
permanente depuis août et que je me prend la tête jusqu'à
n'en plus pouvoir. C'est ce qui va bientôt arriver. De
Milan, je vais à Vérone, la ville des amants de
Shakespeare, Juliette et Roméo, je met mon bagage à la
consigne, le train vers Vienne ne part que vers minuit,
j'ai cinq heures devant moi pour errer dans la ville à la
recherche d'une intrigue.
La ville est pleine de Volvo, Mercedes, femmes en
fourrure, la journée, c’était le carnaval, il y a des
confettis et des lumières partout. Rien ne sera laissé à
l'ombre, je suis très content de ma visite de la ville et
le train repart avec moi pour franchir la frontière
italo-autrichienne. Je suis dans un compartiment seul
jusqu’à ce qu'une classe d'Italiens et d'Italiennes de
16/18 ans emplissent le wagon. Cinq filles viennent dans
mon compartiment, elles sont mignonnes et me demandent en
anglais où je vais, à Wien, elles aussi vont à Sudbahnhof,
la gare du sud de Wien. Mais je suis peu loquace, elles
font un boucan du diable. Ça me fait du bien d’être en
compagnie remuante. Au bout d'un moment, j’enlève mes
chaussures, mais je ne me rend pas compte que ça pue.
Maria Teresa à mal au ventre, je remet mes chaussures, mes
chaussettes rouges n’étaient pas de ce matin. Arrivés à
Sudbahnhof à huit heures du matin, je pose mon sac à la
consigne, il pleut, je laisse Maria Teresa et ses copines,
je pars dans mon grand manteau léger pourtant avec mon T
shirt et mon pull irlandais dessous visiter Wien.
Je commence par aller prendre un hamburger et un café au
Mac Donald's, il y a un anniversaire d'enfants avec des
Happy Meals. Je suis rentré dans le Mac Do en espérant que
cesse la pluie, je veux visiter Wien mais je n'ai pas de
parapluie et j'aimerais éviter de rentrer trempé au train
ce soir pour repartir vers Hambourg. La pluie ne cesse pas
au bout d'une heure. J'imagine que les Autrichiens sont un
peuple vigoureux au vu de deux jeunes passant par dessus
une barrière haute de 1.50 mètres pour venir au Mac Do
plutôt que de la contourner. Je songe à l'empire
austro-hongrois, au despote éclairé que décrivait
Voltaire, à l'influence germanique de l’époque actuelle
économiquement forte, j'occulte L’Anschluss de 1938 par
Hitler. À midi, je sors enfin, il pleut toujours, je
m’éloigne de la gare, je me retrouve dans une rue piétonne
qui n'a rien à voir avec celle de Toulon étroite et
grouillante, elle est quatre fois plus large, les
immeubles ont de grande fenêtres. Je préfère ne pas
prendre le métro où il faut payer alors je marche sous la
pluie fine heureusement, seul mon manteau est mouillé.
J'arrive sur une place majestueuse avec de longues arcades
d'un côté , et un défilé de carnaval de l'autre, il y a
une jolie fille blonde dans une robe de laine qui tourne
une baguette dans ses mains, je ne vois qu'elle. Elle
aussi est en train de se tremper. Je m'en vais, croise un
couple de Viennois d'une cinquantaine d'années, leur
demande mon chemin, ils me dirigent vers le métro, je n'en
veux pas et continue à pied sous la pluie.
Je passe d'une « strasse » à l'autre, regarde avec envie
les magasins de « delikatessen » mais n'entre pas, je
finis par prendre un tramway pour rentrer vers Sudbahnhof.
J'ai marché six heures, mes chaussettes, mon pantalon et
mon manteau sont trempés. Le train est en direction de
Hambourg, il part et je suis seul dans mon compartiment,
je m'installe dans mon sac de couchage et met le chauffage
à fond, en deux heures, tout est sec et moi bien au chaud.
La nuit se passe sans histoire, j'ai traverse l'Allemagne
sans m'en rendre compte, il est midi à Hambourg et le
temps est passé de l'humide au froid glacial. Sur le quai
de la gare de Hambourg, je décide de ne pas m’arrêter et
prend un autre train vers Frederikshaven au nord du
Jutland, la partie danoise continentale. Le train ne part
qu'à 14 heures, j’attends dans un compartiment tellement
vaste, six places au lieu de huit en France en
seconde classe, et je regarde passer les femmes en
fourrure, un train avec des BMW, Mercedes, prêt à partir
pour les Alpes avec caissons à skis sur les toits des
voitures. Ce sont la des éléments que je ne connais plus,
les vacances, et le moyen de s'en payer par un job
quelconque, comme une femme en fourrures. Je suis
solitaire et sans femme parce que je suis pauvre et
qu'elles semblent demander de l'argent pour vivre
confortablement et je pense que je suis incapable de mener
une vie avec un job, un salaire et des vacances. Mon
objectif reste la création de Cap de bleu.
Le train part, le ciel s’éclaircit, il y a de la neige
dehors et du soleil dans le ciel. Les maisons sont basses,
les villes sont petites. Un père de 70 ans et sa fille
d'une quarantaine d’années partagent mon compartiment. On
se sourit. Le train s’arrête brusquement. il a écrasé un
jeune garçon. On voit l'affolement de ses copains, au bout
d'un quart d'heure, un brancard avec des morceaux
ensanglantés sous un drap blanc. À Frederikshaven, il fait
nuit, je cherche le ferry pour Göteborg, j'y vais à pied
depuis la gare, je ne tiens pas à rester là. Je n'ai pas
les moyens de me payer l'hôtel. Et mon domicile est le
train pour lequel j'ai déjà payé un mois de loyer.
Vienne
|
Frederikshaven
|
Turku
|
Copenhague
|
Amsterdam
|
Genève
|
Europe du Nord
Une longue file d'attente dans le
terminal maritime de blonds et de blondes, grands et
grandes. Tout est propre, clair et organisé, mon pass est
accepté. Une fois embarqué à 20 heures, je m'assied seul à
une table dans l’entrée, il y a un jeune Suédois qui vient
me demander une chaise pour aller s'asseoir avec ses
copains. J’aimerais bien les connaître. il y a une
discothèque sur le bateau, j'y retrouve les jeunes Suédois
et cela me fait du bien de me défouler un peu au son de
Duran Duran avec leur chanson « Notorious » dont
j’appréciais particulièrement la vidéo lorsque je passais
des nuits chez mes parents à regarder la télévision et à
écouter la radio en enregistrant des cassettes. Plusieurs
autres vidéos remplissaient ma vie d'enseignements alors.
« A Question of Time » de Depeche Mode m'indiquait que je
devais attendre que les choses se mettent en place pour
que je puisse les réaliser ; « The Final Countdown »
d'Europe, le groupe suédois évoquait un monde qui allait
exploser et que ses dernières minutes de vie se
déroulaient ; de même Frankie goes to Hollywood avec une
de ses chansons parlait d'un rat dans une cage et je me
sentais tel ce rat pris dans un piège.
Le rock et le cinéma résonnent en moi comme un écho de ma
personnalité et de ma vie, je m'identifie à Indiana Jones
depuis la sortie de « Les aventuriers de l'Arche Perdue »
quand Indiana est en Amérique du Sud. Je voyais le film en
octobre à Toulon et j'étais dans les Andes en janvier
suivant. À Göteborg, je me dépêche si je ne veux pas
rester la nuit dehors, il y a un train qui part pour
Stockholm à 23 heures, il est 23 heures, c'est encore un
beau train. Göteborg avait l'air d'une ville tranquille,
j'aime les villes moyennes.
Dans le train, je m'installe dans mon sac de couchage dans
un compartiment à huit et le matin, il fait beau sur le
pays enneigé. Le train arrive à 10 heures à Stockholm et
il y a une liaison gratuite entre la gare et le terminal,
je croyais au début que le chauffeur m'avait fait une
fleur à mon aspect de voyageur affamé. Je n'ai rien mangé
depuis le hamburger à Wien, je ne voulais pas changer
d'argent. Je change 50FF. Le terminal maritime est aussi
éclairé et propre que celui de Frederikshaven, je met mon
sac dans une consigne, prend un café chaud et un sandwich
et vais me promener dans Stockholm, le ferry pour Turku ne
part qu'à 19 heures. il fait beau mais froid -20°C
comparés au + 20°C d’Athènes il y a une semaine mais avec
de la brume. Le contraste d'un bout à l'autre de
l'Europe me plaît. J'ai le sentiment d'avoir bien bougé
mais je tire de plus en plus sur les réserves de ma
résistance physique.
Le port est dans les glaces et un vieux gréement auprès
duquel je passe me rappelle mon origine de marin. Je n'ai
pas encore été sur l'eau sur Ia Mer Baltique, j'attends ce
soir. Dans un supermarché, je vais m’acheter une bière que
je n'ai pas le droit de consommer dans la galerie
commerciale où il faisait chaud alors je repars errer dans
les rues. Dans une rue piétonne, je vois un supermarché
dans un sous sol, je m'y achète un sandwich.
En fin de journée, je suis un peu fatigué, j'ai marché six
heures mais je commence à ne plus trop réagir, je songe
avec haine à mes parents qui ne m'admettent pas tel que je
suis et en errant dans les rues froides, je paye toute la
souffrance de mon être que l'on ne voulait pas que je
sois. Le froid est là ainsi que les privations pour me
faire songer que je dois mourir si je continue à vivre
comme je veux. Dans le bateau, je m'installe dans une
couchette, le trajet dure la nuit et je vais m’acheter une
tablette de chocolat, cela me donnera des forces, je la
paie quinze couronnes, c'est fourré au fruit, l'emballage
est mauve et elle pèse 400 grammes. De quoi me sustenter
jusqu’à Helsinki.
Au matin, je vais sur le pont comparer l’itinéraire au
travers des îles sur carte avec la réalité, il fait gris
et le vent souffle. À Turku, je sors de la gare pour voir
un brin de soleil et je m'aperçois que je n'ai pas mon
billet interrail dans ma poche, je flippe car je ne vois
pas comment je pourrais payer le billet et c'est en
fouillant dans mon sac que je retrouve le carnet. Ouf l
Quelle frayeur l Trois heures de Turku/Abo à Helsinki en
train, il fait froid et couvert mais je suis loin de
l'endroit où je souffre de mon contact avec les miens par
le seul fait d'exister. Dans le froid scandinave, c'est
l’élément qui va me rappeler à la vie.
A Helsinki, je met à nouveau mon bagage à la consigne et
pars marcher, il est midi, je vais prendre un thé et un
gâteau dans un salon de thé en étage, c'est un thé à la
mure. il y a deux filles jolies. Je les brancherais bien
mais je ne me sens pas tellement présentable, j'ai peur
d'être incohérent, pourtant elles me sourient. Je m'en
vais et croise deux types jeunes qui errent dans une
allée, nous échangeons quelques mots, ils me disent qu'ils
sont dans la rue. Je sais alors que si je reste ici, je
vais être clochard. Je dois arrêter de haïr le monde qui
ne m'a pas reconnu, je dois baisser les bras et éviter
toute réaction sur ce que l'on me dira, je vais rentrer
chez mes parents. Je n'accepterai aucune autre aide que la
leur. Ils sont responsables de leur regard et je les tiens
responsable de mes échecs pour ne pas avoir compris ce que
je leur demandais. Ils doivent réparer, je rends le monde
responsable de ma déchéance mais je porte aussi le ferment
de me sauver en créant le monde de Cap de bleu par une
richesse économique dont on a tous besoin pour avoir un
niveau de vie rendant possible l'expression de soi même,
culturelle, parentale et sportive.
Dans une librairie, j'ouvre un livre en anglais qui parle
des chantiers navals finlandais Nautor et Baltic de Vasa
dans le centre nord du pays, ils sont comme je l'ai déjà
écrit l'expression la plus pure des coques de bateau que
je dessinais à 16 ans en même temps que les architectes
des chantiers. Dans le trajet de retour à Stockholm,
j'achète un sachet de cacahuètes et une bière, je me
repose mais mes forces se sont perdues, j'ai hâte de
trouver un lit chaud et de quoi manger chaud et libérer ma
tête de la pression que je me suis imposée depuis un an. À
Stockholm, je dois marcher avec mon sac, n'en pouvant plus
de son poids continuant à emmagasiner de la haine envers
ce monde.
Je rentre par Kobenhaven, j'ai pris une carte des liaisons
ferrées européennes. Je constate que la Suède est un pays
de lacs. Entre Helsingborg en Suède et Helsingor au
Danemark, la wagon monte sur un ferry, je suis assis au
milieu d'une famille danoise avec une fille de 12 ans et
un garçon de 6 ans, on rigole tous les trois en se
regardant. Un type d'une trentaine d’années, lorsque le
wagon est à nouveau sur terre s'affole en cherchant son
bagage, il est bourré et n'a pas réalisé que nous sommes
restés dans le wagon, le petit garçon lui fait remarquer
qu'il n'a pas bougé, il est trop étonné et rassuré à la
fois.
Le train arrive à Kobenhaven, il fait nuit, à minuit part
un train pour Utrecht aux Pays Bas, cela me fait quatre
heures à attendre, dehors il neige, mais j'ai le sentiment
que les choses ont changé, je me sens bien, j'ai perdu ma
haine. Je croise un jeune Anglais, il y a une grande
Danoise sympa. Le train est bondé, dans le compartiment,
il y a la Danoise, un Marocain qui vit en Suède, je
m'installe pour dormir dans le filet à bagages, on se
marre. Le contrôleur est trop étonné de me trouver en haut
mais il ne dit rien. Je me sens bien. Au passage de la
frontière des Pays Bas, le Marocain est longuement
questionné, il parle couramment anglais. Ça passe. à
Utrecht, je sème la Danoise qui ne me lâche pas et en
route pour Amsterdam où j'arrive à Central Station à
midi, je laisse mon
bagage à la consigne et je pars me promener sur les «
gracht » (canaux). Il fait très froid, je prend un Big
Mac, je suis pris d'une courante que j’élimine dans un
fast food chinois. Je suis à nouveau très fatigué, je ne
marche plus du bon pas qu'ont les Hollandais. Je
m'imaginerai bien vivre à Amsterdam, pays de vélos et
d'eau reposante mais je suis à bout encore et je perd
conscience de Amsterdam à Milan, je ne sais pas encore
comment j'y suis arrivé. De Milan à Toulon, je mange un
sandwich au jambon cru à la fin du voyage. J'arrive chez
ma mère et me couche.
Le lendemain, je repars le soir à Genève et j'erre dans
les rues, trouve un service d'immigration qui m'indique
que le Valais est un bon refuge. La montagne me protège et
le froid me conserve. En repartant vers Lyon, je m’arrête
chez Laurent qui m'accueille à bras ouverts et m'a fait
manger un cassoulet, je lui dis que j'ai envie de courir,
nous grimpons à Ia Croix Rousse, le soir je me sens bien
et dors sur un matelas. J'ai dû me lever dans la nuit pour
aller jusqu’à Perrache à pied, deux heures de marche
toujours vêtu de mon manteau abîmé.
Nous redescendons en voiture à Toulon où je fonds en
larmes à bout de nerfs, je ne sais plus ce que j'ai. Je
perd conscience et après un bref séjour chez mon oncle et
parrain où je séjourne 24 heures dans une chambre dans le
noir, je repars à pied chez ma mère, une heure de marche
encore. Le psychiatre me dira quatre ans plus tard que
lorsqu'il me vit pour la première fois, j'étais aussi
malheureux que les pierres mais cela était l’état normal
des choses pour moi. Je pars deux semaines dans une
clinique psychiatrique en attendant que l'on me trouve un
studio où je pourrai dormir tranquille sous un toit comme
je le demandais au psychiatre, mais j'ai alors oublié de
préciser que je voulais un toit ailleurs qu'en France mais
que je n'arrivais pas à en partir tout de bon. Un mois
plus tard, ayant recouvré une certaine stabilité
financière, je refais une tentative de voyage, mais arrivé
à Madrid en train encore, je suis pris d'une angoisse
incompressible et je prend une couchette pour un direct
sur la France. Pendant l'été, je serai animateur d'un camp
itinérant de malades mentaux en Espagne, je connais le
problème l
Ibiza
1er
juin au 14 septembre 1990
Le voyage à la troisième personne
Pendant trois ans notre héros qui a
perdu ses forces ne sait plus rire. Il a fait un séjour de
5 mois à Toulouse mais ne s'en portait guère mieux, bien
qu'à l'extérieur de sa ville et loin de son lieu de crise.
En janvier 90, il redevient lui-même après un court séjour
à Paris pour le mariage d'amis. Il perd les kilos en trop
après un sévère régime d'une dizaine de jours à boire du
thé, de la soupe en sachets et manger des biscottes. Il
adopte à nouveau une coupe de cheveux résolument longs et
l'hiver se passe à sortir le soir en compagnie de jeunes
Américaines. Il a un revenu régulier bien que maigre,
2500FFR. par mois depuis trois ans et il a vécu seul,
s’étant affranchi de toute assistance. L’énergie est
revenue, mais il se refuse toujours à avoir une activité
salariée, un poste quelconque, il ne veut pas s'assumer
monétairement. L’irresponsabilité de vivre est devenue sa
règle. il ne cherche plus qu'à se trouver et à apprendre.
Il a commencé à apprendre l’indonésien, approfondi l'arabe
repris des contacts dans le domaine du nautisme, sécurisé
par sa rente mensuelle et ne circule plus qu'en VTT une
vingtaine de kilomètres par jour, son entreprise existe à
nouveau mais sous forme d'association à but non lucratif
dont l'objet est "naviguer, communiquer, entreprendre"
mais l'été approche, il n'a pas l'intention de rester dans
le sud de la France.
Bahamas 43 (13 m)
Il trouve à la bourse des équipiers de
France Inter un bateau à skipper pour l'été, c'est un
Bahamas 43, un monocoque en aluminium qui appartient à un
hôtelier d'une station de ski. Il a rendez-vous le premier
juin à Port Camargue sur l'aire de carénage. Le 28 mai,
son père part à Barcelone pour affaire, il l’emmène et le
déposera au retour. À Barcelone, ils évoquent le souvenir
d'un tricycle qu'on lui avait offert pour ses trois ans.
Il aura 29 ans cet été et ne parvient pas à s'assumer dans
une vie matérielle, identique à celle de la plupart avec
femme et enfants. Son esprit est ailleurs et n'ose plus
prendre d'engagement dans aucune structure existante. Même
ce voyage qui semble rêve le gêne, il aimerait aussi
continuer à chercher qui il est dans un monde où les
étoiles de la nuit brillent plus que les mirages de la
consommation. Son psychiatre le convainc qu'il vit d’être
et non d'avoir. Il en est arrivé à ne plus faire
l'amour pendant des années.
Port Camargue
Le premier juin, son père le laisse
donc à Port Camargue, le "El Lobos" est à terre, Xiao
Sang, le fils du propriétaire et un copain font passer la
drosse de relève du safran sur un réa, c'est un monocoque
à quille relevable sur un axe vertical. C'est un joli
bateau avec une peinture blanche époxyde, une bande rouge
à la ligne de flottaison et une sous le liston. La carène
est digne de celle d'un Swan avec une jupe ouverte à la
poupe. Le déplacement total est de huit tonnes pour 13,50
mètres de longueur hors tout, ce qui est vraiment léger.
Les parents Sang arrivent dans une voiture immatriculée en
Belgique, la mère Sang est belge, le père est d'origine
andalouse. Ils partent au restaurant tous les cinq,
l'ambiance n'est pas particulièrement drôle. Notre héros
va dormir sur le bateau du copain, un ketch qu'il a
construit lui même. Tous les ans depuis sa construction,
1987, le Lobos part à Ibiza l'été où il reste à la
disposition de Sang au mouillage à Benirras, en arabe
« fils du chef », au nord ouest de l’île. Le
matin il fait brumeux, la petite équipe met le bateau à
l'eau avec Xiao Sang, il commence à lui dire ce qu'il a
à faire. Il sent qu'il va être skipper à la solde de
son propriétaire, avec la création de son entreprise, il
était courtier, disposait de bateaux pour les confier à
des skippers si le bateau n'avait pas de skipper et
faisait embarquer des équipiers clients. Son grade va en
prendre un coup. Ils mangent et après le repas, notre
héros reste seul sur le bateau et n'a qu'une envie,
prendre son sac et se tirer sans adieux. Il reste pourtant
et Xiao Sang revient, ses parents les laissent.
Agde
Ils partent en longeant la côte, une
nuit à Agde, puis deux à St Cyprien, Xiao Sang lui
explique qu'il a beaucoup voyagé, navigué en solitaire,
Atlantique et Pacifique, il a 31 ans maintenant, il a
aussi parcouru l’Amérique du Sud en stop. Les affaires de
son père ne l’intéressent pas. Il s'endort en écoutant des
mantras indiennes. Ce n'est pas avec lui que notre héros
ira brancher les belles étrangères aux escales comme il
vient de le faire pendant 4 mois à Toulon. Néanmoins se
sentant bien sur le bateau qui n'a que 5 couchettes, il
est au large sur la couchette double arrière,
l'espace intérieur n'est pas cloisonné à part les
toilettes. À Barcelone, ils font du gas-oil puis partent
vers le large, il n'y a pas encore eu de vent. La nuit un
bon force 8 se lève, ils enroulent foc et grand voile,
mettent les harnais, le bateau fort peu toilé supporte
très bien le cap de près vers Mallorca. Le matin le vent
tourne et ils sont à une dizaine d'heures de Benirras que
le Lobos parcourt au largue à 8/10 nœuds de vitesse.
A 19 heures, apercevant le rocher de Benirras qui délimite
l’entrée des calas Benirras et San Miguel. Lao Sang les
attend, un modèle prend des poses sur une terrasse de
planches, elle est grande, blonde aux cheveux longs dans
une grande robe lui dénudant les épaules. Léo Sang est
chez lui dans les deux calas, à San Miguel, il y a un
complexe hôtelier et touristique dont il fut un des
promoteurs il y a quinze ans, à Benirras, il organise la
viabilisation du site pour le vendre à un promoteur, il y
possède une maison. Il y a un restaurant avec une terrasse
au fond à gauche, un bar au centre et des barques de part
et d'autre de la cala. Lao Sang envoie son "petit
marin" manger une tortilla aux patatas au restaurant et il
retourne au Lobos où il est censé rester tout le temps du
séjour du bateau en prévision d'un coup de vent qui
pourrait nécessiter sa présence si le corps mort venait à
lâcher. Il ne doit en partir que pour en emmener les uns
et les autres.
Cala Benirras
Les activités prévues sont la dépose
d'un corps mort, le mariage de la fille de Lao Sang, le
voyage de noces sur le bateau et tout d'abord trois jours
de croisière avec un ami banquier, sa femme et Xiao Sang
vers Mallorca. Alors chargement d'eau douce, avitaillement
et sacs vers le bateau en annexe, le soir venu, ils lèvent
l'ancre en direction d'Andratx au sud ouest de Mallorca,
le moteur fonctionne une bonne partie de la nuit. Ils
arrivent le matin et coincent dans un mouillage au pied
d'une falaise. Notre héros n'est sur le bateau qu'un
simple marin, et ne partage pas véritablement la croisière
avec ses bouquins d'arabe et d’indonésien et deux guides
Berlitz, un d'allemand et un de grec. En repartant vers
Palma, le point d’écoute de la Grand Voile sur la bôme
lâche, Xiao Sang s'en occupe, il ne se sent toujours pas
concerné bien que faisant des efforts pour être actif. Les
motivations qui guident les autres ne lui suffisent pas,
profiter de la mer n'est plus son élément. Il ne sait si
lui même est loin de l’élément ou si ce sont eux qui sont
loin de son approche de l’élément. En attendant Xiao Sang
effectue la réparation du point d’écoute à Palma où ils
passent la nuit non loin du Real Club Nautico dont le
souvenir du passage à Noël 84 reste vivace. Il repartent
vers Benirras au largue en prenant un peu de pluie.
A l’arrivée, il y a le bateau de la sœur de Xiao Sang,
Hua, une cigarette rouge immatriculée à la république
dominicaine avec une jolie blonde à bord, du monde sur la
plage, les invités du mariage sont arrivés pour )a
plupart. Notre héros a plutôt envie de se terrer au fond
du bateau, il ne se sent pas de la fête. Ils sont 20 au
repas du soir chez les Sang. il repart dormir tranquille
sur le bateau avec Xiao Sang qui passe ses mantra. Le
matin à 10 heures, Lao Sang lui file une pelle pour faire
du béton, c'est bien le genre de choses qu'il ne supporte
pas, il aimerait tout envoyer promener. Il y a là un Cap
Verdien avec qui il discute, il se sent plutôt une âme
d'orateur, d'homme de relations publiques qu'un marin bon
à tout faire. Notre héros demande à Lao Sang de lui foutre
la paix. Finalement à plusieurs, le béton est sec entre
ses quatre planches, ils le mettent à l'eau. Toute la
journée on passe chaîne, manilles, du corps mort au
bateau. La corvée la plus terrible est terminée, Lao Sang
évoque les tempêtes qui peuvent s'engouffrer dans la cala
en cas de fort vent rentrant de la mer donc d'Ouest.
L'attitude de notre héros est en général de savoir
attendre le vent pour partir, la fatigue pour rentrer et
surtout ne pas précipiter ce qui ne doit pas. Prendre le
temps de vivre et écarter la compétition entre les hommes,
le véritable combat étant de savoir se dominer et
s'imposer l'action qu'il faut quant on le doit. Durant le
mariage il reste sur le bateau à bouquiner ses cours de
langue, le lendemain Lao Sang apporte des bouteilles de
sangria pour les mettre dans le réfrigérateur du bateau,
il en boira ce qu'il pourra pendant deux semaines.
Deux jours suivants, avec Xiao Sang nous promenons les
invités sur le Lobos, d'abord à Tagomago, un îlot au Nord
Est d'Ibiza, avec des jeunes, une nièce de Lao Sang qui
fait du cinéma confirme que la vidéo de La Lambada parue
l’année dernière a été tournée là. Le cadre reflète au
naturel l'enchantement de la vidéo, une cala abritée de
sable fin. Trois bateaux au mouillage, un restaurant sur
une terrasse en bois au dessus de l'eau et d'excellents
gâteaux au chocolat avec du café. La deuxième promenade
avec 14 anciens, c'est beaucoup trop pour le Lobos mais on
y arrive, ils souffrent un peu, il y a du vent et de la
gerbe. Une ancienne perd une bague par la faute de notre
héros au fond de la cala où le Lobos est allé
mouiller. Ne s' en rendant compte seulement de retour à
Benirras, ils retournent avec la cigarette de Hua sur le
site et constatent qu'il n'y à rien à faire.
Le soir notre héros se rend en stop jusqu'à Eivissa (Ibiza
en catalan) une vingtaine de kilomètres où il espère
trouver l'animation folle des nuits d'Ibiza, le stop
marche tout de suite, il prend un cocktail pour 1000
pesetas et embrasse la serveuse. Ne connaissant encore
personne sur l'Île de la fête, il n'est pas encore prêt à
sortir de son monde pour complètement participer. Il
rentre à deux heures du matin réussissant à parcourir en
trois stops les 25 kms dont le troisième est la belle sœur
de Lao Sang, merci. Les routes sont petites, pas grand
monde, Ibiza est une belle île pour le stop.
Ibiza
Avec Hua et Zhou son mari, et leur
chien de trois mois notre héros part demain pour la côte
valencienne, Hua veut acheter des palmiers à Eiche pour sa
maison d'Ibiza. Le Lobos part au largue avec un bon vent,
ils ont dormi tous trois sur le bateau, mais Zhou est
malade, notre héros reste seul sur le pont, il fait bien
chaud, le pilote fonctionne bien, Hua vient lui tenir
compagnie quelques heures, ils croisent un bateau faisant
la ligne Denia- Ibiza. Notre héros est enfin le skipper du
Lobos et c'est bien agréable. Ils arrivent à Denia en fin
de journée, Zhou va mieux. Ils vont tranquillement manger
une glace sur le port, ce n'est guère animé. Ce n'est
encore que début juillet. Les deux jours suivants, ils
passent Javea, Calpe, Altea, Benidorm où le Lobos essaye
de rentrer dans le club nautique mais il n'y à pas assez
de fond.
Par ailleurs, Benidorm, une des capitales mondiales du
sexe n'a pas tellement le charme d'un village calme. Le
Lobos atterrit finalement à Villajoyosa pour y passer la
nuit où le club est accueillant avec douches chaudes, WC,
bar. Ils finissent à Santa Pola avant Alicante plus au
sud, le Lobos y trouve une place à quai difficile, le
motor yacht britannique surveillait son liston et le
bateau va rester trois nuits à cette place. Invités en fin
de journée à boire un Gin Tonic sur leur bateau
britannique, notre héros découvre alors le parfait dosage
du cocktail, verre large, des glaçons, rempli à ras bord.
Il apprendra par la suite que les Britanniques le buvaient
en fin de journée comme anti-paludéen grâce à la quinine
alors efficace contenue dans le soda. Les trois visitent
"El huerto del Cura" à Eiche, un jardin botanique fondé
par un curé. Ils passent également chez deux "viveres de
palmeras" qui leur proposent leurs palmiers. Le lendemain,
notre héros reste avec le petit chien sur le bateau, il a
envie de bouquiner, en fin de journée, Hua et Zhou
reviennent victorieux, ils ont fait le deal d'avoir 10
palmiers plantés à Ibiza pour 5000 FR l'un transport
compris.
Ils vont pouvoir rentrer à Benirras, font un bref
arrêt à l’île de Tabarca, une île anciennement peuplée
mais quasiment abandonnée si ce n'est des touristes qui la
visitent, une fois fait le tour à pied, ils regagnent le
bateau et repartent en longeant la côte jusqu'à Denia puis
prennent le large sans problème. À l’arrivée de nuit à
Benirras, Il y à un gros catamaran sur le corps mort,
c'est un Beige flamand d'Antwerp alors le Lobos mouille
son ancre. Demain sera un autre jour avec d'autres
activités. Les deux semaines suivantes, le Lobos ne va pas
bouger, et notre héros son skipper non plus, il va prendre
l'habitude de fouler le sable chaud de ses pieds nus pour
aller dans la journée à la plage, au restaurant, chez la
femme de Lao Sang, ce dernier est en France. Ramassage de
légumes du potager, dîner ou jeu de Scrabble. Un soir
Madame et notre héros vont dîner chez Hua et Zhou, les
trous pour les palmiers ont été faits, le petit chien
grandit. Un autre soir ils vont dîner des bocadillos avec
la vue sur la Conejera, un îlot magnifique dans le soleil
couchant à l'ouest de l’Île après San Antonio.
Dans la Cala, notre héros à fait connaissance avec Lu, sa
femme et sa fille de deux ans, le skipper du catamaran
flamand. Sur un bateau allemand, il y a deux filles
seules, elles se demandaient ce que pouvait faire un homme
seul sur son bateau. Tous boivent de la Sangria chaque
fois qu'ils se voient. Continuant à apprendre l’indonésien
et l'arabe, notre héros prend plusieurs bains de mer par
jour et reste une demie heure sur le pont à se sécher
ensuite en tenue d'Adam. Le rythme de ses douches
ralentit, lors d'une douche il constate que ses cheveux
ont blondi, ses shorts ressemblent de plus en plus à des
pagnes, il les porte sans caleçon. Un jour, notre héros
s'habille pour aller à Santa Eulalia et Eivissa en stop
dans la journée et acheter des cartes postales, du papier
à lettre et des enveloppes pour raconter combien il
retrouve sa nature de "sauvage". Lao Sang est de retour,
tous deux vont partir à Andratx sur Mallorca il a
quelqu'un à voir notre héros appréhende de se savoir tous
les deux seuls sur le bateau du fait du caractère de Lao
Sang. En fait il s'est avéré très agréable et l'a laissé
faire ce qu'il voulait sur le bateau, au retour la
visibilité très faible, deux milles, ne leur laisse pas
voir la côte alors que d’après son estime elle se trouve
au plus à trois milles. N'ayant pas de positionneur par
satellite, il est en panne, qu'a-t-il pu se passer, il est
resté calme. Finalement la côte n’était pas visible mais
toute proche.
Voyant que cela s'est bien passé, Lao Sang veut remettre
ça, il a un cousin et son fils à emmener deux jours à
Formentera. Ils partent donc un matin pour San Antonio en
passant devant le Cap Nono d’où les Maures poussaient les
Espagnols disant no ! no ! lui dit Lao Sang. À San
Antonio, Lao Jin 60 ans et Da Jin 25 ans qui vit à Londres
embarquent, le Lobos vient de faire du gas-oil.
Espalmador
Lao Sang est aux anges. Ils longent
Espalmador, la lagune au sud d'Ibiza où de nombreux
bateaux sont au mouillage. Ils préfèrent continuer jusqu'à
Formentera où le Lobos mouille dans quatre mètres d'eau
dans Cala Sabina, il n'y a pas de vent, pas de houle et un
ciel des plus anticycloniques. Ils sont au milieu de
quelques bateaux dont la chaîne d'ancre est droite, signe
qu'ils ne bougent pas. Notre héros met l'annexe à l'eau et
ils partent tous quatre, achat de cartes postales, Da Jin
et notre héros ramènent les anciens au bateau, et
reviennent à terre. En bon chasseur notre héros a
convaincu qu'ils devaient partir en chasse des jolies
filles. La stratégie étant celle pratiquée depuis
longtemps, repérer deux fille assises à une terrasse de
bar, leur demander si l'on peut s'y asseoir.
Ils en localisent deux, elles sont irlandaises mais une
seule est bavarde, ils leur parlent du Lobos, leur
montrent le mat, elles le voient bien, il est un des plus
hauts. Il y en a un plus haut, c'est un Oyster d'une
soixantaine de pieds." Ah c'est le vôtre". " Oui, nous
allons dîner ce soir à terre, nous rentrons nous préparer.
" Cela ne fut pas concluant mais Da Jin et notre héros
sont contents, ils en trouveront d'autres ce soir, ils
vont dîner sur le Lobos.
A 22 heures les jeunes laissent à nouveau les anciens sur
le bateau, le vent est nul, notre héros a vérifié l'ancre
et l’évitage du bateau et les laisse l'esprit tranquille.
Et ils ciblent alors une blonde et une brune, sous l’œil
hautain des deux Irlandaises en grande tenue. Elles sont
allemandes, 18 et 19 ans, Mi Mi la blonde et Hei la brune.
Ils boivent tous quatre des chandis : vin plus boisson
gazeuse à l'orange, c'est sucré et agréable. Elles ont
chacune un petit vélo et à minuit Da Jin emmène Hei, et
notre héros Mi Mi, il y a des "discotécas " à Es Pujol,
l'un paye pour Hei, l'autre pour Mi Mi. C'est bien d’être
accompagnés, la boite est pleine, il y a moins de filles
que de mecs, Da Jin et notre héros sont "royal". à quatre
heure il n'y à plus grand monde dans la boite, notre héros
discute avec Hei qui lui explique être mi-yuppie,
mi-robinson de 28 ans, elle lui dit vouloir bosser à la
TV, elles viennent toutes les deux d'avoir leur abitur, le
baccalauréat allemand. Facile la soirée l Ils rentrent à
Formentera en se faisant attaquer sur la route par un
chien vite semé.
L'annexe est toujours là, cadenassée à un anneau et sur le
bateau, notre héros ne comprend pas, il est six heures,
les anciens sont levés, Lao Sang fait la vaisselle, il le
menace d'un couteau et d'une poêle en voulant le livrer à
la Guardia Civil pour abandon de bateau. Le père de Da Jin
lui, demande à son fils s'il va bien. Notre héros comprend
alors que Lao Sang à voulu manœuvrer le bateau en pensant
qu'il allait cogner contre un autre bateau, il a paniqué
au moteur et Lao Jin ne savait pas manipuler le guindeau.
Bilan, il engueule son skipper, lequel n'a pas dormi, le
vent est toujours nul, le soleil se lève et il pète lui
aussi un câble. Lao Sang hurle. Notre héros n'a qu'une
envie, se tirer, Lao Sang menace de lui mettre la Guardia
Civil au cul. Bloqué ici, il a peur de lui même, ayant
fait une tentative de suicide il y a un an, la Finlande
lui revient à l'esprit, la Suisse, le froid. Notre héros
téléphone en France, part à la nage du bateau. il obtient
sa tante, son père. il leur explique, il faut qu'il prenne
des neuroleptiques d’après son psychiatre qui suppose
qu'il ne les a peut être pas pris, ce qui n'est pas vrai.
Ils rentrent à Benirras d'une traite, là notre héros
oublie tout, fait seulement les manœuvres et laisse le
pilote automatique guider, restant à l'avant du bateau,
prostré. Le manque de sommeil n'est vraiment pas bon pour
son psychisme, il s'en apercevra plusieurs fois par la
suite. À Benirras, il y a un voilier brésilien de 6,50
mètres avec un britannique à son bord de 40 ans, sympa,
qui attend sa petite famille qui arrive d’Angleterre.
Notre héros explique à Lu qu'il a envie de se barrer, il
rencontre aussi Kong, un Français d'une quarantaine
d’années. C'est le 20 juillet, il y a beaucoup de nouveaux
arrivants. Ça va être la fête. Notre héros récupère du
manque de sommeil de la nuit suivante, remet ses idées en
place, Lao Sang aussi. Son skipper ne veut plus naviguer
avec lui et lui dit. Il l'invite à venir déjeuner seul
avec lui, et se montre sympa, lui propose une commission
sur le bateau s'il lui trouve un acquéreur. Il ne peut se
passer de son skipper, son fils.
Xiao Sang n'est pas disponible, il a besoin d'un skipper
jusqu'à son retour en septembre. Dix jours à rester à
Benirras puis notre héros emmènera ses amis, Ke Jia et Ke
Tan début août dans les Baléares en sachant qu'il n'aura
aucun problème avec eux et ensuite attendra à Benirras la
seconde moitie d'août le retour de Xiao Sang. Notre
héros accepte de rester. Et puis il a appris que beaucoup
de fêtes se préparent à la pleine lune dans cinq jours,
toutes les "fincas" d'Ibiza s'ouvrent pour l'organisation
de "full moon party". Il y a de nouveaux locataires
dans la maison voisine de Sang, deux familles avec l'une
deux garçons de 12 et 5 ans et l'autre deux filles de 15
et 17 ans. Notre héros sympathise et ils partent à Tago
Mago manger un gâteau au chocolat avec un café. Le soir
ils partent dîner dans un restaurant à Santa Gertrudis,
ils reviennent à Benirras à deux heures du matin. Notre
héros parvient à peine à mettre l'annexe à l'eau et
remonter sur le bateau. Le vin rosé était très bon et il
en a bu un bon litre. Au petit matin, avant le lever du
soleil, il entend du rock sur la plage, c'est la stéréo
d'une voiture d'Allemands, il prend l'annexe et va
l’écouter avec eux et aussi leur dire que c'est trop fort.
Il part se rendormir. il est toujours bourré. À midi en
allant déjeuner, Lao Sang lui casse le moral en lui disant
qu'il ne doit plus quitter le bateau la nuit. Notre
skipper encaisse sachant que la nuit, Lao Sang dort
profondément et qu'il se débrouillera pour aller aux
"parties".
Tago Mago
Une soirée à San Miguel, tout près.
Deux jours plus tard, c'est la pleine lune, on lui a parlé
d'une bringue à 4 kms de Benirras sur la route de San
Juan, il y va à pied. il y a Mei l’américain qui a un
bateau à moteur dans la cala, la finca appartient à un
anglais qui faisait de la pub à Londres, c'est plus
anglophone qu’aucune langue européenne. Notre héros est
pris en photo comme chacune des personnes venant là,
l'ambiance est très soft, la finca est vide, il y a une
terrasse au premier niveau, salades composées et
bouteilles sont offertes. Notre héros a repéré une très
jolie fille blonde dans une robe courte bleue avec sa sœur
et son beau frère. Après deux heures de fond musical
Doors, Hendrix, se prépare un concert de raga indienne, il
demande à la jolie fille blonde si elle anglaise ou
américaine. Elle lui répond être britannique et vivre à
Los Angeles, c'est le top des tops, elle va motiver pour
toujours sa passion du monde anglophone pour une
émigration future. Le concert commence dans un silence
religieux, un copain de Mei rentre à Benirras en voiture,
notre héros préfère rentrer avec lui, sourit à la jolie
fille en lui disant qu'il est à Benirras, elle lui dit
s'en aller dans quelques jours, dommage. En voiture le
copain de Mei lui raconte qu'il aime passer un mois
solitaire sur Vedra, un îlot rocheux au sud-ouest de
l'Île. ·
Les jours suivants, notre héros reste au bateau en
préparant le départ avec les Ke. Plein d'eau, d’épicerie.
il prend goût à arriver sur la plage avec l'annexe et en
repartir comme s'il venait de loin même ancré en plein
milieu de la cala sans en bouger. Il va sur le bateau de
Lu boire des coups ou il l'invite à bord du sien. C'est la
vie de rêve, eau de mer chaude, un minimum à faire en y
réfléchissant à deux fois dans un cadre naturel. il est le
Robinson dont il a lu les versions de Daniel Defoe et de
Michel Tournier sachant que la vie sauvage est la finalité
de l'homme en dehors de toute préoccupation matérielle ou
sociale. C'est la civilisation du cocotier dont lui
parlera un copain quelques années plus tard. Dans une vie
sauvage, on ne prend que les moyens de culture et
d'information, livres, journaux, ordinateurs. Il a par
exemple appris sur les radios locales que les Pitiusas
sont les îles de Formentera et Ibiza réunies en raison des
pins qui couvrent les Îles, de même qu'il s'est mis à lire
l'International Herald Tribune, le journal des Américains
en voyage. Tous trois partent donc un matin, Lu pense lui
aussi partir vers Mallorca comme eux, la journée est
calme, la nuit le vent passe au nord-est, ils tirent des
bords toute la nuit. Ils arrivent à Santa Ponsa à sept
heures du matin pour un petit déjeuner et un somme
réparateur. Ils évitent Palma et partent vers l'est de
l'Île où ils font Porto Petro, Cala d'Oro, Porto Colon,
Mahon à Menorca et au retour vers Ibiza la magnifique baie
de Cabrera au sud-est de Mallorca.
A Porto Petro, un soir dans un restaurant, ils rencontrent
une jolie anglaise avec sa mère danoise, son père absent
est polonais, elle les prend en photo. Le lendemain, notre
héros passe chez elle à Cala d'Oro, elles viennent boire
un verre de vin sur le Lobos. À Mahon en arrivant dans le
chenal à minuit, c'est le 11 août et notre héros dit à Jia
qu'il vient de rentrer dans sa trentième année, ils feront
un repas de langoustes pour le fêter demain soir. Dans la
journée, ils partent mouiller tout près de l’Îlot à
l’extérieur du chenal de Mahon, port militaire. En
rentrant au port au moteur à trois nœuds pour recharger le
frigo, un catamaran sous spi les double. Avec Jia notre
héros les rencontre sur le quai, il ne les avait pas
reconnu mais ce sont des copains du sud de la France, ils
sont huit sur un catamaran de 11 mètres qu'ils ont loué.
Notre héros part les retrouver après son repas
d'anniversaire au restaurant du club maritimo. En arrivant
il lance un bonjour, s'assied et leur raconte ses
aventures depuis deux mois, à un moment, une fille qu'il
regarde lui dit "Cai Tan Le" à qui il répond "Gu Le". Ils
se reconnaissent enfin, elle a un peu changé depuis 3 ans
et lui beaucoup, elle a du mal à croire que c’était lui,
tellement différent. Une copine ne pouvait croire elle
aussi son changement de comportement quand elle le vit sur
un port du sud de Ia France au mois de mai.
Tous finissent sur le Louisiane avec une partie de Trivial
Pursuit pendant laquelle notre héros a étonné par ses
connaissances géographiques. Il a 29 ans et rentre
au bateau avec un sentiment d'accomplissement de lui même
fort agréable. Au retour vers Benirras, il va danser au
club med de Porto Petro où le Lobos est mouillé dans la
baie. Ils passent une nuit dans la baie de Cabrera, dans
laquelle on rentre comme dans un château fort, par une
grande porte, la baie est une des plus profondes et les
grands bateaux viennent y mouiller sûrs de l'abri. Un vent
fort souffle, notre héros dort sur le pont, levant un œil
toutes les demies heures vérifiant l’évitage, mais le
Lobos ne bouge pas.
Benidorm
Ils retrouvent tous trois Benirras
satisfaits de leur périple. Notre héros reprend le rythme
des allées et venues entre le Lobos, les autres bateaux et
la plage. Un après midi le vent se lève sans prévenir du
large, notre héros est sur le bateau avec deux petits
équipiers qu'il ramène dare dare à la plage, lâche du mou
sur le corps mort, le bateau est face à la vague dans des
creux de deux mètres. Il y a dans la cala d'autres bateaux
habités, un monocoque de 12 mètres britannique avec un
couple et la belle-maman, un catamaran Prout 27 habité par
un solitaire à son bord, un trimaran suisse, le bateau de
Mei avec beaucoup de jeunes à son bord. Notre héros passe
le début de soirée sur le Lobos à écrire, le corps mort
tient.
Après un passage sur le bateau de 12 mètres à discuter de
la civilisation actuelle, il rentre, dans la nuit le
bateau s'en va à San Miguel plus abrité. Le lendemain, la
journée se passe d'un bateau à l'autre buvant Coca, Vodka,
vin, effectuant de multiples allées et venues. L'annexe de
Mei s'est détachée dans la nuit et s'est éclatée sur les
rochers, un petit bateau à moteur a dérapé en provoquant
quelques dégâts sur le bateau de Hua, on est tout de même
arrivé à le récupérer, avec une autre annexe et deux
moteurs en l'amarrant sur un ancien corps mort du Lobos.
Dans la nuit suivante, le vent tombe ainsi que la pluie
mais quelle excitation de savoir qu'ils étaient tous au
bord de l’échouage. Lu revient avec son cata les jours
suivants, il aura bientôt vendu en pièces détachées un
ancien navire militaire et lui et notre héros comptent
partir en Guinée puis au Brésil vendre des générateurs
d'occasion. Sa femme et sa fille sont rentrés en Belgique.
Je ne sais pas très bien ce que je ferai ensuite.
Le premier septembre arrive avec Xiao Sang, notre héros
encaisse 8750FR. et 5000 pesetas pour rentrer en France,
c'est son salaire, il est libre de partir mais ce soir, il
y a une "full moon party" dont Kong lui a parlé à San
Vicente, il peut l'emmener s'il est à San Lorenzo à 17
heures. Ils vont d'abord avec sa femme et son fils de 12
ans dans une maison autour d'un feu où l'ambiance est
calme jusqu'à 23 heures. Puis ils vont à San Vicente où
l'on à mis des acides dans le punch et la techno très
forte dans de super baffles, il y a 200 personnes, le
punch décompose la réalité et rend agressif. Il y a Lu,
notre héros sent qu'il ne partira pas avec lui. Il reste
quelques jours avec les Kong dans leur finca sans eau ni
électricité mais tellement agréable sur un seul niveau.
Ils passent quelques journées à la plage. En partant en
stop un matin, notre héros lui laisse "Cartel" de Sulitzer
qui le motive à vivre comme son héros en Indonésie sur un
bateau avec des équipements informatiques suffisants pour
gérer le monde.
Barcelone
Il pleut, notre héros a un jean
déchiré, cela fait une centaine de jours qu'il a quitté le
Sud de la France, il a les cheveux longs et blonds, il est
mince et bronzé, libre et heureux. Il prend le ferry à 11
heures. En arrivant à 23 heures à Barcelone, métro jusqu'à
la gare de Sants qui est fermée jusqu'à 4 heures. il
s'installe avec son sac en compagnie d'un couple de
Suisses à l’extérieur de la gare, un type qui dort se fait
découper sous leurs yeux sa poche arrière avec une lame de
rasoir pour son portefeuille, il se réveille. Tous ont un
peu la trouille, à 9 heures, un train part pour Cerbère
pour 420 pesetas. L'arrivée dans sa ville d'adoption en
milieu de journée à la gare comme toujours. Il ne sait pas
encore où il va repartir, toutefois à posteriori il y
avait une invitée au mariage qui venait de Tahoe sympa et
un van traînait sur le parking de la cala avec une plaque
d'immatriculation Tahoe, le nom lui plaît, il aimerait
connaître.
Pacifique USA 12 août 1992
au 31 août 1992
Notre héros a retrouvé sa personnalité
propre et bien que toujours chinois, il se remet à parler
de lui à la première personne.
Une année passe pendant laquelle je
suis au pair dans une famille avec quatre enfants et
tranquille avec une vie rythmée par les mercredis après
midi, week ends, levers à 8 heures et couchers à 23
heures. Au début de l’année d’après, je ne sais comment,
je déclare à la fille au pair qui me remplace que je
compte émigrer et je me mets dans la tête trois
destinations, Darwin en Australie pour sa proximité avec
l’Indonésie, Vancouver au Canada ou Los Angeles et sa
région qui résonne dans ma tête comme la plus grande ville
du monde occidental dans un climat clément. Les trois
villes sont au bord de la mer, sont anglophones et sur
l’océan Pacifique ou presque. Je songe que je pourrais
devenir maire de Darwin, petite ville où j'aurais fait
fortune en commençant avec la Chine, l’Indonésie d’où
l'Australie est une bonne base de départ pour un
Occidental. Au début de l’année 92, je remplis un dossier
pour percevoir une allocation suite à mon état qui ne me
permet toujours pas d'obtenir de revenus par le biais de
mon savoir-faire dont je veux asseoir les bases ou d'un
travail rémunéré chez autrui.
Au mois de juin, lors d'une soirée, une copine américaine
rencontrée un an auparavant trouve que j'ai perdu la bonne
pratique de l'anglais que j'avais l'an dernier. Il faut
que je parte. N'ayant rien reçu dans les premiers mois de
mon allocation, j'obtiens un rattrapage de 6000FR., je
sais que Paris- L.A, je peux l'obtenir pour un peu plus de
3000FR., un copain m'apprend qu'une voiture de location,
c'est environ $100 la semaine. Avec ma carte VISA, je peux
retirer de l'argent partout aux USA et louer une voiture,
ce que je ne pouvais faire à 21 ans, trop jeune et pas
avec les bons moyens de paiement. De plus, j'ai assuré une
location d'une semaine qui donnera lieu à une commission
substantielle.
Un copain effectue un déménagement de Cannes à Paris, j'
économiserai le trajet Toulon Paris. J'envoie un fax à une
copine qui a une agence de voyages à L.A pour louer une
voiture, c'est OK pour $129 la semaine. Nous faisons donc
le déménagement, un aller retour et demi Cannes Paris,
deux nuits sans dormir, nous fêtons mon anniversaire le 11
et le lendemain matin, je suis tellement excité que je
n'ai dormi que quelques heures, Je me retrouve à Roissy
Charles de Gaulle avec un sac de 7kg, quelques T shirts,
un sac de couchage léger et je repère déjà une jolie
blonde avec un cycliste noir à dentelles.
C'est un vol charter, les vacances pour les uns et les
autres, le retour des jeux Olympiques à Barcelone, avec
mon jean grunge, mon T shirt et mes docksides, je suis
totalement à l'aise, j'embarque dans I'avion et m'assied à
côté d'une jolie brunette avec des reflets auburn, un
blouson en cuir noir perfecto et un jean, elle s'appelle
Lai Mi, elle est de Toulouse. Elle lit le magazine de
femmes Cosmopolitan et je trouve tout de suite quoi lui
dire, elle lit un article sur les rapports entre les
hommes et les femmes, j'ai beaucoup à en dire la dessus.
Nous étudions ensemble le sujet. Nous sommes sur une place
non fumeurs, et Lai Mi veut fumer, je lui trouve uneplace
assise à côté d'un basketteur de San Luis Obispo qui
revient de Barcelona chez les fumeurs. Je suis hyper
excité à cause du manque de sommeil. Je vois passer et
repasser la jolie blonde dont j’apprends par mon
voisin de gauche, californien, qu'elle est de Irvine au
sud de L.A, mais mon coup de foudre est paralysant, c'est
le stéréotype de la jolie fille sérieuse. Trop !
Lai Mi me plaît, elle ne sait pas très bien où elle va,
elle cherche quelque chose comme moi. Elle va retrouver un
copain à L.A qu'elle n'a pas vu depuis deux ans, elle
n'est pas sûre de le trouver à l’aéroport. Nous faisons
escale à Gander, à Terre Neuve au Canada après 6 heures de
vol. Je laisse ma carte de visite sur un tableau à cet
usage. Lai Mi me paie une bière, je n'ai pas de $ sur moi.
L'avion repart, j'ai mal à la tête, je n'en peux plus, je
me repose sur la banquette pendant que Lai Mi va au fond
de l'avion fumer une cigarette et à 14H locales, il fait
27°C de température extérieure sur Los Angeles, Nous avons
survolé la ville dont je n'ai pas constaté que c'est si
pollué puisque je vois le soleil. À l’arrivée mon voisin
me souhaite la bienvenue en Californie et me file son
numéro de téléphone à Culver City, je perd Lai Mi aux
Customs où je passe vite, puis aux bagages où je récupère
mon sac. Je suis pressé de trouver ma voiture qui sera mon
domicile principal puisque je veux en voir le maximum avec
dans l’idée de repérer un endroit où m’établir. Je ne suis
pas sûr de rentrer en France où j'ai développé des
relations impossibles sachant que je veux émigrer et que
rien ne m’enlèvera cela de la tête. Je prend le "shuttle"
de la boite de location de voitures qui m’amène depuis la
sortie de l’aéroport au parking des voitures de location.
Je m’inquiète sachant que je dois prendre une assurance
pour couvrir les accidents survenant au véhicule ce qui
augmente le prix quotidien de $9 par jour, ça augmente mon
budget location. Je pars dans une Ford Escort blanche
immatriculée récemment puisque le premier chiffre est 3 et
la première lettre est un A, une plaque californienne
étant constituée de un chiffre, trois lettres, trois
chiffres.
Les "How are you doing ?" amicaux à
mon égard me mettent à l'aise tout de suite et je pars
vers le nord ouest sachant que je veux prendre la route
vers San Francisco, la "l" : "one". Les voitures vont
lentement, je prend l'habitude de traverser les
croisements avec les feux suspendus de l'autre côté du
croisement. Je vois passer prés d'un supermarché un type
en train de traverser la rue avec un chariot plein, je lui
passe à côté sans ralentir et vois tout de suite derrière
moi une voiture de police sirène en route. Je m’arrête, le
flic descend et m'engueule. Je lui pressente tout timide
passeport et permis, il continue à me gueuler dessus. Je
sais dorénavant que les flics sont partout, que le piéton
est roi même en dehors des passages piétons.
J'arrive à Santa Monica dont je trouve le parking de Santa
Monica State Beach, Je sommeille dans la voiture jusqu'à
la nuit. Je roule une demie heure vers Malibu, sommeille à
nouveau et suis réveillé par des flics à une heure du
matin qui me disent que la plage est fermée la nuit. Je
pars un peu plus loin vers des habitations et à 4 heures,
je n'ai plus sommeil du tout, il est 13 heures en France.
Dans une "gas station", j’achète un hamburger et un
"sausage roll" sous vide réchauffé au micro ondes et je
continue vers Oxnard et Ventura.
Je repère un centre commercial avec des "versateller"
distributeur de billets, je teste ma carte VISA, je retire
$40 puis sur une colline je vois des bâtiments et
l'indication "Peppermint". Cela me fait partir dans un
souvenir vieux de 9 ans Ta An rencontrée en Grèce qui
m'avait dit en être étudiante. Je songe aussi que cela
fait 15 ans que je n’étais pas venu aux USA et que c'est
l'objectif enfoui que je traîne qui me manque pour réussir
ma vie pleinement et me sentir bien. Je pique une bonne
crise de larmes pendant une heure.
Santa Monica State Beach
Le jour se lève, je continue à rouler
tranquillement, je vois un port de plaisance, je vais
regarder les bateaux, les quelques plaisanciers qui s'y
promènent ce matin sont affairés après une nuit de pêche.
Je trouve de quoi faire ma toilette et repars lentement,
traverse Ventura, repère les plate-formes pétrolières en
mer. La " 101" : "one o one" passe à quatre voies. à
Carpinteria, Summerland, Montecito de grands arbres
bordent l'autoroute, le site est des plus accueillants, il
est 9 heures et il y a du monde,.une voiture de sport
rouge me double avec une femme avec des lunettes Oakley
qui sort à Santa Barbara, elle ressemble à une héroïne du
feuilleton. « J'imagine le meilleur » mais
continue, je longe 3 "state beach", à Solvang, je sors
pour voir le village peuplé par des colons danois. J'en
repars vite, le temps se couvre. À 55 milles, je suis
bien, libre en voiture sur une "freeway" californienne,
j'ai atteint un de mes rêves les plus denses. Je sors à
San Luis Obispo, ville tranquille, je vais boire un café
mocha (3) dans un salon de dégustation rustique avec des
murs de pierres taillées, quelques tables en bois blanc,
des journaux à consulter sur la vie de la ville,
spectacles, annonces. Tout semble facile et
calme. Le jour est bien entamé et en faisant le tour de la
ville en voiture, des champs, pas de zone industrielle.
Je reprend la "101" et sors à Morro Bay où le temps est à
nouveau couvert. C'est une ville de vacances, des bateaux
sont au mouillage dans un chenal, un pain de sucre ferme
le chenal sur la lagune. Le bois est le matériau de
construction principal au bord du chenal. Je m'imagine
vivre sur un bateau, me souvenant d'un téléfilm américain
dont l'action se déroulait dans un site semblable mais sur
la côte est des USA. Je n'imaginais pas en revanche
combien l'ambiance était à ce point détendue. Je ne
ressens pas d'agression comme j'en ressens en Europe. Je
n'ai pas la moindre idée d’où le changement de continent
me permet ce décalage de sensation. Pas de vent, pas de
bruit, je vais me garer dans un lieu d'habitation prés de
la plage à côté d'un pick up d’où un mecet une fille en
combinaison sortent deux surfs et je vais me baigner pour
la première fois dans l’Océan Pacifique. L'eau est à 20°C
environ, et tel le ciel de couleur sombre avec de
nombreuses particules de sable en suspension. Il y a une
plante;avec des bulbes que je ne connais pas, j'apprendrai
plus tard sur le wharf de Santa Barbara que c'est du kelp
géant enraciné remontant à la surface sur 20 mètres de
hauteur la "Kelp company" l'exploite à des fins de
substitut chimique. Je regarde le mec et la fille surfer
une bonne heure et le manque de soleil ne me gène pas, ça
rend la plage déserte, large d'une vingtaine de mètres
contrairement aux plages de la Méditerranée qui sont plus
des criques sur 5 à 10 mètres de large et quelques
centaines de mètres de long. Cette plage fait quelques
kilomètres.
Morro Bay
Je repars sur la "one", route côtière
au dessus des falaises. Le temps hésite entre la brume et
le soleil qui apparaît avec du vent au "William Randolph
Hearst Castle" que visitent bon nombre de touristes. Je ne
me sens pas d'humeur à me retrouver en compagnie des
touristes, Citizen Kane me parle guère et je continue. Je
préfère m’arrêter un peu plus loin devant le spectacle de
fun boarders avec un vent et une mer de force 6 puis à un
pic d'observation de Ia vie animale marine (phoques et
lions de mer), là la brume est totale. Un peu avant
d'arriver à Big Sur, il y a une ornithologue filmant des
mouettes, je m’arrête, en repartant, je pense à Henry
Miller que je n'ai jamais lu, je commence à fatiguer et
fais un somme à l’entrée de Carmel dont Clint Eastwood fut
le maire, pris dans un embouteillage.
J'arrive à la tombée de la nuit à Monterey, me gare près
du wharf et vais goûter un "clam chowder" soupe de clams à
la crème dans une miche de pain pour $1. Je ne trouve là
qu'à me promener mais cela est suffisant, je suis en
Californie, je passe enfin une nuit complète dans ma
voiture garée sur le parking du wharf, malgré un phoque
exprimant son désespoir dans les pilotis du wharf.
Le lendemain matin à 6 heures 30, je suis à l'ouverture du
Mac Donald's pour goûter à un petit déjeuner avec
"sausage" et "pancakes" que j'avais tant apprécié il y a
15 ans avec les Feng. 15 ans après, je suis déçu Je fais
un nouveau plein pour $8, le gallon (4 litres) est à
$1.25, je ne me ruinerai pas en carburant. Je n'ai pas
payé un cent de péage autoroutier, freeway signifie route
gratuite justement, c'est un bonheur de rouler en voiture
ici. Il n'y à pas non plus d'embouteillage pour l'instant.
Je retrouve ici le plaisir de conduire. Je n'ai plus de
voiture en France depuis trois ans. J'avais récolté d'une
large amende de 1500 FR et cela avait déclenché ma mise au
rebut de voitures dont je ne supportais plus le rapport
profit - bienfait I sommes dépensées. il pleut quelques
gouttes quand je repars, à Salinas, dans la plaine
agricole, j'ai le souvenir des "raisins de la colère" de
Steinbeck qui cadre parfaitement avec le livre : champs,
tracteurs, ville basse. En arrivant à San Francisco sur la
péninsule, la circulation sur le freeway s’épaissit.
Déjà après Satan Cruz, j'avais roulé dans une circulation
dense à 65 miles à l'heure sur une freeway toute en
virages dans une forêt de pins derrière une Mustang coupé,
doublant camions et voitures. En arrivant sur Jiu Jin Shan
que les Américains appellent San Francisco, je suis à la
recherche de Mission où habite une copine d'enfance que je
suis heureux d'aller voir dans son pays d’émigration.
Après être passé à embarcadère, assisté à un concert rock,
traîné au Fisherman's wharf, le "pier 39" où j'ai repéré
une société de "boat and breakfast", concept qui utilise
des bateaux comme lieu d’hébergement. Je reste autour du
centre Ghirardelli rebâti autour de l'ancienne fabrique de
chocolat où j'assiste encore à une animation musicale en
prenant une bière, visite une galerie de peinture.
Je suis amusé par quelques cyclo
pousses conduits par des jeunes, c'est un de nos
compatriotes qui fait travailler de jeunes américains. Je
n'entre pourtant pas dans notre quartier. Je passe en
voiture dans le pare du Presidio. J'ai enfin Ki au
téléphone et repars vers Anny street et Mission. Leur
maison était visible depuis le freeway en arrivant sur Jiu
Jin Shan mais je ne pouvais le savoir bien qu’ayant
remarqué un panneau publicitaire placé tout près avec une
connotation à la sécheresse :"do not drink water, drink
Bud", "ne buvez pas d'eau, buvez de la Bud (bière).
Effectivement Ki m'apprend que c'est la 8ème année
consécutive de sécheresse, qu'il y a même des économiseurs
d'eau sur les robinets.
Le lendemain je pars en ville trouver un restaurant où je
prendrais bien un café, m'assied à une table, consulte une
carte et me rend compte que les pancakes ne sont pas
l’exclusivité de Mac Donald's, j'en prend trois avec des
œufs et du bacon, "eggs over easy" c'est à dire "au plat"
par rapport à "scrambled" : "brouillés". Ma tasse de café
avec de la crème est remplie par la serveuse dés qu'elle
est vide, je comprend alors ce que signifie "bottomless
cup of coffee", tasse de café sans fond. Cela sera pendant
tout ce périple le bonheur du matin. Au retour chez Ki et
Kan, il y a Ka Lin et j’expérimente le yoga, je m'enfonce
une écharde dans le pouce et apprends que le 9Il "nine one
one" est le numéro de téléphone d'urgence californien. Le
soir "party" à la maison et bain dans le spa à 4 personnes
à discuter des derniers films. La température extérieure
est de 20°C mais l'eau du spa est chaude et l'ambiance
conviviale. Le spa est avec le roller blade une invention
californienne qui facilite la communication et améliore la
connaissance des étoiles puisqu'on peut l'utiliser en
extérieurs, dans le jardin, l'eau reste chaude dans la
baignoire sous une couverture à enlever pour rentrer dans
le bain.
Golden Gate Bridge
Le lendemain dimanche, je pars vers
Sausalito, traverse le Golden Gate Bridge dans la brume
après avoir pris trois auto stoppeurs allemands pour
traverser le pont dans Ia brume. À Sausalito, je vois un
shipchandler et rentre pour savoir si existe aux USA un
produit électronique consistant :.à détecter un homme
tombé à la mer et asservissant le pilote automatique pour
arrêter le bateau, le responsable du magasin me dit que
non mais que le prix que j'en propose, $800, est le prix
du marché. Cela fait 6 mois que j’étudie le problème en
France. Le produit est techniquement réalisable et j'ai
fait une demande de subvention pour l'étude de faisabilité
à l'exportation. J'en ai atteint l'objectif, il y a un
marché ici avec quelques réseaux de shipchandlers à
contacter pour la distribution. Je n'en connais encore ni
la taxe d'importation ni l'existence d'une
administration réglementant le produit. En m’éloignant de
Sausalito, Ia température augmente de 10°C. Les champs
sont jaunes, c'est bien la sécheresse comme l'indiquait un
journal "La baie allait-elle mourir de soif ?" Jiu Jin
Shan et ses environs, Oakland, Berkeley sont appelés "The
Bay Area". Je goûte le vin de la "Napa Valley" dans deux
domaines, quelques $ la bouteille. Il vaut le vin français
au même prix.
Je continue à faire le tour de la "Bay Area" en passant
par Vallejo, m’arrête à Berkeley, d'abord à la marina d’où
je téléphone à une fille qui avait laissé une annonce pour
trouver un plan de voyage. Je tombe sur un répondeur. Je
vais sur le campus avec des bringues dans la plupart des
maisons, je parcours la rue principale avec vente de
disques vinyle, CD, fringues, pizza. Je ne peux résister à
une "slice" tranche de pizza aux pepperoni. C'est vraiment
trop bon l'ambiance de campus américain ; une ville
complète où la fête est forcément au rendez vous. Je m'y
planterais bien surtout que je perçois le "feeling"
parfaitement. L'avenir semble appartenir à ces jeunes
Américains.
Je suis en voyage, je rentre chez Ki et Kan par le pont au
milieu de la baie en payant $1, on paie pour rentrer, pas
pour sortir sur Jiu Jin Shan. Nous partons dîner de sushis
avec Ka Lin, c'est le Japon à la mode californienne et ma
référence en matière de restauration raffinée depuis qu’au
mois de juin, j'ai emmené la belle allemande pour un dîner
d'adieu à Aix en Provence en espérant se revoir.
Ce soir je pense que je dois rouler, j'ai vu, je veux
encore voir, je ne suis pas fatigué, je pars vers le nord
en prenant la route côtière, la "one", je commence à
traverser la forêt de "redwoods" ou sequoias, avec
l'impression de rouler au milieu de cathédrales. Je prend
trois jeunes auto-stoppeurs de 21, 19 et 16 ans qui
viennent de Palm Springs et vont à Vancouver travailler.
Je les dépose au bout de deux heures, ils m'ont
appris ce qu'est un "skank", un putois, cela sentait
effectivement mauvais et le nom en américain du saut à
l’élastique le "benjy jump". Vers une heure, je m’arrête
dormir, au petit matin, il fait brumeux et je trouve un
excellent petit déjeuner où je regretterai toujours de ne
pas avoir laisse de pourboire, tellement la serveuse était
gentille, n’étant pas habitué au "tipping".
Ce coffee shop était le prototype américain, un comptoir
avec quelques tabourets, des banquettes en simili cuir sur
des tables à 4 et 1 ou 2 serveuses remplissant les tasses
de café des clients. Reparti vers Eureka sur la 1O1, où je
prend un auto stopper dansant sur la route, il a une
quarantaine d’années et il est très clean. Nous allons
ensemble jusqu'à Crescent City, la ville frontière
Californie Oregon. Il a voyagé pendant 20 ans aux USA de
cette façon, il travaille comme charpentier quand il
s’arrête de bouger.
Je passe la frontière et suis la 101 le long de la côte
plutôt que de prendre la 5 plus rapide qui passe par
Eugène et Salem capitale de l’État puis Portland à la
frontière avec Washington state.
Coos Bay
Au contraire, je m’arrête à Coos Bay, les baies m'attirent,
après Morro Bay, j'aime les lieux maritimes d’où l'on peut
rêver d'îles lointaines ou tout simplement de rester pour
continuer à rêver. Le soir en arrivant à Portland, vêtu de
mon jean grunge, je dîne dans un restaurant grec et fais le
tour des bars, passe à nouveau devant notre quartier sans
m'y arrêter, je suis en voyage. Je ne fais qu'entrevoir la
ville mais j'en ai une petite idée suffisante, je vais me
garer et dormir sur un parking de supermarché prés d'un
pont. Le lendemain de Vancouver (Washington state) de
l'autre côté de la Columbia River de Portland, je trace vers
Vancouver (Colombie britannique) d'une traite en passant par
Olympia capitale de l’État puis Tacoma et Seattle.
J'apprends sur la route que Vancouver était un découvreur
maritime du 18ème siècle et je suis émerveillé de voir sur
les plaques immatriculation des voitures de la "British
Columbia" " Beautiful British Columbia", c'est effectivement
très beau. Il fait grand soleil.
A Seattle, j'avais aperçu Boeing, des hangars, des pistes.
De Vancouver, je vois un centre ville plus européen, des
immeubles d'habitation, une promenade le long de la plage,
un terrain de boules, le Starbuck Coffee qui offre des cafés
expresso et une rue piétonne avec des magasins. Le prix de
l'essence se rapproche du prix des pays européens, le double
des USA, la moitié de l'Europe. Je sors de Vancouver vers le
nord en passant prés de l'aquarium dont je regardais une
série télévisée dans ma période lymphatique qui mettait en
scène un vétérinaire et ses deux enfants dans des aventures
écologiques. Je passe prés d'un port de plaisance et vais y
voir les bateaux. Je demande au club nautique si l'on
navigue toute l’année. On me répond que oui, effectivement
le climat est humide mais les tombées de neige peu
fréquentes. J'apprends l'existence d'une station de ski,
Cypress Park à 20 minutes du centre de Vancouver d’où je
vais jeter un coup d’œil sur la ville.
J'aimerais aller sur Vancouver Island mais je ne sais pas si
j'ai le temps, je vais toutefois sur un des lieux
d'embarquement en ferry, Horseshoe Bay. Le temps d'y
réfléchir, je vais dîner dans un restaurant fast food tenu
par un compatriote et à la fm du repas on me remet une
coquille comestible avec une prédiction à l’intérieur :"il
est temps que vous sortiez de votre coquille, prenez un
nouveau départ". Je le prend comme un tournant dans ma vie,
me réintégrer dans la société et repartir vers le sud. il
fait bien jour encore, je rentre à Vancouver regarder le
soleil se coucher depuis la promenade sinueuse au bord de
l'eau. Un type se ramène avec un serpent d'1,50 mètre, il
est avec un copain pieds nus, ils jouent avec la bestiole à
moitie morte, ils s'en vont. Une jolie fille blonde vêtue
d'un jogging rose passe en VTT. Elle sourit en me voyant
affalé dans l'herbe. Je réponds à son sourire, elle passe.
Je songe que je veux faire de mon entreprise une entreprise
américano-européenne et commerçant spas ou sirops d’érable.
À la tombée de la nuit, je fais un petit tour dans les rues
touristiques et reste parqué prés du jeu de boules et de la
promenade. Je m'y endors.
Vancouver
Le lendemain matin, je retourne vers
la rue piétonne où le petit déjeuner canadien est aussi
succulent que l’américain parce qu'identique.Seul diffère
le cadre peut être, ce matin là, je mange en même temps
qu'un policier en uniforme. Le prix est supérieur de 10%
sans doute. Je fais le tour du centre ville en voiture à
la recherche de journaux d'annonces pour évaluer le coût
d'une location d'appartement, je trouve aussi la chambre
de commerce pour connaître la réglementation des
entreprises en Colombie Britannique, je relève aussi les
coordonnées de quelques magasins de vente de cerf-volants,
dont je connais un modèle original fabriqué par une
voilerie en France pour une exportation. Je reprends la
route des USA sachant que Vancouver est largement vivable
pour moi : mer, montagne, affaires. Je ne suis pourtant
pas allé voir une entreprise de formation internationale
dont j'avais les coordonnées du siège social à Vancouver
que j'avais appelé plus d'un an plus tôt pour obtenir des
informations. Je ne croyais pas pouvoir si rapidement
visiter leur pays.
De plus j'avais la possibilité de rester 6 mois sans visa
au Canada contre 3 aux USA. Je repasse la frontière dans
les embouteillages en étant très triste de quitter un pays
si "beautiful" où je resterai bien. Je reste bloqué une
heure sur l'autoroute en quittant Seattle où d'une file à
l'autre, je me fais draguer par deux jolies filles dans
une Corvette cabriolet qui restera sans suite. À Olympia
je profite d'un arrêt dans un "Kentucky fried chicken" où
je goûte l’Amérique dans ce qu'elle a de meilleur, ses
"fast food", de la nourriture pour gamins en pleine
campagne presque.
Je repars vers Aberdeen sur la côte à nouveau plutôt que
de prendre la 5 vers Portland directement. il y a là bas
un festival de "kites", je vais voir à quoi ressemblent
leurs cerf-volants en action, j'ai déjà des adresses de
distributeurs, que pourrais-je encore trouver? À l’arrivée
dans la ville, il fait nuit, les activités sont terminées,
je vais boire une bière dans un bar, ma première bière
nocturne du voyage, l'ambiance est franche, un grand
comptoir, une salle en bois de 100m2, un billard, quelques
tables, des tabourets de bar, deux TV, Coors, Miller,
Budweiser en avant "draft please" une pression s'il vous
plaît. C'est un autre des meilleurs de l’Amérique, le bar
en fin de journée. La journée rythmée par les passages aux
coffee shop le matin pour quelques pancakes, œufs, bacon
et "hashbrowns" (pommes de terre sautées) puis fast food
et bar avec de la bière pour améliorer la communication,
avec des kilomètres entre les étapes, j'y trouve là un
séjour en Amérique tout à fait plaisant et enrichissant.
Je suis d'autant plus heureux qu'en voiture je profite de
la FM stéréo dont depuis 15 ans j'en connaissais la
teneur, du rock, du bon.
Le nord ouest des USA est le berceau de "Nirvana", "Pearl
Jam", "Temple of the dog", j'ai appris l’existence de ce
dernier groupe par un auto stoppeur d'environ 25 ans
emmené deux jours auparavant qui à peine rentré dans la
voiture, pour m'expliquer ses convictions écologiques,
coupa la FM. Que je rallumai aussit6t. Il était contre
tout, armé de son petit sac à dos, mais convaincu. La
route en Amérique du nord est un défilement d'images et
sons simples dont je rêvais depuis mon enfance en
regardant une photo d'un livre de géographie sur Ia
"transcanadienne". J'avais appris à 8 ans que le Canada
comme les USA sont chacun 20 fois plus grands que la
France et pourtant deux fois moins peuplés pour le Canada
et cinq fois plus pour les USA. Je repars vers
Astoria, franchis le pont de l'estuaire de la Columbia
River. Il est tard, je m'endors sur un parking.
Klamath Falls
Le lendemain, je veux voir Klamath
Falls, à la remontée vers le nord, j’étais passé à côté de
la Klamath River et avais été même émerveillé devant le
spectacle de cette rivière sauvage dans une nature
hospitalière vierge qui évoquait en moi "La rivière sans
retour" avec Marilyn Monroe et Robert Mitchum. Mon âme se
plaît à vivre la vie des héros de westerns, ceux là
particulièrement me reviennent, l'un et l'autre ne sont
satisfaits de rien et ne peuvent envisager la vie à deux,
le monde des hommes est trop imparfait pour connaître
l'harmonie à deux. Il faut que se déroulent bon nombre
d’événements avant qu'ils ne puissent se sentir sereins.
En arrivant à Klamath Falls, je fais plusieurs fois le
tour de la ville en voiture, il est 17 heures, il n'y à
personne dans les rues, c'est le western, je prend un
journal gratuit d'annonces, les maisons ne valent rien, 4
pièces pour $50000. Je rentre dans un restaurant,
m'assied au comptoir, il y a deux autres personnes, une
femme de 45 ans et un ancien. La serveuse est gentille, je
discute avec elle, lui demande ce que l'on peut répondre à
"How are you doing?", elle me dit "Awesome, Dude" comme
dans les ninja turtles que regardent ses enfants le matin
"Tellement bien que cela en impose le respect, espèce de
poseur". C'est intéressant mais plutôt "I am fine, thank
you" ; Lorsque j’étais venu il y a 15 ans, on disait "How
are you ?" J'avais été déconcerté par le "doing" dés mon
arrivée à L.A.
Je lui demande aussi où sont les "Falls" chutes, il n'y en
à pas, il y a seulement un lac. Je m'en vais voir le lac
puis fais demi tour et pars vers le sud, la route est
droite sur plusieurs kilomètres avec le mont Shasta au
bout 14162 pieds d'altitude (3500m), c'est magnifique. Le
lendemain soir, j’apprends à la TV chez Ki et Kan qu'il y
a des feux de forêt autour du Mont Shasta. Un peu avant
d'arriver à Jiu Jin Shan sur le freeway, je sais que je
dois faire ma piqûre de neuroleptiques mensuelle, et
je ne sais toujours pas la faire moi même. Je vois une
sortie avec un hôpital Cottage Grove : expliquant mon cas,
une femme médecin chef me fait gentiment mon injection.
J'avais dormi dans un arrêt sur l'autoroute et guère
dormi, il faisait brumeux, il fallait calmer l’inquiétude
permanente qui règne dans la voiture la nuit à voir qui
s'approche le cas échéant et attendre le jour, pour aller
prendre un bon petit déjeuner. L'injection était
sécurisante..
A Jiu Jin Shan la température extérieure est toujours
basse, 19°C. Ki et Kan sont occupés pour les prises de vue
d'un concert, je vais faire un tour dans les "hot spots"
du rock en live. Je trouve notamment un bar avec du blues
où une fille m'invite à danser, génial l Ce n'est pas le
"Hard Rock Café" mais j'ai tout de même les oreilles au
paradis. Le lendemain, un coup de main à Kan pour le
matériel de prise de vue du concert et Kan m’emmène goûter
aux "burritos" de la cuisine mexicaine que je ne
connaissais pas encore dans Mission. C'est un nouveau coup
de foudre pour de la cuisine "Made in Mexico". Le
lendemain avec Fu Lo la cousine de Ki nous partons faire
des courses, des docksides pour une commande pour une
copine en France. Elles sont deux fois moins chères. Nous
passons par un "combo" chacun à Freetime ou menu. Un
passage l’après midi au Golden Gate Park pour quelques
cartes postales à écrire dans la fraîcheur de fin de
dimanche.
Lundi matin, départ en retard de Fu Lo
que je réveille, elle a manqué raté son avion et me voilà
parti moi aussi vers Sacramento. J'avais pris avant de
partir en France les coordonnées d'une entreprise
construisant une voiture volante à Davis où il y a une
université de sciences et aéronautique quelques miles
avant Sacramento. Je prend la Research Drive et trouve le
chemin de la Moller Corporation, le directeur du marketing
me reçoit et m'explique qu'il construisent le M 400, qu'il
y en aura 100 000 en l'an 2010 au coût de $100 000,
qu'elle sera entièrement automatique. Je vois les
brochures et articles de presse détaillant l'engin qui
avec 4 personnes décolle verticalement et se ravitaille en
carburant dans les stations service traditionnelles. Le
futur est en route
en Californie. On rira beaucoup de moi quand à mon retour
je raconterai cette description et pourtant.
Chercher à comprendre est pourtant utile et ce n'est pas
un réflexe permanent pour beaucoup qui jugent avant tout
de la folie qu’ils ne comprennent pas, par manque de
repères quotidiens sans doute. J'arrive au Lake Tahoe dont
on remarque que Tahoe signifie dans notre langue "grand
lac" "Da Hu, il est donc possible d'en déduire que notre
peuple a conquis l’Amérique il y a 10 000 ans en venant
par le détroit de Béring, cela ayant été confirmé par
l'analyse des groupes sanguins.
Tahoe, c'est Squaw Valley, les jeux olympiques de 1960 et
d'autres "ski resorts", un lac à 2000 mètres d'altitude.
Je me pose un moment sur une plage et je joue avec un
jeune garçon au frisbee. Je suis passé de la plage de la
cala Benirras à une plage sur le Lake Tahoe, merveilleux,
le monde ne fait qu'un. L'eau est bonne, 21°C, à cette
époque de l’année. Je bois ensuite une bière à Tahoe City
en essayant de m'informer sur les stations de ski locales.
Je n'en apprend guère. En faisant le plein d'essence, je
trouve des cigarettes indonésiennes "kréték" aux clous de
girofle. Le soir, je passe au Nevada, m'installe sur une
colline au dessus de Carson City qui évoque en moi Lucky
Luke, c'est la capitale du Nevada, je fais un tour dans
une salle de jeux mais n'ayant pas de goût pour le jeu, je
ne fais que parcourir cinq minutes la salle.
En repartant le matin, je passe à South Lake Tahoe où l'on
joue puisque c'est dans le Nevada contrairement à Tahoe
City en Califomie. J'ai un long chemin jusqu’au pare
Yosemite. J'y rentre gratuitement, c'est le jour gratuit
de l’année, quelle chance, j'avais néanmoins un pass
valable un mois que m'avait donné Fu Lo. Les pares
nationaux avaient été créés à la fin du siècle dernier
sous l'impulsion de John Muir, écologiste avant l'heure.
Je roule pendant quelques heures à travers le park,
contemple le dôme mais ce circuit ne m'aura pas satisfait,
les voitures en file, les arrêts "obligatoires". La visite
aura été fatigante. Je m’arrête en fin de journée pour un
pique nique au bord de la route et d'une rivière, avec des
moustiques.
South Lake Tahoe
Le lendemain matin, je rencontre la
plus jolie et gentille serveuse que j'ai rencontrée de
tout le périple, je fus séduit par son geste d’au revoir.
C’était dans un chalet qui faisait hôtel, restaurant, bar.
Les Américains ont vraiment un comportement "friendly"
amical. Elle ne me connaissait pas mais gentille à en
faire fondre. C'est un signe de civilisation et de
compréhension, ce que l'on ne trouve pas en France à mon
sens. En Amérique je suis tombé amoureux de bon nombre de
serveuses. En partant sur Fresno, je me sens sale, avant
de sortir du park, je me fais une toilette dans une eau à
10°c, un rasage sans mousse, un bain à la fraîcheur
sauvage qui contraste avec la chaleur de Fresno, ville
hispanophone. À Fresno, j'ai la vision dans mon
rétroviseur d'une Continental, une modèle de luxe des
années 70 que j'avais repéré à l’époque avec une femme
avec un immense chapeau à son volant. Elle semble vraiment
être d'une autre époque.
Je continue vers le sud sans excès de vitesse, j'aperçois
un hélicoptère qui fait la surveillance de la route. De
Fresno, je prend une transversale la 41 vers San Luis
Obispo où j'avais envie de revoir le rocher de Morro Bay.
Je fais un stop à Pismo Beach, une grande plage où je
m'assied à côté d'une femme aux larges cuisses avec deux
petits enfants.
J'arrive sur Santa Barbara dont j'avais admiré les grands
arbres le long du freeway à I'aller. Je décide de sortir
en pensant bien sûr au soap opéra télévisé. Je suis étonné
par la plénitude du lieu, où l'on pourrait manger sur les
trottoirs de State Street, l’artère aux multiples feux de
circulation qui remonte lentement depuis le Stearns Wharf.
Effectivement le City center de Santa Barbara est organisé
comme une croix dont le centre est la fontaine aux
dauphins, en bas le Steams Wharf, à gauche le port de
plaisance et à droite les terrains de beach volley reliés
par le "beach way" piste cyclable et de roller blades et
en haut les bars, restaurants, cinémas, magasins. Je dîne
de la cuisine mexicaine à Alex's Cantina. Puis je vais
dormir sur le parking du port et tôt le matin, je vais
écrire une carte postale à ma grand mère fan du soap que
c'est une très jolie ville en dégustant un café parfumé à
la vanille.
Surf à Malibu
Je retourne sur L.A, avant d'arriver
je reste un moment à Malibu à observer des surfers, trop
longtemps, j'attrape une contredanse. Je téléphone à Lai
Mi que j'avais rencontrée dans l'avion qui me dit de venir
la trouver chez son copain qui est au boulot. Elle est à
Torrance au sud de L.A prés des plages, elle s'est faite
couper les cheveux et ça ne se passe pas très bien avec
Bai Lu, elle s'ennuie, il travaille. Bai Lu arrive, il est
sympa et nous partons tous les trois acheter de la Coors
pour aller à une party à Manhattan Beach, avec filles et
bière, c'est chaud, les jolies blondes arrivent toutes les
unes après les autres, plutôt mignonnes à très mignonnes.
Facile! Bai Lu veut quitter la bringue, je les suis, il
emmène Lai Mi à Las Vegas. Je repars dormir sur un parking
tel le cow boy solitaire.
Le lendemain je pars vers Tijuana à la frontière
mexicaine, Huntington Beach, Long Beach, Newport Beach et
Balboa Island. Huntington est une plage, Long Beach une
ville, Newport un grand port de plaisance et Balboa une
marina. Je me gare dans Balboa Island, achète 4 T shirts
et quelques coquillage que vendent des enfants pour
quelques cents, ils ont beaucoup de valeur à mes yeux
parce qu'ils viennent du Pacifique, un Océan bourres
d’idéaux de par son nom, où la vie peut renaître quand
elle n'est plus, tellement il est grand et vide de
populations. Un challenge pour l’humanité : "L'avenir de
l'homme se fera sur les mers ou ne se fera pas." Après
avoir traversé un canal au moyen d'un bac, je me retrouve
dans l'herbe sous des cocotiers à côté d'une plage à
écouter du gospel chanté par des noirs. Je baigne dans le
bonheur.
Avant d'arriver sur San Diego, je vois Irvine,
l’université où la belle californienne du vol charter
étudie, c'est en plein désert. En arrivant sur le freeway
à San Diego, un avion atterrit au dessus de ma tête. Fort!
Je fais un stop pour boire une bière au club nautique, il
y a deux filles superbement roulées, une blonde et une
brune vêtues de robes courtes noires avec un type, je les
observe et à la sortie du club, un type vient vers moi me
demander si j'ai un truc pour ouvrir une porte d'une
voiture en marche dont les clefs sont à l’intérieur. Je
n'ai pas de solution et repars vers la frontière que je ne
passe pas. Je vais me perdre sur une route en imaginant
pouvoir passer sans présenter de passeport comme un
clandestin. J'ai vu le Mexique de l'autre côté de la
frontière, ça sera pour une autre fois. Je reviens dans le
centre de San Diego, je me promène sur le port, passe sous
Ia carène d'America 3 qui vient de remporter l'America
Cup, je relève aussi un fascicule qui traite de la
nourriture cellulaire, je ne comprend pas très bien de
quoi il s'agit, j'apprendrai plus tard que c'est le réseau
Herbalife dont le siège social se trouve à L.A. Je
retourne dans ma voiture.
Université de San Diego
Le lendemain matin, je prend un café
et des pâtisseries dans un hall de presse à feuilleter une
revue nautique, Sail. Je retourne lentement sur L.A où je
cherche le signe Hollywood sur Ia montagne et le boulevard
pour lire les noms des "stars" sur le trottoir. Je me
retrouve à Malibu, cherche le Topanga Canyon puis trouve
le Sunset boulevard que je n’hésite pas à prendre, 4 voies
sinueuses sur une colline "Beverly Hills", les Cadillac et
les Mercedes hantent le quartier des stars dont il est
indiqué un peu partout des ventes de guides de leurs
résidences. Je m’arrête devant une boite où je demande à
quelle heure commencent les concerts. à 21 heures, je
repasserai peut être, en attendant je continue vers
Melrose tellement "hype" avec des filles magnifiques. Une
brune aux cheveux longs, yeux bleus, bronzée dans une robe
courte bleue. Elle est venue à un rendez vous avec une
copine. Trop belle !! Et moi j'en reste paralysé.
Je déguste un "chile fries" un chili con carne avec des
frites et un grand coca cola sur un comptoir, je ne
cherche pas à établir le contact. Je vis mon rêve. lei
c'est vraiment bien "l'apex" et "l'épitomé" réunis :
l'apogée et la quintessence du monde occidental. On ne le
cherche pas tous, mais on peut le trouver à L.A. Le
Iendemain matin je vais à Santa Monica sur Ocean Avenue au
"Ocean Seafood" pour un brunch, peu de monde, il est 11
heures quelques tables dehors, mon look grunge dénote avec
les autres clients dans Ia meilleure des tenues mais VISA
fait l'affaire. Épinards, saumon, petits gâteaux, café,
une serveuse blonde et jolie pour chacun des plats, un
bébé requin dans un aquarium à trois mètres, une belle
table ronde en bois. J'ai manqué ne pas terminer mon
repas, tellement riche que je risquerais de ne plus rien
apprécier d'autre si j'en prenais l'habitude, prix
modique, $14. La veille, ma soirée était plus simple à
Venice sur Main street où je cherchais un bar pour
célibataires et trouvais finalement une terrasse avec de
la Coors devant une TV.
Coucher de soleil à Venice
J'ai passé l’après midi sur Venice, à
contempler les spectacles dans lesquels les Noirs disent
aux Blancs de ne plus les craindre comme pendant le mois
de juin passé des émeutes. Un noir musculeux a choisi un
spectacle qui met en scène des spectatrices danseuses avec
un "sound system" de rap mêlé de rock. La quatrième est
une blonde bien faite qui choisit comme unique spectateur
le metteur en scène, il est soufflé et elle ravie, le
public aussi. Le soir, à Redondo Beach, je repère un bar
sur le wharf avec du blues rock et une serveuse un peu
plus âgée que moi tellement belle dans ses "sneakers"
chaussures de sport, son short blanc et son T shirt
décolleté. Simple encore. Dernière journée du voyage,
lundi, Lai Mi a dû rentrer de Las Vegas, je retourne chez
elle, nous partons vers Manhattan Beach et nous
rencontrons Wu Ho Le, il est en vacances, nous déjeunons
tous trois de burritos et tacos, flânons sur Venice Beach
en touristes et le soir nous nous retrouvons tous avec Bai
Lu et ses copains dans un pub à Redondo Beach.
Je m'ennuie et observe deux filles short en jean, boots, T
shirt et veste en jean, des cow girls avec un copain.
Elles font beaucoup de bruit et écrivent des cartes
postales de filles nues, je fonce, Ka Ting Lo est manager
d'un groupe de rock à Bremerton en face de Seattle et An
Ma éducatrice ici à Redondo Beach, elles ont mon age, il
ne faut pas que je retourne en France, elles me proposent
de partir avec elles en vadrouille, Lai Mi m'appelle et
m’entraîne dehors, je la suis et nous nous en allons, j'ai
suivi et nous partons en boite. Le lendemain matin Wu Ho
Le m'accompagne à LAX, à ma rentrée dans le Bradley
terminal des vols internationaux, des Français se
demandent à voix haute de quel pays suis-je, ça me fait
penser que je suis le prototype du californien convaincu,
grunge et cheveux décolorés par l'iode et le soleil. Je
pleure toutes les larmes de mon corps, le bonheur doit-il
être fugace et ne dois-je le vivre qu'à petites doses au
risque d'en faire une overdose ?
Les opportunités qui se sont présentées à moi d’être
heureux, j'ai souvent préféré ne pas les prendre, ayant
une confiance dans l'avenir et en moi illimitée depuis que
je sais que je suis capable de réaliser mes rêves. Il faut
seulement que je m'en donne le temps mais pas trop
longtemps quand même. J'ai rendu la voiture avec un total
de 5500 miles parcourus soit 9000 kms, ayant dépensé $200
de "unleaded gasoline" essence sans plomb et $4 de péage
pour traverser des ponts. À mon retour à Paris, je prend
le train et m’arrête à Lyon où je m'endors dans la gare
par terre.
Santa Barbara hiver
18 novembre 1992 au 14 janvier 1993
Deux mois passent, septembre et
octobre, pendant lesquels je me revois au LAX Bradley
Terminal, LAX étant le nom de l’aéroport, dans mon jean
grunge, mon T shirt, cheveux décolorés, gros sac ultra
léger vivant mon Californian Dream que je vais chanter
ensuite dans les karaokés toulonnais dans ma version de
"Born to be wild" de Steppenwolf, le héros que je me sens
vivre, en décalage perpétuel avec ce que je dis ou ce que
l'on entend, le "skycar", la voiture volante, Ocean
boulevard, les freeways 101, 405, dites "one o one", "four
o five". À Saint Tropez lors d'une soirée pendant la
Nioulargue, la régate rassemblant les grands bateaux de la
Méditerranée et les transocéaniques, je prend conscience
que je dois repartir pour l'hiver au vu de l'ambiance de
fête anglo-saxonne. La technopôle de Davis où l'on
construit le "skycar" avec le Lake Tahoe et ses stations
de ski à proximité me tentent. Je pourrai faire du
marketing, être roommate dans une maison d’étudiants me
faire domicilier comme je pourrai, m’acheter un fax, un
vélo, donner des cours de français, être au pair,
m’insérer dans la vie locale comme je n'y suis encore
arrivé nulle part en partant du postulat que dans une
ville où l'on travaille sur une voiture volante, mes idées
avant gardistes seront bien accueillies.
Le 16 novembre, je suis donc à Paris, je ne suis pas tout
à fait à mon aise dans le projet de ce voyage. Je dois me
trouver à 12 heures à Roissy Charles de Gaulle, il pleut,
et je manque arriver en retard, je ne me suis pas
réveillé, ce qui ne m'arrive jamais. Mon retour est prévu
dans trois mois, la durée autorisée sans visa, je n'irai
pas au salon nautique de Paris au mois de décembre, je ne
traverserai pas non plus l'Atlantique en bateau. Je vole
vers la Californie, vers Jiu Jin Shan, avec Northwest.
Nous sommes quelques uns à émigrer pour une durée de trois
mois avouée et plus si la chance nous sourit. Nous nous
posons sur Detroit et y faisons notre déclaration d’entrée
sur le territoire américain, là, je ne me révèle pas assez
dans le droit chemin du touriste et me retrouve avec
quelques autres dans une salle à attendre mon tour pour
voir un officier. La correspondance est dans deux heures,
il ne faut pas que cela dure trop. Une demie heure passe,
une fille ouvre tous ses bagages avec des curriculum vitae
et des justificatifs de travail, elle repartira sur Paris.
Vient mon tour, j'avais expliqué tout
à l'heure que je venais pour prendre des vacances et faire
des affaires si cela était possible. Je dis alors que je
suis "yacht broker", que j'organise en France des
croisières en voilier et que je désire créer une activité
aux USA mais aussi pour skier et faire du bateau, et que
ma vie a du mal à cerner le loisir de l'occupation
obligatoire qu'est le travail. Au bout de trois minutes,
l'officier me confirme ma rentrée aux USA. Je pars
chercher mon bagage qui a explosé pour rejoindre le
terminal des vols intérieurs. Sur Detroit Jiu Jin Shan, je
m'attendrai dorénavant à ce que les hôtesses soient
jolies, brunes, au contact facile. Avec un français qui
vient voir sa copine, nous nous rendons dans la cabine des
hôtesses leur demander un jus d'orange et Lu Fang, cheveux
ondulés avec une jolie barrette, nez busqué, fine, me
demande si je pars comme ça à l'aventure sans connaître
personne. Je lui répond que oui. Sa copine lui demande si
elle en ferait autant, elle pense que oui. Elle habite
Akron dans l'Ohio, la ville de Goodyear, le manufacturier
de pneus. Mon père s'y était rendu il y a 18 ans lors d'un
voyage incentive. Son retour avec 4 disques vinyle
de funk et de soul avait été la premier incursion de la
musique américaine dans ma vie.
Je ne suis toujours pas prêt à partager ma vie, mon
objectif est la Californie, je quitte Lu Fang. Deux jours
plus tard, je pense bien que je ferais des recherches pour
savoir qui elle était et connaître son adresse pour la
rejoindre. Je m'imagine regarder le trombinoscope des
hôtesses de l'air de Northwest, compagnie dont
j'apprendrai dans le courant de l'hiver qu'elle compte
55000 employés et que 2000 seront licenciés suite à ses
graves difficultés financières.
A Jiu Jin Shan, il est 21 heures, je loue une voiture chez
National, je vais partir tout de suite vers Sacramento. Je
connais bien la route, je ne suis pas fatigué. Arrivé à
Davis à 2 heures du matin, je tourne dans la ville, dans
le campus de l’université. Je trouve un coffe shop, des
journaux d'annonces avec les rubriques "share housing",
"rooms for rent", il y a quelques possibilités autour de
$300 le mois. J'engouffre mes pancakes, la patrouille de
police de nuit prend aussi son breakfast. À 4 heures, je
pars vers Tahoe, fais de l'essence à 6 heures dans le
froid, très froid. À Jiu Jin Shan c’était l’été indien,
l'été dernier, c’était chaud tout simplement. Au lever du
jour, ce sont les premières neiges de l’année, le vent
souffle autour du lac bien moins accueillant.
Je vais au pied de Squaw Valley
(dire squa), il y a 10 cm de neige sur la route, il n'y
a pas les infrastructures hôtelières et résidentielles
qui existent en France. Je retourne à Tahoe City, vais
au chamber of commerce pour prendre des infos sur
la création d'entreprise ici, la possibilité de trouver
un logement, il y a des chambres à $150 le mois, c'est
moins cher qu'à Davis, mais j'ai peur de m'ennuyer
enfermé dans une maison et pas tellement envie de faire
du ski. Je passe quelques coups de fil aux annonces de
chambre, tombe sur des répondeurs. à midi, il fait
soleil. La fille de la chamber of commerce était
jolie, je m'en vais, les routes sont enneigées. À 16
heures, je suis à Davis, je repasse chez Moller où le
directeur du marketing me donne d'autres brochures du
M400, mécontent que les Français à qui j'avais raconte
l'existence du skycar ne me croyaient pas. Je retourne
sur Jiu Jin Shan puis descend sur Salinas où le soleil
brille, le froid ne m'aura guère tenté, j'ai besoin de
sud, de mer, de chaud, d'animation estivale.
Je pense à une copine dont j'avais croisé les parents un
peu avant de partir qui m'avaient dit qu'elle est à
Santa Barbara, je repense à mon émerveillement de l'été.
Je pars, repasse à Morro Bay où il fait le même temps
brumeux que les deux fois précédentes. À Santa Barbara,
je ne trouve personne à l'adresse que j'ai. Je vais
faire un tour sur la plage, pieds nus dans l'eau. Je me
pose quoi qu'il arrive, les jours de voiture me coûtent
cher, $40 par jour, il faut que j'emménage. Je prend
rendez-vous pour demain matin à 9 heures pour une
chambre à $345 et je vais à Alex's Cantina comme lors de
mon passage l'été dernier croquer quelques tacos et
écouter Munkafust, des filles s’éclatent devant la
scène, je reste en retrait mais ça va être bon, c'est la
bringue, le rock, des filles et de la bière. Je discute
un peu avec tout le monde, avec des étudiantes, deux
types qui me proposent de venir jouer au softball avec
eux. Je vais vivre ma vie.
A 6 heures, "Audrey's pancakes" et à 9 heures, je suis
chez Wu La, je prend ma chambre, fais un chèque de $545
dont $200 de caution, laisse mon sac et repars vers Jiu
Jin Shan n'ayant pas eu la présence d'esprit de laisser
ma voiture à Santa Barbara, craignant de payer trop cher
un convoyage comme en France. C’était pourtant gratuit.
Je fais le retour sur Santa Barbara en greyhound le
lendemain, l'ambiance n'est pas rigolote, beaucoup de
mauvaises ondes et c'est long. Le soir ça y est, je suis
installé en Californie.
Le lendemain matin, il fait 20°C, je pars acheter un
short dans le "thrift store" de l’Armée du Salut sur la
rue principale de la ville "State street" pour $2. Je
choisis un vélo de plage, un "cruiser" neuf pour $180,
il a une selle large, des pneus larges, un seul pignon,
un guidon large et rembourré, un frein à tambours en
rétropédalage. J'ai décidé de prendre le temps de vivre,
me replonger dans moi même, je me sens brusquement
rasséréné.
Mes journées pendant 55 jours vont être identiques sur
un périmètre restreint avec des déplacements quasiment
exclusivement à pied et à vélo. Ma journée sera lever
tardif, 9 heures, il fait un peu froid le matin, puis
pancakes et "corn syrup" sirop de maïs, substitut de
sirop d’érable, plusieurs tasses de café soluble avec du
sucre "sweet'n low" doux et basses calories. Le vélo,
une petite grimpette et une grande descente sur State
Street d'un bon kilomètre avec soit un arrêt à Earthling
bookshop, la librairie ou à la "Public library", la
bibliothèque municipale. Puis ou non la continuation
vers l'East Beach Grill où je m'assied au soleil d'hiver
avec un coke ou un café pour regarder la mer. Je verrai
un jour deux dauphins naviguant de conserve à 5 mètres
du bord. Vers 13 heures, la remontée vers la librairie
où je passe bien trois heures par jour. Elle est ouverte
tous les jours de 9 heures à 23 heures sur une surface
d'environ 200 m2 avec une cheminée centrale et une
quinzaine de chaises autour. Sur la cheminée, le panneau
:" Nous vous encourageons à bouquiner mais remettez les
livres là où vous les avez trouvés, s'il vous plaît".
J'ai donc abusé. J'y ai lu et feuilleté : Anai's Nin,
Frida Kahlo, Marcus Garvey, Donald Trump, Castro,
Malcolm Abdul Jamal, JFK, Churchill, découvert les
civilisations Maya, Aztèque, Russe, Mongole, apprit que
la Californie est une île dans le territoire américain
selon des écrits espagnols 40 ans après la découverte du
continent où des femmes vivent couvertes d'or.
J'apprendrai bien plus tard que nous donnons nous les
Chinois le nom de Jiu Jin Shan à San Francisco c'est à
dire "vieille montagne en or". J'ai également compris
que la force d'une librairie est de faire tourner ses
présentations de rayons de façon à attirer, éveiller,
créer un déclic susceptible d'ouvrir une voie vers la
connaissance d'un domaine dont on cherche inconsciemment
à en savoir plus. L'attitude ouverte et de réceptivité à
ce qui est contenu dans l'esprit et dans le monde
devient chez moi primordiale.
Santa Barbara Public Library
Je découvre que les sentiers de la
connaissance sont larges et les domaines multiples. Le
voyage que procure la librairie dont j'avais oublié depuis
9 ans l’utilité jugeant en savoir assez, m'ouvre des
champs et des pistes dans le temps. Les interrelations
ethniques, slave, scandinave, turque, ou mongole montrent
les déplacements de population poussées par les causes
économiques ou politiques vers d'autres cieux, créant de
nouvelles civilisations. Les pionniers américains décrits
dans un livre évoquent un esprit fonceur, parfois violent
mais nécessaire pour conquérir et établir une paix
durable. J'intitulerai ensuite mon entreprise comme celle
des pionniers de la mer.
A la bibliothèque, j'ai trouve bon nombre d'infos, un
guide d'importation à l'usage des exportateurs étrangers
vers les USA définissant les principaux droits de douane
et les autorités compétentes pour les produits, la Federal
Communication Commission, la Food and Drug Administration
entre autres.
J'ai consulté également les guides des travailleurs
étrangers dans le monde établis par Price and Waterhouse,
spécialistes de l'audit financier. J'ai aussi relevé les
coordonnées des sociétés de "venture capital" ou capital
risque en Californie qui investissent au minimum $100 000,
interviennent sur plusieurs étapes, "seeds" graines,
"start up" démarrage, "1st stage" "2nd stage" "mezzanine",
niveaux d’élaboration du projet. Il y a aussi un annuaire
professionnel de fax dans le monde. Tous ces livres sont
autant d'info démystification en confortant le mythe du
pionnier arrivant en Amérique pour faire fortune puisque
tous les éléments semblent offerts pour légalement et
quasi gratuitement s'installer aux USA.
Il y a néanmoins des "bums", clochards à Santa Barbara, un
homme d'une soixantaine d’années dans un fauteuil roulant
enfoui sous des plastiques et journaux dormant ou
sommeillant nuit et jour à gauche en montant "State
Street" prés d'Anapamu donc à la hauteur de la
bibliothèque et de la librairie. Il y a aussi un jeune
d'une vingtaine d’années, cheveux rasés, en bonne santé,
un unijambiste d'environ 35 ans, sale, très agressif sur
son : "Can you spare some change ?" auquel comme Ka Lu me
l'avait appris à Jiu Jin Shan, je répond : "I am broke,
sorry".
Un début de soirée en "Happy Hour" chez Alex's Cantina,
l'unijambiste vient s'asseoir à côté de moi, je suis seul
à ma table et il sort une vingtaine de $ dont la moitié en
quarters, 25 cents. À partir de 17 heures, je me pointe
presque systématiquement chez Alex's pour goûter à la
Miller Light pour $1, des chips de maïs avec de la "salsa"
verte ou rouge, et des tacos de bœuf, poulet ou beans pour
25 ou 50 cents. Je passe là une bonne heure à regarder la
TV, les matchs de la NBA, la National Basket Association
entrecoupées de pubs de voiture qui doivent mal se vendre,
les patrons des concessions font eux même les spots
publicitaires.
Steak Burrito
Je mène une journée de solitaire mais
je me laisse aller au plaisir de goûter à la vie
tranquille de Santa Barbara montant et descendant "State
Street" sur les pistes cyclables de la rue tranquillement
au rythme des feux et à côté des Jaguar, Cherokee, Lexus,
Cadillac, Pick up et autres Blazer. Il fait doux et je
n'ai guère envie d'aller au cinéma, je n'y suis pas allé
une seule fois alors que c'est pourtant une de mes
activités favorites. Je me laisse aller à une douce
rêverie dans ce jardin d'adultes propre. J’écris en France
des lettres ou des cartes postales car j'ai des liens mais
je suis toujours confronté à l’incompréhension. Ce séjour
me permet d'hiberner.
Le soir après avoir déposé mon vélo à la maison où je ne
vois pas grand monde, je m'en vais à pied pendant une
bonne demie heure en ville écouter un groupe de rock chez
Alex's ou Toes Tavern, le classic surf bar qui est une
merveille, 5 billards, une scène, tables et tabourets
hauts, un long comptoir métallique et de la Coors. il y a
un "International Brews Cruise" que je ne poursuis pas
tellement habitué à boire ma Coors dans de grands verres
ou des gobelets en plastique de couleur très larges.
Le Beach Shack est un autre des endroits que je fréquente
le soir, une boite avec restaurant cubain pour se défouler
et commencer à boire à partir de 21 heures avec la bière
commençant à 25 cents augmentant par tranche de 25 cents
par heure. Je montre à l’entrée de chacun des bars une
"Valid ID", mon identité avec date de naissance et photo,
mon passeport qui ne me quitte pas. Il faut avoir 21 ans
au moins.
Un soir au Beach Shack, je rencontre
une Belge, j'avais repéré qu'elle était sans doute
·européenne parce qu’elle avait présenté un passeport
comme valid ID contrairement aux Américains une carte.
Elle est en vacances, elle travaille à Bruxelles et veut
implanter un magasin de glaces au yaourt, elle a peur que
je lui tape l’idée, quelle idée ! Les idées ne
se tapent que si l'on ne va pas au bout ou si l'on arrive
trop tard, il faut savoir se positionner dessus
suffisamment tôt ou savoir prendre le train en route. Il
existe trois positionnements en marketing sur un marché
"leader"qui prend la plus grosse partie du marche au
début, "challenger" qui rapidement se distingue comme le
rival du leader et prend une bonne partie du marché.
Ensuite, il y a les "suiveurs" qui prennent les restes du
marché et à ce moment la concurrence devient néfaste pour
l'ensemble des entreprises travaillant sur le même marché.
Je rentre de mes sorties en ville vers minuit, une heure,
assez tôt et cela me fait encore une demie heure de marche
à pied qui me permettent de m'endormir d'un bon sommeil. À
la maison, il y a la propriétaire une femme d'une
soixantaine d’années d'origine allemande et son fils, elle
m'a invité pour le Thanksgiving Day à manger de la dinde
avec de la "jelly" de "cranberries", elle a invité
également ma voisine du dessus, qui était surfeuse et vit
maintenant avec ses chats et circule en vélomoteur. Il y a
des amis
de la propriétaire, retraités à qui je donnerai dorénavant
un cours de Français le lundi soir en échange d'un repas
au restaurant.
Le français est certes la langue du
romantisme comme me l'ont fait comprendre les étrangères
mais bien plus compliqué en est son maniement à ce
qu'elles imaginent, en revanche le seul fait de l'entendre
est suffisant pour éprouver du plaisir. Après le
Thanksgiving Day, je suis invité à un cocktail
d'inauguration d'une exposition où je suis allé et revenu
sous la pluie battante. J'y ai pour la première fois
discuté avec une jeune coréenne dont le nom signifie Amour
et Beauté, j'ai été subjugué par sa déférence mêlée
d'envie de contact que je n'ai pas eu. Mon voisin de
chambre est électricien, il vient de la région des Grands
Lacs, prés de Chicago. Je suis un peu étonné comme lui, ma
logeuse et son fils sont épris de "God" Dieu, ce qui ne
signifie pas grand chose pour
moi, mais qui les transporte leur vie durant.
J'avais réalisé en 1986 que Jésus avait créé le plus grand
capital immobilier de la terre et le plus grand nombre
d'emplois sur 2000 ans par la construction d’Églises et le
dévouement des prêtres. L'amour se vend bien et dans une
ère de communication 2000 ans plus tard les évangélistes
travaillent bien. Dans un monde où l'amour et l'argent
sont les deux liens principaux de l’humanité dans lequel
l'argent reste vainqueur dans 51 cas sur 100 au moins,
Jésus était un être 100% d'amour et il a créé un
mouvement sur 2000 ans qui perdure.
Quelques jours après mon arrivée, je me souviens qu'un
oncle et une tante avaient effectué un voyage en
Californie pour un comité de jumelage avec Santa Barbara.
Je me rend donc au Chamber of Commerce qui fait office
d'information touristique également et c'est une française
qui me donne les coordonnées du vice président du comité
de jumelage pour le comté de Santa Barbara et le
département du Var dont Toulon est la préfecture. Je me
rend au bureau de Kevin, le "Real Estate Broker" courtier
en immobilier, il n'est pas là. Sa femme me renvoie au
président.
Je le rencontre, il est avocat et me
convie à la fin de la semaine pour l'inauguration d'un
magasin d’antiquités créé par un Marseillais puis à un
repas dans un restaurant français pour $25. Je me rend à
pied en profitant d'une accalmie de la pluie au magasin
d’antiquités, l'antiquaire est pessimiste sur l'avenir du
magasin. Le client américain lui parait indécis, il vient
de sortir son carnet de chèques sans raison
apparente, il s'en va. Le choc des cultures me paraît
évident et les idées préconçues des deux peuples sur
l'autre faussent les relations.
Je ne passe pas Noël seul comme en Martinique mais chez
des amis du Bar Var que j'ai rencontrés au repas dans le
restaurant français, la Martinique n’était pas ma terre
d'accueil, la Californie, oui. Un voyage de 9000
kms, 15 ans d'attente et d'errance pour trouver une terre
d'accueil. J'ai trop regardé les films de l'errance du
cinéaste allemand Wim Wenders et trop apprécié les faux
mouvements de chacun de leurs héros.
Je passe le nouvel an à Alex's Cantina où je vois Jing Le,
une belle anglaise serveuse à Hola Amigos l'autre fameux
lieu de l'happy hour à Santa Barbara prés du wharf. Elle
est avec toutes ses copines et la seule accompagnée de son
mari. Nous sommes deux hommes pour une dizaine de filles.
Mais je ne suis pas décontenancé. J’étais de 15 à 18 ans
avec 90% de filles en cours. De plus j’apprécie le fait
que les anglo-saxonnes se regroupent par "grappe" parfois
de 8 ou 10 pour sortir ensemble contrairement aux
françaises qui sortent plutôt accompagnées de leur copain
en groupe mixte.
C'est ici un plaisir de rencontrer des filles, Isla Vista
le campus d'UCSB "University of California Santa Barbara"
compte 10 000 étudiants qui viennent parfois "downtown" à
Zelo, chez Joe's, King's tavern entre autres. Mon approche
n'est pas de trouver une fille mais établir des contacts,
j'avais lu que la profession de "contact man" existait en
Relations Publiques", j'ai le don de me sentir bien quel
que soit le lieu où l'on se réunit. Je le fais d'autant
plus que pendant un an, je me suis renfermé sur moi même,
ai manqué en mourir et que pendant trois ans, je n’étais
pas apte au sourire gavé d’anxiolytiques et de
neuroleptiques. Regarder vers l'autre même en me faisant
violence au début n'est plus un problème, c'est salvateur.
Je m'en donne à cœur joie de discuter avec toutes les
jolies filles qui se rassemblent pour boire une bière
entre filles.
Un soir avec un copain, je rencontre d'abord deux
Suissesses avec qui cela ne colle pas vraiment puis deux
américaines avec qui cela colle, l'une à vécu en France où
elle faisait une école de mannequins. Les deux Suissesses
deviennent sympas. Il faut donc savoir susciter la
jalousie des filles pour toutes les attirer. Ce qu'il
advient après, je ne sais pas, mais comme le dit un héros
de Bande Dessinée, Corto Maltese, "Si on pouvait ne pas
tomber dans les mains d'une fille quand on tombe dans ses
bras." Je reverrai trois fois cette Américaine sur le
beachway, elle en Roller Blade, moi sur mon "cruiser" avec
mon walkman.
Effectivement, je fais toutes mes
promenades en vélo avec mon walkman dans ma poche
intérieure de veste en jean, branché sur KTYD 99.9 ou KCQR
94.5 ou les "free rides" de musique ininterrompues
accompagnent trop bien mes "rides" de vélo au bord de la
mer. J'aurai bien suivi cette étoile américaine mais je
crois qu'il n'en est pas encore temps, je reste solitaire
et semi sédentaire à peu prés en phase avec la société
humaine. Errer sur le Pacifique d'un bout à l'autre de la
Californie à quelque part en Asie, je ne sais pas encore
que c'est Hong Kong. Je m'imagine pour l'instant que c'est
quelque part au Japon, je pense à la Baie d'Hiroshima ou
Nagasaki où se rendirent les premiers chrétiens avec St
François Xavier. La déviation Pacifique m'est apparue à
l'age de 15 ans quand Jacques Attali en parlait comme un
recentrage du monde sur le Pacifique en terme de volume
économique, direction politique et non plus entre l'axe
Paris-New York City / Europe-Nouvelle Angleterre.
Je rencontre aussi une Américaine qui fait du cheval, je
me laisserais bien tenter par une cavalière qui
m’emmènerait parcourir le territoire américain à cheval.
Je suis un homme d'action qui a besoin d'accompagner une
aventurière. J'exclus une cohabitation sédentaire avec une
fille comme je l'ai expérimenté autrefois avec une fille
travaillant ne supportant pas ma liberté.
Je revois un soir Kevin avec qui je vais à l'happy hour de
Alex's. Je retourne dîner un soir avec une jeune maman
chez mes amis avec qui j'ai passé Noël, nous partons
ensuite danser en ville. Je continue à errer sur le port
mais je n'ai vraiment pas envie de faire de bateau. J'ai
également rencontré une jeune femme d'affaires allemande
au Bar Var mais je n'ai guère envie de faire des affaires,
je préfère continuer à vivre en dilettante. Avec un jeune
américain travaillant avec elle, fraîchement diplômé de
UCSB nous avons passé une soirée à Isla Vista où l'on
fêtait la fin du semestre. Ambiance arrosée de bière, là
on m'a dit que je suis un "wild guy" au vu de la rapidité
avec laquelle j'ai amené deux filles à notre table. Je
suis pourtant songeur et en hibernation à cette époque.
Puis il se met à vraiment pleuvoir
sans cesse, je crois que je vais rentrer en France avant
le 16 février, date de mon billet retour avec Northwest,
il n'est pas modifiable. Je préviens toutes mes relations
que je reviendrai au début de l'été, je vais dîner dans la
demeure magnifique du président du Barvar, sur la Mesa
avec vue sur la mer et à un moment il me parle de Bill,
qui ça ? "Clinton" me répond-il, quand il était venu un
mois plus tôt à Santa Barbara ; j'aurais été ravi de le
connaître. Je préviens mes amis à Montecito de mon départ
en leur demandant de garder mon vélo jusqu'à mon retour et
le leur apporte.
Le lendemain matin, je pars prendre le greyhound pour LA,
on parcourt la ville sous la pluie, il pleut des trombes.
La veille, j’étais allé boire le dernier verre de bière à
Toes Tavern, tout triste d'annoncer que c’était le
dernier. Ma logeuse et son fils m'ont accompagné en
voiture à la bus station en me laissant une bible en
souvenir. Je passe l’après midi dans le terminal Bradley,
fait connaissance avec une jeune fille néo zélandaise, qui
au bout de trois heures de ma compagnie a fini par me
dire, j'en ai assez, je bouge. Elle s'occupait de chevaux
mais pas très rigolote, mon discours l'avait fatiguée.
Dans l'avion, c'est la ligne Tahiti/Los
Angeles/Paris d’Air France, je me fais engueuler par
le co-pilote dés mon entrée, l'hôtesse me regarde d'un
sale œil en me voyant boire mon Champagne à la bouteille.
Je jugeai le verre en plastique pas compatible. Je suis
bien placé avec trois filles sur ma rangée, deux dorment,
je discute avec l'autre. En arrivant à Nice, je suis très
étonné, les gens rient tous me semble - t - il. S'est - il
passé quelque chose ? Les comportements ont changé, on est
pessimiste en général. Je vais alors annoncer à mon
psychiatre que je suis très heureux parce que je ne suis
plus tout seul à être dans la merde. Toute relative mais
tout de même exclu.
En tout cas le monde est vraiment petit car un dimanche
après midi, commençant à remonter State Street, j’entends
une voiture klaxonner, vois une fille me faire des signes
c'est ma copine que je croyais voir à mon arrivée à Santa
Barbara, elle n’était là que pour quelques jours. Je me
passerai des spectacles de percussions le dimanche après
midi sous les cocotiers sur le beachway mais j'ai trouvé
le lieu où j’élèverai mes enfants.
Santa Barbara été 23
mai 1993 au 27 juillet 1993
L'hiver s’écoule, je ne dors que
quelques heures par nuit, je sors 5 soirs sur 7, je bois
ma dose de bière qui n'a ni la contenance, ni la légèreté
des américaines. C'est le goût de la bière européenne,
belge. Je suis toujours amoureux de ]'image de celle qui a
éveillé en moi la décision d’émigrer mais je sais qu'elle
n'est pas faite pour moi. Elle est une cristallisation de
la femme que je garde en tête, histoire de me souvenir que
je suis un homme. Les événements se précipitent autour de
moi, la société est tiraillée, l'harmonie des préceptes
bien établis des valeurs traditionnelles : travail,
famille, patrie, s’ébranle. Je sais moi qu'il faut
d'autant plus que je songe à m'en aller à nouveau pour
m’établir et début mai, je passe un week end à Aix en
Provence où je ne m'amuse plus, je me décide à nouveau.
Je me fais envoyer un billet Nice L.A
par la copine qui déjà m'avait réservé la voiture de l'été
précédent, je lui paierai à l’arrivée. C'est un vol qui
fait la liaison Paris Tahiti en passant par L.A. Peu avant
de partir, je fais deux jours de bateau avec des copains,
je suis donc bronzé mais très fatigué. Je me suis poussé à
bout depuis mon retour de cet hiver, depuis 4 mois, vélo
de 20 kms par jour au moins, et fiesta nocturne. Je dois
prendre des vacances. 4 jours avant le départ, je ne vois
pas arriver mon billet qui est coincé quelque part par le
transporteur express international. Ce n'est qu’après deux
fax à L.A, un coup de fil à L.A, 4 à Paris que je réussis
à l'obtenir avec 72 heures de retard.
Mais bon, ça y est, je pars à Nice vêtu de mon costume
Cacharel, teinte beige colonial, un T shirt plutôt qu'une
chemise, des docksides, je la joue Miami Vice, sans la
Ferrari toutefois. Dans l’aérogare, ça sent la fin du
festival de Cannes et je rejoins Santa Barbara, un Cannes
américain, pour moi c'est aussi la liberté dans ce climat
de stars, finies les privations alimentaires. Je n'ai
dépensé que 120 FR. de courses en trois mois, des paquets
de farine à 2.25FR. pour une semaine pour des crêpes à
l'eau et à la farine avec un pot de miel pour un mois à
16FR. en guise de premier et deuxième repas la journée,
une bière le soir précédée d'un repas à droite à gauche de
temps en temps. En guise de confort, des douches froides
et pas de chauffage dans un appartement à 12°-16°C, cela
ne ramollit pas un homme.
J'arrive en fin de soirée à LAX, je n’hésite pas à prendre
le shuttle "National", demande une voiture de catégorie A,
présente mon permis de conduire français, ma carte VISA,
et pars dans une Honda par Malibu sur la 1 du bord de mer,
il fait nuit à Santa Barbara quand j'arrive. Je fais
plusieurs tours de ville lentement pour bien réaliser que
je suis revenu, il fait doux, je vais me garer sur le port
et pars à pied sur la jetée écouter l’océan. Les rythmes
biologiques de la Californie me reviennent, maisons
basses, flux autoroutiers lents, océan. Je m'endors à
trois heures.
A sept heures, j’apprécie chez
Audrey's mon "breakfast" favori, pancakes, œufs, bacon et
"bottomless" tasse de café. Je retourne à L.A payer mon
billet d'avion, passe sur Redondo Beach pour grignoter une
quesadilla avec les $20 que m'a donné un copain avant de
partir pour que je pense aux Ray Ban que je lui
rapporterai. Je rejoins Santa Barbara serein bien que ne
sachant pas où je dormirai ce soir par la 101 cette fois
ci par Thousand Oaks. Je vais voir Kevin, il me propose de
rester chez lui le temps que je m'installe. Je vais diner
chez mes amis chez qui j'avais laissé mon vélo et le soir
je rend ma voiture à Goleta prés de UCSB. Je ne sais pas
très bien ce que je vais faire, je suis un peu "short" au
niveau fric et je resterai bien dans un jardin et
économiserai ainsi le logement.
Je pars chercher mon vélo et me retrouve à nouveau sur le
beachway, il fait un beau soleil et je ralentis à nouveau
mon rythme d’activité intellectuelle et physique. Kevin me
présente un ami qui a une maison avec une chambre
disponible à Isla Vista sur la rue de la maison. La piste
est d'abord sur le côté de la route puis au travers d'un
marais parfois ombragé. C'est une parfaite promenade de
santé, une petite heure. J'arrive à 9H30 et attend 10
minutes devant la maison avec ma veste en jean grunge, je
vois un flic à VTT qui arrive et me demande qui je suis,
je lui présente mes papiers un peu inquiet, Kong arrive.
Les voisins du dessus croyaient que j'allais tout casser,
un peu parano. Kong me les présente et explique que je
vais rester là au rez de chaussée deux mois si mes
roommates m'acceptent. À ce moment arrive une fille, Wu
An, mince, jean, chemise blanche, cheveux longs, jolies
chaussures, un bracelet au bas d'un mollet. Pour elle
c'est bon, elle me dit d'attendre onze heures pour voir
Tian Nu, je vais prendre un breakfast et reviens. Tian Nu,
très mignon petit lot qui me fait penser à mon ex-copine,
il va falloir que je me méfie. Je suis accepté, je reviens
voir Kevin et lui annonce Ia bonne nouvelle, cela me fait
une chambre de 40 m2 à 200 mètres de la plage dans un
appartement avec deux jolies filles. Ouaaaah !
Vont se dérouler alors deux bonnes
semaines pendant lesquelles je ne vais pas sortir le soir
donc dormir la nuit un peu le jour, faire l'aller retour
sur Santa Barbara dans la journée sur la merveilleuse
piste entre le terrain de golf, les ranchs, une glace chez
Mac Connell dont Kevin m'a donné des jetons de glace
gratuite, c'est le business de son beau père. Puis je vais
écouter de la musique au Paseo Nuevo, la galerie
commerciale en extérieurs. Je reprend l'habitude de lire à
la librairie mais j'ai surtout besoin de sentir l'eau de
mer sur mes pieds, le soleil sur la tête sur les plages de
Santa Barbara ou de Goleta et Isla Vista où je me promène
le walkman sur les oreilles avec KTYD 99.9. Les paroles
d'une chanson des Posies sont "I can dream all day" vont
tout à fait bien avec mon état de rêverie permanent depuis
que je suis arrivé. Je me rends compte qu'il y a du
goudron sur la plage d'Isla Vista, cela est dû aux nappes
sous-marines de pétrole qui s'infiltrent jusqu'à la
surface. Ce n'est donc pas dû à la pollution. Un copain de
Wu An m'apprendra que les Indiens Chumash qui habitaient
là s'en servaient pour calfeutrer leurs canots.
Les étudiants semblent peu travailler mais poursuivent des
études telles que l'anthropologie ou les religions dont on
dirait en France que ça ne sert à rien, que cela n'a aucun
débouché sur le marché du travail. Le travail créant
davantage des métiers tels qu’ingénieur, médecin, avocat,
commercial, professeur, technicien, instituteur ou chômeur
donnant une position. C'est vraiment réduire la vie à des
sanctions qui définissent des moules selon le niveau
d’étude. Pourtant les hommes communiquent et apprennent
les uns des autres sans se coller des images. C'est aussi
oublier que seul compte ce que l'on a fait même si des
résultats n'arrivent pas forcément. Il ne faut pas
s’arrêter tant que l'esprit nous guide vers notre voie.
Parcours de 10 kms à Santa Barbara,
compte-tenu du temps 46:34 affiché
activer la vidéo par un clic sur la flèche en bas à
gauche (durée 40 sec)
L’Amérique me convient, elle convient
aux hommes libres, Kong me dira un soir que je suis un
"free spirit", je n'aime pas la compétition, je cherche
d'abord à me vaincre moi même. Wu An me donne son code
pour utiliser un Macintosh dans la salle d'info, j'y passe
5 heures à écrire un guide pratique de la vie en mer pour
un équipier. Je continue à faire des recherches pour
connaître les taxes d'imposition des entrepreneurs
individuels ou "sole proprietorship" en américain, que me
donne l'IRS, "Internal Revenue Service", le coût de
l'enregistrement d'une entreprise individuelle est de $96
et la tranche supérieure de l’impôt personnel est de 31%,
bien moins qu'en France 56.5%. Je pourrai faire fortune
aux USA. Pour ouvrir un compte bancaire, j'ai besoin d'une
carte de sécurité sociale que je fais faire.
La sécurité sociale aux USA ne couvre que les pensions
d’invalidité et de retraite et l'assurance maladie, j'en
trouve une pour $80 par mois. Je peux rester aux USA avec
un visa de 6 mois renouvelable à chaque nouvelle rentrée
sur le territoire américain ou tous les trois mois sans
visa. Je resterai un voyageur, je pourrai donc continuer à
effectuer des allers et venues dans le monde et revenir à
Santa Barbara.
J'ai admire les esthètes du frisbee
sur la plage, l'un deux avec une longue chevelure blonde,
qui font tournoyer le frisbee autour d'eux et sur un
terrain de sports de UCSB, le jeu collectif de frisbee qui
se joue comme le soccer avec le frisbee en guise de
ballon, c'est l'Ultimate et c'est très rapide. J'ai repris
le rythme de l'happy hour chez Hola Amigos et Alex's
Cantina entre 16 et 20 heures. Je suis complètement
reposé, détendu. Je vais pouvoir commencer à vivre ma vie
de noctambule sportif buveur de bière. J'avais déjà
assisté les deux samedis soirs précédents à un concert de
rock sur le campus en plein air avec beaucoup de bière
autour. J'imaginais là que depuis trois décennies, c’était
le même spectacle tous les samedis soirs dans la tiédeur
du climat de la "Southern California" à 100 mètres de
l’Océan. Sur la plupart des jardins du campus traînent des
canapés pour s'y jeter et paresser au soleil ou contempler
les étoiles.
Je ne me lasse pas de les observer le soir sur la plage et
le jour j'observe les surfers. J'ai croisé deux fois une
fille superbe blonde en robe légère et bottes avec un boa
autour du cou. J'en ai frémis, le boa à mon sens n'est là
que pour dissuader les mecs attirés par un bon coup sur
une jolie fil1e qui veut intéresser pour sa personnalité
et dont je suppose qu'elle se débarrassera après avoir
rencontré l'homme de sa vie. Je vais donc un soir
traîner mes pénates dans un bar à minuit où il y a
beaucoup de monde qui boit debout un grand verre en carton
rempli de bière comme dans un cocktail d'inauguration mais
sans les coupes de champagne et les belles tenues. J'ai le
jean et le T shirt blanc de rigueur et bronzé, une fille
blonde me sourit, je lui dis que je suis Français, elle me
demande si je joue au soccer, elle y joue à l’équipe de
UCSB qui n'a pas d’équipe masculine. Et oui, le soccer est
bien un sport de gonzesses aux USA.
Je vais vivre ensuite à partir de ce
soir la période la plus passionnée de ma vie, un
mois et demi pendant lequel je vais rencontrer une fille
exceptionnelle que j'ai accompagnée en protection
rapprochée, ayant le besoin de la protéger. Un soir je
dirai en compagnie d'une Française et de deux Américains
sur un voilier que j'ai trouvé le lieu où je désire vivre
de façon sédentaire et mes futurs voyages ne seront plus
que des voyages d’agrément ou d'affaires. Je sais
dorénavant que je ne suis plus schizophrène. Je
retournerai vers le point d'ancrage que j'ai choisi.
Lors de mon départ le 27 juillet, je prend conscience de
l’éternité, et je vivrai avec le sentiment d’être éternel
pendant un an. Ai-je rencontré l'amour éternel?
C'est un mystère qu'il me reste à éclairer.
Dans le voyage, le rêve prend forme de
réalité, il n'y a pas de fuite d'une réalité quotidienne
ennuyeuse mais au contraire l'ouverture vers d'autres
horizons dans lesquels ]'action et l'obligation de
communiquer créent l'avenir avec de nouvelles idées et
opportunités.
Avoir vu l’étranger permet de revenir plus fort chez soi
mais aussi plus déphasé par un monde sans mouvement. La
diversité des cultures et leur interaction créent un
nouveau contexte dans lequel le plus grand nombre peuvent
s'exprimer.
Notre héros fut autiste dans la vie
sédentaire, d'abord renfermé dans le voyage puis éveillé
au fil des jours et assimilant peu à peu les cultures
différentes dans des lieux de fête et de simplicité de
vie. Il a effectué d'autres voyages à ce jour et il a
été très heureux d'avoir mangé à cinq mois d'intervalle
des "lanche" petits pains briochés au jambon et au
fromage à Porto au Portugal et à Macao. La terre
tremblait en Californie dont il était revenu depuis
moins d'un mois, le jour où il prenait un avion qui
décollait de Nice vers Lisbonne.
Le voyage comporte des risques mais on ne peut les éviter,
il faut les prendre de face et pour garder sa santé
intellectuelle, assumer les différences de culture qui
sont nécessaires à la survie de l’humanité. La quête de
lui même qu'il a mené depuis 15 ans sans aller au bout de
ses actes et ses retours perpétuels sont l'erreur de ne
pas croire suffisamment en lui. Croire en soi est
difficile quand le monde ne croit pas à ce que l'on fait.
Nous faisons pourtant ce que nous voulons de notre monde,
il suffit de le croire pour le voir.
Je finis donc ce livre, 6 mois après l'avoir commencé,
jour pour jour, le 11 février. Notre héros a 33 ans et
demi mais il a appris à Noël que le Christ est mort à 35
ans et que 1996 est l'an 2000 suite à une erreur de calcul
de notre calendrier par rapport à la naissance du Christ.
Notes du correcteur:
1-Teets....tétons, nichons
2-Smörgåsbord...
buffet scandinave, originaire de Suède, constitué de
nombreuses sortes de poissons, tels que le hareng, le
saumon et l'anguille.
3-café mocha...un savoureux café au lait
chocolaté avec de la crème fouettée !
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