Hotel California The Eagles  Full Concert Live At the Capital Center (1977)






Récits d'un schizophrène en voyage

 l'esprit qui parle du bonheur

de Cal Tan Le



Prologue

dates

N jours


Enfance





Roma

04/74

7


Wales

07/75

21


Adolescence




New England

08/77

30


Ireland

08/79

20


Errance




Navigation

4/82 à 12/82

259


Martinique

12/82 à 1/83

31


Nord Amérique du Sud

1/83 à 2/83

31


Guadeloupe

2/83 à 3/83

31


Grèce

5/83 à 6/83

37


Chambéry

8/83 à 7/84

358


Mallorca

12/84

6


Voyage du froid

8/86 à 2/87

197


Espagne




Ibiza

6/90 à 9/90

105


Émigration




Pacifique USA

01/08/92

19


Santa Barbara hiver

11/92 à 1/93

57


Santa Barbara été

5/93 à 7/93

65


Épilogue

notes




Prologue

Un schizophrène (du grec schizo : fendu et phréne : crane) ne distingue pas la réalité du rêve, ce qui ne l’empêche pas d’être lucide ou voyageur. Le groupe social et son être ne sont pas en accord, il est incompris et asocial surtout lorsqu'il se veut un homme d’affaires dans un pays où le statut social importe avant de faire ce qui est à faire. Alors il éclate.

La souffrance de l’homme incompris existait chez Rimbaud d’où le seul remède est le voyage. Calculer, prévoir, agir dans un monde primitif dans lequel l’état brut a cours permettent de sortir de l’autisme. L’autisme (vivre replié sur soi) c'est nier l’existence de la société humaine qui contente le plus grand nombre.

L’autiste est heureux, il crée son propre monde mais l’échange de communication brise son domaine intérieur. Voila comment devenu autiste, j’ai créé un monde que je désire faire partager au reste de l’humanité, ce monde me parait beau et respecte l’individu dans ce qu’il a de bon. Ce monde est issu de la mer et retourne à la mer. Tels le dauphin et la baleine qui après avoir évolué dans le sens eau-terre sont retournés vivre en mer et se sont réadaptés à leur premier élément, l’eau. Chez l’autiste schizophrène apparaît 1a logorrhée, parler mais sans échange, décrire son monde mais refermant d’autant plus l’autiste. Combien de fois me retrouvai-je parlant seul face à des personnages ne comprenant rien de mon discours que je ne cessais de faire avancer, désespéré de ne pas avoir de réaction.

Dans ces récits de voyages sont rassemblés les éléments de ma vie autour de voyages décrivant mon évolution, l’enfance, l’adolescence, l’errance, l’émigration.

Je commence ce livre le 11 août 1994, jour anniversaire de mes 33 ans alors que je me prend pour le Christ. Le Christ cherchait à introduire l’amour dans l’humanité alors que ne régnait que la force. Je cherche à introduire le sentiment d’humanité et ses considérations dans l’échange d’argent. C’est un combat titanesque mais marquera-t-il les deux prochains millénaires ? Cela dépendra du bien fondé et de la croyance de mes actes.

En 1987 en pleine crise paranoïde, je considère que je suis devenu chinois dans ma vie.

Le moteur de ma vie est une entreprise que j'ai créée en 1984 et dont la réalisation motive mon parcours, les autres éléments sont la mer, le rock’n’roll, l'argent et l'amour qui ne font pas bon ménage.


Roma 1974 avril



J'ai 12 ans, je suis peu dissipé, assez bon élève mais des nuages se sont approchés de ma vie. Mon père veut divorcer, la crise économique du choc pétrolier à diminué les ventes du négoce de pneumatiques dont mon père est le dirigeant, je commence à me demander si j'aurai 1a chance un jour de conduire une voiture à essence...

Mais heureusement j'ai un copain qui, très doué en géographie m'a donné 1a passion d'apprendre les chiffres indicateurs de toutes les économies du monde, population, superficie, produit national brut par tête d'habitant, taux de natalité, de mortalité adulte et infantile, production de céréales, cours des devises principales par rapport au franc français.
 
Nous avons ensemble réalisé un dossier sur la Chine qui me parait encore obscure mais la démographie et l'économie n'ont plus de secrets pour moi dans mes recherches personnelles sur divers journaux et revues, le journal télévisé me tient au courant des évolutions politiques. Je situe parfaitement les mégalopoles de Mexico, Sao Paulo et Le Caire (en arabe 1a victorieuse) qui annoncent le déclin des mégalopoles de New York et Tokyo, 1a dernière qui vient de dépasser la précédente, 11.4 millions contre 11.2 millions. Paris, Rome, Londres sont à 6 / 8 millions d'habitants et déjà bien vieillies. Le monde est ailleurs.

C'est alors qu’arrive le printemps dans le sud de la France, à Toulon, même des journées d'hiver peuvent être printanières, pas de vent et du soleil. L'école organise pour les classes de cinquième un voyage à Rome pour 320 FF. Malgré la crise, je pars.

À la gare de Toulon, un troupeau de 60 gamins de 12 ans, les parents sont 1à. Et je suis très excité. Partir sans les parents en train pendant 24 heures, ça va être formidable. Mon excitation coupe court quand 1a mère d'un copain me dit : « cela ne sert à rien de s'exciter ». Depuis tout départ se passe dans l'absolue décontraction à moins qu’il ne s'agisse d'un départ dont j'organise le voyage pour d'autres et que tous les détails ne sont pas réglés.

Le golf de Vallauris, verte étendue douce me fascine, les pins contrastent par leur aspect torturé. La gare de Nice où nous changeons de train est belle et grande sous son toit et évoque une taille de ville plus importante que celle de Toulon. C'est le départ pour Vintimille, les wagons sont sales et marcher pieds nus dans les couloirs, c'est  marcher dans la rue. Un autre monde, différent avec d'autres moyens d’approche.

Arrivés à Rome, nous logeons dans un couvent où j'apprendrai à  compter en italien, ma chambre étant le numéro 23 je m'empresse de dire venti tre et uno, due, tre...

Apprendre à compter dans les langues étrangères est important pour un homme d'affaires qui emmagasine des chiffres toute 1a journée comme moi, des numéros de téléphone, des plaques d'immatriculation, des codes barre de nos jours.

Bien sûr nous visitons 1a Fontaine de Trevi, le Forum, Ostie, les Catacombes, le Colisée mais ce qui m'attire est le palais Victor Emmanuel II. Nous passons tous les jours devant. Ce palais, il est grand, beau, blanc et il à l'air neuf. Presque neuf, un siècle !  Plus neuves sont les voitures, j'imaginai les Italiens dans des voitures rouges Alfa, Fiat et quelle ne fut pas ma stupéfaction de voir une Mercedes 280 SE et à côté une pompe à essence (600 lires le prix du litre de supercarburant). Ça doit être terrible en pleine crise pétrolière ou alors i1 faut être vraiment riche. La Mercedes est neuve, i1 doit être « riche ».

De retour à Toulon encore un trimestre où l'initiation au latin fut un peu plus celle d'une langue morte.

Wales 1975 juillet



Un été, une année s'écoulent et je suis en quatrième où l'anglais et l'espagnol, les langues vivantes étrangères, sont primordiales pour la réussite sociale. Mes parents se sont à peu prés raccommodés mais la vie devient ennuyeuse et monotone. Travailler pour réussir, ce n'est pas très gai et assez vain dans le contexte économique mauvais.

Les filles commencent à germer dans mon esprit comme autre chose que des sœurs ou des copines et ça me paralyse vis à vis d'elles. Aboutir à quelque chose de sérieux, un mariage, alors que mes parents se sont fait quelques petits drames familiaux, c'est ennuyeux.

Je me mets à rêver en cours, un jour en cours d'anglais où seul s'exprime le prof, j'ai tout à coup repéré une fumée dans un bâtiment à un ou deux kilomètres et je m'écrie : « un incendie». Je suis réprimandé, c'est le printemps.

Ma mère songe à m'inscrire à un séjour en Angleterre et début juillet, je pars avec un organisme du nom d'ECI "Échanges Culturels Internationaux" pour la modique somme de 1200 FF. Ma famille d'accueil s'appelle Coombes (220 Macintosh Place 21 Cardiff) dans un quartier appelé Roath Park. Ma mère a jugé que je ne dois pas voir de jeunes Français alors je ne suivrai pas les cours, je fais un bain complet.

Encore rendez-vous à la gare, je pars dans une DS avec une autre toulonnaise, une fille de 15 ans, bien plus grande que moi, en taille aussi. Le conducteur de la DS nous a mis à l’arrière et nous conduit comme si nous étions des émirs du pétrole en nous demandant si nous avons trop ou pas assez d'air. Nous arrivons à Marignane pour prendre une Caravelle Marseille-Londres et je lis pour la première fois l'Internationa ! Herald Tribune, assis à côté d'un Londonien aux cheveux blancs qui a tout du Britannique y compris le chapeau melon. Les bonbons et le coca cola sont très bons.

Arrivés à Londres, nous prenons l'autoroute et je constate que les voitures, les Ford sont Taunus en France et Cortina en Angleterre et qu'elles sont quasiment identiques à part les feux ronds et un capot légèrement arrondi en Angleterre pour les Cortina contre les angles plus marqués pour les Taunus. Étonnant la stratégie commerciale des multinationales, GXL en France devient GT en Angleterre. Ah le marketing! Le prix du super est incalculable en litres, il faut que je trouve l'équivalence ! Lors d'une réunion de parents d’élèves de l'école de Leigh et Karen, 8 et 6 ans, mes "petits frère et sœur", je suis éclairé par un parent : 4,5 litres pour un gallon imperial.

Nous allons chez des amis, ils viennent d'acheter une Jaguar Sovereign d'occasion, vert pale métallisé et elle est déjà en panne, elle a un lecteur de cassettes et elle a 6 cylindres. Je cherche à l'expliquer mais ma prononciation de cylindres n'est pas la bonne, finalement Joan ma "mère" comprend, ouf ! elle à compris ce que je voulais dire. Les Coombes ont une vieille voiture prêtée et ils attendent une Chevrolet Chevette que je ne verrai jamais.


Bath

Finalement je trouve un copain français prés de chez moi et je me joins au groupe pour partir en excursion à Bath, la ville de thermes romains de l'Angleterre après avoir traversé le Severn Bridge. On ne rigole pas beaucoup et ce qui compte c'est draguer, je trouve Anne que je rêve d'emmener en Jaguar, elle a encore un appareil sur les dents, j'attendrai.

Dans Roath Park où je vais me promener, engoncé dans mes fringues et chaussures neuves, je rencontre deux Gallois qui me demandent si je connais des filles Françaises avec des "teets", ils m'expliquent ce que sont des "teets". (1)

Un soir les voisins des Coombes m'invitent à jouer au Scrabble avec leur fille rousse qui a  mon age et je m'exprime au jeu, je gagne presque. Leur fille est jolie et timide, dommage. Je me suis fait expliquer ce soir là, pourquoi les cheminées ont des bûches rougies à l'électricité. Plus de bois.
Les maisons sont toutes identiques, ça me plaît, elles sont grandes en moyenne, c'est le passé de l'industrialisation qui a fait profiter tous les Britanniques du confort. Le Royaume Uni est civilisé et travailleur.
J’apprends à voler des disques avec mes copains français et à jouer dans les stations balnéaires, mais c'est dangereux et un peu malsain, je ne m'y reprendrai plus. Quelle sagesse !
Un dimanche, nous allons à la plage et je constate le recul de la marée, intéressant, ennuyeux pour les bateaux, comment font ils pour amarrer leur bateau à quai avec des amarres trop courtes? Je n'aurai la réponse que quelques années plus tard à Casablanca, des pilotis ou des quais flottants à la Rochelle.

J'aurai pu être un petit Anglais, j'aurais été bien, l'école terminait tôt dans la journée et l'anglais est la langue des affaires. D'ailleurs l'année d’après, j'ai fait des progrès certains et le prof (toujours le même) avait encensé mon devoir où je faisais 1a description d'un intérieur de maison britannique, un bureau, une salle à manger, salle TV, une cuisine, et une cour avec une sortie arrière au rez-de-chaussée, un salon et trois ou quatre chambres à l'étage. La Jaguar Sovereign à 6 cylindres et les voitures même identiques ne le sont pas, c'est un monde différent.

New England 1977 août



Une année, un été passent et le début de seconde présente clairement l'objectif : les États Unis, le livre d'anglais est entièrement constitué de textes américains. De plus pendant l'été une opportunité s'est présentée, travailler dans un fast food aux États Unis, mais non réalisée.

L'Amérique, ce sont ses voitures, les films américains montrent la vie différente, le coca cola, c'est bon, Kellog's présente "yes, we can" des jeunes Américains, l'équivalent de "impossible n'est pas français" sur les boites de corn flakes. L'Amérique est positive, volontaire, gagne et rêve. Je découvre ces notions qui me manquent en France. Le schizophrène que je deviendrai se complaît dans ce monde où le rêve et la réalité se rejoignent.

Au sud de la France où l'Amérique est un pays controversé, je fais mon premier job salarié à Noël pour deux semaines. Je monte des pneus dans l'entreprise familiale et gagne 750 FF, un quart du voyage est payé. J'étudie l'américain et l'accent que j'aurai à la fin de mon séjour est synonyme de ma totale adhésion au pays et à sa culture.

J’apprends par cœur les noms des 50 états et capitales américaines dont deux m'étaient déjà très familiers, ceux  de l'Utah, Salt Lake City, et l'Iowa, Des Moines. Utah était un berger de Beauce que nous avions gardé un an et demi et Iowa un épagneul breton femelle qui a trois ans. Je me sens bien en apprenant ce pays, 20 fois grand que  la France en superficie, on ne dit plus "motorway" mais "highway", "hi" plutôt que "good morning". Le langage américain m'est familier dés mon arrivée.

Parti de Lyon vers Boston début août après avoir travaillé un mois encore comme monteur de pneus pour les trois quarts restant pour payer le voyage, j'arrive dans le Massachusetts. Je passe plus d'une heure à la sortie de l'aéroport dans un bus qui laisse son moteur tourner et je songe "quel gâchis de gas-oil!" en entendant le moteur tourner. La nuit tombe et les hôtesses de la TWA étaient vraiment jolies et gentilles, surtout la plus âgée, 35/40 ans, une brune bien roulée, très bronzée, qui faisait penser à une Indienne avec un sourire constant légèrement triste. Je me sens un homme en Amérique avec des femmes à la hauteur des hommes. Je n'ai pas dormi dans l'avion, 7 heures c'est court et le jumbo jet avec le repas bien préparé, le film, c'est bien.

Physiologiquement, je me sens bien malgré le décalage mais ailleurs, c'est bon. Je rencontre les Fenton après deux heures de bus, nous partons dans deux heures vers Manchester dans le Connecticut.



Ils habitent un condominium neuf, c'est un champ immense avec des allées et des maisons sur trois niveaux, rez-de-chaussée (salon, cuisine) sous-sol (salle TV, chambre d'amis) à l'étage trois chambres. La maison a une entrée sur l'avant et l’arrière et pas de barrières qui limitent les jardins. La communication est libre avec le voisinage, pas de poteaux électriques, les câbles sont souterrains.

Les Fenton ont deux voitures, une Plymouth Volaré "wagon" neuve, c'est un modèle compact dont la consommation d'essence est réduite, et une Ford ancienne coupé. Nous roulons lentement en allant au Mac Donald's ou visiter des amis et nous écrasons encore un chat, nous en avions déjà écrasé un en venant dans le Connecticut, l'Américain est-i1 un écraseur de chats ?

En arrivant les valises pleines de cadeaux, un double disque de Guy Béart pour Carl et Curt, jumeaux qui ont 15 ans, une bouteille de Champagne pour Edward et un foulard Soleïado pour Susan. Carl et Curt ont une bande de copains et copines dont une que je ne connaîtrai jamais, Sue Brown, dont j'ai vu 1a photo et qui est passée me voir un jour mais je n'étais pas là. La série des filles qu'un malheureux hasard m’empêche de rencontrer ou voir plus loin commence.

Je suis étonné de la liberté de rencontrer et de sortir ensemble des garçons et des filles, pas de prise de tète, franchise des uns et des autres.

Au bout d'une semaine, nous partons vers le Maryland pour un  "home exchange", à Linwood dans le Carol County. Nous passons New York City, Newark, les plaques d'immatriculation indiquent New York, Delaware, New Jersey. à Bayonne, ville d'industries chimiques, je fais remarquer que le jambon de Bayonne en France est fumé et dégage une forte odeur. L'assimilation de la découverte d'un pays et d'un autre commence dans mon esprit, n'est-ce pas ?

Après une journée de route, nous sommes à Linwood, village d'une dizaine de maisons de part et d'autre d'une allée ombragée par d'immenses arbres ne laissant pas apparaître le soleil dans la journée. Sur les routes du County, j'ai noté le double marquage central des routes américaines, deux lignes continues ou une ligne continue, une ligne fractionnée.


Linwood

La maison date de 1865, 1a fin de la guerre civile, et elle est toute en bois, peinte en blanc, sur trois niveaux, 2 chaînes hi-fi dans la maison, une grange avec une voiture datant de la dépression économique de 1929 à l'intérieur. Une piscine est adossée à la grange, après la piscine, le champ, des chevaux et un cours d'eau étroit limitant le champ à 300 mètres. Au-dessus de la maison, un terrain de tennis sur herbe, et une chapelle de briques rouges, tout au bout du chemin une maison en bois peinte en rouge qui est celle de la grand-mère.

Dés le lendemain de notre arrivée, elle vient nous demander si nous sommes satisfaits, elle s'est déplacée en voiture pour faire à peu prés 100 mètres aller-retour. La nuit, je vois pour la première fois des vers luisants dans le champ.

À mon grand étonnement, les repas sont bons et complets, le breakfast bacon et œufs avec le french toast (pain perdu) et le repas du soir à 17 heures, viande pommes de terre et haricots verts. Bien sûr, le Mac Donald's encore inconnu des Européens, ses Big Macs, french fries, les petits déjeuners de pancakes me comblent de bonheur. L'apple pie (que je prononce apopaille) est ce que je goûte de meilleur de ma vie entière lorsqu'il est chaud. Les Américains n'ont-ils vraiment pas de goût? Si, un autre.

Nous dînons dans un restaurant tenu par des Américains où tout est excellent et je pense que cela vaut aisément un très bon restaurant français par rapport à mes critères de goût. Au retour dans le Connecticut, je ferai l'expérience d'une crêpe ratatouille, il fallait vraiment que je me rende en Nouvelle Angleterre où je pouvais apprécier ce qui fait de la cuisine un art délicieux, l'imagination.

Nous restons deux semaines dans le Maryland pendant lesquelles Carl, Curt et moi profitons de la piscine, jouons avec Ed au croquet dans la pelouse devant la maison.

Une matinée où Ed et Susan sont partis, nous testons la Volkswagen Coccinelle de la maison, j'explique à Carl et Curt le fonctionnement des vitesses. Je vois poindre pour moi 1a possibilité de conduire une voiture à essence, je vais avoir 16 ans, et je suis en age de conduire une voiture aux États Unis. Le monde ne s'est pas encore écroulé.

Nous partons visiter autour de Linwood, Washington DC (District of Columbia), Gettysburg, 1a victoire du Nord sur le Sud, Harrisburg, un autre champ de bataille de la guerre de sécession, et Harper's Ferry en West Virginia, un symbole de la lutte Nord Sud.

À Washington, les deux tiers de la population sont noirs et les voitures roulent très vite, je vois des Américains faire du jogging en ville pour la première fois, le Space Museum et le Musée d'Histoire Naturelle sont intéressants. Le théâtre où fut assassiné Abraham Lincoln est plein d'enfants noirs des écoles.

Les grilles de la Maison Blanche sont hautes mais je ne savais pas encore ce qu'est le Bureau Ovale. Gettysburg et Harrisburg sont encore des champs de bataille, des canons parsèment les pelouses avec les Mac Donald's en plus. Harper's Ferry est le lieu dit où un pasteur avait pris la cause d'esclaves noirs et avait été ensuite pendu par ses concitoyens. Le village est un endroit de rencontre de tous les "States", effectivement, nous rencontrons un voisin du condominium.

Le dernier périple que nous effectuons est Hershey Park, le parc d'attractions de l'industrie chocolatière, avec le Sooper Dooper Looper, une boucle complète sur montagnes russes. Curt m'apprend qu'il vaut mieux dormir sur une fille que sur un matelas en regardant une jolie "cow girl". Un homme plonge de 180 pieds dans 8 pieds de profondeur d'eau, c'est bien joué. Et nous rentrons à Linwood profiter du fabuleux son de la FM américaine avec Hotel Califomia, et Fleetwood Mac. Avec une trentaine de $, je fais le plein de disques car l'Amérique, c'est le rock.
La musique rock, née du blues et du jazz venue d'Afrique en Amérique, puis repartie en Europe et conquiert maintenant l'Asie, c'est un des liens de l'humanité, une culture universelle.
Un soir Ed, Carl, Curt et moi, nous partons jouer au "pool" où je fais quelques bons coups mais je ne profite pas encore de la bière.

Sur le chemin de Linwood à Manchester, nous traversons la Potomac River, c'est vraiment l'Amérique, la Potomac River était tout de mon rêve américain et le panneau la signalant est tout de la réalité américaine en moi.
De retour à Manchester, je rencontre un voisin français, Philippe, aussi passionné de l'Amérique que moi qui m'explique avoir failli être violé par 5 filles dans une Ford Mustang, il a une copine championne de tennis.
Susan, Philippe et moi partons visiter Hartford, la capitale du Connecticut, et je songe avec étonnement que chacun des États a un gouvernement mais l'harmonie semble régner sur le système politique américain au vu de la capitale provinciale du Connecticut. C'est avec un malheur immense que je quitte le territoire américain équipé d'un jean, d'un T shirt et de chaussures achetées sur place, je veux être américain.

De retour en France en vacances dans le centre de la France, je ne songe qu'à devenir américain, j'attendrai 15 ans pour revenir aux États Unis.


Ireland 1979 août

Une année passe, calme, ennuyeuse et le rock est la meilleure façon de voyager cérébralement. La destination est le "Deep South" américain, l'Alabama avec un groupe décédé dans un accident d'avion en tournée américaine, Lynyrd Skynyrd avec le titre "Freebird" qui laisse s'envoler l'oiseau pendant huit minutes. Je me retrouve allongé sur la moquette de ma chambre en extase quasiment chaque jour. Les trois raisons pour lesquelles je me retrouve en dehors de ma chambre sont les cours, les magasins de disques et le cinéma. Peu de vie sociale. L'été fut monotone et régulier, je dessine des carènes, les plus parfaites de l'époque, identiques à celles des chantiers finlandais qui produisent depuis 1975 des carènes de régates avec des équipements intérieurs de croiseurs hauturiers. Ces bateaux sont des voiliers d'équipage avec les meilleurs gréements et d'un maniement pour marin vigoureux. Ils sont le produit d'un rêve joint à 1a réalité des éléments humain et maritime.

Les filles ne sont qu'en quatrième position dans la hiérarchie de mes intérêts après l'Amérique, le rock, les bateaux et le cinquième est mes études.

Je pris dans mon année de terminale acte en âme et conscience de ma vie. Je décide de passer un baccalauréat littéraire en candidat libre alors que je suis dans une classe scientifique, je prend mon destin en main mais j'échoue à l'examen avec une terrible note en philosophie : 1.

Cet été j'aurai 18 ans et dans le sud de la France i1 fera très chaud alors je partirai en Irlande, c'est ce que nous décidons avec deux copains pour naviguer dans le vent et la pluie au mois d’août.

Nous avons tous les trois les mêmes budgets donc, le même sac à dos, le même billet de train européen, le même argent de poche et nous sommes, Eric, Suisse et Pied Noir, Rémo, Italien, et moi Pied Noir du Maroc.

L'Europe sera pour nous Dublin, avec en sortant de la gare de Dublin, un mur interminable des brasseries Guiness que nous longeons pour gagner le centre ville. J'ai le sac le plus léger et je vais plus vite et plus longtemps. La traversée de la France dans la nuit, le ferry de Calais à Douvres mouvementé, le café est mauvais pour le mal de mer au vu de copines passagères, qui, pour se réconforter à l'embarquement vu le mauvais temps qui règne, prennent un café contre l'avis du barman.

À Londres, le "tube" a des escaliers mécaniques en bois. La traversée Fishguard/Rosslare est tranquille et je sais que je n'aime vraiment pas les machines à sous. À Dublin, nous commençons à errer à pied après deux jours de voyage. Errer dans une ville, demander son chemin est le meilleur moyen de connaître une ville. Découvrir la topographie dans toutes les rues à pied, un peu en bus on en métro passe le temps, repérer les quartiers animés de jour et de nuit, savoir localiser un monument, un lieu même après n'avoir passé qu'une journée à explorer le maximum.



Et nous partons vers Westport, en train, le lieu de nos futurs exploits nautiques. Arrivés de nuit dans une petite gare au bout de l'Irlande ; que faire ? Nous n'avons rendez-vous que le lendemain. Nous commençons à partir vers un marécage, Rémo tombe à la renverse tellement son sac est lourd, Eric et moi allons devant mais ce n'est décidément pas le bon chemin, de plus en plus d'eau. Nous faisons demi tour et prés de la gare, nous plantons deux tentes canadiennes deux places, Eric et moi dans l'une, Rémo dans l'autre.

Au matin : "il y a un bruit sur ma tente !", je sors précipitamment pour voir un veau déjà bien grand en train de se frotter à la tente de Rémo. Premier exploit, non maritime, je fais fuir le veau. Laissant là nos tentes, nous partons vers le village, Westport, le port de l'ouest comme l'indique sa traduction. Village important d'où partirent sans doute quelques uns des Irlandais qui peuplèrent l'Amérique. L'Irlande comptait en 1845, 8 millions d'habitants, 3 millions et demi de nos jours, 800 000 partirent vers le nouveau territoire, suite à une famine due à une maladie de la pomme de terre et au régime foncier en 1850. Westport est un joli village d'où l'on part pour Clew Bay, une baie comportant 365 îles ou îlots. Nous localisons le bar principal, le West, avec un billard irlandais, puis une épicerie où nous achetons trois pommes. Un frugal petit déjeuner pour les 3 marins expérimentés que nous sommes, non pas  contre le mal de mer bien sûr mais pour ne pas dépenser notre pécule. Un peu après, le voila, Kees le Hollandais, sur sa moto ancienne qui encadrera notre séjour et à qui nous réservons quelques surprises au long des 15 jours suivants à naviguer au milieu des îles de Clew Bay. Nous convenons de nous rencontrer en fin d’après midi pour nous rendre sur le lieu d’hébergement. Le soir nous sommes donc 6 Français, nous 3, 2 Parisiens de 25 ans Paulo et Marco, et une Lyonnaise de notre age Isabelle, pour 24 Irlandais à participer à ce stage organisé par le centre nautique des Glenans.

Le lendemain, la découverte des bateaux nous surprend un peu, des Caravelle (dériveur lourd et peu esthétique d'apprentissage à 5 équipiers et un Figaro insubmersible et inchavirable selon les dires du centre des Glenans qui a mis au point le bateau. C'est un 6 mètres coque blanche, dériveur, petite allure rapide à première vue. Nos Caravelles furent le chantier expérimentation de la mer à la création du centre. Heureusement la région est ventée, 20-30 nœuds de vent en général et depuis 2 jours nous n'avons pas vu le soleil.

La remontée des canaux entre les îles est le plus passionnant, tirer des bords avec peu de fond de part et d'autre du canal, un léger courant contraire, la pluie sur nos cirés, la navigation à plusieurs bateaux permettent l'émulation avec Kees, Hollandais, grand marin par ses origines mais membre de l'encadrement et à peine plus agé que nous. Nos caractères se heurtent, on a franchement envie de rigoler et de se moquer conformément à l'esprit français qui se retrouvent en groupe avec des étrangers. Les abordages de Caravelles sont fréquents.

Dommage que Kees soit à l'avant de son bateau pour voir s'il y a suffisamment de fond. Les méduses sont parfois tellement nombreuses qu'elles freinent les bateaux. L'eau est à bonne température, 20°C et l'air étant à 22°C environ, l'amplitude rend l'eau d'autant plus abordable à la baignade.

« Elle est bonne l'eau, Tees ? »
« Castards l »

Une semaine s’écoule dans la bonne humeur, ponctuée de sorties nocturnes au West, le bar à billard en compagnie de Jerry, non pas Lewis bien qu'il lui ressemble beaucoup et qu'il commette les mêmes gaffes. Jerry a une Renault 4 qu'il conduit très vite, il est dentiste à Dublin, et sur la route qui mène au village, au milieu de la route, Les pneus dont on voit la ferraille crissent lorsque au dernier moment, il évite la voiture en face.

Mais nous arrivons sains et saufs pour engager de terribles parties de billard avec les durs du coin, on n'est pas mauvais, Les filles se pressent sur nous, il est temps de repartir au camp. II continue à pleuvoir, nous n'avons pas vu le soleil, je demande à Eric :

« Mon jean est sec ? »
« Oui, il sèche dehors. »
« Ah oui, c'est vrai, il pleut toujours. »

Ce week-end, nous mettons des tentes 4 places dans nos bateaux, nous partons camper à quelques mille de là et le vent est toujours fort, on annonce une tempête, nous y allons quand même. Arrivés au vent d'une île, Jerry qui est à la barre du Figaro, empanné, chavire, la mer est force 8, 40 nœuds de vent, le bateau se met à se remplir d'eau par le puits de dérive, nous arrivons à la rescousse. Heureusement la mer se retire, le bateau se retrouve dans 50 cm d'eau et c'est la royale bataille de seaux d'eau. II était temps de s'humidifier. L’été de la côte d'Azur est vraiment loin. Heureusement que Jerry est un gagman, doué au naturel.

Finalement nous arrivons au campement sur l'île, choisissons un site abrité, le vent forcit, la pluie augmente son débit, ça va être bien. La nuit est là, je sors avec Isabelle pendant la nuit, j'avais subrepticement glissé mon bras sous sa tête, Les autres dorment, on est bien serrés les 6 Français dans la tente 4 places.

Le lendemain, stupéfaction, toutes les tentes ont été inondées sauf la notre, imaginez notre supériorité, n'en jetons pas plus, les regards sombres des Irlandais et de Kees trempés de la tête au pied. Mais nous apprenons aussi que quelques bateaux du Fastnet, régate hauturière en Irlande, ont été pris dans une mer de force 12 et qu'il y a des morts et des disparus. Nous rentrons avec un bon force 9 vers Westport et au mouillage, le tout s'affole, 60 nœuds de vent, on imagine ce que cela fut la nuit dernière au large. Ils mettaient leur canot de survie à l'eau, voyaient des lambeaux de voile et des mats brisés, des équipiers à la mer. Le frère d'une de nos copines irlandaises est disparu. La leçon tirée est voir le vent arriver et ne pas quitter le bateau tant qu'il n'a pas coulé en bloquant la barre et en s'enfermant à l'intérieur.



J'ai 18 ans, je suis un homme, Isabelle, Remo et Eric m'ont offert des chaussons en daim fourré, je les porterai
toute l’année de ma terminale, la deuxième. La deuxième semaine se déroule, le camp de base est de plus en plus boueux, l'Irlande est une éponge verte et devient marron lorsqu'on passe et repasse sur le même chemin, inhabituel pour les habitants du Var, sec et gravillonnant. Jerry nous offre un spectacle gag magnifique, descendant trois marches de la cuisine vers l'extérieur avec une bassine d'eau de vaisselle salée, il trébuche et se retrouve tète la première dedans.

Et oui, le camp ne dispose pas du tout à l’égout, ni d'adduction d'eau. Depuis les choses ont évolué à Clew Bay. Nous rencontrons Pascale, Véronique et Sophie, trois Françaises en séjour linguistique et le soir nous restons avec elles au West à jouer au billard et à boire de la Guiness.

Le dernier soir avec le club, nous goûtons un gargantuesque Irish Stew avec du crabe en entrée puis c'est la fête au Pub et la Guiness et l'Irish Stew ne feront que l'aller retour chez moi ce soir. Kees est heureux avec Ann, 24 ans, douce et tranquille, John mon ami rugbyman m'apprend qu'à Dublin, on ne
boit que de la Guiness extra stout brune, Peter m'a appris à lover un bout de drisse sur le taquet au mat.

Nous prenons pour la première fois une douche extra glacée le matin de quitter le camp. Nous savons que nous ne nous reverrons plus. Isabelle s'en va aussi. Cela donne un goût de pas assez, ne pas aller au delà de nos vacances, vivre de nos vacances, tel peut être le but.
Le groupe que nous composions était composé de bric et de broc, l'aventure de la mer étant bien une aventure humaine, mais il faut aller plus loin, faire de notre monde ce que nous voulons, tel est un des slogans de U2, le groupe de rock irlandais.

Cet été le rock, c’était Thin Lizzy, les Boomtown Rats avec « I don't like mondays », Supertramp avec « Breakfast in America » et « Baker Street » de Gerry Rafferty. Alors nous restons tous les trois avec nos trois copines françaises et le matin les veaux qui nous réveillent, toujours sous un temps couvert, alors que nous avions vu le soleil une demie journée en même temps que le passage d'un ancien avion de chasse au dessus de nos voiles.

Se succèdent quelques journées du West aux tentes installées derrière la gare. J'y rencontre une jolie Irlandaise mais je ne comprend pas ce qu'elle veut, elle a 20 ans, elle est meuf à mes yeux et elle sortirait bien avec moi. Je ne le sus que lorsque Sophie me le dit en nous accompagnant au départ du train. Mais déjà, je ne joue pas ma vie à fond, trop besoin de vivre la vie avec nostalgie. Ne pas rentrer dans le monde alors que tout mon être le veut et en est capable. Seule ma conscience me dit : « pas trop vite l », prendre le temps de vivre, ne pas brûler les étapes que je brûlerai pourtant aux yeux du monde social ambiant plus tard.

Nous partons rejoindre Marco à Dublin chez des copains à lui, puis Rosslare, Fishguard, Londres où Remo nous quitte en nous laissant les coordonnées de Michelle, une Franco-Anglaise qui passait des vacances à Sanary. Eric et moi trouvons prés de Hyde Park un logement pas cher dans un « youth hostel », 4 heures de marche à pied par jour et deux heures de Mac Donald's, nous sommes fauchés. Voyager fauché, c'est dur, ça apprend la topographie mais ne permet pas de goûter aux spécialités culinaires. Le seul bon repas fut avec Michelle dans un steak house mais « expensive ». Tout notre argent était passé dans le « youth hostel » d’où l’intérêt d'apprendre à squatter en voyage à droite à gauche, c'est d'ailleurs aussi bien meilleur pour connaitre la vie locale, ou dormir dehors.

Sur Regent Street, nous rencontrons un Égyptien qui nous raconte qu'il avait vu une pute, l'avait embarquée et que la pute était un mec et qu'il l'avait baisé. Cela aurait pu être un moyen pour nous de gagner quelques ronds, mais non, nous ne nous sommes laissés ni « tirés », ni « roulés ». L'honneur est sauf. Nous continuons d'arpenter les rues de Londres, d'explorer les garages avec Limousines Jaguar, les Rolls Royce, les bords de la Tamise et la City.

Le dimanche matin, Michelle nous emmène à Portobello Street et nous y achetons des chemises anciennes pour deux livres l'une, soit 20FF. Nous n'avons plus un sou, il est temps de rentrer en France. Nous avions payé notre billet de train européen 1000 FF, 790 FF le séjour aux Glenans, et 500 FF d'argent de poche. L'investissement dans le sac à dos était de 150 FF. Nous avions gagné l'expérience de l'océan atlantique, de la mer et du vent à 60 nœuds un bon moment. La main en visière.


Navigation 1er avril au 16 décembre 1982

Préparation au départ

Je suis un homme et mon avenir est tout tracé, je commence à travailler dans l'entreprise familiale pendant l’année scolaire. J’achète une voiture en décembre et obtiens mon permis de conduire, je rencontre Véronique, je vis I'amour, je réussis mon baccalauréat, je rentre en classe préparatoire aux écoles de commerce, j'utilise le bateau sans mon père, j'ai de bons résultats en cours et lors des revisions aux concours, je ne fais rien et j’échoue. Je redouble, ma relation amoureuse se détériore, je ne fais plus rien, je déconne et le 1er avril 1982, je suis en vacances éternelles, je dois réviser, je lis et relis « l’Éducation sentimentale » de Gustave Flaubert sous des oliviers à Porquerolles dans un champ. Je découvre l'ambiance de la vie de village sur une île, à bord d'un bateau solitaire ou avec des amis, je goûte aux promenades dans la nuit sur les chemins chauds de la journée d’été. Je vis l'atmosphère des fêtes de Ia nuit au début de l’été, les allers retours en bateau entre Hyères et Porquerolles, d'Ouest en Est, le Langoustier, la plage d'argent, la Courtade, l'Alycastre. Le petit déjeuner à l'Escale au port pour voir le village s’éveiller. Je dois combler d'une activité non obligatoire le temps et j’apprends à raccommoder les voiles de mon bateau, de ma planche à voile. Les coutures sont rustiques mais tiennent.

Lors d'une de mes sorties en solitaire à Porquerolles, je subis un accident sans gravité mais horrible. De retour au port, ayant nettoyé le pont du bateau, je dois raidir le bout du corps mort à la proue et m'arcboutant, je glisse et me déchire la raie à la hauteur de l'anus. Je saigne, réussis à peine à sauter sur le quai puis tombe évanoui. Je suis à l’hôpital, coccyx fêlé et quelques points de suture. Dangereux le bateau en solitaire !

J’échoue comme prévu à tous les concours, je ne me sens pas moi même dans chacune des épreuves où je suis soit hors sujet, soit médiocre. Mes résultats annuels étaient pourtant bons, je ne serai plus étudiant. Je songe alors à traverser I'Atlantique en voilier, je regarde les annonces des journaux spécialisés, je propose ma personne  à divers bateaux, une goélette de 18 mètres appelée Universe cherche un skipper pour naviguer vers I'Asie. C'est une réelle opportunité mais je crains un trafic de drogue et de toute façon, l'Asie sera pour plus tard. Une dizaine d’années.

Un mikado cherche un équipier pour traverser l’Atlantique en novembre, j’écris. Un mois plus tard, j’apprends qu'un Baltic 51 veut bien de moi pour traverser, suite à l'annonce parue pour le Mikado. On me demande 2000FF, je vais voir Honeymoon à Hyères, c'est un Baltic, un vrai, un beau, un neuf qui vient directement de Finlande, Bosund/Pietarsaari, le chantier Baltic Yachts à été créé au milieu des années 70 à la suite d'un départ de 5 membres de Nautor construisant les Swan. Ce sont les bateaux dont je rêvais lors de mes premiers dessins de carène.

Durant l'hiver, j'avais postulé pour conduire un tracteur aux Salins de Pesquiers à Hyères en septembre, j'en reçois la confirmation. Ça avance. Début juillet, le vent du sud, le sirocco souffle sur la Côte d'Azur, une de mes dernières sorties en bateau, avec Jean-Noël, le copain de ma sœur, nous offrent le plaisir de plonger en mer du bateau et de sortir de l'eau en étant sec dans la minute qui suit.

Tout l’été, je travaille comme intérimaire, débarquement de tubes de gaz d'un wagon sur un camion, nettoyage de hangar, déchargement de sachets de pâtes et j'ai 21 ans. Je suis vieux, je le sens, je ne suis plus un enfant, je décolle du nid. Je prend ma Renault 5 et vais rejoindre Véronique dans le Haut Var pour nous rendre quelques jours dans les Alpes. Camping sauvage et marche à pied.

J'effectue l'exploit de descendre pieds nus pendant 2 heures dans un torrent à sec avec cailloux et branches mortes, je soufre mais je veux supprimer le confort avec lequel j'ai vécu. J'estime qu'aller au devant de l'inconfort est meilleur que s'y retrouver plongé par la force des choses. C'est le postulat que je me fixe cette année là, la résistance physique à l'inconfort et à l’insécurité.

Avec Véronique, cela ne va pas, elle ne partage pas ce postulat. La facilité obtenue par hérédité sociale s'il y a lieu me hérisse, j'ai été mis au ban de la société par mon échec aux écoles de commerce, alors je me mets moi-même  au ban de la société,  je pars et cherche à découvrir mon être et faire ma vie avec.

Dans un monde d’élus et d'exclus, comment la grâce est elle acquise ? Quelles valeurs sont à mettre en avant dans notre vie pour arriver à la mort avec confort et sans effort ? Je ne suis pas satisfait. Ma rigueur ne m'accorde pas la satisfaction, je suis parti pour un long combat sur moi-même et contre autrui. La société telle qu'elle se présente est une ennemie que je dois infiltrer par mes valeurs, une attitude matérielle désintéressée, une tolérance extrémiste d'autres mondes (excessive), Objectif : obtenir le consensus humain universel. Mein Kampf et le Capital ont un successeur, gare à l’idéologie envahissante d'une société en crise où l'individu est malade socialement, du fait de la crise économique.

Ces débats hanteront des années durant mes pensées et conversations, la navigation et les déplacements en car, train, avion, voiture. Début octobre, la première fraîcheur se fait sentir sur Toulon, l'hiver ne doit pas m'entamer. Après 25 000 kms en voiture en 6 mois, la bougeotte perpétuelle m'a envahi, l'iode, le soleil ont altéré la couleur de mes cheveux longs et blonds, le rasta man que je suis devenu doit partir. Je me fais couper les cheveux pour un nouveau départ.

Je n'embarque plus sur le Baltic qui ne part plus mais sur le Mikado, Max, son propriétaire m'a téléphoné, il m’emmène quand il sera à Ibiza vers le 17 octobre. Le 16, j'appelle à Montpellier, un ami de Max doit m'emmener avec lui jusqu’à Barcelone. Mes parents m'accompagnent à Montpellier, mon sac est énorme, mon père m'a offert un couteau de marin superbe avec un épissoir impressionnant. J'ai une trousse à couture qui ne me quittera plus.

Les « pensées » de Marc-Aurèle, les « Mémoires d'Hadrien » de Marguerite Yourcenar et un livre de 100 recettes sont dans mon grand sac rouge neuf « aussi grand que moi » d'après une copine qui m'a vu un jour arriver avec mon sac de couchage, mes cirés, mon jean, des bottes de marin et la conscience de laisser un monde sans lendemain sont avec moi.

Le mercredi soir de mon départ, Véronique apprend que je suis parti sans appeler, elle est stupéfaite et ne le croit pas. Je le saurai 5 mois plus tard.


Ibiza Espagne

En arrivant à Montpellier, l'ami de Max, Georgi, a une soixantaine d’années, il est le directeur de la station de ski du mont Aigoual. Nous partons dans la Fuego d'un des équipiers, Durand qui est directeur d'un village du club med. Béziers, Narbonne, la Junquera et Barcelone, l'autoroute vers l'envol pour Ibiza avec Iberia 250 FF, le passage. 21 heures nous prenons une chambre dans un hôtel prés de l’aéroport en attendant que se lève le jour et chercher le bateau.



Il pleut sur  Ibiza ce 19 octobre et nous trouvons le Choo Gun amarré à Bota Foch. C'est un voilier de 17 mètres avec un bout dehors construit au chantier nautique du sud ouest, le CNSO, c'est un ketch, le mât avant, le mât de misaine, fait 17 mètres avec deux barres de flèche, le mât d'artimon doit faire 10 mètres. En navigation 4 voiles sont à poste ; le foc génois est sur enrouleur, entre le foc et la grande voile est installée une trinquette bômée autovireuse sur le bas étai, la grande voile et la voile d'artimon.

Un guindeau électrique d'une puissance de 1000 W remonte une ancre soc de charrue de 25kg. Le pilote automatique est un NECO, d'une valeur de 30.000 FF, utilisé dans l'aviation. L'asservissement du pilote est hydraulique.

Le moteur est un Perkins de 105CV consommant 8 litres à l'heure de gasoïl. Électricité est en 24 volts et un alternateur d'arbre Motorola recharge les batteries quand le bateau navigue sous voile, l'hélice tripale tournant. Un pont en teck rend très agréables les déplacements sur le bateau.

En me voyant, Max me dit : « on à besoin d’équipiers solides ». Je rentre dans le bateau et dans le carré situé en arrière du bateau, je rencontre Gilles, le marin, qui comme moi avait répondu à l'annonce de Max. Le carré peut accueillir 16 équipiers. En arrière se trouve une cabine deux couchettes, je prend celle de tribord et j'installe mon grand sac rouge. Gilles dort dans la cabine avant trois couchettes. Les deux cabines doubles sont pour Max et Georgi qui sera remplacé par Durand aux Canaries.

Un offshore est amarré à côté du Choo Gun, nous sommes bien à Ibiza, l’île la plus « chaude » de l'Europe qui est bien sombre aujourd’hui. Nous.partons avec Gilles découvrir le village, un shipchandler, deux bars vides, c'est bel et bien la morte saison. Qu'est ce que je vais bien pouvoir trouver à faire dans cet endroit ? Me replier sur moi-même.

Durand, sa femme et la femme de Max rentrent à Montpellier. Nous restons quatre à bord et partons mouiller en rade, l'annexe sur  bossoirs est notre seul lien avec la terre. Gilles était restaurateur, il a trente ans et vient de se séparer de sa femme, il est de taille plutôt petite et rond. Max mesure un bon mètre 80 et a 50 ans, il a réussi et il est associé ·dans un camping à Palavas. J'ai 21 ans et mes repères se sont effondrés, je m'ouvre à l'introspection plutôt qu'à découvrir le monde. Je ne vis pas mon voyage comme des vacances mais comme un apprentissage de la vie dans d'autres mondes. Il faudra tout de même que je trouve un endroit où m'installer, me fixer, constituer une famille, quelle pourra être mon activité professionnelle ? En attendant de trouver, je dois vivre au jour le jour.

Avec Gilles, nous prenons l'annexe une fin d’après midi. Nous arrivons dans un bar en sous-sol  une jolie brune en bottes plastiques nous sert une bière. Qu'est ce qu'on s'emmerde. Personne dans ce bar, nous revenons au bateau. La météo annonce du vent, le plein des 1000 litres d'eau a été fait, le gas-oil est à ras bord. Nous avons du frais. 400 bouteilles de vin du sud ouest sont sous la couchette de Max. Nous sommes prêts à partir, à 20 heures, nous partons au près, le bateau passe bien dans la vague, les manœuvres sont aisées, les winches de hissage et réglage des voiles sont bien dimensionnés. Une fois passée Formentera, au sud d'Ibiza, nous hésitons à continuer et il est 22 heures. L'ambiance n'est pas là pour persévérer, nous sommes trop brassés, ce n'est pas la peine, nous empannons pour rentrer au mouillage en rade d'Ibiza. La couchette est la bienvenue à minuit.

Le lendemain matin, il fait toujours venteux et pluvieux sur Ibiza, il fait bon sentir que nous avons commencé à naviguer même si nous sommes revenus. Partir soulagé, l'action ôte le stress de la conscience, je commence a trouver agréable le climat et l'abri au mouillage dans le vent est un véritable réconfort. Sur le pont nous récupérons Max qui est tombé à l'eau voulant améliorer les attaches de l'annexe sur  les bossoirs.

En fin de journée, nous partons tous quatre dîner dans un restaurant, en sortant, nous nous promenons au pied du fort et au bout d'une petite rue, un mur et derrière la falaise et la mer. J’analyse ce mur comme celui des Pink Floyd dans l'album « the wall », le break avec l’éducation. Il n'existe pas de rails ni de motifs pour qu'un homme évolue et arrive au bout de son être.

En prenant cette impasse à rebours, j'entend le tube de l’été du groupe « chagrin d'amour » qui évoque le break avec le monotonie du lever matinal obligatoire, une jolie blonde chantonne devant nous. Le break avec le passé, les rails que je m’étais fixés explosent.

Nous sommes bien à Ibiza, nous nous préparons à partir, nous sommes en Espagne, les plaques d'immatriculation qui sont la carte d’identité du pays indiquent PM puis 4 chiffres, une lettre, c'est les initiales de Palma de Mallorca, la plaque d'immatriculation de toutes les Baléares.



Le vent est tombé, il fait beau, une brise légère souffle, nous partons, je commence à écrire mon journal de bord. En arrivant à Alicante le matin, le port est boueux, le rocher est magnifique dans le ciel clair. Les conditions météo furent tellement mauvaises que la ville vient de subir des inondations. Je pars seul découvrir la ville. Je suis parti pour découvrir et je me demande pourquoi il y a tant de banques dans cette ville, s'il n'y a pas de zone industrielle, de quoi peut vivre la ville ? Je suppose que la région est peuplée de rentiers qui vivent de revenus provenant d'exploitations terriennes, le port ne semble pas très actif, le tourisme ne doit pas être très important. J'aperçois trois filles superbes dont une blonde avec de hautes bottes bleues et je me dis qu'elles doivent être secrétaires dans une banque et qu'il y a des blondes en Espagne. Je suis parti aussi découvrir les femmes, je dois trouver la femme de ma vie, ce ne sera aucune de ces trois là.

Nous repartons vers le sud en longeant les côtes, j'imagine que des plantations d'amandiers seraient rentables dans la région aride de collines. Nous heurtons un rondin d'un mètre de long sans dommage pour le bateau. En arrivant sur Malaga, nous croyons voir des lacs en pente descendante mais cela n'est pas possible. Ce sont en fait des serres dont le reflet donne l'illusion d'eau. À Puerto José Banyuls, nous nous glissons dans une place au port au milieu de yachts plus grands que le Choo Gun. J'admire la manœuvre de Max qui aux commandes du Perkins amène en marche arrière le bateau mais qui avec l'effet du pas d’hélice fait partir le bateau sur bâbord mais d'une marche avant replace le bateau droit et cela successivement jusqu’à être complètement amarré.  Nous sortons  ensuite convenablement habillés visiter ce lieu prestigieux qui est en fait bien sommeillant à 22 heures en cette fin de mois d'octobre. Les bars ont une lumière tamisée. Les vitres coulissantes des terrasses limitent l'intérieur et l’extérieur des bars. La population est enfermée. Nous passons devant un buste, celui de José Banyuls sans savoir qui il est. Je ne le sais toujours pas.

Maroc



Le lendemain matin, après un nouveau plein d'eau, nous partons vers Gibraltar, où l'on note les murs sur le rocher permettant le ruissellement des eaux de pluie ainsi collectées. Le détroit a une mer agitée et une houle contraire. Ceuta, le port franc espagnol au Maroc comme Melilla, constitue une bonne escale avant de continuer. Nous avançons dans un port fortifié où quelques autres voiliers se sont arrêtés. Un Gin Fizz, 11,20 mètres à la coque complètement mazoutée tellement le port est sale et contient des hydrocarbures de toutes sortes. Nous y restons 2 jours, avec Gilles nous partons vers le centre ville, les walkman ne sont pas chers et l'offre est importante, il s'en paye un et prend un stock de piles prêt à affronter l'Atlantique. Nous faisons le lendemain matin un ravitaillement au marché couvert qui impressionne par ses boucheries dont les pièces de viande sont accrochées en plein air et butinées par les mouches. Nous évitons la viande.

Nous quittons Ceuta vers Tanger en début d’après midi, la côte ne demande qu'à être découverte. Les arbres sur le sommet de la falaise laissent supposer une côte hospitalière. Nous passons le cap Spartel, nous sommes dans l' Atlantique. Le fort soleil de 16 heures éclaire les superbes longues plages du nord du Maroc, le vent d'ouest nous laisse partir au largue avec une houle régulière à 9 nœuds.

 

Le Maroc a vu ma naissance et je suis heureux de songer que je suis dans les eaux marocaines et que jusqu’à trois ans, j'avais marché sur ces plages tellement différentes de celles de la Méditerranée où j'ai grandi. Le problème se pose sur le bateau de savoir si nous nous arrêterons à Rabat ou Casablanca. Nous choisissons Casablanca, ma ville natale. En arrivant en fin de journée, la température est douce, légèrement fraîche. Le port de Casablanca est immense, nous finissons par arriver au club nautique tout au fond du port, où dans une rangée de pilotis, quelques petits voiliers sont amarrés. Tout de suite, nous partons visiter la ville. Le gardien de l’entrée du club nautique nous laisse passer après avoir regardé nos passeports français. Nous traversons en cette fin d’après midi ce dimanche un périphérique à 4 voies sans personne et rentrons dans la médina. 3 millions d'habitants peuplent maintenant Casablanca contre un million en 1961. Je constate que la ville est immense et grouillante de monde. Tout de suite de jeunes Marocains nous proposent une visite guidée.

Nous sommes tous 4 comme un cheveu sur la soupe, habillés en yachtmen. Le pays est en voie de développement et l'exode rural massif vers la grande ville a créé une masse importante de jeunes inactifs al’affût de ce qui peut se faire pour quelques sous. Un jeune me propose de lui vendre mon T shirt de windsurfer et d'en monter un commerce, mes réflexions sur le développement du tiers monde doit il s'inspirer de la culture des pays industrialisés ? Je songe tout de suite que non.

Quelques mois auparavant, je visitais avec Véronique un forum de l'aide au développement et demandais à un responsable d'association s'il établissait des relations commerciales avec ses interlocuteurs dans les PVD. Il avait éludé pensant peut être que les PVD avaient seulement besoin d'aide et qu'ils n'avaient pas forcément l'envie de faire des affaires.

Max et Georgi repartent préparer le dîner, avec Gilles, nous nous enfonçons un peu plus dans la médina. C'est un grand bonheur, complètement inconnu, que déambuler dans une ville de l'autre monde où grouille la vie et l'avenir du monde en prenant comme postulat, un homme une voix, et non pas, un homme, un PNB/tète/an. L'expression la plus simple de chaque individu est ]'expression de sa vision du monde et la création du monde de demain. Cette réflexion date d'aujourd'hui mais elle est en moi depuis toujours.

Dans la médina de Casablanca, les femmes sont assises par terre et vendent des galettes, avec leurs enfants à côté. Les hommes sont assis ou debout, au café ou dans la rue sur le trottoir. Ils discutent. Le soir sur le bateau, Max est déçu, il imaginait Casablanca comme dans le film avec Bogart et Bergman mais en 1982, tout cela est bel et bien révolu. L' indépendance en 1956, la Marocanisation en 1964, les Occidentaux sont partis. Le Royaume du Maroc a repris un pouvoir entier.

À minuit nous partons du port, à la sortie une cohorte de bateaux de pêche marocains sort en même temps que nous.

Canaries



Rapidement nos routes se séparent, prochaine escale : les Canaries, à 360 milles de Casablanca. Nous longeons la côte sud marocaine, le vent toujours Ouest moyen.

Lanzarote, l’île la plus nord des Canaries est à une cinquantaine de milles de I'extrême sud du Maroc. Nous y arrivons en fin d’après midi, pas de ports à Arrecife, mais un mouillage protégé par une digue. C'est suffisant pour mouiller l'ancre du Choo Gun, mettre l'annexe à l'eau et mettre les pieds sur le sol espagnol. Le climat est doux simplement. La tranquillité est absolue, notre objectif est trouver du pain pour accompagner le barracuda de 2 kg que nous venons d'attraper. Je n'ai jamais mangé de poisson et ce soir, je n'hésiterai pas, je suis un marin. Je ne le regrette pas non plus. Gilles a préparé le barracuda sur un fond de pommes de terre et c'est un poisson jeune dont la chair est tendre.

Nous passons la nuit dans ce mouillage, le lendemain nous repartons, longeons Fuerteventura, apercevons un village de vacances qui a été conçu comme un village de troglodytes, et arrivons à Las Palmas sur l’île de Gran Canaria qui avec Santa Cruz de Tenerife est l'autre grande ville de l'archipel. Las Palmas compte 350 000 habitants, le port est constitué d'une longue digue abritée et de bateaux, une cinquantaine amarrés sous son abri. Le Choo Gun y trouve une place que nous ne quitterons pas pendant deux semaines. Max et Georgi vont partir et reviendront Max, Durand et Olivier, le gendre de Max qui à 26 ans et qui est kinésithérapeute. Avant de repartir, Max me demande si je veux envoyer un mot à mes parents qu'il postera en France. J’étais parti pour ne plus revenir et un courrier me rapproche du milieu familial social et affectif étriqué dans lequel j'évoluais, j'hésite mais finalement glisse un mot dans une enveloppe. Je voulais une rupture totale, elle ne le sera pas.


Las Palmas

Passer deux semaines aux Canaries en novembre, c'est être en vacances au soleil pendant que l'Europe rentre dans la tourmente de l'hiver. Le climat n'est pas tropical mais l'ambiance est bel et bien aux loisirs. Dans Las Palmas, il y a une petite plage pleine de touristes toute l’année. Effectivement, c’est la destination la moins chère et la plus proche de ]'Europe pour être au soleil, comme le Mexique pour les USA. La ville est connue pour recevoir, hôtels, restaurants smörgåsborg (2), bars de nuit, aéroport international, location de voitures à bas prix pour des excursions à l’intérieur de l’île dans les villages, les bananeraies ou sur le mont Teyde à 3700 mètres d'altitude sur Tenerife.

C'est sans prévoir de naviguer que Gilles et moi prenons nos habitudes sur le bateau, chacun à une extrémité, pas de repas, juste lire et écrire pour moi, écouter de la musique pour Gilles. Deux fois par jour au moins, je pars en ville, juste pour découvrir, à pied, cela représente quatre heures de marche par jour. Le port est à une bonne demie heure du centre ville. J'admire au passage le club nautique avec sa piscine olympique. En ville, j'ai une destination favorite le smörgåsbord  (2), un buffet pour 30FF où l'on peut se servir à volonté. Mes moyens sont réduits et je suis spécialiste du petit budget pour le maximum de rapport. Je décide de n'y aller qu'une fois tous les deux jours. Je suis assez mal vu car j'ai un appétit d'ogre.

Sur le quai, un Gin Fizz est arrivé, ce sont Patrick et Régis que nous avions aperçus à Ibiza. Ils ne sont que deux sur le bateau pour traverser I'Atlantique, cela leur fera des quarts de 6 heures chacun. Ils viennent de Nice, Patrick était restaurateur et a mis un an pour partir. Régis a  21 ans et il est l'équipier co-skipper, il me propose une partie d’échecs. Je ne suis pas très fort, lui non plus, nous faisons jeu égal. Le samedi après midi, il fait beau, je regarde passer les uns et les autres sur le quai en lisant d'un œil « les mémoires d'Hadrien » de Marguerite Yourcenar et je vois la femme de ma vie, elle à une trentaine d’années, elle est française, sportive, tranquille, cheveux châtains longs, elle à un petit garçon de 2 ans et un mari hollandais. Ils ont un équipier italien sur leur bateau, un vieux gréement de 18 mètres avec lequel ils veulent traverser, il s'appelle Massimo, il est sarde.

Tous les 4, nous partons à Utopia, une boite où de nombreuses jolies filles de Las Palmas vont. L'atmosphère est délire, la jolie Française et son mari rentrent au bateau, Massimo et moi restons avec les Espagnoles jusqu'à  « las cinco de la mañana ». Dans la semaine qui suit j'achète un livre en espagnol que je lirai longuement : « El Mediterraneo es un hombre disfrazado del mar », c'est à dire « le Méditerranéen est un homme qui profite de la mer ». il est écrit par José Maria Gironella, un Catalan qui écrit en Castillan. Son livre est le fruit d'un voyage en Méditerranée de Barcelone à Istanbul dont la constatation se résume dans le titre. Patrick, Gilles, Régis et moi louons une voiture une journée, une Seat 127, et partons à l’intérieur de l’Île découvrir les bananeraies, les montagnes dans les nuages, les petites routes mais nous nous perdons, Gilles et Patrick croient tous les deux tout savoir et se disputent pendant que Régis et moi nous foutons de leur gueule. Le lendemain matin, après avoir testé le frein à main en dérapage sur le parking, Gilles et moi partons a Paronomase, une ville au sud colonisée par les Allemands. Le site est caractéristique par ses dunes dont le sable provient du Sahara au dessus de la mer par fort vent d'Est, vrai ou faux ??

Un soir, une fille sur une vedette de 18 mètres organise une fête sur son bateau, tout le quai est convié, toutes les nationalités s'y retrouvent et le rhum et la bière coulent à flot. il y a un équipage de jeunes, celui du Père Peinard, un voilier de 14 mètres en ferro-ciment immatriculé à Toulon mais qui vient de Nantes avec une jolie Sophie qui branche tous les mecs qui passent autour, surtout s'ils ont un joli bateau. Ils sont huit, et ils n'ont pas l'air de s'ennuyer.


Pasito Blanco

J'apprendrai quatre ans plus tard qu'ils n'ont jamais traversé I'Atlantique, que son propriétaire est resté un an sur place pour revenir sur Saint-Nazaire, les plus enthousiasmantes expéditions ne se produisent pas toujours !! Max, Durand et Olivier arrivent, il ne nous reste que deux jours avant de partir pour les Îles du Cap Vert. La dernière escale sur les Canaries est Pasito Blanco, une marina moderne au sud de Gran Canaria pour un dîner et un plein d'eau. Déjà, je me rend compte qu’avec Durand, ça ne collera pas très fort, trop superficiel, il avaitpourtant une jolie femme à Ibiza.

Les Canaries sont latitude 28°nord et les Îles du Cap vert 16° nord, il nous faudra 6 jours de navigation pour les atteindre à raison de 120 milles par jour environ. Effectivement il y a 60 minutes dans un degré, un mille par minute et 1852 mètres par mille, il y a peu de vent, nous naviguons pas mal au moteur, le soir, le vent tombe complètement et reprend après minuit légèrement. Les repas de midi et soir, ouverture d'une bouteille, et longues discussions entre 20 heures et le premier quart vers 23 heures. Les sujets essentiels sont les affaires, le mode de les traiter, Max nous explique qu'après la « chanson », les mi, les si, les la, il finit par comprendre ce que veut lui dire celui qui se trouve en face de lui.

Nous passons le tropique du cancer, 23°27', alors fusent les blagues sur un éventuel passage de l’équateur qui voudrait que le plus jeune membre de l’équipage se retrouve dans un tonneau avec un trou à la hauteur de l'anus. Je sais heureusement que les Antilles et les Îles du Cap vert sont sur le même parallèle.

La température devient chaude. L'explication du changement de climat vient de l'inclinaison de 23°27' de l'axe de la terre dans sa rotation autour d'elle même variant dans sa rotation autour du soleil. J'apprends ces notions d'astronomie dans un livre passionnant : « Sachez lire les étoiles ». La hauteur de l’étoile polaire varie dans le ciel selon la latitude à laquelle on est, sa hauteur est identique à celle de la latitude dans l’hémisphère nord. Elle est donc invisible à l’équateur, latitude zéro. Elle indique le Nord et brille faiblement.

Durant cette navigation, j’apprends à apprécier les quarts de nuit, des quarts de deux heures, sans pilote automatique, en veillant à l'approche de navires de commerce, aux changements de vent de face, ou à régler les voiles en conséquence zodiacales sur la dite voie. C'est là que pour la première fois, je vois se lever la lune telle un caillou brillant et rouge à la surface de l'horizon à l'Est et qui en dix minutes apparaît arrondie et peu à peu monte dans le ciel en suivant la course du soleil. Un peu avant d'arriver à Sal, l’Île la plus au nord des îles du Cap Vert, nous péchons un barracuda de 4 kg, celui là n'est pas aussi jeune mais à nouveau je me régale. Ça y est, j'aime le poisson définitivement, il suffit de se méfier des arêtes.

Îles du Cap Vert



La visibilité est excellente, nous voyons Sal à 50 milles à 10 heures du matin, nous y arrivons en début de soirée. Nous mouillons en rade, il n'y a pas de port. Le lendemain matin, il pleut. Nous mettons l'annexe à l'eau pour aller signaler notre entrée dans les eaux du Cap Vert. À terre nous croisons un Américain qui est responsable d'un vivier à langoustes, il nous emmène dans son pick-up à quelques kilomètres à l'aéroport pour faire tamponner nos passeports, c'est fait simplement. L’aéroport de Sal est une escale entre l'Angola, Cuba et Moscou. L’île a une réelle importance stratégique. C'est un vaste champ de cailloux et cela faisait un an qu'il n'avait pas plu. Les Îles du Cap Vert sont une ancienne colonie du Portugal dont l'homme d’État Amilcar Cabral, créateur du parti pour l'autonomie de la Guinée Bissau et des Îles du Cap Vert, a obtenu l'indépendance en 1975, deux ans après avoir été assassiné.

Les Îles du Cap Vert sont dans la zone du Sahel au déficit hydrique depuis 10 ans. Les Américains veulent construire une usine de dessalement d'eau de mer. Il y a déjà un vivier à langoustes sur l’île. Nous rencontrons un jeune parlant français qui nous apprend que le Français est la première langue étrangère scolaire. Cela nous contente.

Cette fois, nous sommes vraiment loin de l'Europe à 16° de latitude nord, en Afrique, dans un autre monde où vivent des hommes en dehors des circuits tout tracés du monde français. Les Cap Verdiens sont à la croisée des chemins entre Russes, Américains, Portugais et protègent leur pays des intérêts touristiques. Sur Sal, un seul hôtel a réussi à s'implanter, il appartient à un groupe scandinave. Les Iles du Cap vert ont une eau à 25°C toute l’année et des plages de rêve mais ils préservent leur indépendance et priment un développement de base, d'infrastructure.

Nous avons acheté deux belles langoustes à 15FF le kilo et un officiel venu en barque pour visiter le bateau a échangé deux langoustes contre du vin et du chocolat. Ce midi, nous ferons véritablement un festin de langoustes, je n'y avais jamais goûté auparavant, maintenant je sais combien c'est bon.


Mindelo

Après le repas, nous repartons à une journée de mer vers São Vicente à 120 milles à l'Ouest dont le port est Mindelo. Le soleil refait son apparition et l’arrivée dans ce climat orageux reflète avec bonheur le climat tropical chaud, humide et enveloppant. À Mindelo, nous avons tout de suite un comité d'accueil nous proposant le lavage du linge, ce n'est pas nécessaire.

Nous ne sommes pas seuls dans la baie, cinq voiliers. Un bateau en aluminium de 14 mètres vient de Marseille avec à son bord un type comme moi qui veut émigrer en Nouvelle Zélande à l'opposé de la France, avec un climat propice au bateau, avec des montagnes aussi et son rêve est d’élever des moutons. C’était aussi mon rêve à 15 ans. Je suis heureux de savoir que je ne suis pas seul à vouloir émigrer. Un autre bateau est depuis 6 mois autour des îles du Cap Vert, ils ne peuvent pas en partir, l'eau est chaude, c'est tout ce que l'on peut demander pour bains de mer, de soleil et d'Afrique insulaire.

Nous partons au village en vue de trouver du pain, nous trouvons aussi quelques légumes. Le village est fortement marqué de la tradition coloniale portugaise. Les Cap Verdiens sont pour la plupart métis (70%) et la
vie semble douce à Mindelo bien que pauvre, pas de voitures, de circulation ni de vélos non plus. Le soir nous repartons au village, mais l'animation n'est pas phénoménale, une petite queue attend devant le cinéma, une terrasse de bar sur Ia place du village avec une jeune fille blanche qui écrit. Nous prenons un pot à côté d'elle. Je ne me sens pas suffisamment sûr de moi pour l'aborder, elle est un peu plus vieille que moi, elle était sans doute portugaise et restera une occasion ratée de plus. Nous songeons maintenant à traverser, nous faisons le dernier plein d'eau et de gas-oil. Olivier profite d’être au port pour échanger quatre magazines masculins contre quatre mâchoires de requin avec un marin d'un cargo coréen.

Et nous partons vers l'Ouest en longeant Santo Antao et les plages désertes au pied des falaises dans ce climat tropical qui me donne trop l'envie de courir pieds nus dessus. Nous laissons traîner la tête d'un thon que nous venons de pêcher afin d'attirer des requins qui ne s'y intéressent pas et auxquels nous la laisseront sans les avoir vus après deux jours. Nous sommes poussés par les alizés du Nord-Est à près d'une journée de l’extrémité des Îles du Cap Vert.

La traversée 16 jours du 15 nov au 2 déc 1982



Les alizés sont les vents qui soufflent sous les tropiques du nord-est au nord de l’Équateur, du sud-est au sud. Les alizés démarrent le 15 novembre et nous sommes le 2 décembre, c'est parti. Nous avons envoyé le spi de 200 mètres carrés et les jours vont se répéter 16 fois sans voir aucune terre. Chacun de nous prend le rythme quotidien de son choix, Gilles ne sort de sa cabine que pour les repas et son quart de nuit, heureusement qu'il avait prévu un stock de piles important pour son walkman. Max le surnommera « marmotte ». Durand et Olivier passent tout leur temps sur le pont. Durand devient le spécialiste des nœuds de toutes sortes pour arrimer la grande voile sur le liston avec une retenue de bôme sur le liston. Il s’entraîne aussi  à faire sur la plage arrière du bateau un ring pour nous empêcher de tomber à la mer. Effectivement lors de la remontée d'une dorade coryphène de belle taille (1,20 mètres), Olivier se fait mordre en attrapant le poisson et manque tomber à l'eau perdant sa pèche du même coup.



Max descend et remonte de la table à cartes au cockpit, il a toujours été soucieux de nous savoir sur la bonne route, logique. Il lui arrive d'être de mauvais humeur lors des manœuvres de pont, à deux reprises lorsque d'abord la têtière du spi casse et le spi se retrouve à l'eau sous la coque mais que nous ne déchirons pas, puis lorsque le spi éclate de nuit deux jours avant d'arriver aux Antilles, dans un grain.

Quand à moi, je lis mes bouquins et j'écris mon journal de bord, matin et soir je monte sans assurance en haut du mât principal à la deuxième barre de flèche voire en haut, malgré la houle, je suis en super forme. Un matin, un grand dauphin, six mètres, fait de nombreuses apparitions à la poupe du bateau puis laissant le bateau filer ses 10 nœuds, part depuis une vague à 100 mètres et passe à deux mètres à l'avant du bateau sous le bout dehors. Il reste avec nous deux heures jusqu'à ce que, ne nous préoccupant plus de lui, il nous quitte. Nous péchons trois dorades coryphènes que Durand prépare à la tahitienne (macérées dans le citron, coupées en cubes, avec oignons, tomates) ou en steak à la poêle.

À chacun des repas l’apéritif et une bouteille de vin viennent agrémenter le poisson frais et nos conversations tardives du soir dont nous nous préoccupons de l’heure que pour les tours de quart. Pour rompre la monotonie qui fut de courte durée, tout compte fait, un matin, nous faisons une séance de gymnastique pour assouplir et entraîner nos jambes mais aucun engourdissement ne nous a pris. Le bateau est long et le pont en teck suffit à nos déambulations. La position assise sur le bastingage avant du bout dehors est une de mes préférées avec l’étrave se soulevant et fondant l'eau avec les 18 tonnes de puissance et les dix nœuds de vitesse du bateau et ce sous le spi à 17 mètres de haut. Du haut du mat, je profite pleinement de cette vision de plan de pont dont les courbures de la coque évoquent la vitesse du bateau.

Également du haut du mât au bout du tangon du spi et accroché  à une drisse qui retombe de 7/8 mètres de haut, j'ai essayé et fait toutes les acrobaties que je pouvais trouver en profitant du gréement. Je me sens vraiment bien sur le bateau. Lecture, écriture, exercice physique, observation de I'horizon, cuisine, je ne sais plus où est la France et je songe à quitter le bateau en arrivant en Martinique pour de nouvelles aventures. Je n'étais pas très fier au départ et l’expérience me grandit.

Diaporama du Mikado 56 (17 m) comme notre Choo Gun
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Le bleu environnant se grave dans mon être et me fait découvrir des horizons qui ne limitent pas ma pensée que je laisse courir en imaginant que tout est possible. Je songe au sens de la vie et j'en découvre un monde loin des tracasseries étatiques, économiques, du quotidien et du citadin. Je vois mon amour pour Véronique durer mais uniquement parce qu'elle est loin et cela m'arrange d’être amoureux à distance, cela me donne d'autant plus de liberté. La vie est faite pour voyager et agrémenter son temps de rencontres et d'observation de nouveaux sites. Le nomade que je n’étais pas l'est devenu par la force des choses, un train train quotidien qui n'emplirait ma vie que d’échecs et de stérilité. Voir pour comprendre, ne pas avoir à trier des informations, apprendre sur le tas. C'est la conclusion que je tire de la première partie de ce voyage qui me fait passer de l'autre côté de l'Atlantique....J'ai perdu des repères, j'en ai gagné d'autres.


Martinique 16 décembre 1982 au 16 janvier 1983

La première vision que nous avons des Antilles est un ketch noir de 15 mètres à quelques milles à l'est de la Martinique. Nous évitons des casiers à langoustes avant de passer la pointe sud.de la Martinique et mouiller  à Sainte Anne pour déjeuner, il est midi.



Après ces 16 jours de mer ininterrompus, je plonge du bateau dans l'eau claire et chaude, c'est le moment que je préfère une fois l'ancre au fond de l'eau et qui me fait goûter toute la réalité de l’île tropicale alors que nous sommes en hiver en Europe. Je nage jusqu’à la plage du village, 150 mètres dans cette eau limpide où habitué à me baigner en Méditerranée, je songe aux requins que je risque de voir ici. Sur la plage de petites barques, nous déjeunons des restes de dorade coryphène, ce n'est pas suffisant. Il reste de l'eau douce sur le bateau, nous sommes salés, ayant surtout pris des douches et fait la vaisselle à l'eau de mer, pour économiser l'eau douce. La civilisation sera bonne à retrouver, un peu plus loin se trouve le Club Med des Boucaniers, où Durand suppose que nous pourrions nous rendre déjeuner de façon plus consistante. Nous y allons et trouvons le paradis sur terre, un golfe étroit bordé d'une plage, une cocoteraie, un ponton, des huttes et un buffet fabuleux avec nourriture à volonté, Durand a négocié pour nous l'autorisation de participer à toutes les activités du village et assister aux repas. Nous en profitons pour nous remplir la panse de tout ce que nous trouvons avec sauces, épices, cuisson, goût sucré ou salé, c'est un magnifique repas et la vue de Doudous emportant les plats terminés et en rapportant des pleins fait trop plaisir à voir. Merci Durand !
 
La vue de quatre mannequins américaines et d'une française également ravissante, elles sont au milieu de tout, je ne vois qu'elles, j’hésite à m'approcher d'elles, elles sont vraiment trop belles. Ce qui m'a toujours ennuyé dans le fait d'aborder une fille est de briser le rêve, une trop jolie fille obtenue et la beauté perd son charme et son attrait. Elle doit arriver d'elle même et ne pas perdre son expression de femme naturelle et expressive. Rien n'est plus triste chez une femme que le manque d'expression simplement parce qu'elle est belle et qu'elle se laisse contempler.

De retour au bateau, nous constatons que Coluche a sa vedette tout prés du Choo Gun, il insulte ses copains et ses copines s'esclaffent bêtement. Sa vedette est de toutes couleurs bariolées, d'une quinzaine de mètres. Nous ne faisons pas connaissance. L’après midi, je vais sur le ponton de départ de ski nautique, mais pas très motivé et n'ayant jamais essayé auparavant, je fais deux tentatives non réussies de sortie de l'eau.

Le soir au repas, nous sommes à table sur terre à nouveau et sommes servis par des Doudous. Je prépare ma soirée, ce sera la discothèque du club où je vais pouvoir me tordre les boyaux au rythme du rock et du zouk. C'est là qu'une réflexion d'Olivier me surprend, il me confie qu'il est heureux de me voir « tordre les boyaux » sur une piste de danse,  il trouvait sans doute que j’étais malheureux sur le bateau, effectivement, je n’étais guère heureux à mon départ lorsque je m'auto-bannissais d'un pays qui m'avait exclu du chemin que je m’étais tracé. Mais le pouvoir du rock sur l'esprit par son incitation à la folie destructrice générant la création anime mon envie de bouger et de faire bouger les choses.

J'ai donc passe une folle nuit dans cette discothèque et de retour au bateau à quatre heures, je n'ai pas eu besoin de quart de nuit pour être fatigué. Le lendemain matin, le club des Boucaniers étant peuplé de nombreux Américains, je joue au basket toujours
profitant de nombreux buffets somptueux. Je mange sans calculer pensant que lorsque j'aurais quitté le bateau, je ne sais pas ce que je mangerai. Je compte sur mon pécule d'une dizaine de milliers de francs. J'avais réglé 2200FF à Max pour ma nourriture sur le bateau jusqu’au Antilles et je compte partir plus loin. Connaissant mon aptitude à économiser d'abord sur le logement, puis sur la nourriture, je suis pris entre le désir d'aller plus loin et l’idée de rester aux Antilles pour m’établir et travailler pour faire venir Véronique qui vient d’apparaître dans mon esprit.

Quittant le Club Med, nous partons vers Diamant, rocher qui servit de tour et d’entrepôt au temps des Boucaniers, puis nous remontons vers la baie de Fort de France où étonné, je fais remarquer une ressemblance avec Toulon, c'est une ville en long avec la montagne derrière. Je regagne avec Fort de France un de mes repères toulonnais. À l’arrivée au port, je rencontre un catamaran immatriculé à San Diego en Californie, nous avions été en liaison VHF pendant la traversée avec Sylvia, équipière alors que nous nous apercevions à quelques milles. Nous sommes en même temps à Fort de France, je leur demande s'ils veulent m'emmener à San Diego, le skipper ne dit pas non, leur équipière doit quitter le bateau.

Max prend nos passeports et les apporte à la gendarmerie. Durand, Olivier et moi allons à la poste restante pour trouver le courrier de nos aimées. Je trouve le mien et cela m'émeut profondément, c'est Véronique. Puis je pars seul faire un tour dans la ville et je trouve un magasin de vêtements, le Safari Way qui recherche un animateur vendeur, je promet de revenir le lendemain faire un essai.

Nous restons en rade la nuit et le lendemain matin, mon essai est concluant. Je resterai à la Martinique et ferai venir ma Dulcinée, telle est ma décision. Nous partons passer le week-end  à l'anse Mitan, de l'autre côté de la baie de Fort de France, après les Trois
Ilets qui est la marina principale de l'île, avec autour le PLM, le Bakoua et le Méridien dont les chambres sont entre 400 et 600 FF la nuit.  Ce ne sera pas dans un de ces hôtels que je dormirai quand je quitterai le bateau.

Arrivés au ponton de l'anse Mitan, Gilles et moi partons boire un Planteur à « la Marine », le bar de la marina, c'est la première fois que je goûte un planteur et l’effet est tel que j'oublie de payer en m'en allant, tellement c'est bon et détendant. Puis nous allons tous les cinq dans un bon restaurant où je prend un plat de tortue dont je n'aurai pas fait la différence avec du bœuf. La préparation était celle du bœuf bourguignon.

La famille de Max arrive, Durand s'en va, je lui souhaite bon retour, cela n'allait pas très fort au début, mais cela n'a pas empêché les choses de bien se passer. Olivier est heureux de retrouver sa femme avec qui il passe tout de suite aux actes. Nous restons donc en famille sur le bateau mais ma décision est prise. J'ai un challenge à exécuter sur ma personne, je veux vivre sans toit ni abri. Les tarifs des hôtels sont bien trop élevés pour mon budget. La journée se passe agréablement, entre planche à voile et bons repas. J'ai promis au patron du Safari Way d’être le Lundi matin à la première heure prêt à animer les ventes du magasin. En fin de journée, ils m'emmènent tous à la plage  en annexe pour prendre la route vers les Trois Îlets, la marina, d'où je prendrai le bateau de liaison demain matin. Je fais du stop et suis tout de suite pris par un couple de Suisses francophones qui m'emmènent aux Trois Îlets. Mon grand sac rouge ne me quittera pas pendant tout mon séjour sur l'Île, j'ai laissé mes cirés et pulls sur le Choo Gun et tel Jack Kerouac sur les routes de l'Amérique, je vais lire, écrire, faire un petit job et dormir dehors. Arrivé à la marina, je regarde si un bateau ne peut pas m'accueillir pour la nuit mais la nuit tombe et les orages sont fréquents. Je trouve un bateau à moteur et m'installe dans le cockpit sous le banc, je ne suis pas trop mal.

Dans la nuit, du bruit, deux gendarmes antillais me réveillent et me demandent de partir, mon sac en bandoulière et mon sac de couchage roulé, je m'en vais chercher un autre abri, il pleut légèrement. Je trouve un cabanon d'une agence de voyages avec un auvent, je m'y installe. Je connais l'heure du départ du bateau vers Fort de France, 08Hl0. Le jour pointe vers six heures, je range mon sac et puis pars sur les pontons me passer de l'eau et un coup de rasoir sur le visage. Je suis prêt à bosser. Les vingt minutes de bateau sont l'occasion de voir le soleil se lever sur l'eau plate de la baie, il fait frais.

En ville, je trouve mon petit déjeuner, deux bananes à la peau bien verte puis je vais au Safari Way où mon patron me donne un pantalon noir, un T shirt blanc sur ma face bronzée et mes cheveux blonds décolorés par l'iode et le soleil avec mes yeux bleus, je songe que je dois faire un peu tache sur le décor. Je commence au micro, j'ai toujours aimé faire le spectacle et cela m'est naturel de m'adresser à toute personne rentrant dans le magasin par l'entrée, lui faire faire un tour et proposer ce qui pourrait lui aller mieux, puis je la raccompagne à la sortie après qu' elle soit passée par la caisse. Voila le job. Je n'y réussis pas tout le temps mais c'est l'objectif. Entouré de vendeuses, Yveline est celle avec laquelle je m'entend bien, elle à vécu à Paris et elle est mignonne. Je prendrai mon petit déjeuner avec elle quelques jours. Je demande à mon patron où je peux trouver un appartement à louer, 1400FF à la marina, il me demande le salaire que je veux, je n'en sais trop rien, il me propose 3500FF par mois. Le budget loyer me parait important, je commence à me demander si mon choix de travailler ici et m'installer est vraiment bon. J'ai un pécule de côté, j'aurais mieux fait de rester sur le Choo Gun ou partir à San Diego. Bien sûr, je gagne quelques ronds mais ma vie n'est pas là.

Toute la traversée, je rêvais les moyens d'entreprendre des affaires mais le plaisir que me procure la réflexion est plus important que de le concrétiser en monnaie sonnante et trébuchante. Alors je laisse tomber tout de suite l’idée de prendre un appartement et mon sac reste ma seule maison, le soir, revenu aux Trois Îlets, je m'assied à « la Marine », un Suisse, Daniel, vient me voir et me propose d'investir dans un réchaud à gaz pour cuire des beignets, il n'a plus un rond. Je lui dis d'accord, nous devons nous voir le
lendemain. Je retourne sous l'auvent de la nuit précédente qui sera mon abri pendant quelques jours. Le lendemain revenu au Safari Way, l'enthousiasme n'y est plus, je n'y crois plus. Le soir je rencontre Yves-Jean qui se marre sans arrêt. On devient potes, je ne revois plus le Suisse et la semaine s’écoule. Le jour de Noël, un dimanche, je téléphone en France chez les parents et je tombe sur Alice, une jeune Texane qui a pris ma chambre à la maison, elle a une voix super, il parait qu'elle n'avait qu'une voix super. J'aurais bien aimé la connaître. Tout va bien à Toulon.

Je pars en stop à Diamant, et je profite de cette grande plage au sable noir sous le soleil des Antilles. Je surveille mes affaires de loin en me baignant. J'ai conscience d’être sans abri et suis prudent. Je suis la simple expression de moi même, ça fait du bien. Puis je retourne prés du golf des Trois Îlets et m'installe dans un pré pour lire et écrire. Je suis bien mais triste.

Le lendemain, je joue mal mon rôle d'animateur au Safari Way, mon patron s'en rend compte, je fais des efforts mais ça ne marche pas. Il me reproche de garder mon sac avec moi. À la fin de la semaine, je m'en irai. Je suis de moins en moins bien avec les Antillais. La veille de Noël, j'étais habillé en père Noël et j'avais commis une erreur, je n'avais pas vu un petit noir à côté d'un petit blanc et offert des bonbons au petit blanc. Je m’étais fait insulter par la mère du petit noir.

Un soir je rate le bateau de 20 heures et suis obligé d'attendre celui de 23 heures alors je vais dans un bar siroter un jus de goyave et écrire des lettres à la famille en leur annonçant que je compte partir en Californie. Je suis payé l 500FF pour mes deux semaines en ayant présenté ma démission, c'est le 31 décembre et je retourne aux Trois Îlets faire la fête avec Yves Jean et ses potes. C'est bien bon de danser le reggae sur la plage de l'anse Mitan avec une étoile polaire basse dans le ciel indiquant que je suis sous les tropiques. Je n'ai pas quitté le soleil depuis le mois d'avril, au début du printemps sur la côte d'Azur et mis à part la pluie à Ibiza et les ondées orageuses de la Martinique, presque aussi verte que l'Irlande avec des vaches et des collines, je reste au soleil.

Un copain, Alain me parle d'un job de représentant en trousseaux (linge et serviettes). Je vais voir les patrons, ils me présentent à un métropolitain qui m'emmène visiter les maisons isolées de l'Île pour me montrer le job. Il vend trois trousseaux et gagne 1500FF dans sa journée. C'est pas mal. Le lendemain avec un Antillais qui a une Renault 5 que je paye 150FF, nous partons mais je n'ai pas le contact avec mes acheteurs, j'ai perdu mon argent. Je vivrai sur mon pécule. Yves Jean me propose de partir en stop au nord de l'Île, à Grand Rivière, il y a 20 kms de jungle à traverser jusqu'au Prêcheur qui contournent la Montagne Pelée. Le stop marche bien, nous passons Mome Rouge (mome signifie colline en créole), Ajoupa Bouillon puis Majouba et enfin Grand Rivière qui est le village le plus au nord de l’Île. La vision du passage entre la Dominique évoque la pleine mer, c'est tonifiant.



Chacun notre sac en bandoulière, nous prenons la piste, nous croisons un Antillais avec une machette, il nous confirme que c'est le bon chemin, le seul animal dangereux est l'anaconda mais nous n'en voyons pas, au bout de trois heures de marche, Yves Jean a roulé quatre pétards et nous croisons un Antillais et un Algérien qui parcourent le chemin en sens inverse, nous faisons une demie heure de pause et un cinquième pétard. Je ne fume pas, n'arrivant pas à avaler la fumée, Yves Jean pense que ça serait bon pour moi mais finalement il corrige son avis en disant que je suis tombe dans un pétard géant dans mon enfance et que je n'en ai pas besoin pour délirer, sortir du monde réel et laisser mon esprit voguer sur les vagues du rêve.

De plus je ne me rend pas compte de mon état permanent de rêve. Je sais que j'aime être solitaire mais communicant après une phase de solitude pendant laquelle je me suis imposé une activité, lire, écrire, étudier. Depuis mon arrivée à la Martinique, j'ai lu deux récits africains, un de Sembene Ousmane et un de Roger Dorsinville « L'Afrique des rois ».J'en viens à mieux connaître L’Africain. Les Antillais sont déracinés et certains boivent du rhum toute la journée, un « ancien » nous a expliqué, deux jours plus tôt qu'il boit un litre de rhum par jour et que la connaissance est le stade suprême de I'existence humaine.

Nous reprenons notre chemin et partons vers le Prêcheur. Au Prêcheur, un stop jusqu'à Saint Pierre ou à l’hôtel Latitude, nous avons un copain guitariste d'un groupe de reggae. Nous ne sommes pas à la Jamaïque mais tout de même aux Antilles, Bob Marley n'est pas loin bien qu'il soit récemment décédé. Nous passons la nuit sous un abri de plage un peu à l’extérieur du village après avoir rencontré deux frères antillais qui ont refusé les Figolu (biscuit Lu à la figue) que nous leur offrions. La nuit est bonne après la marche de la journée, moi dans mon sac de couchage, Yves Jean dans son hamac.

Le lendemain matin, nous retournons au Latitude jouer au volley sur la plage, c'est bien, il fait chaud et le reggae reprend au bar. Le reggae n'est pas encore très développé, plus commun est le steel band, le reggae au Latitude est de bonne qualité, compositions personnelles, les clients de l'hôtel sont satisfaits de l'ambiance américaine du lieu. L’après midi, nous partons dans la montagne, il ne fait pas très beau, nuageux, Saint Pierre au pied de la Montagne Pelée compte 6000 habitants alors qu'il en comptait 25000 avant l’éruption en 1902. Arrivés dans les hauteurs, nous découvrons les torrents d'eau chaude.

C'est le premier bain d'eau chaude que je prend depuis le départ d'Ibiza. Puis nous descendons la montagne en courant jusqu'au village. La course après ce bain chaud nous fait arriver en sueur, un copain métropolitain qui tient une épicerie nous emmène dans un bar sur la plage dans sa Golf GTI. Nous évoquons la vie du commerce ici à Saint Pierre, il n'est pas des meilleurs mais ça contente seulement par le fait d’être au soleil des tropiques. Yves Jean et moi regagnons ensuite notre cabane sur la plage pour dormir.

C'est alors que les deux frangins qui avaient refusé nos Figolu armés d'une machette et de matraques en bambous nous frappent. Ils ont peur, leur voix trahit la crainte, mais j'ai plus peur qu'eux, Yves Jean reçoit du sable sur les yeux et un coup dans le dos du plat de la machette, moi sur la tête et sur les poignets des coups de matraque. Ils nous demandent de nous déshabiller. En une seconde, je mets les bouts, je cavale, mon attaquant me poursuit, mais je cours vite et longtemps, je vais prévenir les gendarmes. Je retrouve Yves Jean une pierre dans chaque main, ils ont filé, ont pris les affaires d'Yves Jean, mon sac de couchage mais pas mon éternel sac rouge que j'avais caché avant de déplier mon sac de couchage. Yves Jean est fou de rage.

Les gendarmes prennent notre déposition. C’était les frères Rosina, les voyous du coin, ils habitent dans la montagne et avaient besoin d’équipement. Ils ont le passeport et le billet d'avion de Yves Jean, cela ne leur servira à rien mais nous ne les retrouverons pas.
Le constat est qu'ils nous avaient suivi la veille et que l'endroit était bien caché mais à l'écart du village et donc aucune alerte n’était possible. La prochaine nuit, nous serons plus prés et plus au vu de tous, c'est plus sécurisant de se savoir dans un endroit socialisé même sans abri.

Avant d'arriver jusqu’à la gendarmerie, j'avais tapé à la première porte que je trouvais et j'expliquais rapidement à un Antillais qui m'avait ouvert la situation, ennuyé, il me répondit où se trouvait la gendarmerie et en disant aussi qu'il ne savait pas quoi répondre à un métropolitain agressé. Effectivement il existe un climat latent de racisme de part et d'autre. D'un côté, les Métropolitainsfonctionnaires ou commerçants venus aux Antilles pour peu de temps avec l'intention de gagner de l’argent dans un bon contexte et les Antillais, bons consommateurs, qui sont plus souvent les employés des Métropolitains. Les salaires sont plus bas qu'en Métropole et la vie est aussi chère, beaucoup de produits étant d'importation. En conséquence des frustrations se créent. La vie n'est pas meilleure que si on la voit sous l'aspect du climat et du temporaire des vacances. Ce n'est pas ce dont je rêve.

Nous repartons aux Trois Îlets retrouver les copains des squats de la marina. Il y a un nouveau squat, c'est une maison abandonnée sur la plage, pour y rentrer, il faut franchir une haute palissade en bois mais ce n'est pas un problème, la maison est en bois et inhabitée et vide depuis longtemps, c'est parfait et plus sécurisant. De même que la nouvelle mode est de téléphoner en métropole avec une pièce de vingt centimes que l'on cale dans le téléphone accroché à un fil avec du papier adhésif.

J'appelle partout à Toulon pour faire savoir que je suis encore en vie aux Antilles et j'en profite pour dire que je vais partir au Venezuela en avion dépenser mon argent. Les cabines téléphoniques de la marina sont dans un tel état qu'un soir, d'un grand coups de pied, je récupère les 25FF bloques dans la cabine et réparant Ia cabine du même coup.

La vie à la marina est maintenant trop simple, j'ai même trouvé une Renault 4 de location ouverte avec la clef sur le contact, que je ramène au bout de deux heures, heureux d'avoir conduit, ni vu, ni connu. J’échange mon jean contre le pantalon beige écru de Yves Jean. J’achète un billet pour Caracas à 1417 FF et je suis prêt à passer en Amérique du Sud, avec un seul T shirt, un sweat shirt, un léger blouson, mon passeport et 4000FF en chèques de voyage, m'étant débarrassé de mon grand sac rouge, en dépôt chez un copain.


Norte America del Sur du 16 janvier 1983 au 17 février 1983



Je fais mes au-revoir a la marina à 14 heures et pars pour le Lamentin, 1'aéroport de la Martinique d'où mon avion décolle à 18 heures. C'est un dimanche et je me sens plus en vacances que jamais, enfin débarrassé de mon sac, mon blouson sur les épaules, mon passeport et mon portefeuille dans la ceinture sur l'abdomen, une paire de socquettes et un caleçon de rechange dans les poches de mon blouson et mon couteau de marin avec un bel épissoir. Si l'Amérique Latine représente un danger, je l'ai réduit au minimum. C'est un vol Air France sur Caracas, je suis assis à côté de Jean Marc Schoen, un globe-trotter comme moi venant du Sud de la France, il vit à Beausoleil dans une maison de 1000 mètres carrés  sur trois niveaux que son père a construite de ses propres mains.

II est d'origine alsacienne et très calme. Le repas qui nous est servi est le premier vrai repas depuis que j'ai quitté le bateau il y a presque un mois, j'avais ensuite fait usage de mon pécule uniquement pour jus de goyave, Lorraine (bière de Martinique), pain, jambon, fromage et bananes. Jean Marc Schoen vient de passer plus d'un mois en Martinique, non pas squatter mais dans un hôtel pour Antillais a 20FF la nuit. II s'est intégrè à la vie antillaise contrairement à moi qui voulait expérimenter le sans abri sous les tropiques, c'est risqué.

Les quelques deux heures de vol passent vite, et il fait nuit noire quand nous arrivons à Maiquetia, l’aéroport Simon Bolivar, lequel m'apparait comme un homme immense. Je saurai plus tard à Bogotá qu'il est le « libertador » de l'Amérique andine, Venezuela, Colombia, Ecuador, Perù, Bolivia vis a vis des Espagnols qui pris dans les guerres napoléoniennes laissèrent Bolivar fonder la confédération andine et les bouta dehors à la fin des dites guerres. C'était un homme immense car le territoire sur lequel il a agi, est grand comme une dizaine de fois la France, avec l'Amazonie à l'Est et sur la double chaine des Andes. Au Venezuela, il y a dans chaque ville une place nommée Bolivar, comme la monnaie du pays. Simon Bolivar est un grand homme et il a donné son nom à un pays, la Bolivie dont la capitale est à la hauteur du pays, 2600 mètres d'altitude.

À l'aéroport en sortant de l'avion, le ton est donné, des militaires partout avec des mitraillettes, je songe tout de suite que j'ai bien fait de partir sans bagages. II est trop tard pour partir vers Caracas. Jean Marc et moi nous installons sur les bancs des terrasses. Prendre un taxi pour un hôtel fait partie des choses inabordables pour mon budget, le Bolivar vaut 1.60FF et la vie coûte 50% plus cher qu'en France au vu des consommations au bar. Les terrasses de l’aéroport sont peuplées de nombreux dormeurs sur des bancs autour de gigantesques bacs à fleurs, il fait chaud et sec, le ciel est étoilé et le bruit de la civilisation du moteur à essence arrive jusqu'à nous. Le contraste est fort entre le calme des Antilles et l’effervescence du Venezuela dont j'apprends enfin l'origine du mot : petite Venise.

À la pointe du Bout aux Trois Ilets, on parlait souvent du « veneze » où pas mal de bateaux viennent relâcher à la Guaira, tout prés de Maiquetia, dont la marina est luxueuse avant de partir vers Trinidad, Curaçao ou Panama. Au matin Jean Marc et moi partons à la marina, nous sommes tous deux a la recherche d’activités rémunératrices mais seulement si l'opportunité nous tombe du ciel, bien sûr, nous ne trouvons pas. Il est temps de partir en « por puesto », les taxis collectifs, vers Caracas, on !es prend juste sur la route sans arrêt de bus préalablement indiqué. Le système me fascine, ii est si peu coûteux et commode, 10FF pour une heure de voyage, !'essence coûte 18 centimes le litre, c'est donné.

Les voitures me fascinent également, voitures américaines ou 4X4 Renault, AMC, Chevrolet, c'est un Far West sud américain avec un état brut des choses propre au continent américain qui me donne toute ma présence et mon expression. Je sens pouvoir aller jusqu'au bout de moi même, c'est à dire être libre de mes mouvements avec quelque argent et la folle envie de découvrir, voir pour comprendre ce pays dit en voie de développement géographique qui m'enivre. D'ici, il n'est plus question de téléphoner en France pour donner ou prendre des nouvelles.



Caracas, à l’intérieur des terres, n'est pas un port contrairement à ce que je pensais, il fait toujours chaud. En arrivant dans la ville, les bidonvilles de part et d'autre de l'autoroute puis le terminal de bus d'où Jean Marc et moi prenons des renseignements sur les nouvelles destinations. Caracas est une ville trop chère, il faut trouver un itinéraire, deux options : l’Amérique Andine ou l’Amazonie, Maracaibo ou Ciudad Bolivar. Nous passons une nuit dans une chambre d'hôtel avec un simple lit superposé qui ressemble à une geôle pour 20 bolivars chacun sans draps.

Le lendemain matin, quittant le quartier, un autobus nous emmène à Chuao, le quartier des affaires et diplomatique de Caracas. Nous y trouvons le conseiller commercial italien qui nous indique l'adresse du service commercial français. Je compte, fort de mes deux années de classe préparatoire d’école supérieure de commerce proposer mes services à une entreprise française installée au Venezuela. Je repère une annonce pour un
professeur d'histoire géographie au lycée français et avec les adresses des entreprises françaises sur un moniteur du commerce international numéro spécial Venezuela, nous nous dirigeons vers le lycée français. Là-bas, je suis à peine reçu par une secrétaire et nous partons ensuite vers le terminal de bus, Jean Marc a décidé de partir vers l'Amazonie et il prend un bus pour Ciudad Bolivar.

Quand à moi, je reprend un bus pour dormir à l'aeroport et decider de ce que je vais faire. Le lendemain matin, pour repartir vers Caracas, je croise Luis Manuel qui est un étudiant en architecture, il me dit que son pays doit devenir un grand pays, qu'il y a beaucoup de choses à faire, il habite La Guaira et me donne son numéro de téléphone, il a un idéal de bâtisseur, nous nous voyons une demie heure mais nous bâtirions bien le Venezuela ensemble.
 
Arrivé à Caracas, je retourne vers Chuao et dans le bus je suis pris d'un vaste vertige de conscience de l'endroit où je me trouve. Je suis à Caracas, dont enfant, je lisais dans une bande dessinée que c’était le royaume des Cow boys du pétrole, la réalité colle tout à coup parfaitement à l’idée que j'en avais. Je me renseigne sur les tarifs de location de voiture, mais je n'ai pas de carte de crédit. Sachant que mon retour vers la Martinique est valable après un séjour de trois semaines, le périple vers le Brésil me parait trop long, j'opte pour la Colombie. J'obtiens un visa à l'ambassade colombienne délivrée par une femme superbe, je crois que je vais aimer la Colombie.

Le soir, je prend un bus de nuit pour Barquisimeto, Maracaibo. Au matin, j'ai la. vision stupéfiante des potences de puits de pétrole autour du lac de Maracaibo, je n'imaginai pas en voir un jour. En France, on n'imagine pas que le pétrole puisse sortir d'ailleurs que d'une cuve ou d'un réservoir et de toutes façons seules comptent les idées conformément au spot publicitaire de l’année 75 par l'agence française de la maîtrise de l’énergie : « En France, on n'a pas de pétrole, mais on a des idées. » J'ai toujours été convaincu d'avoir beaucoup d’idées, le challenge me plaît et depuis je cherche. Les idées sont le champ à cultiver.


Maracaibo

À la sortie du bus, je suis sur la route à l'ouest du lac et je dois traverser un pont à péage pour me rendre à l'est du lac et prendre la route pour San Cristobal à la frontière venezuelo-colombienne. Je traverse le pont en ayant comme bon nombre d'autres personnes, demandé à monter dans une voiture particulière, celle d'un technicien travaillant dans l'industrie pétrolière. Je suis parti pour faire du stop, avec mon équipement réduit au néant mais sous la bonne chaleur des 5° de latitude nord de la région. Un Venezuelien m’emmène dans un ancien « carro americano » avec climatisation à 15°c et des fourrures sur les sièges, cela ne dure qu'une heure, nous n'avions pas grand chose à nous dire.

Puis après une demie heure, un camion m’emmène une heure plus loin, il fait très chaud lorsque à midi, je me retrouve à marcher le long de la route et voir les voitures passer à grande vitesse. Je finis par prendre un « por puesto » qui va à Trujillo. Un petit contrôle de police inspecte mon passeport mais je ne les intéresse pas contrairement à un jeune qui semble indien. Tous les Venezueliens que j'ai rencontrés depuis ce matin semblaient indiens ou métis.

De Trujillo, je tente à nouveau le stop et Oswaldo, un vétérinaire m'emmène jusqu’à Valera. Oswaldo me décrit son pays qu'il aime, c'est la Cordillère de Mérida, une région de basses montagnes, au climat agréable, il y a de l’élevage et de grandes terres. En 1976, je lisais sur le Time Magazine qu'en Bolivie, la banque Morgan vendait des parcelles de 100 hectares pour 10.000$. J'imaginai bien alors une vie de colon sur les hauts plateaux comme j'imaginai bien aussi une viedans les campagnes d'Inde à travailler la terre avec des milliers d'Indiens. Je passe dans cette Cordillère et j'essaie toujours d'imaginer si je pourrai m y installer, si ce que j'aime dans le moment se trouve dans la région traversée. La terre m'attire par ses connotations, pionnier, état brut, exploitations à rendement économique, espace vierge à conquérir et à rentabiliser. Je pourrai rester avec Oswaldo et I'aider à soigner les vaches, avoir une femme venezuelienne et des enfants. Mais je laisse passer comme je négligeai à Fort de France la possibilité de partir en Californie.

La chance me sourit mais toujours la mélancolie et la nostalgie de ne pas avoir agi même dans un pays me convenant règnent en maîtresses dans ma vie. Je n'ai que 21 ans et c'est sans doute ma vie biologique qui n'est pas arrivée à la maturité ou je cesse d’être un passant, un étranger, ou un aventurier dilettante. Je passe la nuit à Valera et repart à Mérida en autobus. Je voulais partir en stop mais à la sortie de la ville devant une école, une gamine d'une quinzaine d’années est venue me demander pourquoi je n'avais pas de chaussettes et m'a dit d'aller prendre le bus alors j'y suis allé pour ne pas déranger les mœurs du pays. De retour aux Antilles, un copain m'avait dit avoir passé une semaine en prison pour s’être promené torse nu au Venezuela.

Mérida est une belle ville universitaire, je rencontre un étudiant en maths qui me brosse un tableau enthousiaste de la ville et sans comprendre pourquoi, il s'en va en me souhaitant le meilleur séjour à Mérida. Je me rend dans le centre et tout prés de la Plaza Bolivar, je trouve un hôtel pour 40 bolivars la nuit dans une chambre confortable avec une douche. La responsable jeune et jolie est vraiment gentille. Elle me semble étonnée que je veuille prendre une chambre dans son hôtel, elle m'ouvre toutes les portes pour me demander quelle chambre je préfère, je choisis la plus grande tout prés de la porte d’entrée.

Je passe la soirée sur la Plaza puis dans la salle de TV de l’hôtel avec quelques personnes âgées légèrement muettes et souriantes. Ma nuit dans ]'hôtel me donne au matin l'impression d'avoir dormi dans un palace, je prend une super douche bien chaude puis cherchant à payer mes 40 bolivars et ne trouvant personne, il est dix heures et je m'en vais sans payer. J'imagine que je ne devais pas payer cette nuit en admettant que l’hospitalité m'était due, car venant de si loin, toutefois j'ai la peur au ventre et je fonce au terminal de bus à un kilomètre du centre où un « por puesto » m'emmène pour 60 bolivars à San Cristobal. Je suis assis à l'arrière de la voiture entre un Allemand de 24 ans et une Venezuelienne de 20 ans. Les quatre heures que dure le voyage, je discute avec Karl en anglais et en espagnol avec la jeune fille.

Elle est étudiante en ingénierie de Travaux Publics. Elle m' explique vivre en Apure dans un ranch, I'Apure est la plaine amazonienne. J'aimerais partir avec elle, mais au bout du voyage, un concours de circonstances, l'heure du bus vers la Colombie, fait que Karl va jusqu’à Lima en traversant la Colombie et l’Équateur, je veux aussi aller en Colombie, elle part seule. Je sentais que la suivre en Apure était ma vraie nature et à mettre des bâtons dans les roues de mes aspirations. J'ai peur de réaliser trop vite tout ce dont je suis capable et regretter de ne pas avoir bâti tous mes rêves qui seront le signal du commencement de ma vie de famille.

En Colombie, le ton change, les voitures et les bus sont très anciens, le bus de San Cristobal à Cucuta transporte les poules et les vieux édentés. La route est pour le seul bus qui roule au milieu, c'est la fête l Arrivés à Cucuta, problème, des militaires visionnent nos passeports et pas de tampon de sortie du Venezuela donc pas d’entrée en Colombie. Un Colombien me dit de glisser un billet dans mon passeport pour arranger les choses, c'est pas le genre de choses que je sais faire, je reste illégalement à Cucuta. Karl prend une chambre, je n'ai plus d'argent, c'est vendredi soir et les banques sont fermées pour changer mes chèques de voyage. Avec mon goût du risque, je traverse la ville pour aller jusqu’au terminal de bus qui est le seul endroit éclairé et animé du lieu. Je ne peux pas prendre de bus mais je peux attendre le lundi matin pour faire ma déclaration de sortie du Venezuela et mon entrée en Colombie fort de mon visa obtenu à Caracas.

Ce week end sera le plus religieux de ma vie, dans la journée, je m'installe sur un banc de la place principale et je discute avec des jeunes qui m'abordent curieux de savoir ce que je fais là. Un d'eux m'offre un café, il est vendeur d'images, un autre vend des ananas sur triporteur avec qui je parle de ma misère. Quand je ne suis pas sur le banc de la place, je suis sur un banc d’église, laquelle est sur la place et je goûte à l'hostie, trois fois en deux jours, qui est ma seule nourriture. La seule boisson ingurgitée, payée par moi même, aura été deux bouteilles de 25cl de boisson gazeuse aux oranges pour un franc chacune. J'ai eu aussi l'occasion d'admirer des joueurs de billard, mais je n'ai pas participé. Bien sûr je ne quitte pas des yeux la banque dont je sais qu'à la première heure du lundi, j'irai changer mes chèques de voyage avec un homme équipe d'une mitraillette.

Ma dernière messe me donne l'occasion de discuter avec deux adorables Colombiennes dont une a un bandeau tressé de fils synthétiques de couleur dans les cheveux, non seulement elle est jolie, brune aux yeux verts dans une robe bleue mais je songe à rapporter l’idée du bandeau en France pour l'hiver prochain. Je les suis donc à l’entrée de chez elles mais je m'en retourne seul au terminal de bus passer la dernière nuit du week end avec les vendeurs de thé, de café, les gosses, dont un veut m'emprunter mon blouson pour s'en servir d'oreiller, les guichetiers qui installent leur matelas dans leur cabine à barreaux entre deux départs de bus. Et je dors à nouveau, assis, face à une pendule qui me montre le temps passé.

Le matin enfin, je peux repartir à 10 heures vers l'intérieur de la Colombie, Bucaramanga, puis Bogotá. À Bucaramanga, une ville de liaison entre Bogotá, sur un haut plateau à 2000 mètres d'altitude, et Santa Marta sur la façade caraïbe de la Colombie, il y a un terminal de bus avec toutes sortes de commerce, cadeaux, tabacs, épicerie. C'est une version sud-américaine des zones franches des aéroports internationaux. Je change de bus et pars vers Bogotá, 4 heures après, je m'arrête à Malaga, une petite ville où je vais dormir dans l'hôtel Tinaguta pour 130 pesos (10 pesos pour un franc), il y avait trop de monde dans le bus. J'en profite pour me laver. Je passe la journée du lendemain à me promener dans la ville qui ne voit sans doute que rarement des Européens. Le village est dans la montagne. Des gamins me courent après pendant 10 minutes pour me soutirer quelques pesos que je n'ai pas avec agressivité.

En passant devant une boutique de couture, la couturière me fait rentrer, va faire chercher un photographe. Son fils et un copain sont là et le photographe nous prend tous trois en photo et la couturière me donne une des photos prises. Elle me dit que son fils va devenir médecin. Je n'ai pas mangé depuis que je suis parti de Cucuta mais ça ne m’inquiète pas, je me sens léger dans la montagne des Andes où le climat est frais et ensoleillé. La montagne est mon âme sœur dans ce périple : un absolu mouvant lentement que l'on ne peut atteindre qu’avec effort. La nuit suivante, je la passe dans le car qui m’emmène à Bogotá, j'ai froid, la brume humide ne laisse découvrir qu'une végétation basse le long de la route en terre.  La vitesse est d’à peine 50 km/h et le chauffeur ne respecte ni de jour, ni de nuit sa droite, tellement sûr de ne rencontrer personne en face.


Bogotà

Durant la nuit, j'étais à côté d'une jolie Colombienne aux cheveux châtains au fond du car qui avait tendance à se pencher sur mon épaule pour dormir mais je ne suis pas sorti avec elle bien qu’étant quasiment resté éveillé sans interruption. Nous arrivons à Bogotá à midi. La ville me plaît, les monts Montserrat et Guadalupe ferment la ville sur le quartier moderne avec la large « septima avenida », l'artère principale et vers le sud de la septima un quartier aux rues étroites. Je suis impressionné par le nombre de Renault qui circulent, surtout des R4. J'apprends qu' il y a une taxe de 300% sur le prix de vente d'une voiture neuve. Il n'y à pas d'embouteillages et la vie semble agréable dans la ville. J'en déduis que la voiture individuelle entrave le développement économique car elle mobilise dans un pays à faible revenu une trop grande partie du budget du foyer. Le salaire minimum est de 9000 pesos ? soit 900FF alors qu'il est de 3500FF en France, en supprimant le budget voiture, on peut avoir un niveau de vie correct. La voiture est un luxe. 

Bien sûr, cela représente faire un trait sur l'industrie automobile créatrice d'emplois mais qui est un stade ultime du développement non encore atteint par la Colombie dont l’état a ainsi trouvé un moyen de financement de son budget autrement que par l’essence ou l'impôt sur les grandes fortunes. Je me promène donc sur la « septima » où les trottoirs sont bondés de jeunes, les filles sont jolies. Au pied du Tekendama, l'hôtel des affaires de Bogotá à la structure de gratte ciels en verre foncé, il y a un centre commercial. J’achète un Kumis à une terrasse, où je m'installe, c'est du yaourt, des « gamines » dont j'avais vu un reportage un an auparavant à Toulon viennent me voir. Je partage mon kumis. J'aime ces enfants sales de 3- 7 ans qui vivent dans la rue. Dés qu'ils voient des hommes d'affaires en costume sombre, ils leur courent après en criant « Norte Americano l Norte Americano l ».

Je vais visiter le « Museo del Oro » ou dans une salle de 20 mètres carrés sont rassemblées 11 000 pièces d'or de la période précolombienne. Le musée compte 23 000 pièces, j'imagine peu ce que cela représentait pour les conquistadores, mais je rapproche la réalité du monde colombien avec celui que j'avais appris en cours en France : la traversée de L’Atlantique pour Christophe Colomb et les lndiens apportant au pied des Espagnols des bijoux en or. L'Histoire n’était pas « des histoires ».·

J'ai découvert une ville qui résonnait dans ma tête comme une des villes les plus exotiques dans le monde parce que lointaine et maintenant proche dans un pays qui me semble stable dans le mouvement de la croissance économique. Dans les restaurants, je vois à plusieurs reprises un spot publicitaire qui dit : « Amo la paz, amo Colombia. » Ça me plaît.

C'est la fin de la journée et je prend un bus vers Cali. Je m’arrête dans une ville sur le chemin dont je ne me souviens plus du nom entre les deux chaînes de montagne orientées Nord-Sud qui traversent la Colombie, Bogotá étant à l'Est et Cali à l'Ouest. Je prends une chambre pour laver mon pantalon, mon Tshirt Cacharel et mon caleçon, je me débarrasse de mes chaussettes. Ma lessive est vite faite et aussi rapide est le séchage tellement l'air est sec et chaud à quelques degrés Nord de latitude dans un climat continental à faible altitude.

Je repars vers Cali en traversant la chaîne Ouest des Andes colombiennes, il fait un temps nuageux en arrivant, la ville n'est pas aussi éclairée que Bogotá. C'est une ville importante de province, et je note que la maroquinerie est somptueuse, le cuir des sacs en vente est beige et donne une impression de moelleux, j'en ferai bien l'importation en France. ·

Je visite le Museo Colonial guidé par une bonne sœur qui me demande ce qu'un aventurier sans chaussettes peut éprouver comme intérêt pour un lieu de Dieu. Effectivement une partie du musée retrace la vie de Jésus qui me fait penser aux musées italiens et à ses peintres Fra Angelico, Giotto, Bellini dont j'avais apprécié les triptyques avec des madones et des chemins de croix à Florence et Venise en famille.  Je passe le reste de la journée à réfléchir aux liens entre la religion de Dieu et la religion économique en tirant
la conclusion que toute religion empêche l'autonomie de pensée. Je n'ai rien mangé de la journée. Le soir je repars vers la frontière équatorienne, à Ipiales, où j'arrive le lendemain matin. il y a un joli marché et beaucoup d’indiens. Je déambule dans la ville une bonne partie de la matinée et reprend un bus en compagnie d'un couple d'Allemands et d'un Suisse, Barbara a 21 ans et vit à Munich et Werner vit à Calgary au Canada où il est chauffeur routier émigré. Yvan à 19 ans et vit à Lausanne.

Nous mangeons tous 4 un demi poulet et des patates pour 4.50FF à Tulcan (45 sucres, le sucre étant la monnaie équatorienne du nom du général Sucre), le village équatorien de la frontière, la bière coûte 1,50FF. L’Équateur est tellement reposant comparativement à l'agitation colombienne. Sur la route qui mène à Ibarra, je constate la présence de superbes eucalyptus, pas très fort en sciences de la nature, mais que je connaissais pour en avoir vu à Porquerolles. J'ai l'impression que l'Équateur est couvert d'eucalyptus. J'associe tout de suite la production de bonbons à l'eucalyptus, seul produit que je connaisse.

À Ibarra, nous partons vers Esperanza où d’après Yvan, il y a des champignons hallucinogènes. Se joignent à nous deux Marseillais, Alain et Claude, eux aussi attirés par les champignons. Sur la route d'lbarra à Esperanza, le petit bus fonce sur une route étroite et accidentée, au village, j'aperçois un type ahuri. Nous établissons un campement à la sortie du village, je me sens un peu fatigué et le sommeil sous la tente d'Yvan, malgré 12°C de température sans couverture ou sac de couchage est réparateur. Je peux au moins dormir allongé. Nous sommes prés d'un aqueduc long de 15 mètres et large de 80 centimètres. Je m'amuse à en parcourir les 5 premiers mètres. Dangereux ! La hauteur est d'une vingtaine de mètres.

Dans l’après midi, après une descente à Ibarra pour l'achat de victuailles, nous rencontrons un Équatorien avec qui nous partons à la cueillette des champignons. Nous en rapportons  une trentaine, j'en ai assez de me sentir exclu de tous les groupes qui fument des pétards alors j'avale sept champignons sans comprendre. Au début, je commence à prétendre que je ne ressens rien puis je prend un papier et un crayon et je me mets à faire de l'écriture automatique. Mes idées se bousculent jusqu'a écrire un AAAARRRGGGHHH l et à lâcher le crayon. Nous commençons à nous promener, les structures de mes mains, de la montagne se modifient. Je m'engueule avec Yvan, Alain et Claude rigolent, Barbara reste avec Werner. Nous arrivons à l’aqueduc, je ne tente pas de le franchir, heureusement malgré l'envie. Nous retournons aux tentes et je pars dans un sommeil hallucinatoire où j'entrevois mon organisme vivre et opérer une remise à zéro de tous les compteurs comme pour une nouvelle partie de flipper. Je me réveille et me rapproche de Barbara, mais elle s’éloigne, elle est avec son copain.

Ma conscience revient tout à fait, la nuit est tombée, cela a duré six heures, il y a du café dans la bouilloire. Je finis d’écrire quelques pensées sur mon intelligence à surmonter ce qu'il faut. Comprendre est nécessaire dans ma vie pour  survivre et j'ai maintenant confiance en moi. Je sais aussi pourquoi j'avais vu en arrivant à Esperanza un villageois ahuri, un abus de champignons sans doute. Je me refais une nuit allongé au froid et le lendemain matin, nous rangeons le camp et je repars seul vers Quito. Dans le bus aux dimensions des Équatoriens Indiens, petits, je me sens à l’étroit. Les femmes ont des colliers passés plusieurs fois autour du cou, ça leur donne beaucoup de charme mais le contact ne me paraît pas possible avec eux.



Arrivé à Quito, je vais à l’hôtel Lutecia pour 400 sucres, c'est cher. Quito est une ville indienne, il y a 50% d'Indiens en Équateur, la ville est à 2600 mètres d'altitude, il fait frais. C'est à Guayaquil, le grand port du pays qu'est rassemblée la population d'origine européenne. Sur les écrans passe ET, le film du petit extra terrestre perdu sur la terre, pour 30 sucres, je n'aurai pas dû m'en priver, mais  le cinéma ne rentre pas dans mon univers de voyage. Je me promène dans la ville et achète le compte rendu en espagnol du dernier congrès du parti communiste soviétique avec Leonide Brejnev pour essayer de comprendre sur quoi se repose le régime soviétique. Je n'en comprend pas la teneur et me dit que je ne suis pas encore capable de comprendre, je ne sais pas encore ce que signifie la langue de bois des hommes politiques.

J'ai vu une manifestation dans Ia journée. Je me demande comment les Soviétiques peuvent inculquer des notions de développement à des peuples étrangers. Je change d'hôtel, je vais au « Gran Casino » que les Quitenos appellent « Gran Gringo », c'est un immeuble blanc dans une rue escarpée avec tous les Occidentaux qui y séjournent pour 90 sucres la nuit avant de partir vers l'Amazonie ou vers le Pérou. Je rencontre notamment un New Yorkais qui me croyait américain et m'explique qu'il importe de l'artisanat local revendu dans les rues de New York à prix d'or. Il me laisse sa carte, Import Export Représentative, il a 26 ans diplômé d'un MBA d'une université américaine, mais peu satisfait des jobs qu'on lui présentait aux « States ».

Le lendemain, je me pointe à I'OCEPA, organisme d'exportation d'artisanat Équatorien, où je prend un catalogue d'artisanat pensant faire ce business dans les rues de Toulon en rentrant, un de plus. Ce sont de jolies choses et laissent entrevoir une possibilité de coopération entre le Nord et le Sud où je m'engagerai volontiers. Un peu avant de quitter la France, la conférence de Cancun au Mexique avait pour but de résoudre le dialogue autant culturel qu’économique entre les blocs pays « développés » et « en voie de développement ». J'ai là l'occasion de voir concrètement sur le terrain ce qu'il est possible de faire. Je prend le bus vers Saquisili, un village au sud de Quito, où je vais passer la nuit, le village est en fête. Je vais me promener sur une colline sablonneuse avec quelques pins et j'ai une des plus belles visions qu'il m’ait été donné de voir, le Cotopaxi vers l'Est avec son sommet enneigé à 5800 mètres d'altitude, deuxième mont de l’Équateur.

Le village termine deux semaines de fête en l'honneur de la Vierge, un orchestre arrive de Riobamba pour animer la danse déchainée des Indiens et Indiennes bourrés d'Aguardiente (eau de vie). Je retrouve Barbara et Werner avec Andreas, un autre Allemand. Nous dansons aussi au rythme de l'orchestre qui dégage tant de joie. Au bout d'un moment, l'orchestre s’arrête, c'est une cassette passant un des rocks les plus déchaînés dignes de Zztop ou Lynyrd Skynyrd ou n'importe quel groupe de hard rock. Les lndiens font le cercle autour des quatre européens que nous sommes qui s'en donnent à cœur joie. Les Indiens nous applaudissent et un Américain responsable du développement local avec des jeunes militaires en civil nous offrent de l'aguardiente pour nous faire parler de l'Europe. Nous étions très appréciés. Je vais passer la nuit dans un réduit de l'hôtel sous un escalier pour 60 sucres. ·

Le lendemain matin, je vais avec Barbara sur le marché manger de la galette de maïs, acheter une cassette du groupe Tucusito y sus ases, une toupie et une petite flûte de pan. J'aurais aimé faire ce périple avec elle et je les quitte tous les deux pour partir vers Riobamba puis Banos. À Banos, petite ville avec une cascade, je passe la nuit dans une chambre immense au pied de la cascade à l'hôtel Guayaquil pour 120 sucres. Je serai bien resté très longtemps dans ce site mais je passe une mauvaise nuit en songeant à rentrer à Toulon.

J'estime que mon voyage est terminé, j'ai passé la ligne de l’Équateur, je veux après trois mois et demi retourner en France sachant que le service militaire m'attend. Et comme toujours, lorsque je sais que je reviens au nid où j'ai poussé, je suis mal. Je ne sais ce qui a déclenché ce retour, est-ce le fait d'avoir participé à une fête où j'étais étranger et pas à ma place, avec une identité européenne avant tout ? Je le pense aussi en contact avec Barbara que je reverrai bien en Allemagne. Je repars donc vers Quito, où je passe chez Hoechst pour savoir s'ils vendent du fil synthétique de couleur et à combien. Ils me disent ne pas en avoir. Je passe une nuit à 150 sucres et pars vers Otovalo, le marché artisanal le plus connu du pays, j'y achète un grand sac en jute tresse, un pantalon, un chapeau, une couverture et deux chemises pour y troquer mes vêtements occidentaux et ranger ma cassette, un rouleau de PQ, mon livre de Alfred Grosser « Les Occidentaux » que je lis depuis le départ de la Martinique.

J’achète le tout pour 1000 sucres et je repère de belles couvertures plus épaisses pour 600 sucres que celle que j'ai achetée dont je verrai plus tard au « Printemps » à Paris qu'elle vaudrait 400FF. Je vais même passer une soirée à y réfléchir en arrivant à Tulcan. Je passe la nuit à I'hôtel El Paso et je suppute le prix de vente, bien estimé, et la marge qui ferait rapidement de moi un millionnaire avec une mise de fond modeste, une dizaine de milliers de francs. Mais au retour, l’Équateur sera loin, le télécopieur n'existe pas encore. J'ai aussi acheté uneaiguille et du fil pour consolider les boutons de ma chemise qui lâchent.

À Tulcan, pour obtenir un nouveau visa pour traverser la Colombie, au poste frontière, il y a un Péruvien, Jorge Enrique, avec une raquette de tennis dans son sac, il est vêtu comme sorti d'un tennis club. Nous engageons, une fois partis, une discussion passionnée sur notre but commun dans la vie, soulager la misère de l'homme. Jorge me parle du Pérou, pays en proie à une misère galopante. Il a 25 ans, il va à Cali travailler avec son frère qui gère une entreprise chimique. Il est père d'un enfant de 3 ans qui vit à Los Angeles avec sa mère. il me parle de ce qu'il aimerait apprendre à son fils, courir, jouer au tennis. il est neveu du ministre du travail et son père est colonel. Il compte prendre le pouvoir dans son pays et je lui explique fort d'avoir vu les possibilités de liens entre le Nord et le Sud grâce à l'artisanat qu'il existe des solutions à la crise économique. S'il prend le pouvoir, je suis prêt à rentrer dans son gouvernement.  Nous cessons notre discussion quand à Popayan arrive Patricia, prénom fort répandu en Colombie. Patricia est comme beaucoup de Colombiennes, très jolie, elle porte un bonnet bleu. Jorge et moi commençons à la brancher et le temps passe très vite entre Popayan et Cali.


Cali

Popayan connaîtra quelques années plus tard un tremblement de terre détruisant 70% de la ville, mais Patricia vivra à Caracas d'après une carte qu'elle m'enverra plus tard, et si j’étais resté en Colombie ? Popayan, comme la plupart des villes colombiennes ou vénézuéliennes, me parle, elles ont une consistance positive. Et pourtant... À Cali, nous laissons Jorge et m'asseyant à côté de Patricia qui va à Bogotá, je sors avec elle, ce qu'elle me dit ne pas avoir voulu, pensant que je l'abandonnerai ensuite pour rentrer en France. Elle n'avait pas tort. Je parle toute la nuit, et le lendemain vers 15 heures, nous nous quittons, elle à été triste pendant tout le voyage. De retour en France, une lettre d'elle m'attend. Je suis loin …

Je suis à Bogotá et je me sentirai bien Colombien maintenant que j'ai trouvé une femme. Mais je sais alors qu'il y a beaucoup de femmes que j'aimerai et que la femme de sa vie est celle avec laquelle on décide de rester et partager sa vie et non pas une exclusivement, l'alter ego. Je traîne un moment dans Bogotá qui est vraiment une ville que j'aime puis repars vers Cucuta, je passe à Bucaramanga à cinq heures du matin, arrive dans la journée mais me fais refouler au consulat venezuelien pour l’entrée. On me prétexte une « tarjeta turista » et je ne sais pas encore glisser des  pesos dans mon passeport. Je n'arrive pas à rentrer au Venezuela alors inquiet, je repars vers Bogotá où après un appel en France depuis l’ambassade et un paiement paternel à Air France d'un billet Bogotá-Fort de France, je pars dans trois jours pour Pointe à Pitre où je prendrai une correspondance pour Fort de France. J'ai du temps à occuper, je ne suis plus un migrant, j'ai laisse tomber l'opportunité de m'installer en Colombie. Je vais vivre en touriste. Comme à Caracas ou à Quito, je passe dans les librairies et les bibliothèques, je trouve même une bibliothèque avec un café gratis.

Je visite le musée d'art et tradition populaire et celui du 20 juillet où je vois quatre Français (deux couples) en vacances. Les bâtiments sont blancs et vides de monde mais parfaitement évocateurs de la création de la Colombie en tant qu’état avec une culture basée sur la migration espagnole et rurale. Sur la « septima avenida », on me branche pour rapporter de la cocaïne ou des émeraudes (souvent fausses), j’évite. Je rencontre deux ou trois fois les mêmes personnes avec qui j’échange quelques mots, ai-je une copine en France ? Est-ce que j'ai besoin de quelque chose ?

Le dimanche matin, je savais d’après un reportage TV qu'il se passait des choses à Bogotá, qu'une rue était ouverte aux vélos et aux patins à roulettes. Mais je ne savais pas que depuis longtemps les Bogotanos allaient se recueillir au Montserrat après une grimpette sur des escaliers d'une heure. C'est un véritable chemin de croix avec des arrêts buvette sur le chemin et en haut une église. La promenade fut éprouvante mais sympathique. Le lundi, je visite le Museo Nacional, histoire, anthropologie et peinture, puis n'ayant plus d'argent pour L’hôtel, je pars à l’aéroport en taxi, une voiture américaine ancienne, 30 ans et 500.000 kms au bas mot. Je finis mon livre « Les Occidentaux » dans lequel Alfred Grosser conclut que le problème n'est pas la rivalité « Est Ouest » mais bien « Nord Sud », ce que fort de mon voyage si enrichissant je conclus aussi.


Bogotà

A l'aéroport, j'apprend qu'il reste une taxe à payer, je ne sais comment je ferai. Je rencontre les deux couples de Français du musée et j'échange un chèque de 60FF contre la taxe en pesos. Mon chéquier m'a finalement été utile. Je vais errer dans l’aéroport trois jours et dormir sur les bancs à sa fermeture deux nuits, ma couverture m'est alors bien utile. J'aurai deux discussions fort intéressantes, une avec trois étudiants brésiliens qui me disent avoir la crainte de la Colombie, ils sont au bout d'un voyage autour de l’Amérique du Sud. La deuxième avec un Italien, Gabriele, sur le développement. il est venu en Colombie pour l’étude de faisabilité d'une centrale thermique, je découvre alors ma vocation dans une profession valorisante et concrète. Je crois qu'il est important
de développer le Sud mais il me fait remarquer qu'il y a aussi beaucoup de choses à faire dans le Nord autres que du développement. Ce sont deux actions à mener parallèlement qui se rejoignent dans l'objectif d'une culture universelle.

Quelques heures avant de partir, je sors de l’aéroport pour voir l'Amérique du Sud, un continent que j'aime pour sa différence avec la France. J'ai souvent entendu décrier ce continent pour ses dictatures, j'ai vu là d'autres problèmes à résoudre, survivre tous les jours, dans un village équatorien, j'avais vu un homme couché sur un trottoir un bras arraché. Les démocrates occidentaux sont bien trop embourgeoisés dans leur confort pour saisir la réalité d'un monde qui n'a pas les mêmes préoccupations quotidiennes. La politique a fort à faire...

C'est avec émotion que je rentre dans l’aéroport pour la dernière fois et je passe sans problème les autorités. Je goûte au café colombien de l'export, en expresso, non pas comme celui que j'avais bu à Cucuta le week end où j’attendais l'ouverture de la banque, léger et avec du lait. En montant dans l'avion, une hôtesse éclate de rire en me voyant, pourquoi ? C'est sans doute la mutation que j'ai subie au contact du continent....


Guadeloupe 18 février 1983 au 19 mars 1983

Du mont Guadalupe à Bogotá, je passe à Pointe à Pitre, chef lieu de la Guadeloupe dont l'autre nom est Karukera comme l'autre nom de la Martinique est Madinina, les noms d'avant la colonisation par les Indiens Caraïbes, ou Caribe « féroces » en espagnol.
Le voyage en avion contraste avec les passages dans les autobus sud américains : sièges larges, toilettes, hôtesses, repas. Je goûte avec délice le contraste. Cette ligne a pour point de départ Lima au Pérou et va à Pointe-à-Pitre puis Paris, c'est un Jumbo Jet. Je me sens isolé dans le contexte de luxe qui m'entoure avec uniquement des hommes d'affaires en costume tels les « Norte Americanos » du Tekendama à Bogotá. Je suis aussi un homme d'affaires mais je ne crois pas à mon statut social, uniquement à ce qui est « à faire », peu importe le rendement.



Nous atterrissons à l’aéroport du Raizet et je reste en compagnie de trois baroudeurs pour dormir dans l'aéroport, l'avion étant arrivé à 22 heures. il y a un coopérant français d'origine franco-équatorienne, un québecois itinérant, et un belge émigré à Saint Barthélemy. Nous trouvons des canettes de bière et entamons des discussions passionnées sur l’Amérique du Sud, le Belge docteur en psycho-sociologie ne croît pas à une coopération à pied égal entre le Nord et le Sud. L’Équatorien n'a que le souvenir des plages sur lesquelles il se roulait avec les petites Équatoriennes sur le sable, après être arrivé en moto depuis Quito. Quant au Québecois, il note que je fais du bateau et au matin nous partons ensemble voir le Choo Gun à la marina du Bas du.Fort, mais
il n'est pas là, il doit être aux Saintes.

Nous errons alors ensemble dans Pointe à Pitre, la ville est plus large que Fort de France, j'ai un meilleur contact, est ce ma mutation qui me fait percevoir de façon plus positive les Antilles ? Sans doute. Je n’étais pas heureux, maintenant je suis de retour et je me raccroche à ce que j'ai accompli depuis quatre mois, un beau voyage formateur du contact tant recherché avec les pays du Sud. Je reprends l'avion vers Fort de France pour partir récupérer mes affaires aux Trois Îlets, mon grand sac rouge. En arrivant je constate que Yves Jean loue des Hobie Cat pour se payer un billet retour, que le squat est fermé et nous dormons tous dans la maison d'une couturière. Tout le monde songe à rentrer vers Ia Métropole. Les convoyages retour des bateaux s'organisent. Je n'ai pas l'intention de revenir en bateau, j'aimerais utiliser à nouveau l'avion, un moyen si rapide de se dépayser et de résoudre tous les problèmes si l'on a des papiers en règle et de l'argent avec tous les moyens de paiement adéquats.

Je retourne en avion à Pointe à Pitre pour la seconde fois, le Choo Gun n'est toujours pas là, équipé de mes deux bagages, mon grand sac rouge et mon grand sac équatorien, j'erre à la marina du Bas du Fort puis retourne au Raizet poser l'essentiel à la consigne. Je repars avec passeport, portefeuille, sweet shirt à la marina. il ne pleut pas sur le Guadeloupe comme à la Martinique. Je pourrai dormir à la belle étoile sans craindre les ondées. Je téléphone en métropole à la famille pour donner l'adresse de la capitainerie, je ne sais combien de temps je resterai ici et ce que je ferai mais j'aimerais avoir des nouvelles de Toulon où je reviens maintenant. Le mois qui va suivre, je n'ai qu'une idée en tête, voir Vero et je vais lui écrire bon nombre de lettres. En attendant, c'est le carnaval de Pointe à Pitre, les formations défilent dans les rues et ce n'est qu'à la tombée de la nuit que se déchaînent les percussionnistes et que la foule des jeunes crée le défilé sans ordre mais joie. Jesuis une adorable fille avec un chapeau haut de forme mais cela ne dure pas longtemps, à huit heures, je pars dormir dans l'herbe devant la capitainerie à la marina.

Le lendemain, je pars en stop à Gosier où j'ai les coordonnées du directeur de l'Holiday Inn. Une fois arrivé, on m'annonce qu'il n'est plus là. Le site est enchanteur comme au Latitude à Saint Pierre, un hôtel sur Ia plage, propre, destiné aux Métropolitains en quête de sable blanc, de soleil et de farniente qui contraste avec la vie sur la marina. On ne fait pas grand chose sur les bateaux mais on rencontre du monde, un copain de régate, les idoles de la voile, Arthaud, de Kersauson, un convoyeur solitaire, une ou deux filles qui cherchent I'homme de leur vie, dont je m'enquiers du prénom au bar. On parle de faire, de bouger, d'aller aux Saintes, à la Dominique, à Antigua. Il faut réparer, entretenir le gréement courant et dormant, les protections de barres de flèche, les drisses, les feux de navigation, les winchs, la vidange du moteur, la charge des batteries. À Gosier, ce sont les vacances.

Je retourne à la marina et avec mon look torride, jean râpé, T shirt, cheveux longs décolorés, lunettes de glacier, je suis pris en stop par une adorable métisse, j'aurais pu sauter sur l'occasion mais une fois de plus, je n'ai pas embrayé, et sa voiture à calé quand elle m'a déposé un quart d'heure plus tard. Devant la capitainerie, je fais un somme réparateur, un type vient dormir sur l'herbe à côté de moi, c'est Eric, il a traversé L’Atlantique en janvier avec des Alizés plus forts qu'au mois de novembre-décembre. Ils étaient quatre sur un half tonner, sans pilote automatique ni toilettes. Confort restreint l Le mikado possédait même un congélateur !

Eric attend un copain, Jean Louis, avec qui il a traversé. Jean Louis arrive, un grand barbu que j'avais vu déambuler dans Pointe à Pitre avec sa barbe hirsute pendant le carnaval. Nous partons tous trois dormir dans une bâtisse non terminée, c'est du béton et c'est vraiment dur sans sac de couchage. Le matin, de retour à la marina, Jean Louis et Eric partent aux Saintes avec un copain, je vois la proue du Choo Gun amarrée au ponton. Gilles est dessus, tout seul, il était avec Jean Pierre, l'ami de Max avec qui je pensais partir sur son Baltic 51 Honeymoon et qui pour des problèmes administratifs avait renoncé au voyage et revenu vers Max.

Gilles m'annonce qu'il rentre dans trois jours en métropole, je tombe bien pour rester sur le bateau que l'on va mettre au mouillage à côté de Chainegaz, un monocoque en aluminium qui vient de terminer une transat. Gilles à eu quelques problèmes électriques sur le bateau, mais c'est un détail comparé à leurs navigations, ils sont partis dans les Grenadines. Max ne revient plus, il veut envoyer un convoyeur pour skipper le bateau sur la transat retour par les  Bermudes et les Açores. J'aimerais bien faire la transat retour en tant que skipper mais cela dure un bon mois et faut attendre début avril. De plus je ne suis pas certain que Max ait totalement confiance en moi, m'ayant vu plutôt plongé dans mes cahiers et mes bouquins plutôt que marin responsable. Un copain loueur de Gille vient me proposer de skipper un Dufour 35 le week end prochain avec des clients, par ailleurs un neveu de Max, Michel, sera là avec sa femme et ses enfants et ils aimeraient partir avec le Mikado, Gilles ne sera plus là, je dois faire un choix.

Gilles me présente ses potes de la marina, Lionel, serveur au bar, René de Sète qui vit sur son Gin Fizz, il emmène des clients de temps en temps et des Antillaises... et Thierry qui a 23 ans et vit sur l’île depuis sa naissance. Thierry aimerait bien partir en métropole avec le bateau, si je pars avec le Mikado aux Saintes, il nous accompagne.

Gilles s'en va, j'opte pour le week-end avec le Choo Gun, samedi matin, je vais les chercher en annexe au ponton, il fait beau sur la Guadeloupe, le passage entre Basse Terre et Grande Terre était beau ce matin du haut du mât de 17 mètres avec ses deux tons de bleu, l'un foncé, l’autre clair. Les Saintes sont à quelques heures de navigation au sud. Trois fameux îlots, exclusivement peuplés de blancs émigrés de métropole il y a deux siècles, les Saintois, qui vivent en milieu fermé dur Terre de Haut. Il y a une belle anse où nous arrivons à 14 heures pour mouiller, l'ancre dérape à deux reprises, je n'ose trop m'éloigner du bateau en planche à voile. Les petites filles, Claire et Constance étaient malades dans la houle du passage de Force 6 de l'alizé. Nous avons franchi le passage au largue à huit nœuds, les manœuvres sont simples, même étant seul connaissant tellement sont bien réglés le pilote automatique et le moteur. La grand voile est hissée sans problèmes, le foc se déroule rapidement et l’équipage était sage. Que puis je rêver de mieux pour ma sortie en tant que skipper d'un bateau de 18 mètres ? En fin d’après midi, mise de pied à terre au village pour apprendre qu'il y a une grande fête sous un toit de paille ce soir samedi. Je retrouve Eric et Jean Louis là bas, il y a beaucoup de jolies filles, bon rock et bon reggae, ça bouge bien, une des plus belles fêtes qu'il m'ait été donné l'occasion de faire, cent personnes, bon feeling, bon rythme. Elle se termine à deux heures, c'est tôt mais c’était intense.

Au retour vers Pointe à pitre, après un bon dimanche à ne rien faire, il fait nuit et la navigation sous les étoiles vent de travers crée une ambiance romantique qui éveille Marie Anne, la femme de Michel qui comprend que Thierry et moi avons une passion certaine du bateau que nous cherchons à faire partager. Le week end est terminé, ils restent avec moi quelques jours sur le bateau avant d'obtenir une place pour eux sur un vol Air France, ils ont des GP « gratuite passager », Marie Anne étant hôtesse de l'air chez Air France. Thierry rentre chez lui et il n'est pas convaincu de faire la transat retour vers l'Europe, les rapports humains sont un peu trop francs dans les manœuvres.



Le lendemain, nous allons en stop au Méridien à Sainte Anne, Marie Anne cherche des informations sur les possibilités d'embarquer ce soir et les soirs suivants. À deux reprises, à minuit, Michel sera obligé de nager jusqu'au bateau pour me tirer de mon sommeil et prendre l'annexe pour faire dormir sa petite famille. Je prend alors conscience de ce que représente la responsabilité d'un père de famille, et ce qu'il doit faire. J'ai vraiment sympathisé et me rend compte qu'un bateau, un skipper animateur, des équipiers profanes, c'est un bon produit et c'est une activité qui me convient tout à fait. Ils me laissent 200FF pour que j'aille boire au bar de la marina en me souhaitant de revenir le plus tôt possible en métropole, ce que je souhaite ardemment. Effectivement, je n'ai pas d'argent et guère d'endroits où j'ai envie de rigoler, Eric et Jean Louis viennent habiter sur le bateau, j'ai eu Max au téléphone, un skipper et un équipier vont arriver, ils ont besoin d’équipiers pour le retour vers l'Europe. Thierry s'est désisté, il est parti en avion.

Je trouve au bar de la marina une annonce vendant un billet retour pour 800FF à prendre le 19 mars, c'est une Antillaise qui vend le billet, elle enregistrera mon bagage, me remettra le bon d'embarquement contre les 800FF et je partirai, c'est un vol pour Bruxelles. Je me suis renseigné, il n'y à pas moins cher, c’était un de mes seuls motifs d'aller à Pointe à Pitre avec mon petit tour habituel des libraires où j’achète l’État du Monde que j’étudie avidement. C'est une découpe géopolitique économique et sociale de 34 régions du monde, je mets à jour mes connaissances des chiffres clés indicateurs de la santé économique du monde. Jean Yves et son équipier arrivent, je sais tout de suite que je fais bien de prendre l'avion, Jean Yves pinaille sur tous les points, il veut tout refaire sur le bateau, rien ne marche pour lui à bord. J'avais seulement décelé que le feu à retournement de la bouée de sauvetage manquait de piles. Jean Yves trouve des problèmes à l'alternateur, au moteur. il m'emmerde pour nettoyer les chiottes, ça n'aurait pas pu aller, je trouvai le Choo Gun en trop bon état.         

Et le 19 mars, le scenario prévu du billet d'avion me voit quitter les Antilles. Je n'ai même pas vu la Basse Terre ni éloigné de plus d'une dizaine de kilomètres sur la Grande Terre. J'ai à peine mangé hors des repas faits par d'autres, du couscous macéré dans du citron quand j’étais seul. Dans l'avion, mes voisins sont excités, ils n'en reviennent pas du bonheur qu'ils ont connu pendant deux mois, ils m'emmerdent, ils me demandent d'argumenter. Arrivée à Bruxelles, il pleut, mes deux sacs sur les épaules sont très lourds, je prend un bus pour aller dans le centre, mange un bout de fromage avec du pain que j'achète sur un marché. Je pars sur l'autoroute car je compte arriver en stop à Toulon. Deux types jeunes en CX me prennent tout de suite et alignent le 180 puis un deuxième stop marche avec un jeune couple en Golf qui va à Mons, ils me laissent à un embranchement et je me mets à marcher, solitude à l’état brut sur le bord de l'autoroute, deux énormes sacs, sans chaussettes, chaussures recousues, un T shirt et un blouson, le Venezuela est loin, les Antille aussi. Au bout d'une demie heure, je vais pour rebrousser chemin, étant impatient de nature, je vois arriver une 4L fourgonnette à 60 kmh. C'est un électricien, il s’arrête et nous partons jusqu’à la frontière, nous parlons des problèmes politiques, il est anarchiste.

A la frontière, un commercial en Golf va à Paris, parfait, il me parle de la Grèce continentale du nord, Thessalonique, sans les touristes qui peuplent les îles en été, qu'il a l'habitude de visiter, il me paye un sandwich, je lui paye un café dans une station sur l'autoroute. Je présume maintenant qu'il était sans doute homo mais ça ne m’intéresse guère. En attendant il me fait découvrir une nouvelle destination. À Paris je vais chez des amis des parents qui m'offrent de l'argent pour m'acheter des chaussures, je m'en achète une paire avec mon argent. Je me rend compte que je n'aime pas tellement qu'on me fasse l'aumône. Je suis devenu un être indépendant et j'aimerais vivre dans un monde d’indépendants. Mais solidaires en cas de coups durs. Et respectueux dans un autre monde que celui dans lequel on vit où tout est facile et où se méritent des situations acquises sur de fausses valeurs, l'argent, les relations, les études soi disant réservées à certains. Je me mets à rêver de contacts naturels et profonds tout en préservant l’indépendance et la liberté.

De Paris Lucien me conseille de partir de la porte d’Orléans, j'ai là une chance extraordinaire, en arrivant, je vois cinq stoppeurs et à ce moment une voiture me propose de m'emmener, une 4L commerciale. il me dépose sur une station d'autoroute. Je traine sur le parking des poids lourds, et un chauffeur me propose de m'emmener. Je dénote pas mal, mon sac équatorien est vraiment du jamais vu, immense avec des lanières attachées en nœud plat pour le tenir, j'ai tout de même l'air propre, il me dépose à Mâcon, c’était un Toulonnais, mais il va à Venise. J'ai trop hâte de rentrer, je prend ensuite un stop jusqu'à la gare en passant par la maison d'un Mâconnais qui m'offre à boire. J'arrive à 20 heures à Perrache et le copain de ma sœur vient me chercher.

Le lendemain, Jean Noël et moi allons à la faculté de médecine voir Marie et tous leurs copains. En attendant Marie, un mec me demande comment était la neige de printemps, je n'en ai pas la moindre idée. Je suis maintenant tellement loin de toutes les préoccupations des étudiants, je suis un aventurier des mers et de voyages à terre. Finalement, je rentre de Lyon en train pour 149FF, je ne voulais pas payer plus de 150FF. À Toulon, je retrouve Véronique, c'est toujours I'enfer et un jeune Américain a pris ma place dans ma chambre et dans la famille. Le lendemain matin, après une nuit dans la maison, je reprend un sac, ma mère m'a demandé de faire mon lit, J'ai refusé, je pars habiter sur le bateau d'un copain.


Grèce 18 mai 1983 au 24 luin 1983

Je passe ce début de printemps à Toulon sur le Nina, ma sœur Émilie et Véronique viennent m'y voir, on sort, Vero ne me suivra jamais, c'est sûr et pourtant je l'aime. Sur une annonce, je découvre un job, vendeur de marionnettes sur les marchés et dans les fêtes, les lieux très passants, ça me permet d'amortir mes déplacements sur la Côte d'Azur, de me payer des bières et de quoi manger. Un jour Émilie m'apprend qu'un copain des parents veut savoir si je veux l'accompagner en Grèce, au début, je n'ai pas envie, j'ai assez de bateau comme ça pour l'année puis je me dis que c'est finalement pas mal mais déjà je ne veux pas que l'on me colle l'image qui me va bien de skipper. Je veux rester à terre et faire des affaires, je n'ai envie de partir que pour voyager avec ma chérie.

Je rencontre donc Robert et Gilles, un jeune Versaillais né un mois plus tôt que moi. Je m'entend bien avec eux tout de suite et le 18 mai au soir, nous larguons les amarres. C'est un Kelt 9 mètres, 6 couchettes que Robert vient d'acheter. Lui et Gilles viennent de traverser l'Atlantique sur un Sun Fizz un peu après moi et nous aurions pu nous rencontrer à Pointe à Pitre. Robert vivait à Montréal et il a pris une année sabbatique comme Gilles et moi. Lyster le nom du bateau, est le nom d'un lieu dit dans les Laurentides, là où Robert passait ses vacances et ses week ends. Le Canada et la Grèce sont au rendez vous sur le bateau, j'ai emporté « Aurélien » d'Aragon avec moi, tous les symboles de ma vie amoureuse y sont réunis, Aurélien est mon second prénom, L’amour d'Aurélien est Bérénice, que j'associe à Véronique en grec. Aurélien a I'esprit d'escalier, il ne saisit pas tout de suite l'opportunité qui se présente et y songe dans l'escalier en partant. Il va vivre sa vie avec une femme, Blanche, alors qu'il aura croisé puis manqué Bérénice pour qui il a une flamme d'amour éternel. L'angoisse de ma vie d'alors est de rater celle que j'aime. À la fin du livre, c'est la guerre, Aurélien et Bérénice se rencontrent après tant d’années et ils n’éprouvent plus rien l'un pour l'autre, seulement un souvenir.



Nous partons avec objectif  Bonifacio, le Kelt n'a encore jamais navigué, Robert pousse un hourra de joie au départ, c'est vrai que c'est bon de larguer les amarres. À la fm de la deuxième nuit, nous sommes en vue de Bonifacio que nous avons mis un certain temps à trouver, nous tirons des bords de près pour y arriver, il fait gris et un bon force 4, le port est presque vide. il est bon de naviguer hors saison touristique et chaude avec le sentiment de naviguer en pionnier et d'arriver dans un autre monde à découvrir.

Bien fatigués, un bon cassoulet s'impose ainsi qu'une montée sur la falaise avec une bonne nuit ensuite. Le lendemain, la météo ne prévoit rien de particulier, nouvelle direction, les Lipari au nord de la Sicile, bizarrement il n'y a pas de vent dans les Bouches de Bonifacio, nous mettons même le moteur après avoir enroulé le foc. Puis un vent d'ouest se lève, l'archipel de la Maddalena au nord de la Sardaigne est derrière nous. Le vent monte croissant de 20 à 35-40 nœuds en quelques heures, le soleil apparaît, nous avons trois ris dans la grande voile et le foc enroulé avec quelques mètres carrés. Au repas du soir, Gilles et moi avons fait l’expérience de manger dans notre assiette quand elle nous passait sous le nez selon le tangage du bateau, on avait trop rigolé. Nous filons nos 6-8 nœuds au largue toute la nuit avec des creux de 5 mètres, on abat des milles. Le ciel est étoilé, il faut redresser le bateau à la barre sur tous les départs en surf pour l'empêcher de prendre les vagues par le travers. Le vent est monté à 50 nœuds. Nous sommes trempés pendant nos quarts que nous faisons seul mais avec un harnais. Couché dans le sac de couchage avec mes vêtements, ils sèchent pendant mon repos : 3 heures, les quarts de Robert et Gilles. De temps en temps nous nous envoyons une rasade de whisky fort appréciée dans la tourmente du vent.

Les creux sont de 10 mètres, au fond du creux, nous ne voyons rien autour et sur le faite de la vague, on part en pique vers le creux de la vague, c'est fun. Au matin, je suggère de naviguer sans la grande voile, avec 4 mètres carrés devant seulement, c'est mieux, la
barre devient plus douce, nous conservons notre bonne avance et le lendemain vers midi, nous laissons le Stromboli à tribord, ce volcan-île que nous voyons tout vert, le vent est tombé. À l'arrivée de Isola Eolie, le temps est à nouveau couvert, nous nous amarrons au bateau d'un couple de jeunes siciliens qui nous demandent comment c’était. Ils nous expliquent leur expédition dans l’Océan Indien avec un bateau où le skipper tentait de survivre en rationnant l'eau. Gilles et moi partons au village pendant que Robert se repose. Sur le bord de la route, un jet d'eau, parfait pour se récurer jusqu'au bout de la bite, les Italiens qui passent en Fiat 500 se marrent. Le soir Robert nous invite à manger dans un restaurant de bonnes pâtes, il n'y a pas grand chose à faire, pas de bar branché où draguer, back au bateau.

Nous passons le détroit de Messine de nuit et le matin nous filons vers Kithira (Cythère) en envoyant le spi jusqu'a Force 6, on réduit le roulis rythmique du bout du tangon au bout de la borne dans l’eau en bridant le spi avec des barber hauler sur les écoutes et finalement nous affalons. Nous conservons ces conditions de vent jusqu'a Cythère où nous arrivons le 30 mai au port de Kathakali. Nous discutons avec des pécheurs siciliens de Catane. Je crois avoir compris la création de la civilisation grecque par la seule vision de Cythère, les îles grecques, chacun des cailloux, brin d'herbe, le bleu de la mer sont un signe des Dieux qui peuplent les îles des différents archipels. Le repas de rougets que nous faisons est un autre de ces signes. Le lendemain, nous arrivons sur le Péloponnèse à Nauplie au fond du golfe du même nom pour ouvrir le transit log, carte de séjour du bateau en Grèce. La clearance est effectuée, le transit log avec nous, précisant que nous devons inscrire les changements d’équipage, les ports de relâche jusqu’à la sortie des eaux grecques. Un chauffeur de taxi qui veut nous emmener à Mycene m'apprend à compter en grec, c'est simple. Robert m'offre une paire de sandales, il trouve que se balader pieds nus à terre puis sur le bateau est salissant. Effectivement je n'ai pas de chaussures adéquates et vêtu depuis Hyères avec un bermuda, un T shirt, un sweat shirt, voire une veste d'escalade que j'avais en Amérique du Sud, j'aime vraiment la vie sauvage à bord d'un bateau neuf. Gilles m'apprend à compter en allemand. J'ai appris par cœur des mots essentiels en grec, Ia politesse, et les courses avec facilité car je vois la nécessité de comprendre un pays que je considérais comme lointain depuis Toulon, une autre écriture, un autre niveau de vie en termes de PNB par habitant et une vie moins chère qu'en France.

Le meilleur exemple est le prix du demi litre de bière à une terrasse de café, 40 drachmes, 4FF, alors que c'est 7FF pour une pression de 25 cl sur le port de Toulon. C'est l'aubaine surtout que j'aime traîner sur les ports. C'est mon activité favorite depuis 3 ans. Gilles et moi allons nous en donner à cœur joie pendant 3 semaines. Dés notre première sortie à 14 heures, nous avons l'intention de ramener une fille ou au moins établir un premier contact. On ne sait trop comment s'y prendre. Lequel de nous deux fera le premier pas ? Les repérages consistent à identifier deux filles et avancer la phrase suivante en Anglais : « Bonjour l On peut s'asseoir ? Oui, merci. Vous venez d’où ? » Les deux premières sont grecques, ça ne marche pas, on était un peu crispés. En parcourant le bord de mer de l'autre côté du village, nous croisons une française de 24 ans que nous invitons le soir à manger une friture sur le bateau. La friture est cramée et nous la laissons repartir à son hôtel sans la raccompagner, elle ne plaisait à aucun de nous deux. Robert nous trouve peu courtois. Arrivés à Hydra, le port est petit, mais tout à fait typique, comparable à St Tropez, on obtient une place de port à côté d'un bateau loué par des Sud Africains et d'un ketch grec. J'ai joué de ma voix voyant un bateau qui voulait prendre notre place. Le skipper du ketch est de Spetsai, il fait du charter et nous dit le plus grand bien de son Île. En partant à pied dans le village, je songe aussi au village d'lbiza avec ses ruelles étroites, les murs blancs. Le soir nous revenons à un bar où Ia bière coule à flot pour les anglophones. Trois Australiennes sont assises dans un coin, il y a aussi une Sud Africaine et deux skippers grecs qui comme nous cherchent à embarquer des jeunes étrangères en voyage.

Effectivement, les Australiennes sont en voyage pour une période de 6 mois en Europe et libres, ce sont de bonnes cibles. Gilles boit beaucoup et en ramène une moche qu'il emmène sur le bateau, moi aucune. Le lendemain, il ne la reconnaît même pas en train d'acheter des cartes postales quand elle lui saute au cou. Nous sommes pliés en quatre. Robert doit rentrer au Canada deux semaines pour régler des affaires, il compte nous laisser à Poros où le port est plus grand, c'est comme à Hydra un quai le long du village où soit l'on mouille une ancre en avant et l'on fixe les amarres à l'arrière, soit une amarre à l'avant et l’arrière du bateau à couple du quai. Cela est fort bien pour être repéré des personnes assises aux terrasses de bar ou de restaurant en train de manœuvrer.

Le site est très agréable, des bars, un mouillage dans une baie avec une plage à quelques minutes du port. Robert nous quitte en partant avec les Flying Dolphins, des hydroglisseurs qui relient les îles de l'Attique avec le Pirée. Je n'avais vu le même qu'une seule fois étant enfant, il reliait le Lavandou à Port Cros, il était jaune, une carlingue d’aviron avec des pattes, tellement évocateur d'aventure dans les îles lointaines. J'y suis. Gilles et moi restons seuls sur le bateau, nous n'avons que très peu d'argent, pas question de manger au restaurant ou de faire des courses, seule la bière dans les bars ou en boite est à consommer, il ne reste pas grand chose comme vivres. Je trouve le lendemain des miches de pain qui vont constituer l'essentiel pendant 15 jours jusqu'à un repas avec Robert au Pirée à son retour, des souvlaki, ça faisait du bien de manger de la viande chaude.

En attendant, il y a une boite au dessus du village, nous y arrivons tôt et nous y accueillons deux Californiennes, Ann et Jaclyn, je prend la « plate », Gilles la plantureuse. Ann joue du piano, elle à une Datsun 280, toutes les deux font leurs études à Pepperdine University au nord de Los Angeles. Je m'imagine vivre avec elle en Californie, ce qui me faisait tant rêver quand j’écoutais la chanson de Julien Clerc étant enfant. Je verrai 9 ans plus tard Pepperdine University à trois heures du matin sur une colline, une dizaine d'heures après mon arrivée sur le continent nord américain où je songerai avec émotion que j'ai raté 9 ans de ma vie, que je me sens Californien dans L’âme.

Le lendemain, nous les emmenons en croisière, elles n'ont pas passé la nuit avec nous et nous partons tous les 4 au mouillage sur la plage. Je reste avec Ann sur le bateau, Gilles et Jaclyn reviennent, Gilles a failli se noyer en prenant Jaclyn dans l'eau, sur la plage, il y avait trop de merdes. Nous les quittons, pas trop satisfaites. Un matin me promenant, je vois sur le quai le Honeymoon dont je pensai que Jean Yves, le skipper qui avait ramené le Choo Gun était sur le bateau, je l'appelle, Jean Pierre, son propriétaire en ressort me disant que Jean Yves a changé de métier. Je le remercie d'avoir fait passer ma demande d'embarquement à Max. Une fin d’après midi, nous amenons le bateau face à une terrasse où nous avons repéré deux filles, une blonde et une châtain clair, bien, en train de dîner. Je finis d'amarrer Lyster, Gilles est parti converser, je le rejoins, Leonia, la blonde est allumée, elle me plaît, sa copine est occupée par Gilles. On convient de se voir ce soir pouraller à « Skipper ».

Nous filons boire une bière, où nous retrouvons deux Suédois que nous avons hébergés la nuit dernière, l'un a 24 ans, l'autre 40 avec une jambe entaillée à la cuisse par le couteau d'un Crétois qui voulait prendre le portefeuille dans sa poche. Nous faisons également connaissance d'une famille écossaise en vacances avec trois garçons de 3, 5 et 7 ans, la Mummy, grande, brune, 30 ans me raccompagne au bateau, elle me dit de profiter de la vie d'aventurier que je mène, elle pense s’être mariée trop tôt. Je pense moi que j'aimerais avoir son age, être dans la situation de son mari, calme, discret, intelligent avec des moyens et une réussite sociale accomplie. En arrivant au bateau, Leonia, cheveux lâches, sweat shirt rose et jean moulant, déboule en faisant fuir la Mummy britannique qui me laisse seul avec la jolie Australienne. Vont se succéder alors les trois épisodes du screwdriver, le renversé, le malheureux et le raté. Leonia commande un screwdriver au rendez vous avec Gilles et Ann où les deux Suédois sont toujours, et la famille partie, le plus jeune a besoin de faire du bruit, remuer, cela gonfle Leonia, me perturbe et me fait redescendre de mon nuage sur lequel j’étais monté avec elle. Il renverse son screwdriver.

Gilles et moi partons avec les filles laissant les deux mecs retourner sur le bateau. Nous arrivons à « Skippers » où Leonia a repéré un copain qu'elle appelle « Smily », il ne sourit jamais, elle commande à nouveau un screwdriver, moi une bière je ne me sens plus bien, la discussion tourne rond, elle me parle de sa vie, à Melbourne, elle à 26 ans, elle est célibataire, professeur d'économie, pas heureuse, elle ne finit pas son verre. Nous partons dans la boite où nous avions rencontré Jaclyn et Ann, j'y avais déjà aperçu Leonia. Elle commande une bière et pourtant je n'ai plus envie de sortir avec elle, je ne la sens pas bien, des problèmes, on repart à pied au bateau, elles ne veulent pas venir sur le bateau à cause des Suédois. Elles prennent un taxi, j'ai ]'impression d'avoir raté le coup de ma vie, je suis désespéré et le lendemain matin, lève tôt, je vais parcourir la colline en me demandant ce que je dois faire et ce qui m'arrive, je préfère avoir une fille comme Véronique dans la tête et loin qu'à côté de moi et me posant des problèmes. Je veux vivre ma vie d'aventurier et sentimental je crains de ne pas savoir dire non et de m'engager sur une mauvaise voie. Je me voyais déjà parti en Australie, vivant avec Leonia, désertant la France, plus capable d'entrer à nouveau avec un passeport français, ne répondant pas à mon obligation du service militaire début août.



À onze heures, nous virons les Suédois prétextant le grand nettoyage puis nous allons au bar face à l'embarquement des Flying Dolphins, Leonia et Ann sont là, Leonia a commandé un screwdriver, elles prennent une photo de nous, Gilles marque son adresse au dos d'une photo, l'hydroglisseur arrive, Leonia me dit de boire son verre, elles s'en vont, nous sommes tous quatre fort déçus. Nous n'avons pas eu le temps de leur dire que le bateau était propre et vide. Nous passons l’après midi à tourner dans le village, faisons office de bateau taxi pour six touristes américains de l'Oklahoma. Au coucher du soleil, je décide que nous partons à la recherche de Leonia. Nous retrouverons Robert à l’aéroport à Athènes, nous connaissons la date et l'heure de son arrivée. il y a du vent, nous avons mis la stéréo à fond avec un bon Jethro Tull « Aqual ung ». Nous arrivons à Egine en fin de soirée, nous faisons tous les bars, sans succès. Nous nous posons finalement au bar du « Retro » à côté de cinq Grecs, trois hommes, Mihailis, Yannis et Costa et deux femmes Georgia et Constanza. Georgia me dit qu'elle veut faire l'amour toute la nuit. Ça me refroidit, Gilles passe à l'attaque. Nous revenons tous les trois bourrés sur le bateau trois heures plus tard.

Dans la journée du lendemain, mouillage dans une crique à Moni, à couple du bateau de Mihailis, qui fait 8,50 mètres, je les sens trop « cul », quand ils viennent sur Lyster partouzer, ça me gonfle, je le montre, ils arrêtent. Costa me demande ce qu' il y a, je dis simplement que ça me plaît pas. Il en déduit que je dois être très sensible.

Ils partent vers le Pirée, nous partons aussi, sous spi, eux avec le foc, nous longeons Salamine qui sonne si fort dans ma tête comme la grande île de I'Antiquité grecque. Une bonne vingtaine de navires de charge peuplent la baie du Pirée, l'eau n'est pas très propre mais la ville est peu brumeuse. Nous choisissons Microlimano pour amarrer le Lyster en bout de digue à couple d'un bateau, la place est gratuite. à Marina Zea, elle aurait été payante comme nous ont prévenu nos copains grecs. Microlimano a pour autre nom Turkolimano soit petit port ou port turc et nous allons passer la semaine là. Gilles va régler notre amarrage au port avec les autorités qui lui proposent d’établir un commerce. Mihailis nous propose lui aussi de transporter des vêtements indiens en bateau depuis la France pour fournir son magasin. Je constate qu'il n'existe pas de supermarchés, je saurai plus tard qu'une des raisons est que l'usage des chèques est peu développé. La Grèce en tout cas n'en est pas moins un pays de commerçants. Un soir Mihailis vient avec trois copines, il veut me guérir de ma maladie amoureuse. Cela pourrait marcher, la plus jolie des trois, brune en robe courte jaune, descend profitant de ce que je suis dans Ia cabine et me roule un patain. C'est bon mais elles s’arrête là. Nous partons ensuite dans un bar sur la corniche après Marina Zea où se réunissent Mihailis et ses potes. On passe la soirée avec un vendeur de Pernod Ricard qui nous fait goûter son pastis nous expliquant que Pernod est réservé aux marchés étrangers.

La semaine tire à sa fin, j'ai visité Athènes, Omonia, Ia station de métro centrale depuis le Pirée, le marché de Plaka avec l'or et les souvenirs au pied de l'Acropole dans laquelle je ne suis pas rentré. Je n'y ressentais absolument pas I'Antiquité comme en longeant les îles, plongeant dans I'eau par temps calme pour rattraper les assiettes avec lesquelles nous venions de terminer de manger. Je ne voyais que des touristes du monde entier bien réels et bien imprégnés de leur monde industrieux et photographique. En revanche j'ai repéré à Plaka, une agence de voyage reliant Milan en bus pour 500 FF  Robert est arrivé avec une copine, Barbara, il attend des amis de Lyon, un couple, le Lyster va partir pour Zea sans Gilles qui reste avec Georgia au Pirée jusqu'à ce que je prenne le ferry à Tinos pour partir le 22 luin. À Zea, le site est magnifique, nous grimpons dans le village sur la colline prendre un ouzo, je redescend en courant mais avec mes chaussures, me préparant ainsi à faire mes jogging, mais pieds nus dans les Chasseurs Alpins.

En allant sur Tinos, nous croisons un navire de guerre grec qui nous commande de passer au nord de l'Île, nous obligeant à faire demi tour et finalement après les avoir tous embrassés, Gilles est Ià, j'attend que l'on veuille enlever la passerelle pour embarqueans le ferry. Je passe la nuit à Microlimano dans le cockpit du bateau duquel nous étions à couple et je suis au car à neuf heures. Le car va mettre 50 heures pour arriver à Milan, stazione Garibaldi, et j'ai changé cinq fois de place, chaque fois à côté d'une fille différente. Il n'y a que des voyageurs jeunes, tous anglophones, nous ne sommes que deux Français, il y a six Grecs, dont un vit aux USA, des Néo Zélandais, une Anglaise, des Américains. La population dans laquelle je me sens bien. Mais j'en ai assez de voyager, je veux me poser. Arrivé en train à Toulon depuis Milan, je ne songe qu'à retrouver Véronique.

Fin juin, ce sont des fêtes et des voyages dans le Massif Central et encore en bateau dans les îles d’Hyères qui clôturent 16 mois de voyages où j'ai fait 40 000 kms dans ma voiture, 10 000 en bus, 1000 en stop, 1000 en train 4000 milles en bateau, sans compter la marche à pied permanente et le discours incessant dans ma tête où se heurtaient le bon sens, le bien né et le vécu, j'ai dépensé 25 000FF.


Chambéry 3 août 1983 au 27 juillet 1984

J'arrive pieds nus à Chambéry le 3 août 1983. Parti de Toulon avec ma convocation à Barby au 13 ème bataillon de Chasseurs Alpins mais je me sens déjà en prison.  22H39 à Toulon, réveillé à 5H15  à Chambéry mais sorti de la gare, j’évite le camion qui attend les appelés et préfère continuer à agir comme un voyageur. Je ne suis pas revenu à Chambéry depuis mon enfance. Mais je ne suis pas en terre inconnue, c'est à Chignin les Marches au hameau de Tormery que mon grand père maternel est né et à Chambéry que ses quatre enfants sont nés. Aimant Ia montagne, je pense du bien de la ville mais je dois habituer ma vie de nomade à celle de l’appelé. Je sais que j'y arriverai si je le dois.

Il pleut légèrement, je pars à pied, je parcours la ville errant comme j'errais dans Bogotá à la recherche d’opportunités économiques, je passe dans le centre ville, la banque de Savoie. Je suis capable de repérer les Quatre sans cul, le monument de quatre éléphants dont on ne voit que la trompe. Je passe ensuite prés de la place de l'Horloge où un pub annonce 80 marques de bière, ce qui m'enchante. Je trouve un plan de la ville sur un abribus et je sais que Barby est au nord, me repérant malgré le mauvais temps, je passe à la Ravoire où je sais avoir de la famille. Le lieu m'est familier. Puis je continue vers Challes les Eaux où le calme me séduit, de grands arbres, des prés, une moyenne montagne. à le Ravoire, je vois une fabrique de pâtes mais je ne trouve pas suffisamment de raisons économiques dans la région. Sorti de Challes vers l'ouest, je longe les grilles de la caserne, je comprends mieux la région et je parcours les grilles desquelles je ferai bon nombre de footings. Mes chaussures me font mal, je n'ai quasiment pas mis de chaussures pendant 16 mois, je les enlève quand je présente ma convocation, on me laisse quand même rentrer.

Mon objectif avoué est de me faire réformer, je n'ai pas dormi pendant les deux nuits dernières, je suis pieds nus, je n'ai plus faim mais je ne sais pas quoi faire de ma vie. Je songe à Leonia avec qui j'aurais pu vivre à Melbourne mais aurais été interdit de séjour en France car considéré comme déserteur. Tous les autres sont arrivés avec des têtes vraiment tristes. Je suis abruti par ces grilles que j'ai longées et personne ne parle. On nous donne un paquetage et on nous fait enfiler des survêtements bleus, nous sommes des « bleus bites ». Cheveux coupés, photo d’identité, puis le self service où je préfère rester à l’extérieur. Je ne mangerai pas pendant sept jours, sans même avoir faim. C'est une grève de la faim. Dans nos chambres par 6, très propres, nous restons tous sur nos lits à attendre que cela se passe.



Le troisième jour de l'incorporation arrive, il fait beau, on nous demande de courir 12 minutes. Nous sommes un groupe d'une trentaine. En short, T shirt et chaussures de sport, nous faisons le tour de la piste d’athlétisme. J'ai le ventre vide et I'esprit serré. Je sens le besoin de courir en laissant chaussures et Tshirt et ne gardant que le short, je fais le meilleur temps sans forcer 3.300 mètres. Je me sentais bien, libre, oubliant le carcan que l'on nous impose.

Sur ce coup là, j'ai tout raté, les officiers et les sous officiers en parlent, je ne suis pas une mauvaise recrue. On m'interroge sur mon passé. J'explique mon voyage, je deviens populaire. Je réaliserai plus tard que je rate une autre façon de me faire réformer, ne pas supporter les rangers. Le quatrième et le cinquième jour, elles ne me font pas mal. Le sixième jour, je me suis fait des copains. Je me sens retourner à I'école de garçons que tout compte fait j’appréciais. Le septième jour je vais manger. Le service militaire va m'occuper et me donner du temps de réfléchir à mon avenir loin de Toulon. Je m'y ferai. Le voyage que je vais effectuer consiste à évoluer dans le monde des adultes actifs, ponctué de voyages en train. Mes objectifs personnels sont : parler arabe couramment et trouver une activité quotidienne au bout d'un an. Je fais la demande une fois arrivé dans la compagnie où je suis affecté au capitaine, d’avoir une salle où je pourrai m'isoler pour apprendre l'arabe. Il me l'accorde sans réticence aucune. Je ne sais pas s'il avait bien compris le but de ma requête mais il sentait que j'y tenais. Je renonce d’ailleurs à poursuivre au bout d'un mois mais j'ai acquis l'alphabet.

Les voyages Toulon-Chambéry toutes les deux semaines l7Hl5/22H42 et 22H39/05Hl5 sont mes seuls déplacements réguliers jusqu'à Noël  à Toulon pendant les permissions, je retrouve ma voiture, Véronique, ma famille, mes amis et un certain confort dû à la régularité de mes occupations. Au mois de janvier, je décide que Véronique et moi passerons un week-end à Paris pour le salon nautique. La semaine fut difficile, j'ai passé deux jours couchés, mon mental n'ayant pas eu le courage de se lever pour suivre les activités militaires. Connaissant mon passé sans doute, on me laisse tranquille, considérant que je suis différent bien que n'ayant aucun handicap physique, en tout cas, c'est ce que je me dis. Le jeudi, je suis parti à Albertville pour l'enterrement d'un grand oncle, prêtre et Assomptionniste, où je rencontre les membres de ma famille savoyarde, ce qui me remonte le moral. Et le vendredi, je ne redescends pas en train à Toulon, mais je vais directement à Paris avec trois copains de ma section avec qui je n'avais pas encore eu le temps de voyager. La porte du TGV Chambéry-Paris s'ouvre et Véronique m'attend, le samedi, nous nous disputons dans Paris, comme dans chaque voyage que nous faisons.  Cette fille n'est vraiment pas faite pour moi ! Mais le souvenir des six mois passés ensemble dans nos 19ème et 18ème année, éperdument amoureux et heureux, me raccroche à elle, la séparation due à la traversée de l'Atlantique a tout de même vu notre relation continuer. Nous continuons à laisser la vie de l'un entacher celle de l'autre. La voie royale que je me suis fixée d'un amour, une vie, me paraît un challenge intéressant même s'il est plein de complications qui me paraissent normales.

Le lundi, nous voyons Gilles avec qui nous partons au salon nautique et la vocation de l'entreprise de la mer prend naissance ce jour. Au stand Cegemer, je demande les possibilités de financement d'un First 456 qui vaut un million de francs. On me répond sur 12 ans 14.000 francs par mois sans apport initial. Je me mets donc ce jour à étudier les possibilités de remboursement en créant une activité sur le bateau, moi et Véronique en tant qu’équipage. Le bateau me plaît, la vie de voyage aussi. Je suis parti du postulat que l'on me donnerait cet argent si j'en prouvais le remboursement sur une présentation de rentabilisation de l'outil. Je rentre illuminé d'une foi nouvelle à Chambéry pour arriver fin juillet et savoir ce que je deviendrai. J'ai cependant l'envie de naviguer ou de faire naviguer qui ne vont pas de pair pour mon confort personnel d'image et le conflit dure encore en.moi. Partir ou faire partir ? Faire partir est un exutoire de partir mais il me convient, s'il y a une compensation financière.

Au mois de juin, je bénéficie de 2000kms de train gratuit, je décide de les utiliser pour partir découvrir la Normandie et la Bretagne nord pour me rendre compte de l’état du marché du bateau en Atlantique en comparaison avec la Méditerranée. Arrivé à paris, je me dirige vers la gare Montparnasse, le train a pour terminus Deauville, c'est mon premier voyage dans cette région et j'assimile tout de suite Deauville à Cannes, des villes de villégiature riches. Je suis toujours à l'affût des connaissances des marchés. Un an plus tard, j'analyserai la création de mon entreprise comme la création de marchés. Reconnaître un marché, c'est savoir identifier des actifs inutilisés, des acteurs détenteurs d'un savoir faire et des individus désireux de profiter de ce savoir faire. En I'occurrence pour Cap de bleu, que je nomme tel quel, c'est parce que c'est ma couleur préférée comme les multiples bleus de la mer, suite à la lecture d'un livre d'aventures maritimes dans l'Atlantique dont le titre est « Prisonniers de l'horizon » et après avoir vu un bateau sur le port d'Hyères s'appelant cap de vert alors que j’hésitai à appeler l'entreprise cap bleu qui phonétiquement sonnait trop comme câble qui n'a rien à voir avec électricité ni le téléphone même si ce dernier est fort utilisé dans Cap de bleu.

De Deauville, je pars en stop vers Granville qui marche facilement, il fait beau et les routes sont calmes contrairement à l’épaisseur chaude du Venezuela. Je transporte mon sac équatorien sur l’épaule. À Granville, j'admire la falaise, la plage et le port où je constate que les bateaux sont légèrement plus grands qu'en Méditerranée, mais le port n'est pas aussi grand que ce que je l'imaginais. Ma nuit d'hôtel à 50FF me réjouit devant encore une fois un hôtelier qui à l'air étonné de me voir, je ne sais pas si mon impression est celle d'un paranoïaque ou non mais j'ai tendance à accorder une importance à mon passage sur tel ou tel site. Je pense être un catalyseur d’événements et plus encore de destins bouleversés par mon inconscience. Mon intégrité me parait être celle d'un simple d'esprit avec la :franchise d'un enfant qui traverse « son » monde avec l’honnêteté intellectuelle et la bienveillance d'un saint.

Au matin, je repars en stop avec pour but en fin de journée Tinchebray où j'avais un copain dégagé des obligations militaires depuis trois semaines que j’appréciai pour son attitude généralement désintéressé de la réussite sociale dont le père est dirigeant d'une entreprise de menuiserie. Nous sommes tous les deux des fils d'entreprise familiale. Je ne fais que traverser Caen et arrive en fin de journée chez Marc Henri qui me confie avoir pensé à moi sur les routes aujourd'hui avec mon grand sac. L'ambiance familiale est calme, la maison est grande et ancienne. L'usine est attenante au parc de la maison. La pelouse du parc  que Marc Henri tondait à mon arrivée complète la quiétude du site au début de l'été en Normandie. Un Américain du Colorado séjourne dans la maison en tant que jeune étudiant apprenant le français, il parle de son père qui vient d'avoir 50 ans et se sent plus jeune que jamais continuant à jouer au tennis et à battre ses adversaires. Le repas en compagnie de toute la famille tourne autour de mon voyage l’année dernière. Le lendemain Marc Henri m'explique que l'entreprise familiale va mal, deux gros clients sous traitent maintenant leur fabrication en Corée, que ses parents sont autant sa mère que son père impliqués dans la direction des affaires et que j'aurai dû parlé de l'entreprise de mon père.

Marc Henri en me voyant arriver la veille pensait me suivre dans mes pérégrinations jusqu’à Chausey, qu'il connaît et apprécie, mais il me laisse sur le bord de la route à la sortie du village en me souhaitant bonne chance car son destin n'est pas encore celui d'un voyageur. J’achète un paquet de chocolats pour qu'il l'offre à sa mère de ma part. Je continue mon itinéraire vers le retour, Flers, Paris, Toulon. À Paris, je passe voir Gilles que je trouve avec Cathy, sa « copine ». Ils vivent dans une chambre de bonne. Ils ne vont pas bien, défoncés sans doute, je mange de bon appétit une grande quantité de riz après mon voyage de quatre jours où le seul repas avait été le gratin dauphinois chez Marc Henri. Je parle à Gilles de l’évolution de projet d'achat de bateau pour le rentabiliser mais ça ne l’intéresse pas tellement.

Le lendemain, je fais le tour des agences de voyages spécialisés bateau, Atlantis, Europ Yachting en essayant de comprendre le fonctionnement de telles agences, je propose à Atlantis de lui apporter des bateaux qu'il louera et m'utilisera comme skipper, Europ Yachting a tracé des itinéraires sur des sites. J'apprends surtout qu'il n'est pas nécessaire d'avoir un bureau à Paris pour rentabiliser un bateau en croisière ou en location ni sur la côte près d'un port puisque ces agences gagnent leurs clients par des annonces et des publicités dans les journaux et revues nautiques. Je décide alors de trouver une autre commercialisation que les revues.

Ce mois de juin est la fin du service militaire à Chambéry, de mon année d'attente pour démarrer une vie que je vais embrasser à fond. Au début du mois, je faisais la Porquerolle's Cup sur le Nina avec Max où nous arrivions premier sur l'option de l’île vers l'Est au départ et que nous faisions sous spi au sud de l’île. Je me sens devenir un professionnel de la mer avec les connaissances de base minimales du marché et l’expérience d'un navigateur. De plus je me sens stabilisé avec ma famille et Véronique. Je rentre le 27 juillet à Toulon dans la maison de mes parents. J'ai à la sortie des grilles du quartier l'impression qu'un couvercle s'ouvre dans ma tête pour laisser laisser cours à l’activité de mon cerveau.


Mallorca 25 décembre 1984 au 31 décembre 1984

Bel et bien sorti de la coupe de cheveux du chasseur alpin, je me retrouve libre, sûr de mes projets et je me lance dans l'aventure de la création d'entreprise avec 1200FF d'allocation chômage mensuel. Je navigue entre l'échec et la réussite à partir de cette époque. L’échec étant comme une épée de Damocles perpétuellement accrochée sur mon avenir, la réussite je ne la devrai qu'à force de persuasion et d'aptitude à agir quel que soit le sentiment qui envahit mon esprit de doute, craintes ou appréhension. Les actions que je mène vis à vis de l'administration commerciale, fiscale, juridique ou sociale sont le seul fruit de connaître ce que ne connaît pas le sens commun contre lequel je dois me battre puisqu'il ne coïncide pas avec les informations et solutions que je parviens à trouver.

Le fait de créer une entreprise sans argent, de domicilier le siège social dans mon appartement, avoir une flotte de bateaux qui ne m'appartient pas mais dont je suis seulement gestionnaire, déroute mes interlocuteurs familiaux, amicaux et locaux. Je me sens toujours plus seul tous les jours dans mon combat pour arriver à gagner quelques clients qui  me semblent nombreux en termes de marché.

Avoir vingt trois ans et créer ma propre entreprise dans un milieu où les salaires sont élevés et gagner naturellement par la distinction sociale dont je me suis senti exclu par mon échec étudiant, est un challenge personnel et non pas dans le mouvement de mode. Cependant ma nature me pousse à me faire violence tous les matins pour rendre ou téléphoner à l'un ou l'autre afin d'obtenir les réponses aux problèmes que je me pose. Chaque interlocuteur suffisamment à l'écoute de mon discours me donne une réponse partielle du problème. Quelques jours avant Noël, Jean Luc que je vois tous les jours qui veut traverser l’Atlantique cette année, cherche des bateaux et a une proposition d'embarquement entre le 25 décembre et le premier janvier, il m'appelle ainsi que Thierry pour partir avec lui à Mallorca et ramener un bateau de 11 mètres sur Toulon. C'est un sistership du Prétorien, du chantier Wauquiez de Lille.



Donc, le jour de Noël, nous partons à 11 heures en train vers Barcelone, nous retrouvons Thierry qui vient de Nice et nous sommes partis à l'aventure. Nous dormons dans l’aéroport pour attendre le vol du matin sur Mallorca, comme il y a deux ans, de superbes filles blondes embarquent dans l'avion. Je saisis alors que faire du bateau passe par un vol qui permet de se sentir ailleurs. il y a du soleil au dessus des nuages mais en descendant sur Palma, il pleut. Nous trouvons bien le Max au Real Club Nautico de Palma mais pas son propriétaire. Gênant, nous déposons nos sacs au salon du restaurant, lequel restera gravé dans ma mémoire comme un des objectifs de Cap de Bleu, la promotion de clubs nautiques identiques à celui de Palma. J'en rêverai notamment deux ans plus tard. En attendant, je suis bien réaliste et nous n'avons que peu d'argent pour payer l'hôtel, le club nous accepte pour dormir dans le salon. Merci !

Le lendemain matin, il arrive avec un jeune de notre age, nous invite au restaurant à midi, il ne cesse de prendre la météo, il a raison, on annonce force 10 sur le golfe du Lion. il nous apprend que le moteur est en panne, ça va pas être facile.           

Nous partons, mer calme, arrivons à Puerto Andratx, où je suis obligé de plonger sans combinaison pour libérer une chaîne sous la quille dans la manœuvre de mouillage. Ça commence mal ! Nous repartons à la tombée de la nuit, le vent se lève, nous prenons deux ris, la grand voile se déchire, il ne nous reste que le foc 1, il m'envoie à l'avant endrayer le foc 2, il vire de bord et je me rattrape in extremis au bastingage. Là, je crois enfin qu'il faut arrêter les conneries, Jean Luc vient de gerber sur « ses écoutes» de foc, Thierry a bouché l'évier, donc je lui fais obtempérer demi tour vers Puerto Soller qui est un formidable abri protégé par des falaises à l’entrée, je respire une fois notre ancre mouillée. Au matin Jean Luc, Thierry et moi allons boire un café au village et Jean Luc prend la décision pour nous, nous rentrons en avion, dehors le vent souffle à 50 nœuds. Nous prenons nos affaires sous l’étonnement du propriétaire, un bus nous emmène à Palma. Et c'est ainsi que se termina 1984 avec une aventure maritime aux Baléares et un réveillon à Toulon bien au chaud.


Voyage du froid 2 août 1986 au 15 février 1987

J'avance dans la création mais un jour de printemps alors que l'entreprise existe depuis un an et que mon aptitude à me battre contre le sens commun pour préserver le petit monde que j'ai créé entre quelques bateaux, un numéro de téléphone, quelques copains, je décide de stopper le combat. J'ai ]'impression d'avoir trop donné de moi même pour ce qui ne me satisfait pas complètement et fort d'une bonne année de travail, je décide de voir plus grand et plus proche de moi. La compagnie d'organisation de croisières sur voilier dont l'objet est : location de voiliers avec skipper ne comble ni mon existence, ni mon entourage conjugal, familial et amical. La passion que je mettais, rage comprise, est un échec et je ferme le robinet d'argent que représentait Cap de bleu à Véronique.

Au mois de juin, il y a une naissance dans ma famille, je sais que je ne veux pas avoir d'enfants avec Véronique et le 2 août, six ans et demi jour pour jour après le premier baiser, nous nous séparons, je lui ai rendu la vie impossible, elle veut partir. Je peux dire alors que je sombre dans la folie, aucune survie n'étant recherchée par moi même, c'est la destruction à petit feu. Je suis devenu schizophrène actif, la réalité de la survie ne comptant plus, seules mes pulsions intellectuelles comptent, mon cerveau ne cesse de travailler et Ia phase d'euphorie de liberté conjugale me permet de voir toujours plus grand.

Le voyage que je vais effectuer sera aussi désastreux que la campagne de Russie pour Napoléon. L'hiver va éprouver mes résistances physiques dans le froid, la faim, la soif, le manque de sommeil. Je dérègle tous mes rythmes biologiques et mon objectif devient sortir de la spirale de l'argent gagné et dépensé. Je cherche à vivre avec un pécule qui me remettra sur le chemin de la conquête de l'argent par les moyens de Cap de bleu, entreprise de location de voiliers avec skipper. Je cherche également à supprimer les relations sexuelles dans lesquelles Éros (plaisir) et Thanatos (mort) sont étroitement liés. L'instinct de mort contenu dans l'amour et le sommeil à mon sens est à éviter dans ma recherche spirituelle, intellectuelle, de la création du grand Cap de bleu ou plutôt le monde de Cap de bleu, issu de la mer que je vois beau devant l’Éternel.

Le 31 octobre, ayant pris l'habitude de marcher quatre à cinq heures par jour afin de faire progresser ma démarche pour la construction de ce monde, je me retrouve contraint à déménager de l'appartement de la rupture avec Véronique. Je vend mon répondeur téléphonique, je rend le Macintosh à mon père, je jette la plupart des documents de Cap de bleu, je vend les étagères, cela fait déjà deux mois que je dors par terre cherchant toujours un endroit où me réfugier pour trouver le calme dans mon cerveau qui vit une tempête. Je guette les allées et venues d'une femme médecin qui me plaît mais je vois en elle à la fois allègement de mes souffrances et la femme qui me torturera. Ma misogynie est complète mais je recherche à tout prix Ia présence de « la » femme. Véronique, bien que m'aimant a préféré me laisser seul dans la conquête de la folie, il valait mieux pour elle, je ne l'aimais pas pour ce qu'elle était. Je me retrouve donc le premier novembre sur le Lyster, le voilier que m'avait confié Robert depuis deux ans et je l’équipe de la chaîne hi-fi et de mes disques ne comptant pas partir en mer avec, mais seulement loger dessus pour  trouver le répit. Le Lyster est sur le port d'Hyères à 20 kms de Toulon. Vont alors commencer pendant un peu plus de deux mois, des allées et venues quotidiennes entre Hyères et Toulon. Mes sempiternelles obsessions étant de m'être arraché de l'appartement où je vivais avec Véronique depuis deux ans, mon ex-voisine médecin, Cap de bleu par le biais du Macintosh que j'utilise la nuit dans les bureaux de la société de mon père où je trouve un peu de chaleur.

Sur cet ordinateur, je construis un réseau, une organisation pour permettre de voir le jour à un système de croisières ou d’expéditions avec des voiliers dont je ne sais s'ils doivent être rassemblés par moi même ou par un investisseur potentiel, avec des skippers ou des équipiers dont je ne sais comment les mettre en contact, j'écris et modifie chaque jour un règlement du club de Cap de bleu que j'appelle consortium, inspiré par les consortiums décrits dans la « Condition humaine » de Malraux à Shanghai. J’évalue le nombre de clubs à 400 puis à 10 000, un tous les 10 kms de côté, les côtes de Ia Chine apparaissent toujours dans ma tête parce que j'évalue leur importance également par rapport à la densité de population. Dans mon consortium, je cherche à faire circuler les individus par auto-start, un système qui permet de faire des rencontres grâce aux voitures, les conducteurs emmenant des auto-starters par le seul fait de demander aux intersections la possibilité d’être emmené sur un chemin commun. Mais toutes ces inventions n'ont pas de prise sur Ia réalité toulonnaise ou française puisqu’elles ne sont partagées que par moi même. Je n'en reçois à leur explication à autrui que des incompréhensions qui me font mal. L'objectif de la création du consortium de Cap de bleu a finalement un double objectif : développement et communication.

La communication grâce aux bateaux et aux voitures, moyens de déplacement dans lesquels on est contraint de communiquer ou de vivre ensemble sans pour autant être de la même famille ou du même milieu social, tout au moins partager un bout de chemin ensemble qui force à l’échange verbal. Le développement, basé sur le constat que si l'on veut naviguer dans des endroits au soleil, où les conditions sont bonnes à peu près toute l'année tant en ce qui concerne la température de l'eau baignable ou le vent pour avancer sans chavirer ou autres dégâts, sont dans le tiers monde, le Sud, et ceux qui ont les moyens de naviguer sont dans les pays industriels. De plus le bateau est un moyen de découvrir des pays par la mer et de bénéficier d'un regard, le sien et celui des autres sur soi-même, autre que celui du touriste de passage. Le regard neuf que propose le système sur le monde donne une finalité autre que celle de la navigation à la voile pour la voile. Cela est un esprit pionnier qui donne l'élan de la mer vers une autre terre. Cette recherche de l'idéologie de Cap de bleu, je l'ai effectuée de jour comme de nuit, en marchant des heures durant.

Début janvier, je n'ai plus de voiture, pas de vélo non plus et j'effectue neuf heures de marche sous un doux soleil d'hiver entre Hyères et Toulon, imaginant que je pourrais être en Inde, à parcourir le pays en quête de moi même comme Apu dans le film de Satyajit Ray : « le monde d'Apu ». Je rencontre sur le chemin un chien, un berger allemand qui perdu comme moi me suivra pendant deux jours. Je l’amène finalement au chenil de Toulon. La marche à pied pendant l'hiver me stimule, toujours vêtu d'un T shirt et d'un pull, quoi qu'il arrive pour la progression de mes idées. Je ne me rend pas compte alors de l’émoi que je crée dans la famille qui me voit errer. Je rencontre de temps à autre un copain, un membre de la famille, mais mes propos n'engagent pas à poursuivre la conversation. Un copain qui vit à Berlin m'en dit du bien, je suis prêt à partir là bas, il en est surpris. Une de mes tantes que je croise me demande comment je vais, je lui dis qu'il faut souffrir pour vivre bien, elle me rétorque au contraire que ma cousine qui vient d'accoucher a tout fait pour que son accouchement se fasse sans douleur.

Un soir où je suis avec mon père en voiture, nous parlons de sécurité au volant, je lui dis que cela n'a  pas d'importance, il me rétorque le contraire. En fait je me suis aperçu que ce monde dans lequel nous vivons a exclu le risque mais qu'il a exclu les pulsions basiques de l'homme. Être homme n'est qu'un statut social dans une société qui prend en charge cet homme, économique avant tout.

La création de Cap de bleu m'a fait prendre conscience de l'illusion que la plupart ont de la vie sociale, non confrontés aux éléments, à la misère qui règne sur les trois quarts de la planète dont on se dit protégés par les frontières que cela ne nous concerne pas. Bullshit ! Seuls règnent l'argent et le sexe, excluant l'amour, la solidarité pour préserver des bien être matériels acquis pour un grand nombre par le travail. Mais ce travail élastique et l’idée qui a conçu cette société n'a plus de travail à donner à tous et le travail s'est réduit comme une peau de chagrin. Il est nécessaire de créer une idée avec des projets, des travaux, des valeurs pour une génération qui veut voir vivre ses enfants et sa planète. Cette idée, je la propose dans Cap de bleu.

Dans ma démarche de suppression de l'argent, que je vis dans mes entrailles, je veux créer un nouveau monde passant par la création d'une nouvelle entreprise. Je n'imagine pas non plus que ma femme ne soit une autre qu'une « première femme » d'un nouveau monde, qu'elle soit héritière ou non, je veux qu'elle puisse compter sur moi et non pas moi sur elle comme je l'avais un peu fait avec Véronique. Un matin sur le bateau, il fait très froid et la cabine n'a plus de visibilité, il y a de la neige sur le panneau. Heureusement, j'ai deux sacs de couchage. La veille, j’étais sorti en mer avec un copain et un vent de 50-60 nœuds s’était levé sur la rade de Hyères, des pluies d'eau de mer soulevées par le vent s'abattaient sur le bateau, nous avions réussi à rentrer au port.

Ce matin, j'ai la Renault 4 de ma mère, je lui ramène et je commence à songer à partir du bateau vers les Deux Alpes par le train Vintimille-Genève de 22H39 de Toulon où Gilles et Cathy habitent et m'ont présenté une jolie Maman célibataire le premier janvier. J’étais alors parti en voiture manquant me tuer dans pas mal de virages de montagne, ou ensuite sur les pistes par un temps couvert avec de la neige, fondue dans les basses altitudes. Souvent mon contact avec la neige dans les chutes me donne le goût de la réalité que j'ai perdu dans mon désir d'aller toujours plus loin dans la recherche de l'avenir que je trouve seulement spirituellement. Robert vient me voir pour me dire qu'il vend le Lyster et qu'il va acheter un autre bateau, le bateau est sale, il m'engueule à raison et je quitte donc le Lyster pour venir chez mes parents ne sachant plus où aller.

Deux jours plus tard, je suis en train de scier du bois comme un forcené après une discussion avec ma mère et un médecin vient me demander comment cela va. Je ne comprend pas, j’arrête le bois. Le samedi après midi, je vais en ville et suis obligé d'enlever mes chaussures car je me tord les pieds à chaque pas bien involontairement, je me sens libre pieds nus, ça va mieux. Mon père me propose d'aller au cinéma voir Crocodile Dundee, j'apprécie beaucoup le film pour le contraste entre la simplicité forte du héros dans le monde emprunté du travail de New York. Mon père me dit que je serai bien le Crocodile Dundee toulonnais. Le soir, je ne peux m'endormir ailleurs que dans le jardin avec des étirements terribles dans les membres et des hallucinations.

Lundi après midi, je suis fou de rage et m'engueule avec mes parents, un autre médecin vient me voir, je fais mon sac rapidement et je file vers la ville pour prendre le train. Je vois une camionnette de pompiers arriver. Le médecin me rejoint en voiture et me dit que les pompiers sont pour moi. Mes parents devaient être très inquiets et complètement désemparés, j'avais passé plusieurs nuits dans le salon à regarder la TV et à boire du café en m'en allant le matin pour dormir sur le bateau.



Voyage d'hiver en train (InterRail) à travers l'Europe, plus de 10 000 kms

Toulon--->Grenoble et les Deux-Alpes--->Chambéry--->Milan--->Trieste--->Belgrade--->Sarajevo--->Thessalonique-->
Athènes--->Patras--->Brindisi--->Milan--->Vérone--->Wien--->Hambourg--->Frederikshaven--->Göteborg-->Stockholm--->
Turku--->Helsinki--->Copenhague (Kobenhaven)--->Utrecht--->Amsterdam--->Milan--->Toulon--->Genève--->Toulon


Le médecin me laisse dans une rue et je rejoins le port à pied avec mon grand sac équatorien. J'attends le soir 22H39, je suis soulagé de partir. Il fait froid dehors, mais je suis en voyage avec 4000FF qui me restent. Les quatre mois précédents, j'ai dépensé tout l'argent dans l'essence entre Toulon et Hyères. Maintenant, je suis à pied, je prend le train mais pas le bus en ville, je veux pouvoir errer dans d'autres villes. En quittant Toulon, je prend un billet pour Grenoble où j'arrive à 4H05, il fait un froid de canard, chargé de mon sac, je sors de la gare pour trouver un endroit plus chaud, un bar est ouvert à 15 minutes de marche, une dizaine de personnes y finissent leur soirée, ils se marrent, moi je suis seul et j'attends 8H30 quand le car du VFD m’emmènera aux Deux Alpes.

L' attente est longue, la nuit est noire, quand à 6 heures, je ressors du bar, je vais au café de la gare où un juke box de vidéoclips est installé. L'image et le son ont pour moi un effet lénifiant, je me sens branché sur la même longueur d'onde, la stimulation de l'imagination procurée par le rock associé à l'image est doublée. Mon cerveau se met à courir sur mes sujets favoris, Cap de bleu et une femme que je n'atteindrai jamais.

A 8H30, le bus part, le soleil se découvre de temps à autre des nuages, de jeunes Grenoblois partent skier, moi, je ne sais pas où je pars. Gilles et Cathy sont là, ils travaillent, je n'ai pas ma place là bas. Je redescend à Grenoble après avoir demandé dans une agence de voyages des Deux Alpes quel était le prix d'un billet Inter Rail pour voyager en Europe en train, 1450FF avec les liaisons en bateau comprises entre la Grèce et l'Italie, la Scandinavie, toutes les liaisons ferroviaires gratuites sauf 50% du prix dans le pays d'achat du billet, et cela valable un mois.

C'est l'hiver, il n'y aura personne dans les trains, seuls quelques voyageurs isolés et aventuriers. Je reprends le train pour Chambéry où je vais passer la nuit chez une cousine de ma mère, Mado et Fabien son deuxième fils sont là, je me sens bien, j'ai l'impression d’être écouté et compris par quelqu'un qui se donne vraiment du mal dans son métier d'institutrice. Je ne supporte pas en fait que l'on ne se donne pas autant de mal que ce que je m'en donne moi pour faire ce que j'ai à faire. Comment se fait il que j'ai besoin de me martyriser à ce point ? Peut être parce que je crois trop à ce que je m'invente.

Le lendemain, nous partons chercher Laurent, son fils ainé et ses copains à la Plagne, je me sens reposé après la bonne nuit passée sur le lit superposé dans la couette chaude, après un gratin de Lasagnes. Nous arrivons un peu après midi et Laurent qui ne veut pas faire de ski me prête skis et chaussures. Je dévale les pentes à une vitesse imprudente et je chute pour avoir à nouveau un contact plus vrai avec la réalité. À la fin de la journée, nous redescendons avec Laurent et ses copains dans le break Sierra. Je parle de mes clubs nautiques, cela intéresse un copain de Laurent qui veut faire HEC et des affaires ensuite, je me rend compte que tous ne comprennent pas.

Mado me raccompagne à la gare, il y a un train qui part pour Turin, je le prend. à la frontière italienne, on contrôle mon identité, mon passeport français bleu que j'avais en Amérique du Sud m'ouvre la frontière, il a encore six mois de validité. Un Autrichien de 20 ans, Peter partage le compartiment avec moi, puis une jeune italienne de 24 ans, elle me plaît et elle est seule, comme moi. Elle me propose de m'arrêter à Turin, me sentant libre comme l'air, je continue quand même. Ce voyage européen est la période où j'aurais raté le plus grand nombre d'occasions de m' arrêter et de me poser avec une étrangère. Ce qui est en soit le but que je me suis fixé avec les femmes, une étrangère ailleurs.

A Milan, je ne m'arrête pas, je veux aller jusqu' à Athènes, une ville où le coût de la vie est bas, la bière bonne et peu coûteuse et où beaucoup de jeunes Américaines, Australiennes, séjournent toute l’année. À Trieste, je vais m'offrir un cappuccino et je me promène dans les jolis quartiers résidentiels de la ville, je m'imagine y vivre. Dans le compartiment qui m’emmène de Trieste à Belgrade, je suis avec deux vieux Turcs dont un travaillait aux chantiers navals de la Seyne sur mer, je suis en pays de connaissance mais il ne comprend rien à ce que je lui raconte. Je décris à peine ma vie, le fait que je ne sais plus où habiter, je lui demande comment compter en turc, il a du mal à m'expliquer. Il partage avec moi son pique nique. Un jeune Turc s'assied dans notre compartiment. Il revient d'Allemagne où il n'a pas réussi à s'installer. La migration est le sujet principal de la conversation. À Belgrade, je les laisse même si je prend le même train, nous n'avons pas la même manière d'aborder le même sujet.

Je sors de la gare où le trafic est important, les Serbes sont grands, c'est l’hiver, beaucoup se promènent avec des skis. Je change quelques francs contre quelques dinars pour manger un bout. À minuit un train part pour Thessalonique, la grande ville du nord de la Grèce, je le prend et je songe tout de suite à dormir, le train est bondé de Serbes, de Croates, de Bosniaques musulmans ou serbes, je m'installe dans le couloir de tout mon long dans mon sac mais on me file des coups de pied en passant à côté  de moi alors je me lève et m'installe dans un compartiment. En face de moi, un Croate habillé dans un pantalon de cuir, il parle anglais et joue dans un groupe de rock, à côté  de lui, deux Bosniaques musulmans et en face d'eux, un Bosniaque serbe. Une longue discussion commence, on me dit que le pays va mal, qu'il existe de multiples races qui s'entendent et vivent à côté  mais que le système est pourri. Mon voisin d'en face est positif, il considère le pays comme aussi riche qu'un pays de la CEE, en tout cas en ce qui concerne le nombre de voitures et de confort. Le pessimiste est le musulman qui veut me présenter ses sœurs, il dit qu'en famille, c'est la fête. Finalement après Sarajevo, je me retrouve seul avec le Serbe bosniaque qui partage son pique nique avec moi. Les dernières heures, en parcourant la Grèce, il fait beau et doux, je sens de bonnes ondes, j'ai appris quelque chose la nuit passée.

À la sortie de la gare de Thessalonique en milieu d'après midi, je pose mon sac à la consigne et je pars dans la ville parcourir la longue promenade sur la mer en ressassant mes deux sujets favoris : Cap de bleu et « la femme ». En revenant vers la gare, je contemple les « trapeza », banque en grec, je croise une jolie fille sortie d'une revue de mode à un kiosque à journaux, je me demande ce qu'elle fiche là, elle à l'air d'hésiter. Le train pour Athènes part en fin de soirée, je récupère mon sac à la consigne et inscrit de nouveau mon itinéraire Thessalonique Athènes sur mon carnet interrail. La nuit sera calme, je dors dans le couloir, avant de quitter Thessalonique, j'avais dîné d'un hamburger dans un fast food, ravi d'en trouver un en Grèce. Le fast food est le restaurant le moins cher et le plus commode pour une personne seule voyageant à mon sens, depuis 1977 quand j’étais en Nouvelle Angleterre.


Europe du Sud

Milan

Trieste

Belgrade

Sarajevo

Athènes



Vérone


A Athènes, il fait brumeux, je passe à Omonia, le centre et j'y change 100FF, je trouve un logement pour 30FF la nuit mais je ne sais pas si j'y resterai. Je retourne à la gare et voit un train pour Patras à 12 heures, c'est ce que j'ai de mieux à faire et prendre ensuite le ferry pour Brindisi en Italie. Je n'ai que 300FF en liquide depuis l’Italie et pas de moyen d'avoir de ]'argent avec un autre moyen de paiement. Je reste à la gare. Sur le quai, je vois arriver une jolie fille blonde seule, 22-24 ans, taille moyenne avec un grand sac à dos, elle est cool, elle me voit et pose son sac à côté  de moi et fait le tri dans son sac, le mien est à côté  d'elle avec son air de voyageur éternel. Elle sort un paquet de gâteaux dont l’emballage est écrit en allemand, le rêve ! Elle a un beau cul. Nous ne disons rien, nous échangeons seulement des regards. Je me dirai par la suite qu'elle était aussi perdue que moi et qu'elle aurait pu être une femme pour moi en termes de mariage, le coup de foudre, l'alter ego !

Dans le train, je paie un supplément, un jeune rocker grec est assis en face de moi. À Patras, je descend mais il faut payer un supplément de 1200 drachmes pour prendre le ferry, j'ai rencontre 4 jeunes Américains et Américaines avec qui je sympathise tout de suite, un Neo Zélandais, Mark qui a mon age et vient de passer un an en Angleterre et un Californien de 40 ans avec plus de bagages qu'il n'en faut, il souffre. Ne réussissant pas à embarquer, je repars vers la gare, où c'est la zone, on me demande du fric, je me tire, il faut que j'embarque. il commence à pleuvoir, je croise à nouveau la jolie Allemande en train d'enfiler son kway, nous ne nous disons toujours rien, je passe, j'ai raté une femme de ma vie, je n'ai pas d'argent et je ne sais plus comment aborder une fille même pour avoir une simple relation amicale qui peut aller au delà. Je réussis à embarquer à force de persuasion et faisant baisser le prix du supplément de 120FF à 100FF avec le billet qu'il me reste.

Les deux Américaines sont sœurs et vivent à paris, les Américains passent un an à Barcelone, je me sens revenu au temps béni des rencontres entre étudiants lorsque le cosmopolitisme facile est si agréable à vivre quand les parents ont la charge des finances et que la vie est réglée par des examens ou des concours qui excluent certains. Je réussis à dormir, il ne fait pas très chaud, mais ça va. La mer est forte, le bateau arrive en fin de journée à Brindisi. Dés la sortie, les carabinieri inspectent nos sacs avec des bergers allemands, je suis retenu. Ce n'est que l'odeur « sud américaine » de mon sac qui a attiré le chien, la jute tressée avait sans doute l'odeur de la coca des montagnes.

Je pars à pied vers la gare où je retrouve la petite équipe que nous formions sur le ferry. Je reste éveillé jusqu’à Pescara puis je quitte tout le monde pour m'installer dans le couloir dans mon sac de couchage. J'ai besoin de repos comme d'une envie pressante dont je ne peux m'empêcher. Cela ira mieux après. Le matin, arrivé à Milan, je reprends le train vers Toulon où je reviens voir mes parents en expliquant le voyage que je viens de faire. Une de mes réflexions étonne mon père par rapport à mon premier voyage en Grèce, j'ai trouvé le peuple accueillant. C'est en fait l'ensemble de la Grèce qui est hospitalier par son climat doux et sa vie peu coûteuse. Je compte repartir le lendemain vers le Nord de l'Europe, mon objectif est Helsinki. Aux Deux Alpes, avec le billet Interrail, je hurlais dans ma tête : « Je me casse l », c'est bien vrai, je veux laisser courir mon esprit, voyager et vagabonder sur mes deux sujets favoris dont je ne me lasse pas.

Le trajet jusqu'à Milan est un peu long mais j’évite la France qui est en partie payante, je n'ai encore que 300FF en poche, je suis propre et légèrement rasséréné. C'est début février et je suis dans un état d'excitation permanente depuis août et que je me prend la tête jusqu'à n'en plus pouvoir. C'est ce qui va bientôt arriver. De Milan, je vais à Vérone, la ville des amants de Shakespeare, Juliette et Roméo, je met mon bagage à la consigne, le train vers Vienne ne part que vers minuit, j'ai cinq heures devant moi pour errer dans la ville à la recherche d'une intrigue.

La ville est pleine de Volvo, Mercedes, femmes en fourrure, la journée, c’était le carnaval, il y a des confettis et des lumières partout. Rien ne sera laissé à l'ombre, je suis très content de ma visite de la ville et le train repart avec moi pour franchir la frontière italo-autrichienne. Je suis dans un compartiment seul jusqu’à ce qu'une classe d'Italiens et d'Italiennes de 16/18 ans emplissent le wagon. Cinq filles viennent dans mon compartiment, elles sont mignonnes et me demandent en anglais où je vais, à Wien, elles aussi vont à Sudbahnhof, la gare du sud de Wien. Mais je suis peu loquace, elles font un boucan du diable. Ça me fait du bien d’être en compagnie remuante. Au bout d'un moment, j’enlève mes chaussures, mais je ne me rend pas compte que ça pue. Maria Teresa à mal au ventre, je remet mes chaussures, mes chaussettes rouges n’étaient pas de ce matin. Arrivés à Sudbahnhof à huit heures du matin, je pose mon sac à la consigne, il pleut, je laisse Maria Teresa et ses copines, je pars dans mon grand manteau léger pourtant avec mon T shirt et mon pull irlandais dessous visiter Wien.

Je commence par aller prendre un hamburger et un café au Mac Donald's, il y a un anniversaire d'enfants avec des Happy Meals. Je suis rentré dans le Mac Do en espérant que cesse la pluie, je veux visiter Wien mais je n'ai pas de parapluie et j'aimerais éviter de rentrer trempé au train ce soir pour repartir vers Hambourg. La pluie ne cesse pas au bout d'une heure. J'imagine que les Autrichiens sont un peuple vigoureux au vu de deux jeunes passant par dessus une barrière haute de 1.50 mètres pour venir au Mac Do plutôt que de la contourner. Je songe à l'empire austro-hongrois, au despote éclairé que décrivait Voltaire, à l'influence germanique de l’époque actuelle économiquement forte, j'occulte L’Anschluss de 1938 par Hitler. À midi, je sors enfin, il pleut toujours, je m’éloigne de la gare, je me retrouve dans une rue piétonne qui n'a rien à voir avec celle de Toulon étroite et grouillante, elle est quatre fois plus large, les immeubles ont de grande fenêtres. Je préfère ne pas prendre le métro où il faut payer alors je marche sous la pluie fine heureusement, seul mon manteau est mouillé. J'arrive sur une place majestueuse avec de longues arcades d'un côté , et un défilé de carnaval de l'autre, il y a une jolie fille blonde dans une robe de laine qui tourne une baguette dans ses mains, je ne vois qu'elle. Elle aussi est en train de se tremper. Je m'en vais, croise un couple de Viennois d'une cinquantaine d'années, leur demande mon chemin, ils me dirigent vers le métro, je n'en veux pas et continue à  pied sous la pluie.

Je passe d'une « strasse » à l'autre, regarde avec envie les magasins de « delikatessen » mais n'entre pas, je finis par prendre un tramway pour rentrer vers Sudbahnhof. J'ai marché six heures, mes chaussettes, mon pantalon et mon manteau sont trempés. Le train est en direction de Hambourg, il part et je suis seul dans mon compartiment, je m'installe dans mon sac de couchage et met le chauffage à fond, en deux heures, tout est sec et moi bien au chaud. La nuit se passe sans histoire, j'ai traverse l'Allemagne sans m'en rendre compte, il est midi à Hambourg et le temps est passé de l'humide au froid glacial. Sur le quai de la gare de Hambourg, je décide de ne pas m’arrêter et prend un autre train vers Frederikshaven au nord du Jutland, la partie danoise continentale. Le train ne part qu'à 14 heures, j’attends dans un compartiment tellement vaste, six places au lieu de huit en  France en seconde classe, et je regarde passer les femmes en fourrure, un train avec des BMW, Mercedes, prêt à partir pour les Alpes avec caissons à skis sur les toits des voitures. Ce sont la des éléments que je ne connais plus, les vacances, et le moyen de s'en payer par un job quelconque, comme une femme en fourrures. Je suis solitaire et sans femme parce que je suis pauvre et qu'elles semblent demander de l'argent pour vivre confortablement et je pense que je suis incapable de mener une vie avec un job, un salaire et des vacances. Mon objectif reste la création de Cap de bleu.

Le train part, le ciel s’éclaircit, il y a de la neige dehors et du soleil dans le ciel. Les maisons sont basses, les villes sont petites. Un père de 70 ans et sa fille d'une quarantaine d’années partagent mon compartiment. On se sourit. Le train s’arrête brusquement. il a écrasé un jeune garçon. On voit l'affolement de ses copains, au bout d'un quart d'heure, un brancard avec des morceaux ensanglantés sous un drap blanc. À Frederikshaven, il fait nuit, je cherche le ferry pour Göteborg, j'y vais à pied depuis la gare, je ne tiens pas à rester là. Je n'ai pas les moyens de me payer l'hôtel. Et mon domicile est le train pour lequel j'ai déjà payé un mois de loyer.



Vienne

Frederikshaven

Turku

Copenhague

Amsterdam

Genève

Europe du Nord

Une longue file d'attente dans le terminal maritime de blonds et de blondes, grands et grandes. Tout est propre, clair et organisé, mon pass est accepté. Une fois embarqué à 20 heures, je m'assied seul à une table dans l’entrée, il y a un jeune Suédois qui vient me demander une chaise pour aller s'asseoir avec ses copains. J’aimerais bien les connaître. il y a une discothèque sur le bateau, j'y retrouve les jeunes Suédois et cela me fait du bien de me défouler un peu au son de Duran Duran avec leur chanson « Notorious » dont j’appréciais particulièrement la vidéo lorsque je passais des nuits chez mes parents à regarder la télévision et à écouter la radio en enregistrant des cassettes. Plusieurs autres vidéos remplissaient ma vie d'enseignements alors. « A Question of Time » de Depeche Mode m'indiquait que je devais attendre que les choses se mettent en place pour que je puisse les réaliser ; « The Final Countdown » d'Europe, le groupe suédois évoquait un monde qui allait exploser et que ses dernières minutes de vie se déroulaient ; de même Frankie goes to Hollywood avec une de ses chansons parlait d'un rat dans une cage et je me sentais tel ce rat pris dans un piège.

Le rock et le cinéma résonnent en moi comme un écho de ma personnalité et de ma vie, je m'identifie à Indiana Jones depuis la sortie de « Les aventuriers de l'Arche Perdue » quand Indiana est en Amérique du Sud. Je voyais le film en octobre à Toulon et j'étais dans les Andes en janvier suivant. À Göteborg, je me dépêche si je ne veux pas rester la nuit dehors, il y a un train qui part pour Stockholm à 23 heures, il est 23 heures, c'est encore un beau train. Göteborg avait l'air d'une ville tranquille, j'aime les villes moyennes.

Dans le train, je m'installe dans mon sac de couchage dans un compartiment à huit et le matin, il fait beau sur le pays enneigé. Le train arrive à 10 heures à Stockholm et il y a une liaison gratuite entre la gare et le terminal, je croyais au début que le chauffeur m'avait fait une fleur à mon aspect de voyageur affamé. Je n'ai rien mangé depuis le hamburger à Wien, je ne voulais pas changer d'argent. Je change 50FF. Le terminal maritime est aussi éclairé et propre que celui de Frederikshaven, je met mon sac dans une consigne, prend un café chaud et un sandwich et vais me promener dans Stockholm, le ferry pour Turku ne part qu'à 19 heures. il fait beau mais froid -20°C comparés au + 20°C d’Athènes il y a une semaine mais avec de la brume. Le contraste d'un bout à l'autre de  l'Europe me plaît. J'ai le sentiment d'avoir bien bougé mais je tire de plus en plus sur les réserves de ma résistance physique.

Le port est dans les glaces et un vieux gréement auprès duquel je passe me rappelle mon origine de marin. Je n'ai pas encore été sur l'eau sur Ia Mer Baltique, j'attends ce soir. Dans un supermarché, je vais m’acheter une bière que je n'ai pas le droit de consommer dans la galerie commerciale où il faisait chaud alors je repars errer dans les rues. Dans une rue piétonne, je vois un supermarché dans un sous sol, je m'y achète un sandwich.

En fin de journée, je suis un peu fatigué, j'ai marché six heures mais je commence à ne plus trop réagir, je songe avec haine à mes parents qui ne m'admettent pas tel que je suis et en errant dans les rues froides, je paye toute la souffrance de mon être que l'on ne voulait pas que je sois. Le froid est là ainsi que les privations pour me faire songer que je dois mourir si je continue à vivre comme je veux. Dans le bateau, je m'installe dans une couchette, le trajet dure la nuit et je vais m’acheter une tablette de chocolat, cela me donnera des forces, je la paie quinze couronnes, c'est fourré au fruit, l'emballage est mauve et elle pèse 400 grammes. De quoi me sustenter jusqu’à Helsinki.

Au matin, je vais sur le pont comparer l’itinéraire au travers des îles sur carte avec la réalité, il fait gris et le vent souffle. À Turku, je sors de la gare pour voir un brin de soleil et je m'aperçois que je n'ai pas mon billet interrail dans ma poche, je flippe car je ne vois pas comment je pourrais payer le billet et c'est en fouillant dans mon sac que je retrouve le carnet. Ouf l Quelle frayeur l Trois heures de Turku/Abo à Helsinki en train, il fait froid et couvert mais je suis loin de l'endroit où je souffre de mon contact avec les miens par le seul fait d'exister. Dans le froid scandinave, c'est l’élément qui va me rappeler à la vie.

A Helsinki, je met à nouveau mon bagage à la consigne et pars marcher, il est midi, je vais prendre un thé et un gâteau dans un salon de thé en étage, c'est un thé à la mure. il y a deux filles jolies. Je les brancherais bien mais je ne me sens pas tellement présentable, j'ai peur d'être incohérent, pourtant elles me sourient. Je m'en vais et croise deux types jeunes qui errent dans une allée, nous échangeons quelques mots, ils me disent qu'ils sont dans la rue. Je sais alors que si je reste ici, je vais être clochard. Je dois arrêter de haïr le monde qui ne m'a pas reconnu, je dois baisser les bras et éviter toute réaction sur ce que l'on me dira, je vais rentrer chez mes parents. Je n'accepterai aucune autre aide que la leur. Ils sont responsables de leur regard et je les tiens responsable de mes échecs pour ne pas avoir compris ce que je leur demandais. Ils doivent réparer, je rends le monde responsable de ma déchéance mais je porte aussi le ferment de me sauver en créant le monde de Cap de bleu par une richesse économique dont on a tous besoin pour avoir un niveau de vie rendant possible l'expression de soi même, culturelle, parentale et sportive.

Dans une librairie, j'ouvre un livre en anglais qui parle des chantiers navals finlandais Nautor et Baltic de Vasa dans le centre nord du pays, ils sont comme je l'ai déjà écrit l'expression la plus pure des coques de bateau que je dessinais à 16 ans en même temps que les architectes des chantiers. Dans le trajet de retour à Stockholm, j'achète un sachet de cacahuètes et une bière, je me repose mais mes forces se sont perdues, j'ai hâte de trouver un lit chaud et de quoi manger chaud et libérer ma tête de la pression que je me suis imposée depuis un an. À Stockholm, je dois marcher avec mon sac, n'en pouvant plus de son poids continuant à emmagasiner de la haine envers ce monde.

Je rentre par Kobenhaven, j'ai pris une carte des liaisons ferrées européennes. Je constate que la Suède est un pays de lacs. Entre Helsingborg en Suède et Helsingor au Danemark, la wagon monte sur un ferry, je suis assis au milieu d'une famille danoise avec une fille de 12 ans et un garçon de 6 ans, on rigole tous les trois en se regardant. Un type d'une trentaine d’années, lorsque le wagon est à nouveau sur terre s'affole en cherchant son bagage, il est bourré et n'a pas réalisé que nous sommes restés dans le wagon, le petit garçon lui fait remarquer qu'il n'a pas bougé, il est trop étonné et rassuré à la fois.

Le train arrive à Kobenhaven, il fait nuit, à minuit part un train pour Utrecht aux Pays Bas, cela me fait quatre heures à attendre, dehors il neige, mais j'ai le sentiment que les choses ont changé, je me sens bien, j'ai perdu ma haine. Je croise un jeune Anglais, il y a une grande Danoise sympa. Le train est bondé, dans le compartiment, il y a la Danoise, un Marocain qui vit en Suède, je m'installe pour dormir dans le filet à bagages, on se marre. Le contrôleur est trop étonné de me trouver en haut mais il ne dit rien. Je me sens bien. Au passage de la frontière des Pays Bas, le Marocain est longuement questionné, il parle couramment anglais. Ça passe. à Utrecht, je sème la Danoise qui ne me lâche pas et en route pour Amsterdam où j'arrive à  Central Station à midi, je laisse mon
bagage à la consigne et je pars me promener sur les « gracht » (canaux). Il fait très froid, je prend un Big Mac, je suis pris d'une courante que j’élimine dans un fast food chinois. Je suis à nouveau très fatigué, je ne marche plus du bon pas qu'ont les Hollandais. Je m'imaginerai bien vivre à Amsterdam, pays de vélos et d'eau reposante mais je suis à bout encore et je perd conscience de Amsterdam à Milan, je ne sais pas encore comment j'y suis arrivé. De Milan à Toulon, je mange un sandwich au jambon cru à la fin du voyage. J'arrive chez ma mère et me couche.

Le lendemain, je repars le soir à Genève et j'erre dans les rues, trouve un service d'immigration qui m'indique que le Valais est un bon refuge. La montagne me protège et le froid me conserve. En repartant vers Lyon, je m’arrête chez Laurent qui m'accueille à bras ouverts et m'a fait manger un cassoulet, je lui dis que j'ai envie de courir, nous grimpons à Ia Croix Rousse, le soir je me sens bien et dors sur un matelas. J'ai dû me lever dans la nuit pour aller jusqu’à Perrache à pied, deux heures de marche toujours vêtu de mon manteau abîmé.

Nous redescendons en voiture à Toulon où je fonds en larmes à bout de nerfs, je ne sais plus ce que j'ai. Je perd conscience et après un bref séjour chez mon oncle et parrain où je séjourne 24 heures dans une chambre dans le noir, je repars à pied chez ma mère, une heure de marche encore. Le psychiatre me dira quatre ans plus tard que lorsqu'il me vit pour la première fois, j'étais aussi malheureux que les pierres mais cela était l’état normal des choses pour moi. Je pars deux semaines dans une clinique psychiatrique en attendant que l'on me trouve un studio où je pourrai dormir tranquille sous un toit comme je le demandais au psychiatre, mais j'ai alors oublié de préciser que je voulais un toit ailleurs qu'en France mais que je n'arrivais pas à en partir tout de bon. Un mois plus tard, ayant recouvré une certaine stabilité financière, je refais une tentative de voyage, mais arrivé à Madrid en train encore, je suis pris d'une angoisse incompressible et je prend une couchette pour un direct sur la France. Pendant l'été, je serai animateur d'un camp itinérant de malades mentaux en Espagne, je connais le problème l


Ibiza 1er juin au 14 septembre 1990
Le voyage à la troisième personne


Pendant trois ans notre héros qui a perdu ses forces ne sait plus rire. Il a fait un séjour de 5 mois à Toulouse mais ne s'en portait guère mieux, bien qu'à l'extérieur de sa ville et loin de son lieu de crise. En janvier 90, il redevient lui-même après un court séjour à Paris pour le mariage d'amis. Il perd les kilos en trop après un sévère régime d'une dizaine de jours à boire du thé, de la soupe en sachets et manger des biscottes. Il adopte à nouveau une coupe de cheveux résolument longs et l'hiver se passe à sortir le soir en compagnie de jeunes Américaines. Il a un revenu régulier bien que maigre, 2500FFR. par mois depuis trois ans et il a vécu seul, s’étant affranchi de toute assistance. L’énergie est revenue, mais il se refuse toujours à avoir une activité salariée, un poste quelconque, il ne veut pas s'assumer monétairement. L’irresponsabilité de vivre est devenue sa règle. il ne cherche plus qu'à se trouver et à apprendre. Il a commencé à apprendre l’indonésien, approfondi l'arabe repris des contacts dans le domaine du nautisme, sécurisé par sa rente mensuelle et ne circule plus qu'en VTT une vingtaine de kilomètres par jour, son entreprise existe à nouveau mais sous forme d'association à but non lucratif dont l'objet est "naviguer, communiquer, entreprendre" mais l'été approche, il n'a pas l'intention de rester dans le sud de la France.


Bahamas 43 (13 m)

Il trouve à la bourse des équipiers de France Inter un bateau à skipper pour l'été, c'est un Bahamas 43, un monocoque en aluminium qui appartient à un hôtelier d'une station de ski. Il a rendez-vous le premier juin à Port Camargue sur l'aire de carénage. Le 28 mai, son père part à Barcelone pour affaire, il l’emmène et le déposera au retour. À Barcelone, ils évoquent le souvenir d'un tricycle qu'on lui avait offert pour ses trois ans. Il aura 29 ans cet été et ne parvient pas à s'assumer dans une vie matérielle, identique à celle de la plupart avec femme et enfants. Son esprit est ailleurs et n'ose plus prendre d'engagement dans aucune structure existante. Même ce voyage qui semble rêve le gêne, il aimerait aussi continuer à chercher qui il est dans un monde où les étoiles de la nuit brillent plus que les mirages de la consommation. Son psychiatre le convainc qu'il vit d’être et non d'avoir. Il en est arrivé à ne plus faire  l'amour pendant des années.


Port Camargue

Le premier juin, son père le laisse donc à Port Camargue, le "El Lobos" est à terre, Xiao Sang, le fils du propriétaire et un copain font passer la drosse de relève du safran sur un réa, c'est un monocoque à quille relevable sur un axe vertical. C'est un joli bateau avec une peinture blanche époxyde, une bande rouge à la ligne de flottaison et une sous le liston. La carène est digne de celle d'un Swan avec une jupe ouverte à la poupe. Le déplacement total est de huit tonnes pour 13,50 mètres de longueur hors tout, ce qui est vraiment léger. Les parents Sang arrivent dans une voiture immatriculée en Belgique, la mère Sang est belge, le père est d'origine andalouse. Ils partent au restaurant tous les cinq, l'ambiance n'est pas particulièrement drôle. Notre héros va dormir sur le bateau du copain, un ketch qu'il a construit lui même. Tous les ans depuis sa construction, 1987, le Lobos part à Ibiza l'été où il reste à la disposition de Sang au mouillage à Benirras, en arabe « fils du chef », au nord ouest de l’île. Le matin il fait brumeux, la petite équipe met le bateau à l'eau avec Xiao Sang, il commence à lui dire ce qu'il a à  faire. Il sent qu'il va être skipper à la solde de son propriétaire, avec la création de son entreprise, il était courtier, disposait de bateaux pour les confier à des skippers si le bateau n'avait pas de skipper et faisait embarquer des équipiers clients. Son grade va en prendre un coup. Ils mangent et après le repas, notre héros reste seul sur le bateau et n'a qu'une envie, prendre son sac et se tirer sans adieux. Il reste pourtant et Xiao Sang revient, ses parents les laissent.


Agde

Ils partent en longeant la côte, une nuit à Agde, puis deux à St Cyprien, Xiao Sang lui explique qu'il a beaucoup voyagé, navigué en solitaire, Atlantique et Pacifique, il a 31 ans maintenant, il a aussi parcouru l’Amérique du Sud en stop. Les affaires de son père ne l’intéressent pas. Il s'endort en écoutant des mantras indiennes. Ce n'est pas avec lui que notre héros ira brancher les belles étrangères aux escales comme il vient de le faire pendant 4 mois à Toulon. Néanmoins se sentant bien sur le bateau qui n'a que 5 couchettes, il est au large sur  la couchette double arrière, l'espace intérieur n'est pas cloisonné à part les toilettes. À Barcelone, ils font du gas-oil puis partent vers le large, il n'y a pas encore eu de vent. La nuit un bon force 8 se lève, ils enroulent foc et grand voile, mettent les harnais, le bateau fort peu toilé supporte très bien le cap de près vers Mallorca. Le matin le vent tourne et ils sont à une dizaine d'heures de Benirras que le Lobos parcourt au largue à 8/10 nœuds de vitesse.

A 19 heures, apercevant le rocher de Benirras qui délimite l’entrée des calas Benirras et San Miguel. Lao Sang les attend, un modèle prend des poses sur une terrasse de planches, elle est grande, blonde aux cheveux longs dans une grande robe lui dénudant les épaules. Léo Sang est chez lui dans les deux calas, à San Miguel, il y a un complexe hôtelier et touristique dont il fut un des promoteurs il y a quinze ans, à Benirras, il organise la viabilisation du site pour le vendre à un promoteur, il y possède une maison. Il y a un restaurant avec une terrasse au fond à gauche, un bar au centre et des barques de part et d'autre de la cala.  Lao Sang envoie son "petit marin" manger une tortilla aux patatas au restaurant et il retourne au Lobos où il est censé rester tout le temps du séjour du bateau en prévision d'un coup de vent qui pourrait nécessiter sa présence si le corps mort venait à lâcher. Il ne doit en partir que pour en emmener les uns et les autres.


Cala Benirras

Les activités prévues sont la dépose d'un corps mort, le mariage de la fille de Lao Sang, le voyage de noces sur le bateau et tout d'abord trois jours de croisière avec un ami banquier, sa femme et Xiao Sang vers Mallorca. Alors chargement d'eau douce, avitaillement et sacs vers le bateau en annexe, le soir venu, ils lèvent l'ancre en direction d'Andratx au sud ouest de Mallorca, le moteur fonctionne une bonne partie de la nuit. Ils arrivent le matin et coincent dans un mouillage au pied d'une falaise. Notre héros n'est sur le bateau qu'un simple marin, et ne partage pas véritablement la croisière avec ses bouquins d'arabe et d’indonésien et deux guides Berlitz, un d'allemand et un de grec. En repartant vers Palma, le point d’écoute de la Grand Voile sur la bôme lâche, Xiao Sang s'en occupe, il ne se sent toujours pas concerné bien que faisant des efforts pour être actif. Les motivations qui guident les autres ne lui suffisent pas, profiter de la mer n'est plus son élément. Il ne sait si lui même est loin de l’élément ou si ce sont eux qui sont loin de son approche de l’élément. En attendant Xiao Sang effectue la réparation du point d’écoute à Palma où ils passent la nuit non loin du Real Club Nautico dont le souvenir du passage à Noël 84 reste vivace. Il repartent vers Benirras au largue en prenant un peu de pluie.

A l’arrivée, il y a le bateau de la sœur de Xiao Sang, Hua, une cigarette rouge immatriculée à la république dominicaine avec une jolie blonde à bord, du monde sur la plage, les invités du mariage sont arrivés pour )a plupart. Notre héros a plutôt envie de se terrer au fond du bateau, il ne se sent pas de la fête. Ils sont 20 au repas du soir chez les Sang. il repart dormir tranquille sur le bateau avec Xiao Sang qui passe ses mantra. Le matin à 10 heures, Lao Sang lui file une pelle pour faire du béton, c'est bien le genre de choses qu'il ne supporte pas, il aimerait tout envoyer promener. Il y a là un Cap Verdien avec qui il discute, il se sent plutôt une âme d'orateur, d'homme de relations publiques qu'un marin bon à tout faire. Notre héros demande à Lao Sang de lui foutre la paix. Finalement à plusieurs, le béton est sec entre ses quatre planches, ils le mettent à l'eau. Toute la journée on passe chaîne, manilles, du corps mort au bateau. La corvée la plus terrible est terminée, Lao Sang évoque les tempêtes qui peuvent s'engouffrer dans la cala en cas de fort vent rentrant de la mer donc d'Ouest.

L'attitude de notre héros est en général de savoir attendre le vent pour partir, la fatigue pour rentrer et surtout ne pas précipiter ce qui ne doit pas. Prendre le temps de vivre et écarter la compétition entre les hommes, le véritable combat étant de savoir se dominer et s'imposer l'action qu'il faut quant on le doit. Durant le mariage il reste sur le bateau à bouquiner ses cours de langue, le lendemain Lao Sang apporte des bouteilles de sangria pour les mettre dans le réfrigérateur du bateau, il en boira ce qu'il pourra pendant deux semaines.

Deux jours suivants, avec Xiao Sang nous promenons les invités sur le Lobos, d'abord à Tagomago, un îlot au Nord Est d'Ibiza, avec des jeunes, une nièce de Lao Sang qui fait du cinéma confirme que la vidéo de La Lambada parue l’année dernière a été tournée là. Le cadre reflète au naturel l'enchantement de la vidéo, une cala abritée de sable fin. Trois bateaux au mouillage, un restaurant sur une terrasse en bois au dessus de l'eau et d'excellents gâteaux au chocolat avec du café. La deuxième promenade avec 14 anciens, c'est beaucoup trop pour le Lobos mais on y arrive, ils souffrent un peu, il y a du vent et de la gerbe. Une ancienne perd une bague par la faute de notre héros au fond de la cala où  le Lobos est allé mouiller. Ne s' en rendant compte seulement de retour à Benirras, ils retournent avec la cigarette de Hua sur le site et constatent qu'il n'y à rien à faire.

Le soir notre héros se rend en stop jusqu'à Eivissa (Ibiza en catalan) une vingtaine de kilomètres où il espère trouver l'animation folle des nuits d'Ibiza, le stop marche tout de suite, il prend un cocktail pour 1000 pesetas et embrasse la serveuse. Ne connaissant encore personne sur l'Île de la fête, il n'est pas encore prêt à sortir de son monde pour complètement participer. Il rentre à deux heures du matin réussissant à parcourir en trois stops les 25 kms dont le troisième est la belle sœur de Lao Sang, merci. Les routes sont petites, pas grand monde, Ibiza est une belle île pour le stop.


Ibiza

Avec Hua et Zhou son mari, et leur chien de trois mois notre héros part demain pour la côte valencienne, Hua veut acheter des palmiers à Eiche pour sa maison d'Ibiza. Le Lobos part au largue avec un bon vent, ils ont dormi tous trois sur le bateau, mais Zhou est malade, notre héros reste seul sur le pont, il fait bien chaud, le pilote fonctionne bien, Hua vient lui tenir compagnie quelques heures, ils croisent un bateau faisant la ligne Denia- Ibiza. Notre héros est enfin le skipper du Lobos et c'est bien agréable. Ils arrivent à Denia en fin de journée, Zhou va mieux. Ils vont tranquillement manger une glace sur le port, ce n'est guère animé. Ce n'est encore que début juillet. Les deux jours suivants, ils passent Javea, Calpe, Altea, Benidorm où le Lobos essaye de rentrer dans le club nautique mais il n'y à pas assez de fond.

Par ailleurs, Benidorm, une des capitales mondiales du sexe n'a pas tellement le charme d'un village calme. Le Lobos atterrit finalement à Villajoyosa pour y passer la nuit où le club est accueillant avec douches chaudes, WC, bar. Ils finissent à Santa Pola avant Alicante plus au sud, le Lobos y trouve une place à quai difficile, le motor yacht britannique surveillait son liston et le bateau va rester trois nuits à cette place. Invités en fin de journée à boire un Gin Tonic sur leur bateau britannique, notre héros découvre alors le parfait dosage du cocktail, verre large, des glaçons, rempli à ras bord. Il apprendra par la suite que les Britanniques le buvaient en fin de journée comme anti-paludéen grâce à la quinine alors efficace contenue dans le soda. Les trois visitent "El huerto del Cura" à Eiche, un jardin botanique fondé par un curé. Ils passent également chez deux "viveres de palmeras" qui leur proposent leurs palmiers. Le lendemain, notre héros reste avec le petit chien sur le bateau, il a envie de bouquiner, en fin de journée, Hua et Zhou reviennent victorieux, ils ont fait le deal d'avoir 10 palmiers plantés à Ibiza pour 5000 FR l'un transport compris.

Ils vont pouvoir rentrer à Benirras, font un bref  arrêt à l’île de Tabarca, une île anciennement peuplée mais quasiment abandonnée si ce n'est des touristes qui la visitent, une fois fait le tour à pied, ils regagnent le bateau et repartent en longeant la côte jusqu'à Denia puis prennent le large sans problème. À l’arrivée de nuit à Benirras, Il y à un gros catamaran sur le corps mort, c'est un Beige flamand d'Antwerp alors le Lobos mouille son ancre. Demain sera un autre jour avec d'autres activités. Les deux semaines suivantes, le Lobos ne va pas bouger, et notre héros son skipper non plus, il va prendre l'habitude de fouler le sable chaud de ses pieds nus pour aller dans la journée à la plage, au restaurant, chez la femme de Lao Sang, ce dernier est en France. Ramassage de légumes du potager, dîner ou jeu de Scrabble. Un soir Madame et notre héros vont dîner chez Hua et Zhou, les trous pour les palmiers ont été faits, le petit chien grandit. Un autre soir ils vont dîner des bocadillos avec la vue sur la Conejera, un îlot magnifique dans le soleil couchant à l'ouest de l’Île après San Antonio.

Dans la Cala, notre héros à fait connaissance avec Lu, sa femme et sa fille de deux ans, le skipper du catamaran flamand. Sur un bateau allemand, il y a deux filles seules, elles se demandaient ce que pouvait faire un homme seul sur son bateau. Tous boivent de la Sangria chaque fois qu'ils se voient. Continuant à apprendre l’indonésien et l'arabe, notre héros prend plusieurs bains de mer par jour et reste une demie heure sur le pont à se sécher ensuite en tenue d'Adam. Le rythme de ses douches ralentit, lors d'une douche il constate que ses cheveux ont blondi, ses shorts ressemblent de plus en plus à des pagnes, il les porte sans caleçon. Un jour, notre héros s'habille pour aller à Santa Eulalia et Eivissa en stop dans la journée et acheter des cartes postales, du papier à lettre et des enveloppes pour raconter combien il retrouve sa nature de "sauvage". Lao Sang est de retour, tous deux vont partir à Andratx sur Mallorca il a quelqu'un à voir notre héros appréhende de se savoir tous les deux seuls sur le bateau du fait du caractère de Lao Sang. En fait il s'est avéré très agréable et l'a laissé faire ce qu'il voulait sur le bateau, au retour la visibilité très faible, deux milles, ne leur laisse pas voir la côte alors que d’après son estime elle se trouve au plus à trois milles. N'ayant pas de positionneur par satellite, il est en panne, qu'a-t-il pu se passer, il est resté calme. Finalement la côte n’était pas visible mais toute proche.

Voyant que cela s'est bien passé, Lao Sang veut remettre ça, il a un cousin et son fils à emmener deux jours à Formentera. Ils partent donc un matin pour San Antonio en passant devant le Cap Nono d’où les Maures poussaient les Espagnols disant no ! no ! lui dit Lao Sang. À San Antonio, Lao Jin 60 ans et Da Jin 25 ans qui vit à Londres embarquent, le Lobos vient de faire du gas-oil.


Espalmador

Lao Sang est aux anges. Ils longent Espalmador, la lagune au sud d'Ibiza où de nombreux bateaux sont au mouillage. Ils préfèrent continuer jusqu'à Formentera où le Lobos mouille dans quatre mètres d'eau dans Cala Sabina, il n'y a pas de vent, pas de houle et un ciel des plus anticycloniques. Ils sont au milieu de quelques bateaux dont la chaîne d'ancre est droite, signe qu'ils ne bougent pas. Notre héros met l'annexe à l'eau et ils partent tous quatre, achat de cartes postales, Da Jin et notre héros ramènent les anciens au bateau, et reviennent à terre. En bon chasseur notre héros a convaincu qu'ils devaient partir en chasse des jolies filles. La stratégie étant celle pratiquée depuis longtemps, repérer deux fille assises à une terrasse de bar, leur demander si l'on peut s'y asseoir.

Ils en localisent deux, elles sont irlandaises mais une seule est bavarde, ils leur parlent du Lobos, leur montrent le mat, elles le voient bien, il est un des plus hauts. Il y en a un plus haut, c'est un Oyster d'une soixantaine de pieds." Ah c'est le vôtre". " Oui, nous allons dîner ce soir à terre, nous rentrons nous préparer. " Cela ne fut pas concluant mais Da Jin et notre héros sont contents, ils en trouveront d'autres ce soir, ils vont dîner sur le Lobos.

A 22 heures les jeunes laissent à nouveau les anciens sur le bateau, le vent est nul, notre héros a vérifié l'ancre et l’évitage du bateau et les laisse l'esprit tranquille. Et ils ciblent alors une blonde et une brune, sous l’œil hautain des deux Irlandaises en grande tenue. Elles sont allemandes, 18 et 19 ans, Mi Mi la blonde et Hei la brune. Ils boivent tous quatre des chandis : vin plus boisson gazeuse à l'orange, c'est sucré et agréable. Elles ont chacune un petit vélo et à minuit Da Jin emmène Hei, et notre héros Mi Mi, il y a des "discotécas " à Es Pujol, l'un paye pour Hei, l'autre pour Mi Mi. C'est bien d’être accompagnés, la boite est pleine, il y a moins de filles que de mecs, Da Jin et notre héros sont "royal". à quatre heure il n'y à plus grand monde dans la boite, notre héros discute avec Hei qui lui explique être mi-yuppie, mi-robinson de 28 ans, elle lui dit vouloir bosser à la TV, elles viennent toutes les deux d'avoir leur abitur, le baccalauréat allemand. Facile la soirée l Ils rentrent à Formentera en se faisant attaquer sur la route par un chien vite semé.

L'annexe est toujours là, cadenassée à un anneau et sur le bateau, notre héros ne comprend pas, il est six heures, les anciens sont levés, Lao Sang fait la vaisselle, il le menace d'un couteau et d'une poêle en voulant le livrer à la Guardia Civil pour abandon de bateau. Le père de Da Jin lui, demande à son fils s'il va bien. Notre héros comprend alors que Lao Sang à voulu manœuvrer le bateau en pensant qu'il allait cogner contre un autre bateau, il a paniqué au moteur et Lao Jin ne savait pas manipuler le guindeau. Bilan, il engueule son skipper, lequel n'a pas dormi, le vent est toujours nul, le soleil se lève et il pète lui aussi un câble. Lao Sang hurle. Notre héros n'a qu'une envie, se tirer, Lao Sang menace de lui mettre la Guardia Civil au cul. Bloqué ici, il a peur de lui même, ayant fait une tentative de suicide il y a un an, la Finlande lui revient à l'esprit, la Suisse, le froid. Notre héros téléphone en France, part à la nage du bateau. il obtient sa tante, son père. il leur explique, il faut qu'il prenne des neuroleptiques d’après son psychiatre qui suppose qu'il ne les a peut être pas pris, ce qui n'est pas vrai.

Ils rentrent à Benirras d'une traite, là notre héros oublie tout, fait seulement les manœuvres et laisse le pilote automatique guider, restant à l'avant du bateau, prostré. Le manque de sommeil n'est vraiment pas bon pour son psychisme, il s'en apercevra plusieurs fois par la suite. À Benirras, il y a un voilier brésilien de 6,50 mètres avec un britannique à son bord de 40 ans, sympa, qui attend sa petite famille qui arrive d’Angleterre. Notre héros explique à Lu qu'il a envie de se barrer, il rencontre aussi Kong, un Français d'une quarantaine d’années. C'est le 20 juillet, il y a beaucoup de nouveaux arrivants. Ça va être la fête. Notre héros récupère du manque de sommeil de la nuit suivante, remet ses idées en place, Lao Sang aussi. Son skipper ne veut plus naviguer avec lui et lui dit. Il l'invite à venir déjeuner seul avec lui, et se montre sympa, lui propose une commission sur le bateau s'il lui trouve un acquéreur. Il ne peut se passer de son skipper, son fils.

Xiao Sang n'est pas disponible, il a besoin d'un skipper jusqu'à son retour en septembre. Dix jours à rester à Benirras puis notre héros emmènera ses amis, Ke Jia et Ke Tan début août dans les Baléares en sachant qu'il n'aura aucun problème avec eux et ensuite attendra à Benirras la seconde moitie d'août  le retour de Xiao Sang. Notre héros accepte de rester. Et puis il a appris que beaucoup de fêtes se préparent à la pleine lune dans cinq jours, toutes les "fincas" d'Ibiza s'ouvrent pour l'organisation de "full moon party". Il  y a de nouveaux locataires dans la maison voisine de Sang, deux familles avec l'une deux garçons de 12 et 5 ans et l'autre deux filles de 15 et 17 ans. Notre héros sympathise et ils partent à Tago Mago manger un gâteau au chocolat avec un café. Le soir ils partent dîner dans un restaurant à Santa Gertrudis, ils reviennent à Benirras à deux heures du matin. Notre héros parvient à peine à mettre l'annexe à l'eau et remonter sur le bateau. Le vin rosé était très bon et il en a bu un bon litre. Au petit matin, avant le lever du soleil, il entend du rock sur la plage, c'est la stéréo d'une voiture d'Allemands, il prend l'annexe et va l’écouter avec eux et aussi leur dire que c'est trop fort. Il part se rendormir. il est toujours bourré. À midi en allant déjeuner, Lao Sang lui casse le moral en lui disant qu'il ne doit plus quitter le bateau la nuit. Notre skipper encaisse sachant que la nuit, Lao Sang dort profondément et qu'il se débrouillera pour aller aux "parties".


Tago Mago

Une soirée à San Miguel, tout près. Deux jours plus tard, c'est la pleine lune, on lui a parlé d'une bringue à 4 kms de Benirras sur la route de San Juan, il y va à pied. il y a Mei l’américain qui a un bateau à moteur dans la cala, la finca appartient à un anglais qui faisait de la pub à Londres, c'est plus anglophone qu’aucune langue européenne. Notre héros est pris en photo comme chacune des personnes venant là, l'ambiance est très soft, la finca est vide, il y a une terrasse au premier niveau, salades composées et bouteilles sont offertes. Notre héros a repéré une très jolie fille blonde dans une robe courte bleue avec sa sœur et son beau frère. Après deux heures de fond musical Doors, Hendrix, se prépare un concert de raga indienne, il demande à la jolie fille blonde si elle anglaise ou américaine. Elle lui répond être britannique et vivre à Los Angeles, c'est le top des tops, elle va motiver pour toujours sa passion du monde anglophone pour une émigration future. Le concert commence dans un silence religieux, un copain de Mei rentre à Benirras en voiture, notre héros préfère rentrer avec lui, sourit à la jolie fille en lui disant qu'il est à Benirras, elle lui dit s'en aller dans quelques jours, dommage. En voiture le copain de Mei lui raconte qu'il aime passer un mois solitaire sur Vedra, un îlot rocheux au sud-ouest de l'Île. ·

Les jours suivants, notre héros reste au bateau en préparant le départ avec les Ke. Plein d'eau, d’épicerie. il prend goût à arriver sur la plage avec l'annexe et en repartir comme s'il venait de loin même ancré en plein milieu de la cala sans en bouger. Il va sur le bateau de Lu boire des coups ou il l'invite à bord du sien. C'est la vie de rêve, eau de mer chaude, un minimum à faire en y réfléchissant à deux fois dans un cadre naturel. il est le Robinson dont il a lu les versions de Daniel Defoe et de Michel Tournier sachant que la vie sauvage est la finalité de l'homme en dehors de toute préoccupation matérielle ou sociale. C'est la civilisation du cocotier dont lui parlera un copain quelques années plus tard. Dans une vie sauvage, on ne prend que les moyens de culture et d'information, livres, journaux, ordinateurs. Il a par exemple appris sur les radios locales que les Pitiusas sont les îles de Formentera et Ibiza réunies en raison des pins qui couvrent les Îles, de même qu'il s'est mis à lire l'International Herald Tribune, le journal des Américains en voyage. Tous trois partent donc un matin, Lu pense lui aussi partir vers Mallorca comme eux, la journée est calme, la nuit le vent passe au nord-est, ils tirent des bords toute la nuit. Ils arrivent à Santa Ponsa à sept heures du matin pour un petit déjeuner et un somme réparateur. Ils évitent Palma et partent vers l'est de l'Île où ils font Porto Petro, Cala d'Oro, Porto Colon, Mahon à Menorca et au retour vers Ibiza la magnifique baie de Cabrera au sud-est de Mallorca.

A Porto Petro, un soir dans un restaurant, ils rencontrent une jolie anglaise avec sa mère danoise, son père absent est polonais, elle les prend en photo. Le lendemain, notre héros passe chez elle à Cala d'Oro, elles viennent boire un verre de vin sur le Lobos. À Mahon en arrivant dans le chenal à minuit, c'est le 11 août et notre héros dit à Jia qu'il vient de rentrer dans sa trentième année, ils feront un repas de langoustes pour le fêter demain soir. Dans la journée, ils partent mouiller tout près de l’Îlot à l’extérieur du chenal de Mahon, port militaire. En rentrant au port au moteur à trois nœuds pour recharger le frigo, un catamaran sous spi les double. Avec Jia notre héros les rencontre sur le quai, il ne les avait pas reconnu mais ce sont des copains du sud de la France, ils sont huit sur un catamaran de 11 mètres qu'ils ont loué. Notre héros part les retrouver après son repas d'anniversaire au restaurant du club maritimo. En arrivant il lance un bonjour, s'assied et leur raconte ses aventures depuis deux mois, à un moment, une fille qu'il regarde lui dit "Cai Tan Le" à qui il répond "Gu Le". Ils se reconnaissent enfin, elle a un peu changé depuis 3 ans et lui beaucoup, elle a du mal à croire que c’était lui, tellement différent. Une copine ne pouvait croire elle aussi son changement de comportement quand elle le vit sur un port du sud de Ia France au mois de mai.

Tous finissent sur le Louisiane avec une partie de Trivial Pursuit pendant laquelle notre héros a étonné par ses connaissances géographiques. Il a  29 ans et rentre au bateau avec un sentiment d'accomplissement de lui même fort agréable. Au retour vers Benirras, il va danser au club med de Porto Petro où le Lobos est mouillé dans la baie. Ils passent une nuit dans la baie de Cabrera, dans laquelle on rentre comme dans un château fort, par une grande porte, la baie est une des plus profondes et les grands bateaux viennent y mouiller sûrs de l'abri. Un vent fort souffle, notre héros dort sur le pont, levant un œil toutes les demies heures vérifiant l’évitage, mais le Lobos ne bouge pas.


Benidorm

Ils retrouvent tous trois Benirras satisfaits de leur périple. Notre héros reprend le rythme des allées et venues entre le Lobos, les autres bateaux et la plage. Un après midi le vent se lève sans prévenir du large, notre héros est sur le bateau avec deux petits équipiers qu'il ramène dare dare à la plage, lâche du mou sur le corps mort, le bateau est face à la vague dans des creux de deux mètres. Il y a dans la cala d'autres bateaux habités, un monocoque de 12 mètres britannique avec un couple et la belle-maman, un catamaran Prout 27 habité par un solitaire à son bord, un trimaran suisse, le bateau de Mei avec beaucoup de jeunes à son bord. Notre héros passe le début de soirée sur le Lobos à écrire, le corps mort tient.

Après un passage sur le bateau de 12 mètres à discuter de la civilisation actuelle, il rentre, dans la nuit le bateau s'en va à San Miguel plus abrité. Le lendemain, la journée se passe d'un bateau à l'autre buvant Coca, Vodka, vin, effectuant de multiples allées et venues. L'annexe de Mei s'est détachée dans la nuit et s'est éclatée sur les rochers, un petit bateau à moteur a dérapé en provoquant quelques dégâts sur le bateau de Hua, on est tout de même arrivé à le récupérer, avec une autre annexe et deux moteurs en l'amarrant sur un ancien corps mort du Lobos. Dans la nuit suivante, le vent tombe ainsi que la pluie mais quelle excitation de savoir qu'ils étaient tous au bord de l’échouage. Lu revient avec son cata les jours suivants, il aura bientôt vendu en pièces détachées un ancien navire militaire et lui et notre héros comptent partir en Guinée puis au Brésil vendre des générateurs d'occasion. Sa femme et sa fille sont rentrés en Belgique. Je ne sais pas très bien ce que je ferai ensuite.

Le premier septembre arrive avec Xiao Sang, notre héros encaisse 8750FR. et 5000 pesetas pour rentrer en France, c'est son salaire, il est libre de partir mais ce soir, il y a une "full moon party" dont Kong lui a parlé à San Vicente, il peut l'emmener s'il est à San Lorenzo à 17 heures. Ils vont d'abord avec sa femme et son fils de 12 ans dans une maison autour d'un feu où l'ambiance est calme jusqu'à 23 heures. Puis ils vont à San Vicente où l'on à mis des acides dans le punch et la techno très forte dans de super baffles, il y a 200 personnes, le punch décompose la réalité et rend agressif. Il y a Lu, notre héros sent qu'il ne partira pas avec lui. Il reste quelques jours avec les Kong dans leur finca sans eau ni électricité mais tellement agréable sur un seul niveau. Ils passent quelques journées à la plage. En partant en stop un matin, notre héros lui laisse "Cartel" de Sulitzer qui le motive à vivre comme son héros en Indonésie sur un bateau avec des équipements informatiques suffisants pour gérer le monde.


Barcelone

Il pleut, notre héros a un jean déchiré, cela fait une centaine de jours qu'il a quitté le Sud de la France, il a les cheveux longs et blonds, il est mince et bronzé, libre et heureux. Il prend le ferry à 11 heures. En arrivant à 23 heures à Barcelone, métro jusqu'à la gare de Sants qui est fermée jusqu'à 4 heures. il s'installe avec son sac en compagnie d'un couple de Suisses à l’extérieur de la gare, un type qui dort se fait découper sous leurs yeux sa poche arrière avec une lame de rasoir pour son portefeuille, il se réveille. Tous ont un peu la trouille, à 9 heures, un train part pour Cerbère pour 420 pesetas. L'arrivée dans sa ville d'adoption en milieu de journée à la gare comme toujours. Il ne sait pas encore où il va repartir, toutefois à posteriori il y avait une invitée au mariage qui venait de Tahoe sympa et un van traînait sur le parking de la cala avec une plaque d'immatriculation Tahoe, le nom lui plaît, il aimerait connaître.


Pacifique USA 12 août 1992 au 31 août 1992

Notre héros a retrouvé sa personnalité propre et bien que toujours chinois, il se remet à parler de lui à la première personne.

Une année passe pendant laquelle je suis au pair dans une famille avec quatre enfants et tranquille avec une vie rythmée par les mercredis après midi, week ends, levers à 8 heures et couchers à 23 heures. Au début de l’année d’après, je ne sais comment, je déclare à la fille au pair qui me remplace que je compte émigrer et je me mets dans la tête trois destinations, Darwin en Australie pour sa proximité avec l’Indonésie, Vancouver au Canada ou Los Angeles et sa région qui résonne dans ma tête comme la plus grande ville du monde occidental dans un climat clément. Les trois villes sont au bord de la mer, sont anglophones et sur l’océan Pacifique ou presque. Je songe que je pourrais devenir maire de Darwin, petite ville où j'aurais fait fortune en commençant avec la Chine, l’Indonésie d’où l'Australie est une bonne base de départ pour un Occidental. Au début de l’année 92, je remplis un dossier pour percevoir une allocation suite à mon état qui ne me permet toujours pas d'obtenir de revenus par le biais de mon savoir-faire dont je veux asseoir les bases ou d'un travail rémunéré chez autrui.

Au mois de juin, lors d'une soirée, une copine américaine rencontrée un an auparavant trouve que j'ai perdu la bonne pratique de l'anglais que j'avais l'an dernier. Il faut que je parte. N'ayant rien reçu dans les premiers mois de mon allocation, j'obtiens un rattrapage de 6000FR., je sais que Paris- L.A, je peux l'obtenir pour un peu plus de 3000FR., un copain m'apprend qu'une voiture de location, c'est environ $100 la semaine. Avec ma carte VISA, je peux retirer de l'argent partout aux USA et louer une voiture, ce que je ne pouvais faire à 21 ans, trop jeune et pas avec les bons moyens de paiement. De plus, j'ai assuré une location d'une semaine qui donnera lieu à une commission substantielle.

Un copain effectue un déménagement de Cannes à Paris, j' économiserai le trajet Toulon Paris. J'envoie un fax à une copine qui a une agence de voyages à L.A pour louer une voiture, c'est OK pour $129 la semaine. Nous faisons donc le déménagement, un aller retour et demi Cannes Paris, deux nuits sans dormir, nous fêtons mon anniversaire le 11 et le lendemain matin, je suis tellement excité que je n'ai dormi que quelques heures, Je me retrouve à Roissy Charles de Gaulle avec un sac de 7kg, quelques T shirts, un sac de couchage léger et je repère déjà une jolie blonde avec un cycliste noir à dentelles.

C'est un vol charter, les vacances pour les uns et les autres, le retour des jeux Olympiques à Barcelone, avec mon jean grunge, mon T shirt et mes docksides, je suis totalement à l'aise, j'embarque dans I'avion et m'assied à côté d'une jolie brunette avec des reflets auburn, un blouson en cuir noir perfecto et un jean, elle s'appelle Lai Mi, elle est de Toulouse. Elle lit le magazine de femmes Cosmopolitan et je trouve tout de suite quoi lui dire, elle lit un article sur les rapports entre les hommes et les femmes, j'ai beaucoup à en dire la dessus. Nous étudions ensemble le sujet. Nous sommes sur une place non fumeurs, et Lai Mi veut fumer, je lui trouve uneplace assise à côté d'un basketteur de San Luis Obispo qui revient de Barcelona chez les fumeurs. Je suis hyper excité à cause du manque de sommeil. Je vois passer et repasser la jolie blonde dont j’apprends par  mon voisin de gauche, californien, qu'elle est de Irvine au sud de L.A, mais mon coup de foudre est paralysant, c'est le stéréotype de la jolie fille sérieuse. Trop !

Lai Mi me plaît, elle ne sait pas très bien où elle va, elle cherche quelque chose comme moi. Elle va retrouver un copain à L.A qu'elle n'a pas vu depuis deux ans, elle n'est pas sûre de le trouver à l’aéroport. Nous faisons escale à Gander, à Terre Neuve au Canada après 6 heures de vol. Je laisse ma carte de visite sur un tableau à cet usage. Lai Mi me paie une bière, je n'ai pas de $ sur moi.

L'avion repart, j'ai mal à la tête, je n'en peux plus, je me repose sur la banquette pendant que Lai Mi va au fond de l'avion fumer une cigarette et à 14H locales, il fait 27°C de température extérieure sur Los Angeles, Nous avons survolé la ville dont je n'ai pas constaté que c'est si pollué puisque je vois le soleil. À l’arrivée mon voisin me souhaite la bienvenue en Californie et me file son numéro de téléphone à Culver City, je perd Lai Mi aux Customs où je passe vite, puis aux bagages où je récupère mon sac. Je suis pressé de trouver ma voiture qui sera mon domicile principal puisque je veux en voir le maximum avec dans l’idée de repérer un endroit où m’établir. Je ne suis pas sûr de rentrer en France où j'ai développé des relations impossibles sachant que je veux émigrer et que rien ne m’enlèvera cela de la tête. Je prend le "shuttle" de la boite de location de voitures qui m’amène depuis la sortie de l’aéroport au parking des voitures de location. Je m’inquiète sachant que je dois prendre une assurance pour couvrir les accidents survenant au véhicule ce qui augmente le prix quotidien de $9 par jour, ça augmente mon budget location. Je pars dans une Ford Escort blanche immatriculée récemment puisque le premier chiffre est 3 et la première lettre est un A, une plaque californienne étant constituée de un chiffre, trois lettres, trois chiffres.



Les "How are you doing ?" amicaux à mon égard me mettent à l'aise tout de suite et je pars vers le nord ouest sachant que je veux prendre la route vers San Francisco, la "l" : "one". Les voitures vont lentement, je prend l'habitude de traverser les croisements avec les feux suspendus de l'autre côté du croisement. Je vois passer prés d'un supermarché un type en train de traverser la rue avec un chariot plein, je lui passe à côté sans ralentir et vois tout de suite derrière moi une voiture de police sirène en route. Je m’arrête, le flic descend et m'engueule. Je lui pressente tout timide passeport et permis, il continue à me gueuler dessus. Je sais dorénavant que les flics sont partout, que le piéton est roi même en dehors des passages piétons.

J'arrive à Santa Monica dont je trouve le parking de Santa Monica State Beach, Je sommeille dans la voiture jusqu'à la nuit. Je roule une demie heure vers Malibu, sommeille à nouveau et suis réveillé par des flics à une heure du matin qui me disent que la plage est fermée la nuit. Je pars un peu plus loin vers des habitations et à 4 heures, je n'ai plus sommeil du tout, il est 13 heures en France. Dans une "gas station", j’achète un hamburger et un "sausage roll" sous vide réchauffé au micro ondes et je continue vers Oxnard et Ventura.

Je repère un centre commercial avec des "versateller" distributeur de billets, je teste ma carte VISA, je retire $40 puis sur une colline je vois des bâtiments et l'indication "Peppermint". Cela me fait partir dans un souvenir vieux de 9 ans Ta An rencontrée en Grèce qui m'avait dit en être étudiante. Je songe aussi que cela fait 15 ans que je n’étais pas venu aux USA et que c'est l'objectif enfoui que je traîne qui me manque pour réussir ma vie pleinement et me sentir bien. Je pique une bonne crise de larmes pendant une heure.


Santa Monica State Beach


Le jour se lève, je continue à rouler tranquillement, je vois un port de plaisance, je vais regarder les bateaux, les quelques plaisanciers qui s'y promènent ce matin sont affairés après une nuit de pêche. Je trouve de quoi faire ma toilette et repars lentement, traverse Ventura, repère les plate-formes pétrolières en mer. La " 101" : "one o one" passe à quatre voies. à Carpinteria, Summerland, Montecito de grands arbres bordent l'autoroute, le site est des plus accueillants, il est 9 heures et il y a du monde,.une voiture de sport rouge me double avec une femme avec des lunettes Oakley qui sort à Santa Barbara, elle ressemble à une héroïne du feuilleton. « J'imagine le meilleur » mais continue, je longe 3 "state beach", à Solvang, je sors pour voir le village peuplé par des colons danois. J'en repars vite, le temps se couvre. À 55 milles, je suis bien, libre en voiture sur une "freeway" californienne, j'ai atteint un de mes rêves les plus denses. Je sors à San Luis Obispo, ville tranquille, je vais boire un café mocha (3) dans un salon de dégustation rustique avec des murs de pierres taillées, quelques tables en bois blanc, des journaux à consulter sur la vie de la ville, spectacles, annonces. Tout semble facile et
calme. Le jour est bien entamé et en faisant le tour de la ville en voiture, des champs, pas de zone industrielle.

Je reprend la "101" et sors à Morro Bay où le temps est à nouveau couvert. C'est une ville de vacances, des bateaux sont au mouillage dans un chenal, un pain de sucre ferme le chenal sur la lagune. Le bois est le matériau de construction principal au bord du chenal. Je m'imagine vivre sur un bateau, me souvenant d'un téléfilm américain dont l'action se déroulait dans un site semblable mais sur la côte est des USA. Je n'imaginais pas en revanche combien l'ambiance était à ce point détendue. Je ne ressens pas d'agression comme j'en ressens en Europe. Je n'ai pas la moindre idée d’où le changement de continent me permet ce décalage de sensation. Pas de vent, pas de bruit, je vais me garer dans un lieu d'habitation prés de la plage à côté d'un pick up d’où un mecet une fille en combinaison sortent deux surfs et je vais me baigner pour la première fois dans l’Océan Pacifique. L'eau est à 20°C environ, et tel le ciel de couleur sombre avec de nombreuses particules de sable en suspension. Il y a une plante;avec des bulbes que je ne connais pas, j'apprendrai plus tard sur le wharf de Santa Barbara que c'est du kelp géant enraciné remontant à la surface sur 20 mètres de hauteur la "Kelp company" l'exploite à des fins de substitut chimique. Je regarde le mec et la fille surfer une bonne heure et le manque de soleil ne me gène pas, ça rend la plage déserte, large d'une vingtaine de mètres contrairement aux plages de la Méditerranée qui sont plus des criques sur 5 à 10 mètres de large et quelques centaines de mètres de long. Cette plage fait quelques kilomètres.


Morro Bay


Je repars sur la "one", route côtière au dessus des falaises. Le temps hésite entre la brume et le soleil qui apparaît avec du vent au "William Randolph Hearst Castle" que visitent bon nombre de touristes. Je ne me sens pas d'humeur à me retrouver en compagnie des touristes, Citizen Kane me parle guère et je continue. Je préfère m’arrêter un peu plus loin devant le spectacle de fun boarders avec un vent et une mer de force 6 puis à un pic d'observation de Ia vie animale marine (phoques et lions de mer), là la brume est totale. Un peu avant d'arriver à Big Sur, il y a une ornithologue filmant des mouettes, je m’arrête, en repartant, je pense à Henry Miller que je n'ai jamais lu, je commence à fatiguer et fais un somme à l’entrée de Carmel dont Clint Eastwood fut le maire, pris dans un embouteillage.

J'arrive à la tombée de la nuit à Monterey, me gare près du wharf et vais goûter un "clam chowder" soupe de clams à la crème dans une miche de pain pour $1. Je ne trouve là qu'à me promener mais cela est suffisant, je suis en Californie, je passe enfin une nuit complète dans ma voiture garée sur le parking du wharf, malgré un phoque exprimant son désespoir dans les pilotis du wharf.

Le lendemain matin à 6 heures 30, je suis à l'ouverture du Mac Donald's pour goûter à un petit déjeuner avec "sausage" et "pancakes" que j'avais tant apprécié il y a 15 ans avec les Feng. 15 ans après, je suis déçu Je fais un nouveau plein pour $8, le gallon (4 litres) est à $1.25, je ne me ruinerai pas en carburant. Je n'ai pas payé un cent de péage autoroutier, freeway signifie route gratuite justement, c'est un bonheur de rouler en voiture ici. Il n'y à pas non plus d'embouteillage pour l'instant. Je retrouve ici le plaisir de conduire. Je n'ai plus de voiture en France depuis trois ans. J'avais récolté d'une large amende de 1500 FR et cela avait déclenché ma mise au rebut de voitures dont je ne supportais plus le rapport profit - bienfait I sommes dépensées. il pleut quelques gouttes quand je repars, à Salinas, dans la plaine agricole, j'ai le souvenir des "raisins de la colère" de Steinbeck qui cadre parfaitement avec le livre : champs, tracteurs, ville basse. En arrivant à San Francisco sur la péninsule, la circulation sur le freeway s’épaissit.

Déjà après Satan Cruz, j'avais roulé dans une circulation dense à 65 miles à l'heure sur une freeway toute en virages dans une forêt de pins derrière une Mustang coupé, doublant camions et voitures. En arrivant sur Jiu Jin Shan que les Américains appellent San Francisco, je suis à la recherche de Mission où habite une copine d'enfance que je suis heureux d'aller voir dans son pays d’émigration. Après être passé à embarcadère, assisté à un concert rock, traîné au Fisherman's wharf, le "pier 39" où j'ai repéré une société de "boat and breakfast", concept qui utilise des bateaux comme lieu d’hébergement. Je reste autour du centre Ghirardelli rebâti autour de l'ancienne fabrique de chocolat où j'assiste encore à une animation musicale en prenant une bière, visite une galerie de peinture.



Je suis amusé par quelques cyclo pousses conduits par des jeunes, c'est un de nos compatriotes qui fait travailler de jeunes américains. Je n'entre pourtant pas dans notre quartier. Je passe en voiture dans le pare du Presidio. J'ai enfin Ki au téléphone et repars vers Anny street et Mission. Leur maison était visible depuis le freeway en arrivant sur Jiu Jin Shan mais je ne pouvais le savoir bien qu’ayant remarqué un panneau publicitaire placé tout près avec une connotation à la sécheresse :"do not drink water, drink Bud", "ne buvez pas d'eau, buvez de la Bud (bière). Effectivement Ki m'apprend que c'est la 8ème année consécutive de sécheresse, qu'il y a même des économiseurs d'eau sur les robinets.

Le lendemain je pars en ville trouver un restaurant où je prendrais bien un café, m'assied à une table, consulte une carte et me rend compte que les pancakes ne sont pas l’exclusivité de Mac Donald's, j'en prend trois avec des œufs et du bacon, "eggs over easy" c'est à dire "au plat" par rapport à "scrambled" : "brouillés". Ma tasse de café avec de la crème est remplie par la serveuse dés qu'elle est vide, je comprend alors ce que signifie "bottomless cup of coffee", tasse de café sans fond. Cela sera pendant tout ce périple le bonheur du matin. Au retour chez Ki et Kan, il y a Ka Lin et j’expérimente le yoga, je m'enfonce une écharde dans le pouce et apprends que le 9Il "nine one one" est le numéro de téléphone d'urgence californien. Le soir "party" à la maison et bain dans le spa à 4 personnes à discuter des derniers films. La température extérieure est de 20°C mais l'eau du spa est chaude et l'ambiance conviviale. Le spa est avec le roller blade une invention californienne qui facilite la communication et améliore la connaissance des étoiles puisqu'on peut l'utiliser en extérieurs, dans le jardin, l'eau reste chaude dans la baignoire sous une couverture à enlever pour rentrer dans le bain.


Golden Gate Bridge

Le lendemain dimanche, je pars vers Sausalito, traverse le Golden Gate Bridge dans la brume après avoir pris trois auto stoppeurs allemands pour traverser le pont dans Ia brume. À Sausalito, je vois un shipchandler et rentre pour savoir si existe aux USA un produit électronique consistant :.à détecter un homme tombé à la mer et asservissant le pilote automatique pour arrêter le bateau, le responsable du magasin me dit que non mais que le prix que j'en propose, $800, est le prix du marché. Cela fait 6 mois que j’étudie le problème en France. Le produit est techniquement réalisable et j'ai fait une demande de subvention pour l'étude de faisabilité à l'exportation. J'en ai atteint l'objectif, il y a un marché ici avec quelques réseaux de shipchandlers à contacter pour la distribution. Je n'en connais encore ni la taxe d'importation  ni l'existence d'une administration réglementant le produit. En m’éloignant de Sausalito, Ia température augmente de 10°C. Les champs sont jaunes, c'est bien la sécheresse comme l'indiquait un journal "La baie allait-elle mourir de soif ?" Jiu Jin Shan et ses environs, Oakland, Berkeley sont appelés "The Bay Area". Je goûte le vin de la "Napa Valley" dans deux domaines, quelques $ la bouteille. Il vaut le vin français au même prix.

Je continue à faire le tour de la "Bay Area" en passant par Vallejo, m’arrête à Berkeley, d'abord à la marina d’où je téléphone à une fille qui avait laissé une annonce pour trouver un plan de voyage. Je tombe sur un répondeur. Je vais sur le campus avec des bringues dans la plupart des maisons, je parcours la rue principale avec vente de disques vinyle, CD, fringues, pizza. Je ne peux résister à une "slice" tranche de pizza aux pepperoni. C'est vraiment trop bon l'ambiance de campus américain ; une ville complète où la fête est forcément au rendez vous. Je m'y planterais bien surtout que je perçois le "feeling" parfaitement. L'avenir semble appartenir à ces jeunes Américains.

Je suis en voyage, je rentre chez Ki et Kan par le pont au milieu de la baie en payant $1, on paie pour rentrer, pas pour sortir sur Jiu Jin Shan. Nous partons dîner de sushis avec Ka Lin, c'est le Japon à la mode californienne et ma référence en matière de restauration raffinée depuis qu’au mois de juin, j'ai emmené la belle allemande pour un dîner d'adieu à Aix en Provence en espérant se revoir.

Ce soir je pense que je dois rouler, j'ai vu, je veux encore voir, je ne suis pas fatigué, je pars vers le nord en prenant la route côtière, la "one", je commence à traverser la forêt de "redwoods" ou sequoias, avec l'impression de rouler au milieu de cathédrales. Je prend trois jeunes auto-stoppeurs de 21, 19 et 16 ans qui viennent de Palm Springs et vont à Vancouver travailler. Je les dépose au bout de deux heures, ils m'ont appris  ce qu'est un "skank", un putois, cela sentait effectivement mauvais et le nom en américain du saut à l’élastique le "benjy jump". Vers une heure, je m’arrête dormir, au petit matin, il fait brumeux et je trouve un excellent petit déjeuner où je regretterai toujours de ne pas avoir laisse de pourboire, tellement la serveuse était gentille, n’étant pas habitué au "tipping".

Ce coffee shop était le prototype américain, un comptoir avec quelques tabourets, des banquettes en simili cuir sur des tables à 4 et 1 ou 2 serveuses remplissant les tasses de café des clients. Reparti vers Eureka sur la 1O1, où je prend un auto stopper dansant sur la route, il a une quarantaine d’années et il est très clean. Nous allons ensemble jusqu'à Crescent City, la ville frontière Californie Oregon. Il a voyagé pendant 20 ans aux USA de cette façon, il travaille comme charpentier quand il s’arrête de bouger.

Je passe la frontière et suis la 101 le long de la côte plutôt que de prendre la 5 plus rapide qui passe par Eugène et Salem capitale de l’État puis Portland à la frontière avec Washington state.


Coos Bay

Au contraire, je m’arrête à Coos Bay, les baies m'attirent, après Morro Bay, j'aime les lieux maritimes d’où l'on peut rêver d'îles lointaines ou tout simplement de rester pour continuer à rêver. Le soir en arrivant à Portland, vêtu de mon jean grunge, je dîne dans un restaurant grec et fais le tour des bars, passe à nouveau devant notre quartier sans m'y arrêter, je suis en voyage. Je ne fais qu'entrevoir la ville mais j'en ai une petite idée suffisante, je vais me garer et dormir sur un parking de supermarché prés d'un pont. Le lendemain de Vancouver (Washington state) de l'autre côté de la Columbia River de Portland, je trace vers Vancouver (Colombie britannique) d'une traite en passant par Olympia capitale de l’État puis Tacoma et Seattle. J'apprends sur la route que Vancouver était un découvreur maritime du 18ème siècle et je suis émerveillé de voir sur les plaques immatriculation des voitures de la "British Columbia" " Beautiful British Columbia", c'est effectivement très beau. Il fait grand soleil.

A Seattle, j'avais aperçu Boeing, des hangars, des pistes. De Vancouver, je vois un centre ville plus européen, des immeubles d'habitation, une promenade le long de la plage, un terrain de boules, le Starbuck Coffee qui offre des cafés expresso et une rue piétonne avec des magasins. Le prix de l'essence se rapproche du prix des pays européens, le double des USA, la moitié de l'Europe. Je sors de Vancouver vers le nord en passant prés de l'aquarium dont je regardais une série télévisée dans ma période lymphatique qui mettait en scène un vétérinaire et ses deux enfants dans des aventures écologiques. Je passe prés d'un port de plaisance et vais y voir les bateaux. Je demande au club nautique si l'on navigue toute l’année. On me répond que oui, effectivement le climat est humide mais les tombées de neige peu fréquentes. J'apprends l'existence d'une station de ski, Cypress Park à 20 minutes du centre de Vancouver d’où je vais jeter un coup d’œil sur la ville.

J'aimerais aller sur Vancouver Island mais je ne sais pas si j'ai le temps, je vais toutefois sur un des lieux d'embarquement en ferry, Horseshoe Bay. Le temps d'y réfléchir, je vais dîner dans un restaurant fast food tenu par un compatriote et à la fm du repas on me remet une coquille comestible avec une prédiction à l’intérieur :"il est temps que vous sortiez de votre coquille, prenez un nouveau départ". Je le prend comme un tournant dans ma vie, me réintégrer dans la société et repartir vers le sud. il fait bien jour encore, je rentre à Vancouver regarder le soleil se coucher depuis la promenade sinueuse au bord de l'eau. Un type se ramène avec un serpent d'1,50 mètre, il est avec un copain pieds nus, ils jouent avec la bestiole à moitie morte, ils s'en vont. Une jolie fille blonde vêtue d'un jogging rose passe en VTT. Elle sourit en me voyant affalé dans l'herbe. Je réponds à son sourire, elle passe. Je songe que je veux faire de mon entreprise une entreprise américano-européenne et commerçant spas ou sirops d’érable. À la tombée de la nuit, je fais un petit tour dans les rues touristiques et reste parqué prés du jeu de boules et de la promenade. Je m'y endors.


Vancouver

Le lendemain matin, je retourne vers la rue piétonne où le petit déjeuner canadien est aussi succulent que l’américain parce qu'identique.Seul diffère le cadre peut être, ce matin là, je mange en même temps qu'un policier en uniforme. Le prix est supérieur de 10% sans doute. Je fais le tour du centre ville en voiture à la recherche de journaux d'annonces pour évaluer le coût d'une location d'appartement, je trouve aussi la chambre de commerce pour connaître la réglementation des entreprises en Colombie Britannique, je relève aussi les coordonnées de quelques magasins de vente de cerf-volants, dont je connais un modèle original fabriqué par une voilerie en France pour une exportation. Je reprends la route des USA sachant que Vancouver est largement vivable pour moi : mer, montagne, affaires. Je ne suis pourtant pas allé voir une entreprise de formation internationale dont j'avais les coordonnées du siège social à Vancouver que j'avais appelé plus d'un an plus tôt pour obtenir des informations. Je ne croyais pas pouvoir si rapidement visiter leur pays.

De plus j'avais la possibilité de rester 6 mois sans visa au Canada contre 3 aux USA. Je repasse la frontière dans les embouteillages en étant très triste de quitter un pays si "beautiful" où je resterai bien. Je reste bloqué une heure sur l'autoroute en quittant Seattle où d'une file à l'autre, je me fais draguer par deux jolies filles dans une Corvette cabriolet qui restera sans suite. À Olympia je profite d'un arrêt dans un "Kentucky fried chicken" où je goûte l’Amérique dans ce qu'elle a de meilleur, ses "fast food", de la nourriture pour gamins en pleine campagne presque.

Je repars vers Aberdeen sur la côte à nouveau plutôt que de prendre la 5 vers Portland directement. il y a là bas un festival de "kites", je vais voir à quoi ressemblent leurs cerf-volants en action, j'ai déjà des adresses de distributeurs, que pourrais-je encore trouver? À l’arrivée dans la ville, il fait nuit, les activités sont terminées, je vais boire une bière dans un bar, ma première bière nocturne du voyage, l'ambiance est franche, un grand comptoir, une salle en bois de 100m2, un billard, quelques tables, des tabourets de bar, deux TV, Coors, Miller, Budweiser en avant "draft please" une pression s'il vous plaît. C'est un autre des meilleurs de l’Amérique, le bar en fin de journée. La journée rythmée par les passages aux coffee shop le matin pour quelques pancakes, œufs, bacon et "hashbrowns" (pommes de terre sautées) puis fast food et bar avec de la bière pour améliorer la communication, avec des kilomètres entre les étapes, j'y trouve là un séjour en Amérique tout à fait plaisant et enrichissant. Je suis d'autant plus heureux qu'en voiture je profite de la FM stéréo dont depuis 15 ans j'en connaissais la teneur, du rock, du bon.

Le nord ouest des USA est le berceau de "Nirvana", "Pearl Jam", "Temple of the dog", j'ai appris l’existence de ce dernier groupe par un auto stoppeur d'environ 25 ans emmené deux jours auparavant qui à peine rentré dans la voiture, pour m'expliquer ses convictions écologiques, coupa la FM. Que je rallumai aussit6t. Il était contre tout, armé de son petit sac à dos, mais convaincu. La route en Amérique du nord est un défilement d'images et sons simples dont je rêvais depuis mon enfance en regardant une photo d'un livre de géographie sur Ia "transcanadienne". J'avais appris à 8 ans que le Canada comme les USA sont chacun 20 fois plus grands que la France et pourtant deux fois moins peuplés pour le Canada et cinq fois plus  pour les USA. Je repars vers Astoria, franchis le pont de l'estuaire de la Columbia River. Il est tard, je m'endors sur un parking.


Klamath Falls

Le lendemain, je veux voir Klamath Falls, à la remontée vers le nord, j’étais passé à côté de la Klamath River et avais été même émerveillé devant le spectacle de cette rivière sauvage dans une nature hospitalière vierge qui évoquait en moi "La rivière sans retour" avec Marilyn Monroe et Robert Mitchum. Mon âme se plaît à vivre la vie des héros de westerns, ceux là particulièrement me reviennent, l'un et l'autre ne sont satisfaits de rien et ne peuvent envisager la vie à deux, le monde des hommes est trop imparfait pour connaître l'harmonie à deux. Il faut que se déroulent bon nombre d’événements avant qu'ils ne puissent se sentir sereins.

En arrivant à Klamath Falls, je fais plusieurs fois le tour de la ville en voiture, il est 17 heures, il n'y à personne dans les rues, c'est le western, je prend un journal gratuit d'annonces, les maisons ne valent rien, 4 pièces pour  $50000. Je rentre dans un restaurant, m'assied au comptoir, il y a deux autres personnes, une femme de 45 ans et un ancien. La serveuse est gentille, je discute avec elle, lui demande ce que l'on peut répondre à "How are you doing?", elle me dit "Awesome, Dude" comme dans les ninja turtles que regardent ses enfants le matin "Tellement bien que cela en impose le respect, espèce de poseur". C'est intéressant mais plutôt "I am fine, thank you" ; Lorsque j’étais venu il y a 15 ans, on disait "How are you ?" J'avais été déconcerté par le "doing" dés mon arrivée à L.A.

Je lui demande aussi où sont les "Falls" chutes, il n'y en à pas, il y a seulement un lac. Je m'en vais voir le lac puis fais demi tour et pars vers le sud, la route est droite sur plusieurs kilomètres avec le mont Shasta au bout 14162 pieds d'altitude (3500m), c'est magnifique. Le lendemain soir, j’apprends à la TV chez Ki et Kan qu'il y a des feux de forêt autour du Mont Shasta. Un peu avant d'arriver à Jiu Jin Shan sur le freeway, je sais que je dois faire ma piqûre  de neuroleptiques mensuelle, et je ne sais toujours pas la faire moi même. Je vois une sortie avec un hôpital Cottage Grove : expliquant mon cas, une femme médecin chef me fait gentiment mon injection. J'avais dormi dans un arrêt sur l'autoroute et guère dormi, il faisait brumeux, il fallait calmer l’inquiétude permanente qui règne dans la voiture la nuit à voir qui s'approche le cas échéant et attendre le jour, pour aller prendre un bon petit déjeuner. L'injection était sécurisante..

A Jiu Jin Shan la température extérieure est toujours basse, 19°C. Ki et Kan sont occupés pour les prises de vue d'un concert, je vais faire un tour dans les "hot spots" du rock en live. Je trouve notamment un bar avec du blues où une fille m'invite à danser, génial l Ce n'est pas le "Hard Rock Café" mais j'ai tout de même les oreilles au paradis. Le lendemain, un coup de main à Kan pour le matériel de prise de vue du concert et Kan m’emmène goûter aux "burritos" de la cuisine mexicaine que je ne connaissais pas encore dans Mission. C'est un nouveau coup de foudre pour de la cuisine "Made in Mexico". Le lendemain avec Fu Lo la cousine de Ki nous partons faire des courses, des docksides pour une commande pour une copine en France. Elles sont deux fois moins chères. Nous passons par un "combo" chacun à Freetime ou menu. Un passage l’après midi au Golden Gate Park pour quelques cartes postales à écrire dans la fraîcheur de fin de dimanche.


Golden Gate Park

Lundi matin, départ en retard de Fu Lo que je réveille, elle a manqué raté son avion et me voilà parti moi aussi vers Sacramento. J'avais pris avant de partir en France les coordonnées d'une entreprise construisant une voiture volante à Davis où il y a une université de sciences et aéronautique quelques miles avant Sacramento. Je prend la Research Drive et trouve le chemin de la Moller Corporation, le directeur du marketing me reçoit et m'explique qu'il construisent le M 400, qu'il y en aura 100 000 en l'an 2010 au coût de $100 000, qu'elle sera entièrement automatique. Je vois les brochures et articles de presse détaillant l'engin qui avec 4 personnes décolle verticalement et se ravitaille en carburant dans les stations service traditionnelles. Le futur est en route
en Californie. On rira beaucoup de moi quand à mon retour je raconterai cette description et pourtant. 

Chercher à comprendre est pourtant utile et ce n'est pas un réflexe permanent pour beaucoup qui jugent avant tout de la folie qu’ils ne comprennent pas, par manque de repères quotidiens sans doute. J'arrive au Lake Tahoe dont on remarque que Tahoe signifie dans notre langue "grand lac" "Da Hu, il est donc possible d'en déduire que notre peuple a conquis l’Amérique il y a 10 000 ans en venant par le détroit de Béring, cela ayant été confirmé par l'analyse des groupes sanguins.

Tahoe, c'est Squaw Valley, les jeux olympiques de 1960 et d'autres "ski resorts", un lac à 2000 mètres d'altitude. Je me pose un moment sur une plage et je joue avec un jeune garçon au frisbee. Je suis passé de la plage de la cala Benirras à une plage sur le Lake Tahoe, merveilleux, le monde ne fait qu'un. L'eau est bonne, 21°C, à cette époque de l’année. Je bois ensuite une bière à Tahoe City en essayant de m'informer sur les stations de ski locales. Je n'en apprend guère. En faisant le plein d'essence, je trouve des cigarettes indonésiennes "kréték" aux clous de girofle. Le soir, je passe au Nevada, m'installe sur une colline au dessus de Carson City qui évoque en moi Lucky Luke, c'est la capitale du Nevada, je fais un tour dans une salle de jeux mais n'ayant pas de goût pour le jeu, je ne fais que parcourir cinq minutes la salle.

En repartant le matin, je passe à South Lake Tahoe où l'on joue puisque c'est dans le Nevada contrairement à Tahoe City en Califomie. J'ai un long chemin jusqu’au pare Yosemite. J'y rentre gratuitement, c'est le jour gratuit de l’année, quelle chance, j'avais néanmoins un pass valable un mois que m'avait donné Fu Lo. Les pares nationaux avaient été créés à la fin du siècle dernier sous l'impulsion de John Muir, écologiste avant l'heure. Je roule pendant quelques heures à travers le park, contemple le dôme mais ce circuit ne m'aura pas satisfait, les voitures en file, les arrêts "obligatoires". La visite aura été fatigante. Je m’arrête en fin de journée pour un pique nique au bord de la route et d'une rivière, avec des moustiques.


South Lake Tahoe

Le lendemain matin, je rencontre la plus jolie et gentille serveuse que j'ai rencontrée de tout le périple, je fus séduit par son geste d’au revoir. C’était dans un chalet qui faisait hôtel, restaurant, bar. Les Américains ont vraiment un comportement "friendly" amical. Elle ne me connaissait pas mais gentille à en faire fondre. C'est un signe de civilisation et de compréhension, ce que l'on ne trouve pas en France à mon sens. En Amérique je suis tombé amoureux de bon nombre de serveuses. En partant sur Fresno, je me sens sale, avant de sortir du park, je me fais une toilette dans une eau à 10°c, un rasage sans mousse, un bain à la fraîcheur sauvage qui contraste avec la chaleur de Fresno, ville hispanophone. À Fresno, j'ai la vision dans mon rétroviseur d'une Continental, une modèle de luxe des années 70 que j'avais repéré à l’époque avec une femme avec un immense chapeau à son volant. Elle semble vraiment être d'une autre époque.

Je continue vers le sud sans excès de vitesse, j'aperçois un hélicoptère qui fait la surveillance de la route. De Fresno, je prend une transversale la 41 vers San Luis Obispo où j'avais envie de revoir le rocher de Morro Bay. Je fais un stop à Pismo Beach, une grande plage où je m'assied à côté d'une femme aux larges cuisses avec deux petits enfants.

J'arrive sur Santa Barbara dont j'avais admiré les grands arbres le long du freeway à I'aller. Je décide de sortir en pensant bien sûr au soap opéra télévisé. Je suis étonné par la plénitude du lieu, où l'on pourrait manger sur les trottoirs de State Street, l’artère aux multiples feux de circulation qui remonte lentement depuis le Stearns Wharf. Effectivement le City center de Santa Barbara est organisé comme une croix dont le centre est la fontaine aux dauphins, en bas le Steams Wharf, à gauche le port de plaisance et à droite les terrains de beach volley reliés par le "beach way" piste cyclable et de roller blades et en haut les bars, restaurants, cinémas, magasins. Je dîne de la cuisine mexicaine à Alex's Cantina. Puis je vais dormir sur le parking du port et tôt le matin, je vais écrire une carte postale à ma grand mère fan du soap que c'est une très jolie ville en dégustant un café parfumé à la vanille.


Surf à Malibu

Je retourne sur L.A, avant d'arriver je reste un moment à Malibu à observer des surfers, trop longtemps, j'attrape une contredanse. Je téléphone à Lai Mi que j'avais rencontrée dans l'avion qui me dit de venir la trouver chez son copain qui est au boulot. Elle est à Torrance au sud de L.A prés des plages, elle s'est faite couper les cheveux et ça ne se passe pas très bien avec Bai Lu, elle s'ennuie, il travaille. Bai Lu arrive, il est sympa et nous partons tous les trois acheter de la Coors pour aller à une party à Manhattan Beach, avec filles et bière, c'est chaud, les jolies blondes arrivent toutes les unes après les autres, plutôt mignonnes à très mignonnes. Facile! Bai Lu veut quitter la bringue, je les suis, il emmène Lai Mi à Las Vegas. Je repars dormir sur un parking tel le cow boy solitaire.

Le lendemain je pars vers Tijuana à la frontière mexicaine, Huntington Beach, Long Beach, Newport Beach et Balboa Island. Huntington est une plage, Long Beach une ville, Newport un grand port de plaisance et Balboa une marina. Je me gare dans Balboa Island, achète 4 T shirts et quelques coquillage que vendent des enfants pour quelques cents, ils ont beaucoup de valeur à mes yeux parce qu'ils viennent du Pacifique, un Océan bourres d’idéaux de par son nom, où la vie peut renaître quand elle n'est plus, tellement il est grand et vide de populations. Un challenge pour l’humanité : "L'avenir de l'homme se fera sur les mers ou ne se fera pas." Après avoir traversé un canal au moyen d'un bac, je me retrouve dans l'herbe sous des cocotiers à côté d'une plage à écouter du gospel chanté par des noirs. Je baigne dans le bonheur.

Avant d'arriver sur San Diego, je vois Irvine, l’université où la belle californienne du vol charter étudie, c'est en plein désert. En arrivant sur le freeway à San Diego, un avion atterrit au dessus de ma tête. Fort! Je fais un stop pour boire une bière au club nautique, il y a deux filles superbement roulées, une blonde et une brune vêtues de robes courtes noires avec un type, je les observe et à la sortie du club, un type vient vers moi me demander si j'ai un truc pour ouvrir une porte d'une voiture en marche dont les clefs sont à l’intérieur. Je n'ai pas de solution et repars vers la frontière que je ne passe pas. Je vais me perdre sur une route en imaginant pouvoir passer sans présenter de passeport comme un clandestin. J'ai vu le Mexique de l'autre côté de la frontière, ça sera pour une autre fois. Je reviens dans le centre de San Diego, je me promène sur le port, passe sous Ia carène d'America 3 qui vient de remporter l'America Cup, je relève aussi un fascicule qui traite de la nourriture cellulaire, je ne comprend pas très bien de quoi il s'agit, j'apprendrai plus tard que c'est le réseau Herbalife dont le siège social se trouve à L.A. Je retourne dans ma voiture.


Université de San Diego

Le lendemain matin, je prend un café et des pâtisseries dans un hall de presse à feuilleter une revue nautique, Sail. Je retourne lentement sur L.A où je cherche le signe Hollywood sur Ia montagne et le boulevard pour lire les noms des "stars" sur le trottoir. Je me retrouve à Malibu, cherche le Topanga Canyon puis trouve le Sunset boulevard que je n’hésite pas à prendre, 4 voies sinueuses sur une colline "Beverly Hills", les Cadillac et les Mercedes hantent le quartier des stars dont il est indiqué un peu partout des ventes de guides de leurs résidences. Je m’arrête devant une boite où je demande à quelle heure commencent les concerts. à 21 heures, je repasserai peut être, en attendant je continue vers Melrose tellement "hype" avec des filles magnifiques. Une brune aux cheveux longs, yeux bleus, bronzée dans une robe courte bleue. Elle est venue à un rendez vous avec une copine. Trop belle !! Et moi j'en reste paralysé.

Je déguste un "chile fries" un chili con carne avec des frites et un grand coca cola sur un comptoir, je ne cherche pas à établir le contact. Je vis mon rêve. lei c'est vraiment bien "l'apex" et "l'épitomé" réunis : l'apogée et la quintessence du monde occidental. On ne le cherche pas tous, mais on peut le trouver à L.A. Le Iendemain matin je vais à Santa Monica sur Ocean Avenue au "Ocean Seafood" pour un brunch, peu de monde, il est 11 heures quelques tables dehors, mon look grunge dénote avec les autres clients dans Ia meilleure des tenues mais VISA fait l'affaire. Épinards, saumon, petits gâteaux, café, une serveuse blonde et jolie pour chacun des plats, un bébé requin dans un aquarium à trois mètres, une belle table ronde en bois. J'ai manqué ne pas terminer mon repas, tellement riche que je risquerais de ne plus rien apprécier d'autre si j'en prenais l'habitude, prix modique, $14. La veille, ma soirée était plus simple à Venice sur Main street où je cherchais un bar pour célibataires et trouvais finalement une terrasse avec de la Coors devant une TV.


Coucher de soleil  à Venice

J'ai passé l’après midi sur Venice, à contempler les spectacles dans lesquels les Noirs disent aux Blancs de ne plus les craindre comme pendant le mois de juin passé des émeutes. Un noir musculeux a choisi un spectacle qui met en scène des spectatrices danseuses avec un "sound system" de rap mêlé de rock. La quatrième est une blonde bien faite qui choisit comme unique spectateur le metteur en scène, il est soufflé et elle ravie, le public aussi. Le soir, à Redondo Beach, je repère un bar sur le wharf avec du blues rock et une serveuse un peu plus âgée que moi tellement belle dans ses "sneakers" chaussures de sport, son short blanc et son T shirt décolleté. Simple encore. Dernière journée du voyage, lundi, Lai Mi a dû rentrer de Las Vegas, je retourne chez elle, nous partons vers Manhattan Beach et nous rencontrons Wu Ho Le, il est en vacances, nous déjeunons tous trois de burritos et tacos, flânons sur Venice Beach en touristes et le soir nous nous retrouvons tous avec Bai Lu et ses copains dans un pub à Redondo Beach.

Je m'ennuie et observe deux filles short en jean, boots, T shirt et veste en jean, des cow girls avec un copain. Elles font beaucoup de bruit et écrivent des cartes postales de filles nues, je fonce, Ka Ting Lo est manager d'un groupe de rock à Bremerton en face de Seattle et An Ma éducatrice ici à Redondo Beach, elles ont mon age, il ne faut pas que je retourne en France, elles me proposent de partir avec elles en vadrouille, Lai Mi m'appelle et m’entraîne dehors, je la suis et nous nous en allons, j'ai suivi et nous partons en boite. Le lendemain matin Wu Ho Le m'accompagne à LAX,  à ma rentrée dans le Bradley terminal des vols internationaux, des Français se demandent à voix haute de quel pays suis-je, ça me fait penser que je suis le prototype du californien convaincu, grunge et cheveux décolorés par l'iode et le soleil. Je pleure toutes les larmes de mon corps, le bonheur doit-il être fugace et ne dois-je le vivre qu'à petites doses au risque d'en faire une overdose ?

Les opportunités qui se sont présentées à moi d’être heureux, j'ai souvent préféré ne pas les prendre, ayant une confiance dans l'avenir et en moi illimitée depuis que je sais que je suis capable de réaliser mes rêves. Il faut seulement que je m'en donne le temps mais pas trop longtemps quand même. J'ai rendu la voiture avec un total de 5500 miles parcourus soit 9000 kms, ayant dépensé $200 de "unleaded gasoline" essence sans plomb et $4 de péage pour traverser des ponts. À mon retour à Paris, je prend le train et m’arrête à Lyon où je m'endors dans la gare par terre.


Santa Barbara hiver 18 novembre 1992 au 14 janvier 1993

Deux mois passent, septembre et octobre, pendant lesquels je me revois au LAX Bradley Terminal, LAX étant le nom de l’aéroport, dans mon jean grunge, mon T shirt, cheveux décolorés, gros sac ultra léger vivant mon Californian Dream que je vais chanter ensuite dans les karaokés toulonnais dans ma version de "Born to be wild" de Steppenwolf, le héros que je me sens vivre, en décalage perpétuel avec ce que je dis ou ce que l'on entend, le "skycar", la voiture volante, Ocean boulevard, les freeways 101, 405, dites "one o one", "four o five". À Saint Tropez lors d'une soirée pendant la Nioulargue, la régate rassemblant les grands bateaux de la Méditerranée et les transocéaniques, je prend conscience que je dois repartir pour l'hiver au vu de l'ambiance de fête anglo-saxonne. La technopôle de Davis où l'on construit le "skycar" avec le Lake Tahoe et ses stations de ski à proximité me tentent. Je pourrai faire du marketing, être roommate dans une maison d’étudiants me faire domicilier comme je pourrai, m’acheter un fax, un vélo, donner des cours de français, être au pair, m’insérer dans la vie locale comme je n'y suis encore arrivé nulle part en partant du postulat que dans une ville où l'on travaille sur une voiture volante, mes idées avant gardistes seront bien accueillies.

Le 16 novembre, je suis donc à Paris, je ne suis pas tout à fait à mon aise dans le projet de ce voyage. Je dois me trouver à 12 heures à Roissy Charles de Gaulle, il pleut, et je manque arriver en retard, je ne me suis pas réveillé, ce qui ne m'arrive jamais. Mon retour est prévu dans trois mois, la durée autorisée sans visa, je n'irai pas au salon nautique de Paris au mois de décembre, je ne traverserai pas non plus l'Atlantique en bateau. Je vole vers la Californie, vers Jiu Jin Shan, avec Northwest. Nous sommes quelques uns à émigrer pour une durée de trois mois avouée et plus si la chance nous sourit. Nous nous posons sur Detroit et y faisons notre déclaration d’entrée sur le territoire américain, là, je ne me révèle pas assez dans le droit chemin du touriste et me retrouve avec quelques autres dans une salle à attendre mon tour pour voir un officier. La correspondance est dans deux heures, il ne faut pas que cela dure trop. Une demie heure passe, une fille ouvre tous ses bagages avec des curriculum vitae et des justificatifs de travail, elle repartira sur Paris.



Vient mon tour, j'avais expliqué tout à l'heure que je venais pour prendre des vacances et faire des affaires si cela était possible. Je dis alors que je suis "yacht broker", que j'organise en France des croisières en voilier et que je désire créer une activité aux USA mais aussi pour skier et faire du bateau, et que ma vie a du mal à cerner le loisir de l'occupation obligatoire qu'est le travail. Au bout de trois minutes, l'officier me confirme ma rentrée aux USA. Je pars chercher mon bagage qui a explosé pour rejoindre le terminal des vols intérieurs. Sur Detroit Jiu Jin Shan, je m'attendrai dorénavant à ce que les hôtesses soient jolies, brunes, au contact facile. Avec un français qui vient voir sa copine, nous nous rendons dans la cabine des hôtesses leur demander un jus d'orange et Lu Fang, cheveux ondulés avec une jolie barrette, nez busqué, fine, me demande si je pars comme ça à l'aventure sans connaître personne. Je lui répond que oui. Sa copine lui demande si elle en ferait autant, elle pense que oui. Elle habite Akron dans l'Ohio, la ville de Goodyear, le manufacturier de pneus. Mon père s'y était rendu il y a 18 ans lors d'un voyage incentive. Son retour avec  4 disques vinyle de funk et de soul avait été la premier incursion de la musique américaine dans ma vie.

Je ne suis toujours pas prêt à partager ma vie, mon objectif est la Californie, je quitte Lu Fang. Deux jours plus tard, je pense bien que je ferais des recherches pour savoir qui elle était et connaître son adresse pour la rejoindre. Je m'imagine regarder le trombinoscope des hôtesses de l'air de Northwest, compagnie dont j'apprendrai dans le courant de l'hiver qu'elle compte 55000 employés et que 2000 seront licenciés suite à ses graves difficultés financières.

A Jiu Jin Shan, il est 21 heures, je loue une voiture chez National, je vais partir tout de suite vers Sacramento. Je connais bien la route, je ne suis pas fatigué. Arrivé à Davis à 2 heures du matin, je tourne dans la ville, dans le campus de l’université. Je trouve un coffe shop, des journaux d'annonces avec les rubriques "share housing", "rooms for rent", il y a quelques possibilités autour de $300 le mois. J'engouffre mes pancakes, la patrouille de police de nuit prend aussi son breakfast. À 4 heures, je pars vers Tahoe, fais de l'essence à 6 heures dans le froid, très froid. À Jiu Jin Shan c’était l’été indien, l'été dernier, c’était chaud tout simplement. Au lever du jour, ce sont les premières neiges de l’année, le vent souffle autour du lac bien moins accueillant.



Je vais au pied de Squaw Valley (dire squa), il y a 10 cm de neige sur la route, il n'y a pas les infrastructures hôtelières et résidentielles qui existent en France. Je retourne à Tahoe City, vais au chamber of commerce pour prendre des infos sur  la création d'entreprise ici, la possibilité de trouver un logement, il y a des chambres à $150 le mois, c'est moins cher qu'à Davis, mais j'ai peur de m'ennuyer enfermé dans une maison et pas tellement envie de faire du ski. Je passe quelques coups de fil aux annonces de chambre, tombe sur des répondeurs. à midi, il fait soleil.  La fille de la chamber of commerce était jolie, je m'en vais, les routes sont enneigées. À 16 heures, je suis à Davis, je repasse chez Moller où le directeur du marketing me donne d'autres brochures du M400, mécontent que les Français à qui j'avais raconte l'existence du skycar ne me croyaient pas. Je retourne sur Jiu Jin Shan puis descend sur Salinas où le soleil brille, le froid ne m'aura guère tenté, j'ai besoin de sud, de mer, de chaud, d'animation estivale.

Je pense à une copine dont j'avais croisé les parents un peu avant de partir qui m'avaient dit qu'elle est à Santa Barbara, je repense à mon émerveillement de l'été. Je pars, repasse à Morro Bay où il fait le même temps brumeux que les deux fois précédentes. À Santa Barbara, je ne trouve personne à l'adresse que j'ai. Je vais faire un tour sur la plage, pieds nus dans l'eau. Je me pose quoi qu'il arrive, les jours de voiture me coûtent cher, $40 par jour, il faut que j'emménage. Je prend rendez-vous pour demain matin à 9 heures pour une chambre à $345 et je vais à Alex's Cantina comme lors de mon passage l'été dernier croquer quelques tacos et écouter Munkafust, des filles s’éclatent devant la scène, je reste en retrait mais ça va être bon, c'est la bringue, le rock, des filles et de la bière. Je discute un peu avec tout le monde, avec des étudiantes, deux types qui me proposent de venir jouer au softball avec eux. Je vais vivre ma vie.

A 6 heures, "Audrey's pancakes" et à 9 heures, je suis chez Wu La, je prend ma chambre, fais un chèque de $545 dont $200 de caution, laisse mon sac et repars vers Jiu Jin Shan n'ayant pas eu la présence d'esprit de laisser ma voiture à Santa Barbara, craignant de payer trop cher un convoyage comme en France. C’était pourtant gratuit. Je fais le retour sur Santa Barbara en greyhound le lendemain, l'ambiance n'est pas rigolote, beaucoup de mauvaises ondes et c'est long. Le soir ça y est, je suis installé en Californie.

Le lendemain matin, il fait 20°C, je pars acheter un short dans le "thrift store" de l’Armée du Salut sur la rue principale de la ville "State street" pour $2. Je choisis un vélo de plage, un "cruiser" neuf pour $180, il a une selle large, des pneus larges, un seul pignon, un guidon large et rembourré, un frein à tambours en rétropédalage. J'ai décidé de prendre le temps de vivre, me replonger dans moi même, je me sens brusquement rasséréné.

Mes journées pendant 55 jours vont être identiques sur un périmètre restreint avec des déplacements quasiment exclusivement à pied et à vélo. Ma journée sera lever tardif, 9 heures, il fait un peu froid le matin, puis pancakes et "corn syrup" sirop de maïs, substitut de sirop d’érable, plusieurs tasses de café soluble avec du sucre "sweet'n low" doux et basses calories. Le vélo, une petite grimpette et une grande descente sur State Street d'un bon kilomètre avec soit un arrêt à Earthling bookshop, la librairie ou à la "Public library", la bibliothèque municipale. Puis ou non la continuation vers l'East Beach Grill où je m'assied au soleil d'hiver avec un coke ou un café pour regarder la mer. Je verrai un jour deux dauphins naviguant de conserve à 5 mètres du bord. Vers 13 heures, la remontée vers la librairie où je passe bien trois heures par jour. Elle est ouverte tous les jours de 9 heures à 23 heures sur une surface d'environ 200 m2 avec une cheminée centrale et une quinzaine de chaises autour. Sur la cheminée, le panneau :" Nous vous encourageons à bouquiner mais remettez les livres là où vous les avez trouvés, s'il vous plaît". J'ai donc abusé. J'y ai lu et feuilleté : Anai's Nin, Frida Kahlo, Marcus Garvey, Donald Trump, Castro, Malcolm Abdul Jamal, JFK, Churchill, découvert les civilisations Maya, Aztèque, Russe, Mongole, apprit que la Californie est une île dans le territoire américain selon des écrits espagnols 40 ans après la découverte du continent où des femmes vivent couvertes d'or. J'apprendrai bien plus tard que nous donnons nous les Chinois le nom de Jiu Jin Shan à San Francisco c'est à dire "vieille montagne en or". J'ai également compris que la force d'une librairie est de faire tourner ses présentations de rayons de façon à attirer, éveiller, créer un déclic susceptible d'ouvrir une voie vers la connaissance d'un domaine dont on cherche inconsciemment à en savoir plus. L'attitude ouverte et de réceptivité à ce qui est contenu dans l'esprit et dans le monde devient chez moi primordiale.


Santa Barbara Public Library

Je découvre que les sentiers de la connaissance sont larges et les domaines multiples. Le voyage que procure la librairie dont j'avais oublié depuis 9 ans l’utilité jugeant en savoir assez, m'ouvre des champs et des pistes dans le temps. Les interrelations ethniques, slave, scandinave, turque, ou mongole montrent les déplacements de population poussées par les causes économiques ou politiques vers d'autres cieux, créant de nouvelles civilisations. Les pionniers américains décrits dans un livre évoquent un esprit fonceur, parfois violent mais nécessaire pour conquérir et établir une paix durable. J'intitulerai ensuite mon entreprise comme celle des pionniers de la mer.

A la bibliothèque, j'ai trouve bon nombre d'infos, un guide d'importation à l'usage des exportateurs étrangers vers les USA définissant les principaux droits de douane et les autorités compétentes pour les produits, la Federal Communication Commission, la Food and Drug Administration entre autres.

J'ai consulté également les guides des travailleurs étrangers dans le monde établis par Price and Waterhouse, spécialistes de l'audit financier. J'ai aussi relevé les coordonnées des sociétés de "venture capital" ou capital risque en Californie qui investissent au minimum $100 000, interviennent sur plusieurs étapes, "seeds" graines, "start up" démarrage, "1st stage" "2nd stage" "mezzanine", niveaux d’élaboration du projet. Il y a aussi un annuaire professionnel de fax dans le monde. Tous ces livres sont autant d'info démystification en confortant le mythe du pionnier arrivant en Amérique pour faire fortune puisque tous les éléments semblent offerts pour légalement et quasi gratuitement s'installer aux USA.

Il y a néanmoins des "bums", clochards à Santa Barbara, un homme d'une soixantaine d’années dans un fauteuil roulant enfoui sous des plastiques et journaux dormant ou sommeillant nuit et jour à gauche en montant "State Street" prés d'Anapamu donc à la hauteur de la bibliothèque et de la librairie. Il y a aussi un jeune d'une vingtaine d’années, cheveux rasés, en bonne santé, un unijambiste d'environ 35 ans, sale, très agressif sur son : "Can you spare some change ?" auquel comme Ka Lu me l'avait appris à Jiu Jin Shan, je répond : "I am broke, sorry".

Un début de soirée en "Happy Hour" chez Alex's Cantina, l'unijambiste vient s'asseoir à côté de moi, je suis seul à ma table et il sort une vingtaine de $ dont la moitié en quarters, 25 cents. À partir de 17 heures, je me pointe presque systématiquement chez Alex's pour goûter à la Miller Light pour $1, des chips de maïs avec de la "salsa" verte ou rouge, et des tacos de bœuf, poulet ou beans pour 25 ou 50 cents. Je passe là une bonne heure à regarder la TV, les matchs de la NBA, la National Basket Association entrecoupées de pubs de voiture qui doivent mal se vendre, les patrons des concessions font eux même les spots publicitaires.


Steak Burrito

Je mène une journée de solitaire mais je me laisse aller au plaisir de goûter à la vie tranquille de Santa Barbara montant et descendant "State Street" sur les pistes cyclables de la rue tranquillement au rythme des feux et à côté des Jaguar, Cherokee, Lexus, Cadillac, Pick up et autres Blazer. Il fait doux et je n'ai guère envie d'aller au cinéma, je n'y suis pas allé une seule fois alors que c'est pourtant une de mes activités favorites. Je me laisse aller à une douce rêverie dans ce jardin d'adultes propre. J’écris en France des lettres ou des cartes postales car j'ai des liens mais je suis toujours confronté à l’incompréhension. Ce séjour me permet d'hiberner.

Le soir après avoir déposé mon vélo à la maison où je ne vois pas grand monde, je m'en vais à pied pendant une bonne demie heure en ville écouter un groupe de rock chez Alex's ou Toes Tavern, le classic surf bar qui est une merveille, 5 billards, une scène, tables et tabourets hauts, un long comptoir métallique et de la Coors. il y a un "International Brews Cruise" que je ne poursuis pas tellement habitué à boire ma Coors dans de grands verres ou des gobelets en plastique de couleur très larges.

Le Beach Shack est un autre des endroits que je fréquente le soir, une boite avec restaurant cubain pour se défouler et commencer à boire à partir de 21 heures avec la bière commençant à 25 cents augmentant par tranche de 25 cents par heure. Je montre à l’entrée de chacun des bars une "Valid ID", mon identité avec date de naissance et photo, mon passeport qui ne me quitte pas. Il faut avoir 21 ans au moins.



Un soir au Beach Shack, je rencontre une Belge, j'avais repéré qu'elle était sans doute ·européenne parce qu’elle avait présenté un passeport comme valid ID contrairement aux Américains une carte. Elle est en vacances, elle travaille à Bruxelles et veut implanter un magasin de glaces au yaourt, elle a peur que je lui tape l’idée, quelle idée !   Les idées ne se tapent que si l'on ne va pas au bout ou si l'on arrive trop tard, il faut savoir se positionner dessus suffisamment tôt ou savoir prendre le train en route. Il existe trois positionnements en marketing sur un marché "leader"qui prend la plus grosse partie du marche au début, "challenger" qui rapidement se distingue comme le rival du leader et prend une bonne partie du marché. Ensuite, il y a les "suiveurs" qui prennent les restes du marché et à ce moment la concurrence devient néfaste pour l'ensemble des entreprises travaillant sur le même marché.

Je rentre de mes sorties en ville vers minuit, une heure, assez tôt et cela me fait encore une demie heure de marche à pied qui me permettent de m'endormir d'un bon sommeil. À la maison, il y a la propriétaire une femme d'une soixantaine d’années d'origine allemande et son fils, elle m'a invité pour le Thanksgiving Day à manger de la dinde avec de la "jelly" de "cranberries", elle a invité également ma voisine du dessus, qui était surfeuse et vit maintenant avec ses chats et circule en vélomoteur. Il y a des amis
de la propriétaire, retraités à qui je donnerai dorénavant un cours de Français le lundi soir en échange d'un repas au restaurant.



Le français est certes la langue du romantisme comme me l'ont fait comprendre les étrangères mais bien plus compliqué en est son maniement à ce qu'elles imaginent, en revanche le seul fait de l'entendre est suffisant pour éprouver du plaisir. Après le Thanksgiving Day, je suis invité à un cocktail d'inauguration d'une exposition où je suis allé et revenu sous la pluie battante. J'y ai pour la première fois discuté avec une jeune coréenne dont le nom signifie Amour et Beauté, j'ai été subjugué par sa déférence mêlée d'envie de contact que je n'ai pas eu. Mon voisin de chambre est électricien, il vient de la région des Grands Lacs, prés de Chicago. Je suis un peu étonné comme lui, ma logeuse et son fils sont épris de "God" Dieu, ce qui ne signifie pas grand chose pour
moi, mais qui les transporte leur vie durant.

J'avais réalisé en 1986 que Jésus avait créé le plus grand capital immobilier de la terre et le plus grand nombre d'emplois sur 2000 ans par la construction d’Églises et le dévouement des prêtres. L'amour se vend bien et dans une ère de communication 2000 ans plus tard les évangélistes travaillent bien. Dans un monde où l'amour et l'argent sont les deux liens principaux de l’humanité dans lequel l'argent reste vainqueur dans 51 cas sur 100 au moins, Jésus était un être 100%  d'amour et il a créé un mouvement sur 2000 ans qui perdure.

Quelques jours après mon arrivée, je me souviens qu'un oncle et une tante avaient effectué un voyage en Californie pour un comité de jumelage avec Santa Barbara. Je me rend donc au Chamber of Commerce qui fait office d'information touristique également et c'est une française qui me donne les coordonnées du vice président du comité de jumelage pour le comté de Santa Barbara et le département du Var dont Toulon est la préfecture. Je me rend au bureau de Kevin, le "Real Estate Broker" courtier en immobilier, il n'est pas là. Sa femme me renvoie au président.



Je le rencontre, il est avocat et me convie à la fin de la semaine pour l'inauguration d'un magasin d’antiquités créé par un Marseillais puis à un repas dans un restaurant français pour $25. Je me rend à pied en profitant d'une accalmie de la pluie au magasin d’antiquités, l'antiquaire est pessimiste sur l'avenir du magasin. Le client américain lui parait indécis, il vient de sortir son carnet de chèques  sans raison apparente, il s'en va. Le choc des cultures me paraît évident et les idées préconçues des deux peuples sur l'autre faussent les relations.

Je ne passe pas Noël seul comme en Martinique mais chez des amis du Bar Var que j'ai rencontrés au repas dans le restaurant français, la Martinique n’était pas ma terre d'accueil,  la Californie, oui. Un voyage de 9000 kms, 15 ans d'attente et d'errance pour trouver une terre d'accueil. J'ai trop regardé les films de l'errance du cinéaste allemand Wim Wenders et trop apprécié les faux mouvements de chacun de leurs héros.

Je passe le nouvel an à Alex's Cantina où je vois Jing Le, une belle anglaise serveuse à Hola Amigos l'autre fameux lieu de l'happy hour à Santa Barbara prés du wharf. Elle est avec toutes ses copines et la seule accompagnée de son mari. Nous sommes deux hommes pour une dizaine de filles. Mais je ne suis pas décontenancé. J’étais de 15 à 18 ans avec 90% de filles en cours. De plus j’apprécie le fait que les anglo-saxonnes se regroupent par "grappe" parfois de 8 ou 10 pour sortir ensemble contrairement aux françaises qui sortent plutôt accompagnées de leur copain en groupe mixte.

C'est ici un plaisir de rencontrer des filles, Isla Vista le campus d'UCSB "University of California Santa Barbara" compte 10 000 étudiants qui viennent parfois "downtown" à Zelo, chez Joe's, King's tavern entre autres. Mon approche n'est pas de trouver une fille mais établir des contacts, j'avais lu que la profession de "contact man" existait en Relations Publiques", j'ai le don de me sentir bien quel que soit le lieu où l'on se réunit. Je le fais d'autant plus que pendant un an, je me suis renfermé sur moi même, ai manqué en mourir et que pendant trois ans, je n’étais pas apte au sourire gavé d’anxiolytiques et de neuroleptiques. Regarder vers l'autre même en me faisant violence au début n'est plus un problème, c'est salvateur. Je m'en donne à cœur joie de discuter avec toutes les jolies filles qui se rassemblent pour boire une bière entre filles.

Un soir avec un copain, je rencontre d'abord deux Suissesses avec qui cela ne colle pas vraiment puis deux américaines avec qui cela colle, l'une à vécu en France où elle faisait une école de mannequins. Les deux Suissesses deviennent sympas. Il faut donc savoir susciter la jalousie des filles pour toutes les attirer. Ce qu'il advient après, je ne sais pas, mais comme le dit un héros de Bande Dessinée, Corto Maltese, "Si on pouvait ne pas tomber dans les mains d'une fille quand on tombe dans ses bras." Je reverrai trois fois cette Américaine sur le beachway, elle en Roller Blade, moi sur mon "cruiser" avec mon walkman.



Effectivement, je fais toutes mes promenades en vélo avec mon walkman dans ma poche intérieure de veste en jean, branché sur KTYD 99.9 ou KCQR 94.5 ou les "free rides" de musique ininterrompues accompagnent trop bien mes "rides" de vélo au bord de la mer. J'aurai bien suivi cette étoile américaine mais je crois qu'il n'en est pas encore temps, je reste solitaire et semi sédentaire à peu prés en phase avec la société humaine. Errer sur le Pacifique d'un bout à l'autre de la Californie à quelque part en Asie, je ne sais pas encore que c'est Hong Kong. Je m'imagine pour l'instant que c'est quelque part au Japon, je pense à la Baie d'Hiroshima ou Nagasaki où se rendirent les premiers chrétiens avec St François Xavier. La déviation Pacifique m'est apparue à l'age de 15 ans quand Jacques Attali en parlait comme un recentrage du monde sur le Pacifique en terme de volume économique, direction politique et non plus entre l'axe Paris-New York City / Europe-Nouvelle Angleterre.

Je rencontre aussi une Américaine qui fait du cheval, je me laisserais bien tenter par une cavalière qui m’emmènerait parcourir le territoire américain à cheval. Je suis un homme d'action qui a besoin d'accompagner une aventurière. J'exclus une cohabitation sédentaire avec une fille comme je l'ai expérimenté autrefois avec une fille travaillant ne supportant pas ma liberté.

Je revois un soir Kevin avec qui je vais à l'happy hour de Alex's. Je retourne dîner un soir avec une jeune maman chez mes amis avec qui j'ai passé Noël, nous partons ensuite danser en ville. Je continue à errer sur le port mais je n'ai vraiment pas envie de faire de bateau. J'ai également rencontré une jeune femme d'affaires allemande au Bar Var mais je n'ai guère envie de faire des affaires, je préfère continuer à vivre en dilettante. Avec un jeune américain travaillant avec elle, fraîchement diplômé de UCSB nous avons passé une soirée à Isla Vista où l'on fêtait la fin du semestre. Ambiance arrosée de bière, là on m'a dit que je suis un "wild guy" au vu de la rapidité avec laquelle j'ai amené deux filles à notre table. Je suis pourtant songeur et en hibernation à cette époque.



Puis il se met à vraiment pleuvoir sans cesse, je crois que je vais rentrer en France avant le 16 février, date de mon billet retour avec Northwest, il n'est pas modifiable. Je préviens toutes mes relations que je reviendrai au début de l'été, je vais dîner dans la demeure magnifique du président du Barvar, sur la Mesa avec vue sur la mer et à un moment il me parle de Bill, qui ça ? "Clinton" me répond-il, quand il était venu un mois plus tôt à Santa Barbara ; j'aurais été ravi de le connaître. Je préviens mes amis à Montecito de mon départ en leur demandant de garder mon vélo jusqu'à mon retour et le leur apporte.

Le lendemain matin, je pars prendre le greyhound pour LA, on parcourt la ville sous la pluie, il pleut des trombes. La veille, j’étais allé boire le dernier verre de bière à Toes Tavern, tout triste d'annoncer que c’était le dernier. Ma logeuse et son fils m'ont accompagné  en voiture à la bus station en me laissant une bible en souvenir. Je passe l’après midi dans le terminal Bradley, fait connaissance avec une jeune fille néo zélandaise, qui au bout de trois heures de ma compagnie a fini par me dire, j'en ai assez, je bouge. Elle s'occupait de chevaux mais pas très rigolote, mon discours l'avait fatiguée.

Dans l'avion, c'est la ligne Tahiti/Los Angeles/Paris  d’Air France, je me fais engueuler par le co-pilote dés mon entrée, l'hôtesse me regarde d'un sale œil en me voyant boire mon Champagne à la bouteille. Je jugeai le verre en plastique pas compatible. Je suis bien placé avec trois filles sur ma rangée, deux dorment, je discute avec l'autre. En arrivant à Nice, je suis très étonné, les gens rient tous me semble - t - il. S'est - il passé quelque chose ? Les comportements ont changé, on est pessimiste en général. Je vais alors annoncer à mon psychiatre que je suis très heureux parce que je ne suis plus tout seul à être dans la merde. Toute relative mais tout de même exclu.

En tout cas le monde est vraiment petit car un dimanche après midi, commençant à remonter State Street, j’entends une voiture klaxonner, vois une fille me faire des signes c'est ma copine que je croyais voir à mon arrivée à Santa Barbara, elle n’était là que pour quelques jours. Je me passerai des spectacles de percussions le dimanche après midi sous les cocotiers sur le beachway mais j'ai trouvé le lieu où j’élèverai mes enfants.


Santa Barbara été 23 mai 1993 au 27 juillet 1993

L'hiver s’écoule, je ne dors que quelques heures par nuit, je sors 5 soirs sur 7, je bois ma dose de bière qui n'a ni la contenance, ni la légèreté des américaines. C'est le goût de la bière européenne, belge. Je suis toujours amoureux de ]'image de celle qui a éveillé en moi la décision d’émigrer mais je sais qu'elle n'est pas faite pour moi. Elle est une cristallisation de la femme que je garde en tête, histoire de me souvenir que je suis un homme. Les événements se précipitent autour de moi, la société est tiraillée, l'harmonie des préceptes bien établis des valeurs traditionnelles : travail, famille, patrie, s’ébranle. Je sais moi qu'il faut d'autant plus que je songe à m'en aller à nouveau pour m’établir et début mai, je passe un week end à Aix en Provence où je ne m'amuse plus, je me décide à nouveau.



Je me fais envoyer un billet Nice L.A par la copine qui déjà m'avait réservé la voiture de l'été précédent, je lui paierai à l’arrivée. C'est un vol qui fait la liaison Paris Tahiti en passant par L.A. Peu avant de partir, je fais deux jours de bateau avec des copains, je suis donc bronzé mais très fatigué. Je me suis poussé à bout depuis mon retour de cet hiver, depuis 4 mois, vélo de 20 kms par jour au moins, et fiesta nocturne. Je dois prendre des vacances. 4 jours avant le départ, je ne vois pas arriver mon billet qui est coincé quelque part par le transporteur express international. Ce n'est qu’après deux fax à L.A, un coup de fil à L.A, 4 à Paris que je réussis à l'obtenir avec 72 heures de retard.

Mais bon, ça y est, je pars à Nice vêtu de mon costume Cacharel, teinte beige colonial, un T shirt plutôt qu'une chemise, des docksides, je la joue Miami Vice, sans la Ferrari toutefois. Dans l’aérogare, ça sent la fin du festival de Cannes et je rejoins Santa Barbara, un Cannes américain, pour moi c'est aussi la liberté dans ce climat de stars, finies les privations alimentaires. Je n'ai dépensé que 120 FR. de courses en trois mois, des paquets de farine à 2.25FR. pour une semaine pour des crêpes à l'eau et à la farine avec un pot de miel pour un mois à 16FR. en guise de premier et deuxième repas la journée, une bière le soir précédée d'un repas à droite à gauche de temps en temps. En guise de confort, des douches froides et pas de chauffage dans un appartement à 12°-16°C, cela ne ramollit pas un homme.

J'arrive en fin de soirée à LAX, je n’hésite pas à prendre le shuttle "National", demande une voiture de catégorie A, présente mon permis de conduire français, ma carte VISA, et pars dans une Honda par Malibu sur la 1 du bord de mer, il fait nuit à Santa Barbara quand j'arrive. Je fais plusieurs tours de ville lentement pour bien réaliser que je suis revenu, il fait doux, je vais me garer sur le port et pars à pied sur la jetée écouter l’océan. Les rythmes biologiques de la Californie me reviennent, maisons basses, flux autoroutiers lents, océan. Je m'endors à trois heures.



A sept heures, j’apprécie chez Audrey's mon "breakfast" favori, pancakes, œufs, bacon et "bottomless" tasse de café. Je retourne à L.A payer mon billet d'avion, passe sur Redondo Beach pour grignoter une quesadilla avec les $20 que m'a donné un copain avant de partir pour que je pense aux Ray Ban que je lui rapporterai. Je rejoins Santa Barbara serein bien que ne sachant pas où je dormirai ce soir par la 101 cette fois ci par Thousand Oaks. Je vais voir Kevin, il me propose de rester chez lui le temps que je m'installe. Je vais diner chez mes amis chez qui j'avais laissé mon vélo et le soir je rend ma voiture à Goleta prés de UCSB. Je ne sais pas très bien ce que je vais faire, je suis un peu "short" au niveau fric et je resterai bien dans un jardin et économiserai ainsi le logement.

Je pars chercher mon vélo et me retrouve à nouveau sur le beachway, il fait un beau soleil et je ralentis à nouveau mon rythme d’activité intellectuelle et physique. Kevin me présente un ami qui a une maison avec une chambre disponible à Isla Vista sur la rue de la maison. La piste est d'abord sur le côté de la route puis au travers d'un marais parfois ombragé. C'est une parfaite promenade de santé, une petite heure. J'arrive à 9H30 et attend 10 minutes devant la maison avec ma veste en jean grunge, je vois un flic à VTT qui arrive et me demande qui je suis, je lui présente mes papiers un peu inquiet, Kong arrive. Les voisins du dessus croyaient que j'allais tout casser, un peu parano. Kong me les présente et explique que je vais rester là au rez de chaussée deux mois si mes roommates m'acceptent. À ce moment arrive une fille, Wu An, mince, jean, chemise blanche, cheveux longs, jolies chaussures, un bracelet au bas d'un mollet. Pour elle c'est bon, elle me dit d'attendre onze heures pour voir Tian Nu, je vais prendre un breakfast et reviens. Tian Nu, très mignon petit lot qui me fait penser à mon ex-copine, il va falloir que je me méfie. Je suis accepté, je reviens voir Kevin et lui annonce Ia bonne nouvelle, cela me fait une chambre de 40 m2 à 200 mètres de la plage dans un appartement avec deux jolies filles. Ouaaaah !



Vont se dérouler alors deux bonnes semaines pendant lesquelles je ne vais pas sortir le soir donc dormir la nuit un peu le jour, faire l'aller retour sur Santa Barbara dans la journée sur la merveilleuse piste entre le terrain de golf, les ranchs, une glace chez Mac Connell dont Kevin m'a donné des jetons de glace gratuite, c'est le business de son beau père. Puis je vais écouter de la musique au Paseo Nuevo, la galerie commerciale en extérieurs. Je reprend l'habitude de lire à la librairie mais j'ai surtout besoin de sentir l'eau de mer sur mes pieds, le soleil sur la tête sur les plages de Santa Barbara ou de Goleta et Isla Vista où je me promène le walkman sur les oreilles avec KTYD 99.9. Les paroles d'une chanson des Posies sont "I can dream all day" vont tout à fait bien avec mon état de rêverie permanent depuis que je suis arrivé. Je me rends compte qu'il y a du goudron sur la plage d'Isla Vista, cela est dû aux nappes sous-marines de pétrole qui s'infiltrent jusqu'à la surface. Ce n'est donc pas dû à la pollution. Un copain de Wu An m'apprendra que les Indiens Chumash qui habitaient là s'en servaient pour calfeutrer leurs canots.

Les étudiants semblent peu travailler mais poursuivent des études telles que l'anthropologie ou les religions dont on dirait en France que ça ne sert à rien, que cela n'a aucun débouché sur le marché du travail. Le travail créant davantage des métiers tels qu’ingénieur, médecin, avocat, commercial, professeur, technicien, instituteur ou chômeur donnant une position. C'est vraiment réduire la vie à des sanctions qui définissent des moules selon le niveau d’étude. Pourtant les hommes communiquent et apprennent les uns des autres sans se coller des images. C'est aussi oublier que seul compte ce que l'on a fait même si des résultats n'arrivent pas forcément. Il ne faut pas s’arrêter tant que l'esprit nous guide vers notre voie.



Parcours de 10 kms à Santa Barbara, compte-tenu du temps 46:34 affiché
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L’Amérique me convient, elle convient aux hommes libres, Kong me dira un soir que je suis un "free spirit", je n'aime pas la compétition, je cherche d'abord à me vaincre moi même. Wu An me donne son code pour utiliser un Macintosh dans la salle d'info, j'y passe 5 heures à écrire un guide pratique de la vie en mer pour un équipier. Je continue à faire des recherches pour connaître les taxes d'imposition des entrepreneurs individuels ou "sole proprietorship" en américain, que me donne l'IRS,  "Internal Revenue Service", le coût de l'enregistrement d'une entreprise individuelle est de $96 et la tranche supérieure de l’impôt personnel est de 31%, bien moins qu'en France 56.5%. Je pourrai faire fortune aux USA. Pour ouvrir un compte bancaire, j'ai besoin d'une carte de sécurité sociale que je fais faire.

La sécurité sociale aux USA ne couvre que les pensions d’invalidité et de retraite et l'assurance maladie, j'en trouve une pour $80 par mois. Je peux rester aux USA avec un visa de 6 mois renouvelable à chaque nouvelle rentrée sur le territoire américain ou tous les trois mois sans visa. Je resterai un voyageur, je pourrai donc continuer à effectuer des allers et venues dans le monde et revenir à Santa Barbara.



J'ai admire les esthètes du frisbee sur la plage, l'un deux avec une longue chevelure blonde, qui font tournoyer le frisbee autour d'eux et sur un terrain de sports de UCSB, le jeu collectif de frisbee qui se joue comme le soccer avec le frisbee en guise de ballon, c'est l'Ultimate et c'est très rapide. J'ai repris le rythme de l'happy hour chez Hola Amigos et Alex's Cantina entre 16 et 20 heures. Je suis complètement reposé, détendu. Je vais pouvoir commencer à vivre ma vie de noctambule sportif  buveur de bière. J'avais déjà assisté les deux samedis soirs précédents à un concert de rock sur le campus en plein air avec beaucoup de bière autour. J'imaginais là que depuis trois décennies, c’était le même spectacle tous les samedis soirs dans la tiédeur du climat de la "Southern California" à 100 mètres de l’Océan. Sur la plupart des jardins du campus traînent des canapés pour s'y jeter et paresser au soleil ou contempler les étoiles.

Je ne me lasse pas de les observer le soir sur la plage et le jour j'observe les surfers. J'ai croisé deux fois une fille superbe blonde en robe légère et bottes avec un boa autour du cou. J'en ai frémis, le boa à mon sens n'est là que pour dissuader les mecs attirés par un bon coup sur une jolie fil1e qui veut intéresser pour sa personnalité et dont je suppose qu'elle se débarrassera après avoir rencontré  l'homme de sa vie. Je vais donc un soir traîner mes pénates dans un bar à minuit où  il y a beaucoup de monde qui boit debout un grand verre en carton rempli de bière comme dans un cocktail d'inauguration mais sans les coupes de champagne et les belles tenues. J'ai le jean et le T shirt blanc de rigueur et bronzé, une fille blonde me sourit, je lui dis que je suis Français, elle me demande si je joue au soccer, elle y joue à l’équipe de UCSB qui n'a pas d’équipe masculine. Et oui, le soccer est bien un sport de gonzesses aux USA.




Je vais vivre ensuite à partir de ce soir la  période la plus passionnée de ma vie, un mois et demi pendant lequel je vais rencontrer une fille exceptionnelle que j'ai accompagnée en protection rapprochée, ayant le besoin de la protéger. Un soir je dirai en compagnie d'une Française et de deux Américains sur un voilier que j'ai trouvé le lieu où je désire vivre de façon sédentaire et mes futurs voyages ne seront plus que des voyages d’agrément ou d'affaires. Je sais dorénavant que je ne suis plus schizophrène. Je retournerai vers le point d'ancrage que j'ai choisi.

Lors de mon départ le 27 juillet, je prend conscience de l’éternité, et je vivrai avec le sentiment d’être éternel pendant un an. Ai-je rencontré  l'amour éternel? C'est un mystère qu'il me reste à éclairer.


EPILOGUE

Dans le voyage, le rêve prend forme de réalité, il n'y a pas de fuite d'une réalité quotidienne ennuyeuse mais au contraire l'ouverture vers d'autres horizons dans lesquels ]'action et l'obligation de communiquer créent l'avenir avec de nouvelles idées et opportunités.

Avoir vu l’étranger permet de revenir plus fort chez soi mais aussi plus déphasé par un monde sans mouvement. La diversité des cultures et leur interaction créent un nouveau contexte dans lequel le plus grand nombre peuvent s'exprimer.



Notre héros fut autiste dans la vie sédentaire, d'abord renfermé dans le voyage puis éveillé au fil des jours et assimilant peu à peu les cultures différentes dans des lieux de fête et de simplicité de vie. Il a effectué d'autres voyages à ce jour et il a été très heureux d'avoir mangé à cinq mois d'intervalle des "lanche" petits pains briochés au jambon et au fromage à Porto au Portugal et à Macao. La terre tremblait en Californie dont il était revenu depuis moins d'un mois, le jour où il prenait un avion qui décollait de Nice vers Lisbonne.

Le voyage comporte des risques mais on ne peut les éviter, il faut les prendre de face et pour garder sa santé intellectuelle, assumer les différences de culture qui sont nécessaires à la survie de l’humanité. La quête de lui même qu'il a mené depuis 15 ans sans aller au bout de ses actes et ses retours perpétuels sont l'erreur de ne pas croire suffisamment en lui. Croire en soi est difficile quand le monde ne croit pas à ce que l'on fait. Nous faisons pourtant ce que nous voulons de notre monde, il suffit de le croire pour le voir.

Je finis donc ce livre, 6 mois après l'avoir commencé, jour pour jour, le 11 février. Notre héros a 33 ans et demi mais il a appris à Noël que le Christ est mort à 35 ans et que 1996 est l'an 2000 suite à une erreur de calcul de notre calendrier par rapport à la naissance du Christ.


Notes du correcteur:

1-Teets....tétons, nichons
2-Smörgåsbord... buffet scandinave, originaire de Suède, constitué de nombreuses sortes de poissons, tels que le hareng, le saumon et l'anguille.
3-café mocha...un savoureux café au lait chocolaté avec de la crème fouettée !